Notre-Dame de Longpont et Anne de Bretagne

Chronique du Vieux Marcoussy ----------------------- ----------- _-------------------------------- Février 2010

.

Dessin de la façade de l'église de Longpont lors de la visite de Louis Millin en 1790.

C. Julien

 

 

 

Cette chronique est un essai sur les travaux d'embellissement, qui auraient été commandités par Charles VIII et la reine Anne de Bretagne, à l'église Notre-Dame de Longpont à la fin du XVe siècle. C'est le remaniement du portail occidental effectué grâce aux libéralités des époux royaux.

Deux articles sur Notre-Dame de Longpont et Anne de Bretagne furent publiés, en 1909 et 1910, par l'abbé Joseph Mathurin dans la Revue de Bretagne, de Vendée et d'Anjou . L'auteur, qui s'appuie sur deux textes écrits par des érudits éminents, revisite la lecture de « la superbe façade » de Longpont où « quelque chose de très caractéristique et d'intérêt breton » (1). Pour décrire l'édifice, l'ecclésiastique breton dit « je citerai deux auteurs compétents : Millin et Marion » (2).

 

 

L'avis des archéologues

Plusieurs auteurs ont présenté le portail de l'église prieurale de Notre-Dame de Longpont et pour certains, leurs descriptions permettent une lecture de l'iconographie de la façade et une interprétation des sculptures qui furent gravement endommagées à la fin du XVIe siècle.

Notons, tout d'abord, que le célèbre abbé Lebeuf est muet sur l'embellissement du XVe siècle (3). Dulaure n'est pas plus bavard sur le sujet. Par contre, Louis Millin, venu visiter Longpont avec son dessinateur en 1790, écrivit dans son rapport présenté à l'Assemblée nationale « Aux deux côtés de la porte sont deux niches vides ; celle à-droite est ornée des armes de France ; celle à-gauche est surmontée d'une couronne posée sur une espèce de masse ; sur la pyramide de l'ogive sont deux anges qui supportent l'écusson de France avec les fleurs-de-lys au nombre de trois; au-dessus est la rosace; aux deux coins de la pyramide de l'ogive on apperçoit deux petites rosettes ». Ce que Millin appelle « la pyramide de l'ogive » est, sans doute, l'accolade, très ajourée et très légère qui termine la pointe du grand arc et qui est bien de la troisième époque ogivale. Malheureusement le sommet de cette accolade a été brisé, anges et écussons ont disparu. On remarque que le médiéviste n'évoque ni Charles VIII, ni Anne de Bretagne.

Le second érudit qui nous parle clairement d'Anne de Bretagne, mécène de Notre-Dame de Longpont, est Jules Marion, l'auteur du Cartulaire. Voici ce que dit le chartiste « Le grand arc ogival a été retouché dans les dernières années du XVe siècle, assez discrètement cependant pour que la physionomie générale du portail n'en ait pas été sensiblement altérée. Il est décoré d'une riche guirlande de feuilles de chicorée et de choux frisés ; deux niches, appartenant également au gothique flamboyant, l'accompagnent à droite et à gauche; enfin, une mince corniche de même style, coupant horizontalement la façade à l'étage supérieur, termine cette modeste décoration, due à la munificence de Charles VIII et de la reine Anne de Bretagne ».

Plus tard, dans un article sur l'église de Longpont paru en 1920 dans le Bulletin Monumental , volume 79, Jean Valléry-Radot mentionne : « Il est facile de la restituer grâce à une description de Millin. Sur la pyramide de l'ogive (lisez : au sommet du gâble), sont deux anges qui supportent l'écusson de France avec des fleurs de lys au nombre de trois . L'ensemble de cette décoration est du à la munificence de Charles VIII et d'Anne de Bretagne comme le prouvent l'initiale couronnée du roi (un K majuscule) et l'écusson parti de France et de Bretagne, sculptés au-dessus des deux niches accostant le portail ».

