Le pamphlet politique accusant Jean de Montagu

Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _---------------------__------ Avril 2012

C. Julien

JP. Dagnot

 

 

Dans les premières années du XVe siècle, un petit poème politique et allégorique a eu pour titre «  Le Songe véritable  ». Son auteur habitait Paris et il a approché les gens de la Cour. Les attaques sont d'une extrême violence contre la reine et contre les financiers et les officiers royaux surtout, tel Jean de Montagu. De ce poème, écrit par un homme partisan de la maison de Bourgogne, nous avons extrait ceux qui concernent le Grand-maître et seigneur de Marcoussis.

 

 

Le pamphlet politique

Dans le «  Songe Véritable  », pamphlet politique d'un parisien du XVe siècle, nous trouvons un indice de l'état d'esprit commun du rimeur de 1406 : «  Le grant Montagu et Maillart scevent qui a mengé le lart…  » (vers 560), forme littéraire qui n'a pas tardé à mener à sa perte le seigneur de Marcoussis. L'auteur compare effectivement le sort misérable des humbles à l'opulence des parvenus comme Montagu, à l'avidité des princes comme les ducs de Berry et d'Orléans. Il est indigné, bref, tout concourt à prouver que le peuple de Paris s'oppose à tout ce que voudrait faire le roi en faveur de ses fidèles serviteurs.

Au début du XVe siècle, la chanson politique bourguignonne attaquait les grands et même les princes du sang qui ne participaient pas au même respect que la personne royale. La population portait une affectueuse pitié à l'infortuné Charles VI «  Riens ne me fault, mais que j'aye bon chief  ». On plaignait le roi d'être entouré d'une telle famille, d'une épouse indigne, d'oncles avides et rapaces, d'un frère qui l'aimait sans doute, mais qui cherchait surtout à établir la grandeur de sa maison, fut-ce aux dépens du roi. On le plaignait encore de ne pouvoir chasser de la Cour la tourbe des courtisans et des domestiques infidèles qui lui volaient, dans les longues crises qui l'étreignaient, jusqu'à ses vêtements.

On reprochait aux ministres, comme Bureau de la Rivière ou Jean le Mercier ou Jean de Montagu, dont le faste choquait à la fois le peuple et les grands, de n'avoir ni vrai passé, ni race, arrivés par leurs talents, surtout par leurs intrigues et leur défaut de scrupules, aux premiers rangs de l'État, il devaient tomber sous les coups répétés de la haine publique, ils ne laisseraient pas leur tête à ce jeu dangereux.

Montagu est le plus rudement atteint par le rimeur du Songe véritable , non pas qu'il ait été beaucoup plus criminel que d'autres ; mais sa fortune si rapide, si inespérée, il n'avait pas mis vingt ans à la faire, scandalisa ceux qui affectaient de ne voir en lui que ce qu'il était après tout, un parvenu. L'une des faiblesses de la situation des Marmousets, lorsqu'ils atteignirent le pouvoir et en écartèrent les oncles de Charles VI, avait été l'isolement hostile où il se trouvèrent vis-à-vis de tous les partis : du parti bourguignon, car leurs réformes heurtaient trop d'intérêts, la jalousie qu'ils excitaient était générale et leur origine si humble (en exceptant Olivier de Clisson), les rapprochait trop de ceux qu'ils étaient appelés à gouverner ; du parti des grands, qui ne pouvaient se soumettre à des hommes que tout eût dû faire leurs inférieurs et enfin du parti des clercs et de celui des savants de l'Université.

