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La leçon de vraie agriculture au XVIe siècle (1)

 

Le XVIe siècle est celui des traités d'agriculture raisonnée dont Olivier de Serres fut le père de l'agronomie moderne par son célèbre " Théâtre d'Agriculture et Mesnage des Champs ". Les agronomes de la renaissance ont cherché à vérifier les dires des anciens et, en particulier, les Romains comme Caton, Columelle, Palladius, ou Pline l'Ancien, afin de valider les pratiques des paysans de cette époque «  Je laisse les laboureurs du premier siècle, et avant que le Déluge purgeast et pinist les meschancetez des humains, pour voir Noé loué en l'escriture et qui le premier cultiva la vigne  » nous dit un auteur de ce siècle. De nombreux ouvrages furent publiés, décrivant les manières rationnelles de connaître un terroir agricole, d'y cultiver les céréales et la vigne, d'y élever le bétail, la volaille et les abeilles. En 1574, Charles Estienne et Jean Liéboust ont publié " l'Agriculture et la Maison Rustique ".

 

C. Julien - août 2014

 

 

 

Voilà bien le thème de cette chronique, reprenant les " Secrets de la vraye agriculture et honnestes plaisirs qu'on reçoit en la mesnagerie des champs, pratiquez et experimentez tant que l'autheur qu'autres experts en ladicte science, divisez en XX journées, par dialogues traduit en françois de l'italien de Messer Augustin Gallo gentilhomme Brescian par François de Belle-Forest, Comingeois ", ouvrage publié en mai 1571 chez Nicolas Chesneau, à l'enseigne de l'Escu de Froben et du cheval verd à Paris, rüe Sainct-Jaques (*).

Il s'agit d'une série de " vingt journées de l'agriculture et du plaisir des champs ", c'est-à-dire vingt dialogues, imaginés Messer Augustin Gallo, gentilhomme Bressan (1), entre le seigneur Vincent Magie partant de sa ferme pour visiter son interlocuteur nommé Jean-Baptiste Avogadre qui le reçut avec pareille courtoisie… et lui poser toutes les questions sur l'agriculture du XVIe siècle, en commençant par prononcer un proverbe commun «  Que l'œil du maistre engresse le cheval  ».

François de Belle-Forest dédie son livre à Monsieur Charles Tristan, seigneur de Puy-d'Armour et Crapi, advocat en la court de Parlement : «  Je pense que la vie rustique, et pastourale est celle qui doit en cecy en porter l'avantage : veu que du soc, charrue, et pasturage Dieu a jadis tirez les plus illustres d'entre ceux qui sont renommez en l'escriture pour leur vertu, et excellence. Et quoy que le labeur, et peine que l'homme prend à cultiver les champs luy ait esté enjoïnt dès le commencement, comme pour pénitence de son mesfait, et transgression, si est-ce que le malheur se convertissant en bénédiction…  » (2).

 

Première journée où sont introduitz les discours sur la qualité des terres que l'on doit acheter, le moyen de les ordonner, de les cultiver et labourer.

«  Que doit adjuger le bon mesnager des champs ? C'est encor l'office d'un sage homme, de ne point acheter possession aucune, où seulement il faille avoir esgard si l'air rest bon, ou mauvais… quoy que le lieu soit fort fertille : voire ne fault le choisir sterile pour estre en lieu sain, et bien aëré, ains est requis de sçavoir, quels vens y regnent et soufflent ordinairement, et s'enquérir de tout le terroir par le menu et ce en quoy il est bon ou que c'est qu'il refuse… Mais les bons sont cogneuz lors que sans améliorer, ny gresser les champs, ou sans les cultiver, et mignarder à force de labourage, ils produisent de beaux arbres, nourrissent les bleds gaillards, et fertils, eslargissent les herbes flourissantes et en somme, esquelles les fruits sont bons et savoureux  ».

On doit considérer «  les herbes faisans cognoistre la bonté d'un terroir. Encore en fait on jugement lors mesme qu'ils ne sont ny rompuz ny semez ou cultivez aucunement, s'il y croist de la dent de chien, la lampe, du treffle, et des mauves, veu qu'il n'y a pas une de ces herbes qui naissant en quelque lieu ne donne signifiance de fertillité ; mais sur toutes le treffle en porte davantage. On cognoist outreplus si une terre est bonne quelle qu'elle soit, en la remuant et cavant et la remettant soudain en la fosse d'où elle a esté tirée, d'autant que la jettans de main en main et la pressans ainsi qu'elle sera remise en place, si elle croist, et surpasse le fossé après qu'il sera plein, c'est signe que la terre est bonne et fertille, si l'on y sème du fourment. Mais si tout y entre, et que le lieu demeure uny et égal, ce terroir sera propre pour vignoble et pasturage…  ».