Notre ecclésiastique breton conclut «… seul Marion, dans l'Introduction du Cartulaire de Longpont est affirmatif et son témoignage, concorde avec les signatures mises à la façade de Longpont par Charles VIII et Anne de Bretagne  ».

 

 

Les retouches du XVe siècle

À la fin du Moyen Âge, nous apprenons par les chapitres généraux de l'ordre de Cluny de 1345, 1378, 1404, 1451 et 1465 que les bâtiments du prieuré de Longpont tombaient en ruine (4). Pour relever les dégâts dus à l'outrage du temps et ceux causés par les intrusions de la soldatesque, il fallut faire appel au mécénat.

Bien que plusieurs auteurs n'aient trouvé aucune trace écrite de leur rôle dans les travaux exécutés (5), les écussons de France et de Bretagne sculptés sur la façade, les deux niches contenant les statues du roi et de la reine, et le « K » couronné, initiale de Charles ( Karolus ), confirment la tradition qui leur attribue cette réfection.

Lors de sa visite en 1790, Millin ne mentionne pas l'existence des statues des niches ; elles auraient été enlevées avant son passage, mais les écussons n'avaient pas encore été martelés. Il convient toutefois d'interpréter directement le dessin de 1792 qui comporte certaines anomalies comme les quatre statues intactes des colonnes des voussoirs. D'ailleurs, le visiteur avoue «  Le dessinateur n'a pas bien observé tous ces détails auxquels j'ai cru devoir suppléer par la description ; l'espace n'est pas assez grand pour les faire sentir… ».

On peut penser que quelques citoyens de Longpont avaient démonté les statues avant «  la fureur révolutionnaire  », initiateur avant la lettre de la conservation du patrimoine. Le vandalisme jacobin d'Hébert fit suite au vandalisme protestant du XVIe siècle «  par cette haine convulsive du spirituel qui a souvent conduit les démolisseurs à abattre les églises  ».

Ainsi, «  l'étalage de souveraineté  » déployé sous l'Ancien régime devait être balayé. La «  toilette révolutionnaire  » commença avec modération dès 1790, puis, s'accéléra avec la colère révolutionnaire de l'été 1792 par le décret du 14 août «  les principes sacrés de la liberté ne permettaient point de laisser sous les yeux du peuple les marques de la tyrannie et de la féodalité ». Il fallut effacer tous les cadres où se trouvaient les fleurs de lys, marteler les écus et toute représentation de la royauté (6). Dans l'église de Longpont, les carreaux de terre ornés de fleurs de lys qui pavaient le sanctuaire furent arrachés en 1793.

Selon Michel Réale, «  les statues de Charles VIII et d'Anne de Bretagne auraient été utilisées comme bancs sur la place de l'église, mais elles ne sont pas représentées sur le dessin, peut-être qu'elles étaient à un autre endroit de la place  ». Ceci est en contradiction avec ce que rapporte l'abbé Mathurin en 1910 «  [la statue] de Charles VIII a disparu : espérons qu'on la retrouvera quelque jour. Celle d'Anne de Bretagne avait été longtemps perdue et nul ne songeait plus à elle, quand M. l'abbé Javary, vicaire de Longpont, si dévoué à son cher sanctuaire, la retrouva calant des tonneaux dans la cave d'un brasseur. Triste destinée des reliques royales !  ». Ceci se passait en 1881.

L'abbé poursuit en précisant qu'il l'a vue dans la réserve de la sacristie, où on l'avait placée en attendant une restauration qui s'impose. Elle mesure un mètre de hauteur. «  C'est bien là notre bonne Duchesse toujours si gracieuse et si simple. Sa tête détachée et martelée laisse encore deviner le petit toquet dont elle imposa à la cour de France la mode élégante et sévère. Elle est vêtue·du corsage à pointe et ceinte de la cordelière qu'elle voudra mettre dans ses armes. Espérons qu'un jour prochain, les Bretons, pèlerins de Longpont, la reverront dans sa niche de pierre, les saluant à leur arrivée  ».