Jean de Montagu ne sut pas ou ne voulut pas comprendre la raison de l'impuissance des Marmousets. Il plia d'abord, s'enfuit à Avignon, puis quand le gros orage fut passé, il revint, se remit patiemment à l'œuvre, et en deux années avait reconquis le terrain perdu. Si bien qu'en 1406, on pouvait dire qu'après les princes, il était le premier personnage de l'État ; seulement, à peine avait-il atteint le point culminant d'une fortune sans précédent, tout le monde se déchaîna contre lui. D'abord, on s'était borner à plaisanter sa petite mine, et Eustache Deschamps avait lancé contre lui une ballade, dont voici la premier strophe :

Le baut, le doulx, le poupinet,
Le long, le droit, le gay, le savoureux,
Le gentil corps et le chief crespelet,
Megre ne gras, au viaire piteux,
Qui si bien scet faire le gracieux,
Et qui porte la dorée taison,
Pour cent marcs d'or ne donrroit ses cheveux :
Milleur marchié a fait de ma maison.

Le poète n'a certes pas voulu flatter son héros ; mais, s'il le détestait, c'était moins pour son opulence que pour une question d'intérêt lésé, grief qu'un poète ne pardonne pas.

Si Jean de Montagu avait de nombreux et puissants amis, tels que Regnaut d'Angennes, le sire de Sempy, Jeannet d'Estouteville, Oger de Nantouillet, ceux-ci ne lui furent d'aucun secours lorsque le terrain manqua sous ses pas. Aussi, quand le prévôt de Paris, Pierre des Essarts, l'arrêta, n'y eut-il pas une voix qui osât s'élever en sa faveur, et, après avoir été décapité, Montagu fut attaché au gibet de Montfaucon, que l'auteur du Songe véritable aperçoit déjà une sorte de vision prophétique. Le rimeur eut un grand mérite de cette prescience : «  le sort d'Enguerrand de Marigny n'était-il pas là pour éclairer sur la fin que la fortune réservait à Jean de Montagu ?  ».

Quelles qu'aient été ses dilapidations, Jean de Montagu n'est pas le seul coupable. Il y en a eu de plus haut placés que lui et le Songe véritable n'a eu garde de les ménager. L'audace était grande, car leur crédit, ou mieux leur pouvoir, était considérable. Toutefois le rimeur n'épargne pas trois personnes : le duc de Berry oncle du roi, le duc d'Orléans, frère du roi et la reine Isabeau de Bavière, ceux que l'on accusait secrètement de gaspillages et de vices. Pour Jean de Montagu, et quoi qu'en dise son biographe, Monsieur Lucien Merlet (2), on sera surpris de sa richesse, sa puissance, et on sera bien tenté de s'associer au jugement sans pitié du Songe véritable .

 

 

Le Songe véritable

Le Songe véritable compte 3.174 vers. L'auteur fait intervenir des allégories. Nous commençons par citer la première strophe de douze vers qui introduit le pamphlet politique parisien :

Les gens qui dient que en songes
N'a se fables non et mençonges,
Sy comme ou rommant de la Rose
Est dit, en texte, non en glose,
Sy n'ont pas tout bien essayé,
Sy com je voy ; car esmaié
Suy je trop fort et en pensée
De ce qu'ay veu la nuyt passée
Une advision merveilleuse,
Dure et obscure et non joyeuse,
Laquelle je desclaireroy
Trestout le mielx que je pourroy.


Sous le titre «  Comme Povreté vint de querir Vérité et puis dit  », l'auteur fait parler dame Povreté visitant de nombreuses maisons cherchant à rencontrer dame Vérité : chez le duc de Berry, chez le duc d'Orléans, chez le connétable, chez l'évêque de Poitiers, etc. Chez Jean de Montagu (vers 197), nous lisons :

Chiés Montagu après alay
On me dist : « Elle n'y est mie,
Ne ne fut oncques en sa vie
Et qu'il la het plus de cuer fin
Que triache ne fait venin ».