«  Pour essayer encor si un terroir est doux, et maniable, ou non, il fault prendre une pailée de terre avec l'herbe, au lieu où lon soupçonne le plus que le champs soit infertille, et la mettre dans un vase d'eaue douce, et deffaite, et consummée que sera cette terre, la passer par un linge, et gouter cecy apres que sera coulé et passé et devenu cler, d'autant que telle que sa saveur sera, le terroir l'aura aussi de mesme. Les terroirs peuvent aussi estre cogneuz à la couleur, jaçoit qu'il y ait de la difficulté à les remarquer tous, si est-ce qu'on y en recognoist aucuns, et iceux les meilleurs, comme sont ceux des vieilles masures, ceux qui sont faciles à cultiver et desquels la face est noirastre… Ceux qui sont faciles sont cogneuz à la couleur qu'ils portent, laquelle raporte à la cire neuve, et les noirs se font assez remarquer à leur naifue couleur, et tous ces terroirs sont toujours estimez gras et fertils, si ce n'est qu'ils soyent marescageux et aquatiques, car alors ils ne seroient de guere grand valeur  ».

Puis, Jean-Baptiste parle de l'incommodité que trop d'eau engendre dans les champs et du soulagement des bœufs de labour «  car passant le soc et charrue de l'un bout de fillon à l'autre, tousjours ce qui est de plus gras en la terre suit le soc, et pource le laboureur estant au bout le nettoye et laisse là ceste terre, laquelle de trois ou quatre ans en quatre ans s'abaisse et s'espand par tout le champ, et pour l'engresser, et pour l'unir, et esgaller de mieux en mieux toutes les années. Et de pareil bien sont occasion les fossez environnez d'arbres, lesquels avec leur feuillage engressent la terre, et retiennent l'eau enclose souz terre, pourveu que lesdictz fossez soient cloz du costé que l'au pourroit sortir… le prouffit qui s'ensuit encor des champs courtz et de peu d'estendue, c'est que les boeufz y labourent avec moins de travail, et fatigue, d'autant que non seulement s'esjouissent ils et reprennent haleine estans au bout du fillon, ains encor lors que le laboureur nettoye et descharge son soc de terre, et que puis il le transporte pour commencer l'autre raye et fillon  ».

En ce qui concerne les bâtiments de la ferme, il est dit : «  Besoigne d'avantage d'avoir les greniers au foing si grans, et de si belle estendue, que facilement on y puisse manier et gouverner le foing, la vesse, paille de millet, l'esteul, et fourage, les pailles de feves, et panicles qui servent pour la nourriture des bestes, mesmement en temps de froidure…  ».

Cette première journée nous apprend les «  trois moyens d'exterminer les taupes  ». Le premier desquels est, qu'il est besoin de se tenir en garde et comme en sentinelle «  sur le lever du soleil près le lieu où le plus freschement elles ont soufflé, et poussé lors la terre, car c'est sur l'heure mesme qu'elles rejettent ordinairement la terre selon leurs coustume. Et quiconque aura, ou pic, ou hoüe en main tandis que ceste beste est en office, il la tirera hors facilement de sa tanière. Le second moyen est de mettre, et faire courir l'eau, au lieu où elles auront fouillé freschement, veu que dès qu'elle le sentiront, ne failliront de sortir pour se garentir sus quelque motte, et là on pourra les tuer, ou prendre toutes en vie. La troisiesme gist en prenant une vive sur le mois de mars qu'elles font en amour, et la mettant dans un bassin assez creux le soir après le soleil couché, enterrera ledit vase jusques au bord, afin que les taupes puissent saulter dedans, oyans crier la prisonnière la nuit, d'autant que celles qui l'entendront (estant cest bestiole d'une ouye fort aiguë, et subtile) y venans à leur pas, entreront dans le vase l'une après l'autre : et tant plus y en entrera, et plus elles crieront, sans que pas une en puisse sortir, à cause que le dedans du bassin est lissé, poly et glissant  ».

 

 

 

Seconde journée en laquelle est traité de l'herbe médicale, et autres points prouffitables au labourage.

Cette herbe est le «  foing qu'on dit et nomme ainsi en France, aussi l'herbe nommé medique est dite par nom sainct foing. Elle est toujours saine et fort salutaire pour les haras, ains encor semée en terroir qui luy soit propre, elle rend tel fruit, et est si abondante par l'espace de vingt, ou trente ans. Le demy arpent romain doit pour l'ordinaire porter de quoy nourrir trois chevaux tout le long de l'année, et lors mesmement que le terroir est accomodé d'eau pour l'arroser ou en estant sans… car d'autant plus sera le champ mol, ceste herbe, et singulière pasture, pourra estre fauchée cinq et six fois l'an  ».