 

 

La duchesse Anne, reine de France

Mais, pour quelle raison la duchesse Anne de Bretagne et son mari, le roi Charles VIII, s'intéressèrent-ils à Notre-Dame de Longpont ?

Pour essayer de répondre à cette question, reprenons l'histoire au début. Duchesse de Bretagne à onze ans et sept mois, le 9 septembre 1488, à la mort de son père le duc François II, la jeune princesse se trouva prise dans la tourmente de la guerre franco-bretonne. Son entourage s'occupa d'abord à vouloir marier Anne pour obtenir des alliances des princes d'Europe. De nombreux prétendants se déclarèrent : Edouard, prince de Galles ; Henri Tudor futur Henri VII d'Angleterre ; Maximilien d'Autriche, roi des Romains, qui fut pour un court moment son époux par procuration (7) ; Alain d'Albret, un barbon âgé de 47 ans père de dix enfants ; Louis d'Orléans (8) ; Jean de Châlons, prince d'Orange.

Anne était une jeune princesse élevée dans les sentiments de l'honneur et la modestie. De l'éducation d'Anne de Bretagne, nous ne trouvons pas traces. Il est probable qu'elle reçut l'éducation d'une jeune noble de son temps : elle apprend à lire et à écrire en français, et maîtrise le latin et le grec appris dans la bible ou autres missels. Elle est élevée par une gouvernante : Françoise de Dinan, dame de Laval et de Châteaubriand ; son maître d'hôtel est le poète Jean Meschinot. On lui aurait peut-être enseigné la danse, le chant et la musique.

 

 

Bien que certains auteurs aient considéré la cour du duc de Bretagne comme spécialement inculte, laissons là au roman ces fictions indignes de l'histoire. De toute sa vie, Anne montra un mécénat inlassable et généreux. Des auteurs renommés lui servirent de secrétaire et de chroniqueurs. Sa bibliothèque personnelle comprenait plus de 3.000 volumes, ouvrages religieux, historiques et littéraires confondus, dont la plus grande partie provenaient d'Italie. Sa bibliothèque reflète son niveau d'éducation. Anne de Bretagne nous a laissé «  Les Grandes Heures d'Anne de Bretagne  », livre de prières commandité à l'enlumineur Jean Bourdichon.

Zaccaria Contarini, ambassadeur de Venise, la décrit ainsi en 1492 : «  La reine a dix-sept ans, elle est de petite taille, fluette, et elle boite visiblement d'une jambe, bien qu'elle porte des chaussures à haut talon pour cacher sa difformité. Elle a le teint foncé et elle est assez jolie. Sa finesse d'esprit est remarquable pour son âge et une fois qu'elle a décidé de faire quelque chose, elle s'efforce d'y parvenir par n'importe quel moyen et à n'importe quel prix  ».

Le 6 décembre 1491, Anne épouse officiellement au château de Langeais le jeune Charles VIII, roi de France, mariage validé par le pape Innocent VIII en février 1492. Les deux époux se font donation mutuelle de leurs droits sur le duché de Bretagne «  Pour obvier aux guerres qui ont eu cours et acquérir et maintenir paix perpétuelle. Anne, fille et héritière seule et unique du duc donne perpétuellement à héritaige audit seigneur, ses successeurs roys de France, par titre de donnaison faite pour cause dudit mariage…  ».

Anne fit son entrée solennelle dans la capitale du royaume, au milieu des acclamations d'un peuple immense, qui ne pouvait se lasser d'admirer ses grâces et sa beauté ; car au dire de Brantôme, «  sa taille estoit belle et médiocre. Il est vray qu'elle avoit un pied plus court que l'aultre le moins du monde ; on s'en apercevoit peu, et malaiseement le cognoissoit-on, dont pour cela sa beauté n'en estoit point gastér  ». On louait les vertus, le courage et les actions héroïques d'une princesse qui, à l'âge de quinze ans, avait mérité l'estime et la vénération de toute l'Europe.