Les frères du Grand-maître étaient aussi visés par le Bourguignon (vers 218). Son frère puîné, aussi Monseigneur Jean de Montagu, filleul de son oncle paternel, de même nom, fut chevalier de l'Hôpital Saint-Jean de Jérusalem, fut évêque de Chartres et depuis, archevêque de Sens. Puis le frère cadet, Gérard de Montagu, de même nom que son père, avait été évêque de Poitiers avant d'être assis sur le trône épiscopal de Paris, après avoir servi le roi en son Parlement en la Cour des aides. Il était donc détesté du peuple pour avoir été de ceux qui avaient augmenté les impôts sur les denrées alimentaires dont les vins et alcools.

Puis retournay par grant assens
Par chieé l'archevesque de Senz
Et chiés l'evesque de Poitiers ;
Maiz dit m'y fu : « Ribaux houliers,
Ne la venés point ceans querre
Puisque no frere a à ly guerre ».

La Vérité est absente du Parlement «  plus de XX ans qu'elle n'avoit esté leans  », de même en plusieurs lieux, chez les gens d'Eglise : l'official, les chanoines, les diacres, chantres, doyens et archidiacres ; chez les Hospitaliers, Carmes, Cordeliers, Jacobins, Augustins, Bernardins et Célestins ; chez les trésoriers généraux «  qui nommés estoient Rapines…  » ; chez les avocats et gens «  qui mainnent marchandise  ». Puis le pamphlétaire fait parler dame Souffrance , dame Commune Renommée , dame Excusacion , au sieur Chacun , etc. Tous ces gens jouent leur rôle dans la société et influence le gouvernement royal disant que Charles VI «  On le fait saige, on le fait fol, on joue de ly ou chapifol… quand en santé il est un peu, les grans y courent pour leur preu…  ».

C'est alors que tous les personnages qui composent le «  Faulx Gouvernement  » sont cités. Ce sont principalement les personnes proches de la Cour (vers 535). On y trouve pêle-mêle Charles de Chambely, les frères Philippe et Pierre des Essarts, Colard de Caleville, Hangest, Loys le Daulphin, André Giffart, messire Adam de Gaillon, Robert de Chastillon, Philippot de Juilly, Guillaume des Prez, Regnault de Douy, Jean de Montagu et enfin Maillard dont l'auteur fait rimer le nom avec «  lard  ». Le Grand-maître est accusé de diriger le palais royal de Saint-Pol «  Son maistre d'ostel, en l'oreille, qui de son hostel entremettrelefait trestout seigneur et maistre  » et chasse les serviteurs «  aux povres gens de chiés le Roy, lesquiex il tient en malconroy… car il les fait dehors bouter, sans les oyr ni escouter sans ce qu'ilz servent mois ne sepmainne…  » (3).

 

 

Le bel chastel de Marcoussy

Le vers 1071 et les soixante suivants décrivent les richesses de Jean de Montagu amassées dans son «  bel chastel de Marcoussy  ». Le pamphlétaire décrit le comme un palais royal :

Véez Montagu, le grant maistre ,
Qui longuement vous a fait pestre :
C'est cellui qui a despendu
Tant que devroit estre pendu.
Et que soit vray, avisés cy
Le bel chastel de Marcoussy
En quel lieu ne souloit avoir
Qu'un peu de chose, à dire voir ;
Or est il tel con le veez.
Dont voud devez estre esmaiés
En quel lieu on peut avoir prise
La finace qu'on y a mise.
Cuidés vous que le fondement
Ait estré pris parfondemment !

C'est alors, pour convaincre le lecteur des détournements des finances royales, que le pamphlétaire donne une description avantageuse du château de Marcoussy. Assurément cet auteur y est venu pour inspecter les lieux.

Quelz portes, quelz huits, quelz degrez !
Trestout est bien taillé de grez ;
qu'à force fendu ont esté

Tant en yver comme en esté.
Quelz fossés quarrez et parfons
Par boutz, par costez et par fons !
Quelles tours, quelz carneaux, quelz fordiz !
Tout est fait par marchecoulis.
Quelle sale, quelle chapelle !
Quelle cuisine ! qu'elle est belle !
Que de belles chambres à tas !
Quelle galeries, quelx galatas !
Quelx portes, et quelx cheminées !
Quel façon de chambres aisées !
Quelle despence et quelx celiers !
Quelles caves et quelx garniers !
Comme est richement tout tendus
De bon tapis tous estandus,
De couvertures et de sarges
Et de bancquiers bons, longs et larges !
Chascune chambre est, sans deffault,
Garnie de quant qu'il y fault ,
Sans point y tendre ne destendre
En l'une, pour en l'autre prendre.
Tant de linge, tant de vaisselle !
D'autre chose soit telle quelle !
Au dreçouer con bel tresor
Tant des vaisseaux d'argent et d'or !
En la chapelle quielx joyaultx !
Sont ils tres riches, sont il beaux !
……
Aussi quelx pons, quelle bastille
Faicte par euvre moult subtille !

L'auteur décrit ensuite la terre et seigneurie avec les moulins, viviers, basse-cour, étables, le tout enclos de murs, les beaux étangs «  tous plains d'eaue, sont ilz plaisans !  » avec leur chaussée. Il n'oublie pas le couvent des Célestins (vers 1149) :

Or regardés quelle chapelle
Qu'on fait illec toute nouvelle,
Non pas chapelle, maiz eglise
Où célestins font servise !

La question centrale est posée au vers 1155, celle des finances : «  Qu'ont il cousté ou cousteront, avant que bien parfait seront, qu'a tout cousté d'argent grant somme ? Nul ne le scet, s'il ne l'asomme. Où peut avoir Montagu pris la finance qu'il y a mis  ». Une estimation est faite : «  Il a bien cousté six cens mille [livres]  ». On reproche tous les agissements de Jean de Montagu ; la vidamie de Laon (vers 1169), les dépenses lors du voyage en Aquitaine (vers 1178).

 

Le château de Marcoussis, gravure de Caspar Merian (vers 1650).

 

Puis, le poète bourguignon s'attaque aux alliances des enfants de Jean de Montagu : «  Aussy où prist il la monnoie, la finance de la monjoye qu'il a falu qu'il ait paiée, et despendu et defraiée d'avoir ses filles mariées sy hautement et assenées, con au conte de Bresne et Cran ?  ». Une suggestion est faite : Jean de Montagu se serait servi des revenus de la taille «  sur quoy argent chascun ly baille  » pour organiser sept fêtes. Une grave accusation est faite, Jean de Montagu aurait déposer 100.000 francs chez les banquiers vénitiens «  que pour doubtance a entassés hors du royaume et amassés  » (4). Des complices, des compaignon s, sont cités (vers 1242) qui n'ont pas hésité à prendre l'argent, la finance . Ce sont Jehan de la Haye dit Piquet, Jean Luce son secrétaire, maistre Raymond Raguier seigneur d'Orsay, l'évêque de Noyon, Amaury, feu Besançon et Barbery, l'évêque de Sens, Arnoul Bouchier, Milet Baillet, Macé Heron et Hemonnet, le comte de Tancarville, etc., bref une bonne trentaine de personnages. Au vers 1760, le poète, parlant pour son maître le duc de Bourgogne, clame vengeance contre les usurpateurs du gouvernement ; et le premier à être puni sera Jean de Montagu « Premier dyray de Montagu duquel vous vous plaigniés sy fort  » puisqu'il osa «… conquerre grans seignouries et graznt terre et faire faire un beau chasteau environné tout de fort eau…  ». En un mot le Grand maître a prouvé son oultrecuidance (vers 1843) :

Aussy Montagu et sa bende
Feray à tel saint, tel offrande,
Quant me vendra en appetit,
Sans esparnier grant et petit.