 

Enluminures tirées des Grandes Heures d'Anne de Bretagne.

 

 

Une maternité malheureuse

La dévotion d'Anne de Bretagne à la Vierge Marie peut s'expliquer par sa maternité malheureuse. Dès les noces célébrées le 15 novembre 1491, le couple royal développe des liens très forts puisqu'il fallait assurer la succession du trône de France en donnant un fils au roi. Anne passa beaucoup de temps en grossesses avec un enfant tous les quatorze mois en moyenne.

Le 10 octobre 1492, la reine Anne met au monde un fils nommé Charles-Orland . S'en suivirent ensuite deux fausses couches. Elle perd un enfant mâle de deux mois de son terme, en août 1493, «  au cours d'une chasse durant laquelle Anne ne s'était pas ménagée  ». La seconde en 1494, survient à Lyon alors que la reine voyageait en litière, « à cause des pavés de la ville » ont dit les historiens. Elle accouche au printemps 1495, d'une fille mort née. Le 16 décembre 1495, le dauphin Charles-Orland meurt victime d'une épidémie de petite vérole ou de rougeole (9).

Le 8 septembre 1496, la reine accouche d'un nouveau fils, Charles qui ne finit pas l'année. En 1497, un autre garçon naît, François, qui ne survivra pas. Le 20 mars 1498, c'est une fille qu'on a juste le temps de prénommer Anne avant qu'elle ne meurt quelques heures plus tard. À l'âge de 21 ans, Anne était arrivée à son cinquième échec de ses maternités. Lorsque le roi décède le 7 avril 1498, tous les enfants, mis au monde par Anne de Bretagne, sont morts (10).

Quoi qu'il en soit du problème historique du portail de Longpont, il paraît logique de voir Anne de Bretagne prier la sainte Vierge pour obtenir le don divin d'un héritier pour la France. Une fois de plus, n'oublions pas la dévotion, envers la Vierge-Marie , de la duchesse de Bretagne, qui, le 17 novembre 1491, avait ratifié, devant le tableau vénéré de Notre-Dame des Bonnes-Nouvelles, à Rennes, le traité d'alliance préparé à Laval et conclu ses fiançailles avec Charles VIII, et qui, toute sa vie, resta fidèle aux madones si nombreuses et si aimées de sa patrie bretonne, tout en vénérant et en comblant de ses largesses les Vierges de son royaume de France.

Au Moyen Âge, l'église de Longpont était renommée comme lieu de pèlerinage à « La Vierge qui doit enfanter Virgini pariturae ». Les dévotions à la Vierge avaient été exacerbées par les donations pieuses de rois de France et l'extrême attention des moines clunisiens, grands organisateurs de pèlerinages dont le plus fameux de tous, celui de Saint-Jacques de Compostelle .

 

 

Un voisinage prestigieux

Non loin de Longpont était le comté de Montfort-l'Amaury qui était lié au duché de Bretagne depuis le mariage de Yolande de Dreux-Montfort avec Arthur de Bretagne en 1364. Ainsi, les Montfort donneront-ils aux Bretons six ducs et leur dernière souveraine, la duchesse Anne. Cette princesse releva les saccages de la guerre de Cent ans par des travaux de reconstruction. Elle avait entrepris la restauration du château en y adjoignant la tourelle de l'escalier qui existe encore. On doit aussi à la reine Anne le début des travaux du choeur de l'église.

Un des voisins les plus prestigieux du XVe siècle était Louis Malet de Graville, amiral de France qui possédait de nombreux fiefs et seigneuries dans le Hurepoix. Il était cousin des Valois par sa mère issue de la maison de Rohan, et fille d'une Visconti de Milan. Ce grand seigneur demeurait à Marcoussis, chef-lieu de son domaine et recevait souvent le roi Charles VIII pour des parties de chasse. À cette époque, les chasses de Marcoussis comptaient parmi les plus belles du royaume. Jusqu'au XVIIIe siècle elles furent souvent fréquentées par les rois de France, ou les membres de la famille royale.

 

Liens de parenté entre les Valois et Anne de Bretagne.

 

Plusieurs miniatures du Terrier de Marcoussis représentent les parties de chasse de l'amiral (11) : chasse du cerf à courre, chasse aux blaireaux, aux sangliers, aux hérons au moyen de faucons, etc.

La quinzième miniature du Terrier est une grande peinture à pleine page qui représente la visite du roi de France Charles VIII à Marcoussis avec de nombreux personnages, hommes et femmes. Un groupe de seigneurs à cheval longe les murs du château. Ils ont â leur tête un homme jeune, dont la monture est entièrement couverte d'une housse aux couleurs royales de France, d'azur semé de fleurs de lys d'or. La couverture d'un autre cheval porte également les fleurs de lys de France sur fond d'azur, mais brisé cette fois d'un lambel de gueules à trois pendants. L'image présente différents écussons armoriés : le blason royal de France à trois fleurs de lys, celui d'un dauphin de France, celui du duc Pierre de Bourbon, ancien tuteur de Charles VIII, du duc Louis d'Orléans, et enfin, au dessous, les armoiries de l'amiral de Graville, et de chacune de ses trois filles.

Or, dans la miniature, nous voyons derrière le Roi un enfant, le petit dauphin Charles-Orland, revêtu de la robe bleue fleurdelisée d'or, costume des enfants du roi de France, avec des cheveux coupés courts sur le front, mais laissés longs des deux côtés du visage. Nul doute que la présence du dauphin implique celle de la reine Anne à Marcoussis. En tout cas, ce qui est certain que ne participant pas à la partie de chasse, pour cause de grossesse, la reine allait à Longpont prier la sainte Vierge, la seule qui pourrait lui donner l'héritier attendu.

L'amiral de Graville aimait d'ailleurs à rappeler le souvenir du roi Charles VIII. Dans l'intérieur du château de Marcoussis, il avait fait peindre par deux fois, à deux étages différents de l'édifice, une des pages les plus brillantes de l'expédition de Charles VIII en Italie : son entrée triomphale à Naples, revêtu du costume, et portant les insignes de Roi de Jérusalem.

 

 

La visite de l'abbé Mathurin en 1908

Revenons à ce que nous raconte l'abbé Joseph Mathurin venant visiter le curé de Linas où son frère l'abbé André Mathurin avait été curé «  L'église et le monastère de Longpont furent, au cours des âges, visités par les plus illustres personnages : tous les rois de France, et, ce qui intéresse plus spécialement notre pays, par Charles VIII et Anne de Bretagne  ». Laissons parler l'abbé Mathurin.

Aussi, quand, le 1er et le 6 septembre 1907, j'eus le plaisir d'accompagner à cet antique sanctuaire M. le curé de Linas et le pèlerinage de sa paroisse, je me promettais de rechercher les traces du passage à Longpont de la « Petite Brette » (12), de celle qui devint reine de France sans cesser d'être duchesse indépendante de cette terre de Bretagne dont plie voulut garder la libre souveraineté.

Invité par M. l'abbé Cayron (13), curé de la paroisse, à prêcher la neuvaine des pèlerinages de 1908 ; accueilli avec une amabilité charmante par son successeur, M. l'abbé Bertin, et son dévoué vicaire M. l'abbé Javary, je voulus faire entendre, dans la chaire de cette église d'Île-de-France, une parole très bretonne. En franchissant le portail, j'avais passé sous l'ombre de l'écu d'hermines alliées aux lys de France. Là-bas au fond du chœur, au-dessus d'un riche autel de .bronze, trônait la Dame de Bonne-Garde, splendide et gracieuse dans sa robe de soie bleue et ses voiles de fine dentelle. Là haut, son image apparaissait aux fresques de la voûte, où elle étincelait, dans les branches du vieux chêne cher aux Celtes, entourée de ses premiers adorateurs.