 

 

La crédulité de Montagu

Le vers 2.303 revient à Montagu. Le duc de Bourgogne énonce franchement qu'il ne peut lui échapper et s'ébahit de constater que Montagu n'y prend garde. Il lui réserve le sort fait jadis à Enguerrant de Marigny, homme de confiance de Philippe IV le Bel, qui paya de sa vie son orgueilleuse fortune. On conçoit que le rapprochement entre sa situation et celle de Jean de Montagu près de Charles VI se soit fait aisément dans l'esprit de l'auteur du Songe véritable . Ce dernier se demande qui sera le premier (vers 2.388) ? Ou Jean de Montagu ou l'amiral Pierre Clignet de Brébant ; ou Piquet ou George ou Hemon ?

À compter du vers 2.857, sous le titre «  dame Raison parle à Montagu et l'amirault, comme pardevant a fait aux autres  », l'auteur se déchaîne contre Jean de Montagu par une attaque en l'accusant d'avoir volé sans vergogne le trésor royal :

J'escry à toy, fol Montagu,
Qui en fort prendre es sy agu
De cil du Roy, et sans raison,
N'oncques venir en ma maison
Tu ne voulsis par nulle rien.
Maiz tu y vendras maulgré tien
Et malgré ta largesse fole
Qui maint autre de toy affolle,
Et malgré bobant et orgueil
Qui te pendent tousjours à l'euil,
Et tes escharpes et joyaux
Et tes coliers et tes joyaux,
Et ta grant despence oultrageuse,
Ta rapine malicieuse
Et tes chasteaux et alliances,
Et tes faintives contenances,
Et tes terres et seigneurie,
Et ta tresnoble pierrerie,
Ton dissimuler et faulx semblans,
Et tes moiens, soyent noirs ou blans,
Ja nul jour ne te garderont,
Ainz tous ensemble te lairont,
Maiz que Fortunez ton amie
Se tourne un pou ton ennemie.
Elle le fera sans demeure,
Car en peu d'eure Dieu labeure.
Comment as esté sy osé
D'avoir estat sur toy posé
Sy grant, sy riche ou oultrageux !
C'est grant folie, non pas jeux,
De toy tenir si richement,
Quant voiz le Roy sy povrement
Qu'il n'a ne robes ne chevaux,
Colier, vaisselles ne joyaux,
Qu'ilz nze soiznt tous engaigié.
Ainsy as-tu bien mesnagié ;
Encor son estat appetices,
Et le tien croist, dont tu es nices ;
Et quant ses robes veult donner,
Tu ly vas tantost sermonner,
Et fort et ferme l'en reprens.
Maiz pas bien garde tu ne prens
A ce que donnes joyaux et robes
A plusieurs gens que ly desrobes ,
Aussi chevaux, argent et or,
Que tu prens tout en son tresor…

Puis, l'on parle de «  grans bombances  », c'est-à-dire des fêtes et des danses. Le Grand-maître a oublié sa pauvreté «  où en ta jonesse as esté avant que fusses secretaire de Charles Roy, ne m'en puis taire  ». Le pamphlétaire bourguignon veut humilier Montagu :

Et ton père bourgeois estoit,
Autre noblesse ne portoit
Synon que fu à la vesprée
Fait chevalier en cheminée.

Le peuple accuse Jean de Montagu d'être la cause de toutes ses misères «  Par ton moien viennent tous maulx, et tailles, guerres et consaulx  », alors qu'il vit dans l'opulence «  Es voyages bons hostelz tiens et plusieurs gens à toy retiens et leur donnes or et argent  ». C'est alors que l'on trouve l'accusation du parti bourguignon et notamment d'avoir installé l'impôt de la taille . La menace devient sérieuse puisque c'est la mort promise à Montagu :

Tu pilles le peuple et le taille,
Tu t'y consens, vaille que vaille,
Affin que mielx riffler tu puisses
Du plus vaillant ou que le truisses,
Sans mesure, sans compte rendre.
Tousjours treuves assez où prendre :
Maiz le compte tu en rendras,
Quant nulle garde n'y prendras.,
…….
N'as-tu point veu Enguerrant
De Marregny, qui trop errant
Comme toy mainteffoiz ala ?
Dont de hault en bas devala ;
Au gibet de Paris fu pandus
Parmy son col es estandus ;
Et d'autres qui on gouverné
En ce royaume et dominé.

Au vers 3.111, c'est dame Dampnacion qui parle à dame Raison . En fait, le parti bourguignon promet de faire passer son implacable « justice » en disant :

Et Montagu aussi ara
De fors tourmens, bien le sara
Car il sera en un chasteau
L'un costé de feu, l'autre d'eau,
De l'un en l'autre degetté :
Il en sera ja jour racheté.
Aux autres tourmens partira
Pour ce qu'à leur part il tira.
Ceulx de sa bande auront ainsy ;
Ja n'en pourront avoir mercy,
S'ilz n'en batent trop fort leur coupe.
……
Ceulx avec moy accrocheront
Qui les tourmens sy leur feront.
Je les voiz querre, attendez moi :
Je retourneray sa
ns delay.

La messe est dite ! Le parti bourguignon chargea le prévôt Pierre des Essarts d'exécuter ses basses œuvres : l'arrestation, l'ignominieuse condamnation et la mise à mort du Grand maître. Ces évènements se passaient au mois d'octobre 1409. La littérature a été submergée par cette mort avec des interprétations diverses, plus ou moins imagées selon l'époque de l'édition. Une analyse complète nécessiterait un volume entier, nous nous sommes contentés de quelques pages seulement dans la chronique «  La vie de Jean de Montagu, l'arrestation et la mort  ».

L'auteur du Journal d'un bourgeois de Paris , l'un des clercs attachés à la maison d'Isabeau de Bavière ou bien un haut dignitaire de l'Université de Paris nous donne la triste fin de Jean de Montagu : « Item, le lundi VIIe jour d'octobre ensuivant, assavoir mil quatre cent-neuf, fust prins ung nommé Jehan de Montagu, grand maistre d'hostel du roy de Franche, emprès Sainct-Brenetor, et fust mis en petit Chastellet; dont il advint telle esmeutte à Paris à l'eure qu'on le print ; comme se tout Paris fust plain de Sarazins; et si ne sçaroit nul pourquoi ils s'esmouvoient. Et le print ung nommé Pierre des Essarts, qui pour lors estoit prévost de Paris ; et furent les lanternes commandées à allumer, comme autrefois, et de l'eaue à huis, et toutes les nuicts le plus bel guet à pied et à cheval qu'on vist guères oncques à Paris ; et le laisoient les mestiers l'ung après l'autre » (5).

 

 

Notes

(1) H. Moranville, Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Île-de-France , t. XVII (Paris, 1891).

(2) L. Merlet, Biographie de Jean de Montagu , Bibl. de l'Ecole des chartes, t. XIII.