Plus bas, sur les parois des murs, se tenaient, comme formant sa cour, ses pèlerins augustes, les bienfaiteurs de son église, et, parmi eux, Anne de Bretagne, représentée avec son type et dans son costume traditionnels ; au-dessous d'elle, cette inscription :

Anne De Bretagne, 1477-1514, Fit Reconstruire Le Portail de L'Église.

Ce fut donc le salut de la Bretagne , le salut des dévots des innombrables Vierges bretonnes, que j'apportai à la Vierge aimée de notre duchesse devenue reine de France. Et, pendant cette neuvaine, du 7 au 20 septembre 1908, tout en célébrant la Vierge de Longpont, tout en présentant à l'imitation des pèlerins parisiens et versaillais la dévotion mariale des Bretons, illustrée par l'histoire et les légendes de notre pays ; j'étudiais son église, afin de la faire connaître un jour à mes compatriotes bretons.

 

 

La leçon de l'abbé Mathurin

S'appuyant sur les descriptions de Millin et Marion, l'abbé Mathurin ne souscrit pas aux conclusions des deux érudits et même réfute la superposition des constructions du XIIIe siècle pour le portail dédié à la Vierge et celles du XVe pour les ornementations de style gothique flamboyant. «  Tout d'abord, l'ornementation est nettement de l'époque ogivale secondaire : trilobes aigus, tri et sextifeuilles, bandeaux de feuillages détachés de la masse et ajourés, chapiteaux ornés, comme les bandeaux, de feuilles de vigne et de chardons, très découpées et relevées vers le haut  ».

« Cette explication me semble bien subtile en effet, et je crois la vérité plus simple » nous dit l'abbé. «  Eh! Quoi d'étonnant que cet arc du XVe ne détonne avec le reste du portail, puisque nous retrouvons la même décoration de feuillages du XVe siècle sur les chapiteaux des colonnettes inférieures et sur les deux cordons qui coupent la façade en trois parties? Tout au plus quelques ornements pourraient-ils être des restes d'une construction de l'époque ogivale secondaire; mais l'ensemble est du XVe siècle  ».

L'abbé considère le portail de Longpont comme une œuvre harmonieuse, exécutée à la fin du XVe siècle, mais rectifie la description de Millin sur plusieurs points. «  Les deux niches sont supportées par des culs de lampes ornés de feuilles très tourmentées ; elles sont surmontées d'arcs trilobés, en accolades et à crochets, accompagnés de deux petites flèches également à crochets ; un petit auvent les couronne que percent les trois pointes de l'accolade et des flèches. Leur élévation totale est de 2m20, et le vide intérieur est de 1 m 50. Non pas "une espèce de masse" mais un K couronné initiale Karolus VIII, domine celle de gauche et se mêle à la corniche de feuillage . Un écusson, non pas de France, mais mi-parti France et Bretagne, aux hermines sans nombre est posé sur celle de droite  ».

En réalité le « K » est à droite de la façade, l'écusson à gauche, place d'honneur restant au Roy Charles : ce qui indique bien que les armes sont celles de la reine Anne de Bretagne. Ces deux niches devaient contenir les statues des deux constructeurs royaux.

Ces preuves monumentales : initiale du Roi Charles VIII, écusson de France et Bretagne qui était celui d'Anne de Bretagne après son mariage, statue de la Reine , suffisent me semble-t-il, pour admettre le fait de la construction par le couple royal de la façade de l'église de Longpont. Après Marion, après la légende de la fresque de la chapelle de la Vierge miraculeuse, nous pourrons dire : « Anne de Bretagne fit reconstruire le portail de l'église — sa décoration est due à la munificence de Charles VIII et d'Anne de Bretagne ».