(3) Pierre de Bébant dit Clignet, seigneur de Landreville, chambellan du roi devint amiral de France en 1405 en remplacement de Renaud de Trie au prix de 15.000 écus ; sa carrière et sa richesse sont dues à la munificence du duc d'Orléans. - Charles de Chambly devint chambellan du roi avant la fin de l'année 1396 ; il touchait une pension de 600 francs d'or sur la cassette royale. - les frères Philippe et Pierre des Essarts  : Philippe fut évêque d'Auxerre ; Pierre, prévôt de Paris le 30 avril 1408 en remplacement de Guillaume de Tignonville, accumula les charges en devenant maître d'hôtel du roi, grand bouteiller et premier président de la Chambre des Comptes, souverain gouverneur des finances provenant des aides ; il fut décapité par ses anciens alliés, les Bourguignons. - Colard de Caleville recevait une pension de 1.000 francs d'or comme conseiller du roi ; il possédait la terre de Cailly au bailliage de Rouen. – Jean de Hangest , sire d'Heuqueville et capitaine du Crotoy, fut chargé par le roi des relations avec l'Angleterre ; il devint maître des arbalétriers en 1403 et recevait une pension de 2,400 francs d'or, la plus forte pension qui fût alors servie. - Loys le Daulphin. - André Giffart était l'un des plus puissants changeurs et marchands de Paris ; on lui voit vendre au roi un fermail d'or à balais, diamens, saphirs et perles destiné au duc de Brabant et livrait en même temps un bijou de même espèce qui devait être offert par la reine au même prince. - Adam de Gaillon , seigneur de Neuville-sur-Auteuil, fut chevalier d'honneur de la cour amoureuse de Charles VI et reçut des dons continuels du roi. - Robert de Chastillon est qualifié de chambellan du roi en 1405 et reçoit une pension annuelle de 300 francs d'or sur le coffre de Charles VI. - Philippot de Juilly , écuyer et valet tranchant de Charles VI et reçut le 17 septembre 1390 un don de 100 francs d'or pour ses bons services ; il reçut en mai 1400 une houppelande à la livrée royale ; plus tard, en 1405, il touchait une pension annuelle de 500 francs d'or sur les coffres royaux. - Guillaume des Prez , panetier de Charles VI reçut en 1401 «  un roucin appellé pie  ». - Regnault de Douy , seigneur de Briençon devint maître d'hôtel et chambellan du roi ; il recevait une pension de 300 francs d'or. - Gasse de Bouconvillier , écuyer et panetier du roi, fut fait chevalier le 7 octobre 1400. – Regnault Burel , chambellan de Charles VI touchait une pension annuelle de 300 francs par an sur les coffres. – Girard de Grantval , chambellan de Charles VI, recevait une pension de 300 francs d'or sur les coffres. – Gauvin de Dreux , maître d'hôtel du roi, assistait à l'établissement des comptes et participait aux distributions de robes ou de houppelandes de la maison royale Thiebault de Fay , valet tranchant du roi en 1405, touchait une pension de 100 francs. – Jean Gaugain était clerc des offices ou de la fruiterie. - Pierre de Faignon , échanson du roi et du dauphin. – Simon de Gravelle , échanson, touchait une pension de 200 francs d'or sur les coffres du roi ; il reçut un don de 400 francs pour l'indemniser des pertes de chevaux. – Grandcourt et Raignault Gaillonnet livraient le pain à la Cour. – Trousseau , Loris , - Guillaume Le Masier dit Aurengois, panetier et l'un des plus intimes serviteurs de Charles VI recevait une pension de 200 francs d'or. – Robert de La Heuse , dit Le Borgne, attaché à la cour, il recevait en mai 1400, la houppelande ordinaire de la livrée du roi ; son attachement au duc de Bourgogne lui donnait une grande importance et le roi lui accorda une pension de 1.000 francs d'or sur ses coffres. - Guillaume Bataillé , sénéchal d'Angoulême pour le duc d'Orléans avec des gages de 2.000 livres tournois par an fut un dévoué serviteur de la veuve de Louis d'Orléans. - Jacques de Reuilly , président des requêtes du Palais. - Mathieu de Linières , est «  receveur et trésorier général de l'aide nouvellement ordonné par le fait de la guerre en la province de Reins  », conseiller du roi et maître des comptes.

(4) Froissart, dans son récit de la chute des Marmousets au mois de septembre 1392, après l'accès de folie de Charles VI au Mans, raconte que Jean de Montagu s'enfuit de Paris par la porte Saint-Antoine «  et prist le chemin de Troyes en Champagne et dist que il ne sejourneroit, ne s'arresteroit nulle part, sise trouveroit en Avignon ; et ja y avoit il envoyé une partie de ses finances et si en avoit laissié à sa femme aucune chose pour son estat tenir courtoisement  ». Il paraît, suivant le Songe véritable, qu'un homme prévoyant il avait confié de fortes sommes aux banquiers vénitiens.

(5) A. Tuetey, Journal d'un bourgeois de Paris (H. Champion, Paris 1881).

 

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