Mais il faudra nous contenter de cette preuve : la preuve écrite, celle des archives, nous fait complètement défaut. L'abbé Mathurin avait été en relation avec plusieurs historiens locaux. M. Dufour, secrétaire général de la Société historique et archéologique de Corbeil, d'Etampes et du Hurepoix avait écrit qu'il n'a « jamais ouï dire qu'Anne de Bretagne et Charles VIII aient été pour quelque chose dans la construction de ce monument... », puis, il ajoute : «... il serait intéressant de savoir où vous avez trouvé trace de travaux faits au début du XVIe siècle par la reine Anne  ». (Lettre du 27 septembre 1909).

 

 

Datation de l'embellissement de Longpont

Une dernière question se pose : à quelle date Anne de Bretagne construisit-elle ce monument ? En l'absence de documents, nous sommes réduits aux hypothèses.

 

Le mariage de Charles VIII et d'Anne de Bretagne fut célébré à Langeais le 6 décembre 1491. Pendant la guerre d'Italie, d'août 1493 au 8 octobre 1495, la reine réside à Lyon. Le 31 décembre 1495, Charles VIII était à Paris. Il mourut, à Amboise, le 7 avril 1498.

 

Il semble donc que la construction de Longpont ait du avoir lieu dans l'une ou l'autre des deux périodes : de janvier 1492 à août 1493, ou de novembre 1495 à avril 1498. Il ne semble pas probable qu'elle ait eu lieu pendant les neuf mois du veuvage de la Reine. Cependant , nous savons que quittant Paris et la France pour retourner dans son duché, elle passa à Montlhéry, le 20 juin 1498, et visita, sans aucun doute, le sanctuaire qu'elle vénérait.

À cette époque, Guillaume V de Condac était alors prieur de Longpont, et Guillaume Briçonnet, évêque de Saint-Malo et cardinal depuis le 17 janvier 1495, était conseiller du roi et intime confident de la reine. Ces deux prélats étaient engagés dans la réforme de l'Eglise en montrant un grand zèle pour la suppression des abus, mettre fin aux désordres et revivifier la ferveur, la spiritualité, la règle et la vie monastiques.

Un troisième dignitaire religieux œuvra pour la reconstruction de Longpont, c'est Jacques d'Amboise, abbé de Cluny de 1485 à 1514 (14). Succédant à Jean de Bourbon, il était proche de la Cour et fit reconstruire l'hôtel parisien des abbés de Cluny et favorisa, sans doute, les libéralités royales au profit des prieurés de son Ordre dont Longpont était membre.

Il semble que le prieur de Longpont qui a détenu son siège conventuel pendant près de quarante ans, de 1460 à 1499, avait abandonné le régime commendataire qui avait bloqué tout effort de reconstruction des édifices complètement ruinés. En 1465, les visiteurs de Cluny constatent encore des ruines mais «  trouvent l'église bien ornée et munie jocalibus et aliis reliquis  ». L'église de Longpont bénéficia d'un long priorat et du mécénat de Charles VIII et d'Anne de Bretagne qui participèrent au remaniement de la façade pour augmenter le pouvoir d'attraction du sanctuaire comme centre de pèlerinage.

Les historiens disent qu'après sa répudiation par Louis XII, Jeanne de Valois vint prier à Longpont avant de se retirer à Bourges où elle avait fondé l'ordre religieux des Annonciades.

 

 

Notes

(1) Abbé J. Mathurin, Notre-Dame de Longpont et Anne de Bretagne , dans la Revue de Bretagne, de Vendée et d'Anjou (chez Honoré Champion, Paris) – 1ère partie publié en juillet 1909 (Tome XLII) – 2ème partie publiée en janvier 1910 (Tome XLIII).

(2) A.-L. Millin, Antiquités nationales ou Recueil de Monuments ; Tome IV, ch. XLIII (chez Drouhin, Paris, 1792) ; J. Marion, Cartulaire du Prieuré N.-D. de Longpont de l'Ordre de Cluny (Impr. Perrin et Marinet, Lyon, 1879).

(3) L'abbé Lebeuf a beaucoup travaillé sur les documents disponibles en son temps. N'ayant pas connu les libéralités d'Anne de Bretagne et n'ayant pas observé attentivement le portail de Longpont, notre érudit n'a pas été capable d'évoquer l'embellissement.

(4) Dom G. Charvin, Statuts, chapitres généraux et visites de l'Ordre de Cluny (Paris, 1965).

(5) L'abbé Mathurin fit faire des recherches par (a) M. Couard, archiviste du département de Seine-et-Oise : « Je n'ai vu, ni dans l'inventaire manuscrit ni dans les cartons, aucune pièce qui soit relative à la construction de la façade de l'église à l'époque dont il s'agit  » (Lettre du 24 décembre 1907)  ; (b) M. Guérin , bibliothécaire de la B.N. (Lettré du 4 novembre 1907)  ; (c) l'Abbé A. Mathurin, curé de Linas, à la bibliothèque Carnavalet.

(6) Le rapport présenté à la Convention le 14 fructidor an II par l'abbé Grégoire porte le titre «  Rapport sur les destructions opérées par le vandalisme et sur les moyens de le réprimer  ».

(7) «  Après la messe nuptiale, la jeune princesse fut mise au lit par sa gouvernante, Madame de Laval ; alors on introduisit l'ambassadeur de Maximilien qui, tenant à la main la procuration de l'archiduc, plaça dans le lit sa jambe nue, et déclara le mariage consommé  ».

(8) Détestant ses cousins d'Orléans, c'est avec un cynisme sans pareil que Louis XI avait marié de force sa fille contrefaite, la douce, la sainte Jeanne de France, au duc d'Orléans, le futur Louis XII, en disant au Grand Maître le comte de Dammartin : «  Je me suis délibéré de faire le mariage de ma petite fille Jeanne et du petit duc d'Orléans, pour ce qu'il me semble que les enfants qu'ils auront ensemble ne leur coûteront guère à nourrir  ». Le roi fit casser par le pape Alexandre VI son mariage, vieux de 20 ans, afin de satisfaire le traité en épousant Anne de Bretagne.

(9) Alors que le roi et la reine pleurent la mort de l'héritier du trône, le cousin de Charles VIII, on a dit avoir vu Louis d'Orléans se réjouir publiquement de la mort de dauphin Charles-Orland «  Monseigneur le duc montre sa joie car il est désormais l'héritier du trône  ».

(10) Mariée à Louis XII, Anne met au monde, en 1499, une fille prénommée Claude, fiancée en 1406 au duc d'Angoulême, futur François 1er. En 1500, la reine donne naissance à un fils mort-né. En janvier 1503, c'est un autre fils, François, qui né mais qui ne termine pas le mois. On compte une fausse-couche en 1508 et une autre mal située entre 1505 et 1509. Le 25 octobre 1410, Anne de Bretagne accouche d'une seconde fille, Renée de France. En janvier 1512, naissance d'un fils qui ne vit que quelques jours. La reine Anne n'aura pas d'autres enfants et mourut en 1514.

(11) Vers 1493, l 'amiral de Graville chargea son intendant et conseiller, Jean d'Espinay, évêque de Mirepoix, de faire rédiger le Terrier de Marcoussis .

(12) Surnom d'Anne de Bretagne donné par son époux le roi Louis XII.

(13) Décédé le 10 mars 1908.

(14) Septième enfant de Pierre d'Amboise, seigneur de Chaumont et de Anne de Bueil, il était le frère de Louis 1er, évêque d'Albi, de Jean III, évêque et duc de Langres, de Pierre III, évêque de Poitiers et du cardinal Georges d'Amboise, premier ministre de Louis XII.

 

Ces sujets peuvent être reproduits " GRATUITEMENT" avec mention des auteurs et autorisation écrite