« Le Sainct foing vient ès champs légers, ayans la terre bonne, et aisée à labourer, la pourrez semer en ceux qui produisent de beau lin, en la labourant ou plustost hoüant , et beschant la lune estant vieille, et en son déclin, et le temps sec, et sans remouillure afin que les mauvaises herbes meurent, et sèchent… est-il besoing que le champs où vous la mettez soit aplany, et uny, fort net, gras, bien labouré, et hersé en long et en large, et à travers, sans y user du grand soc, et y faire des sillons principaux, et trop espandus : commençant le labeur en juing, et puis en aoust, en octobre, décembre, et février afin que ce terroir et herbes soyent mortifiez suffisamment par le chault d'esté, et par les gellées et froidures de l'hyver. Et passé la my avril qu'on y conduise du fumier vieux, le mettans soudainement à tout l'araire sous terre… ».

«  Combien de semence fault-il employer pour saisonner un champ de ceste tant bonne pasture ? Il y en faut pour le moins troys onces à chacun carreau, qui reviennent à vingt et cinq livres au demy arpent, toutesfois qui en y mettra davantage ne fera que son prouffit et avancement  ».

Un traité des prés secs ou arides qui sont bons à brûler explique qu'il faut lever les mottes en avril pour les réduire en labourage et «  y semer le millet, le seigle ou fourment et metail. Or pour brusler ces prez que vous voulez reduire en labourage il fault gouverner comme les hommes excellens et bien versez en ceste pratique, lesquels estant fournis de petites besches bien aiguisées et taillante et faictes proprement pour cest effait… d'ordinaire on y despend 12 livres ou peu d'avantage pour un demy arpent de terre, mais cest despence n'est que pour une seule fois ». Les mottes sont d'abord séchées et cuites par le soleil en dix jours puis soont brûlées en les accommodant l'une après l'autre en guise d'un fourneau fait en rond «  ayant au fond un trou et pertuis afin de mettre le feu, lequel bruslant et paille et fascines et motes durant 20 à 24 heures  ».

 

 

« Les devoirs d'un bon et fidelle fermier ».

 

«  Combien de beau fourment pensez-vous que raportent quatre mesures semées en un demy arpent de terre bien et deüement saisonnée et cultivée ? Il faut vous entendre avant toute chose, que six mesures de fourment semez en un terroir de moyenne bonté, qui ne raportent que trente mesures par journau, et demy arpent, à sçavoir deux charges et demie rendant cinq mesures pour une, or si tous les grains venoyent à prouffit après estre semez, il faudroit que chacun espy ne produist que cinq grains. Que si les espis sont chargez chacun de dix grains, et tous naissant, le demy arpent devroit rendre soixante mesures, qui font cinq charges, et n'en rendant que deux et demye, c'est chose seure que la moitié du grain ne vient point à prouffit en semant  ». Et ainsi de suite, pour un épi de vingt grains, plusieurs épis pour une seule semence. Et que dire si chaque grain engendre les six et les dix épis ou davantage ? 

«  Pourqoy naissent si peu de bledz en y semant beaucoup ? Véritablement ce ne sont point les oiseaux qui causent ce dommage, bien qu'ils bequetent et mangent quelque partie des grains. Ne sont aussi les vers, ou autres bestioles qui rongent le bled souz terre… Et pour ce, la faute vient et procède toute de celuy qui laboure et sème la terre mal préparée sur des rayes qui se trouvent inesgalles et prominentes, et ès vallons ey fossez des sillons… Qui veut semer, doit bien labourer le champ, puis l'aplanir et esgaller avec une herse ayant éparse la semence et la terre deüement rastellée avec rasteaux dentez de fer pour mieux entrer le grain enterre  ».

Comment choisir le bled pour le semer ? « Il n'est jamais requis de semer les grains s'ils n'ont trempé en l'au durant quelques heures, puis estenduz à l'ombre pour les essuyer, et sécher si bien qu'ils puissent rouler, et courir lors qu'on les espard et sème. Car par ce moyen on ostera tout ce qu'ils ont de gasté dessus, pur ne estre guère apte pour produire, ou à tout le moins, vous vous en pourrez vous servir à le faire germer, ou en autres manières, comme le faisant moudre, pour en tirer le peu de farine, ou fleur d'icelle, qui encor y reste, ou bien les mesler avec les autres bleds, ou les donner aux poules et sèmerez seulement les beaux grains choisis qui demeureront au fonds de l'eau, lesquels naistront dans trois ou quatre jours  ».

« … Le quatriesme jour de may vous semble-t-il que fault semer les millets qu'on saisonne par labourage et la vesse ? Les bons laboureurs ne le sèment jamais en may, à cause qu'avant que se meurir saisonnément, ils sont desja à demy mangez des oyseaux, sans produire tant de fruit. Que ceux qu'on met en terre dès le huictiesme de juin, jusques à huictiesme de juillet, car tout ainsi que ce temps est le plus propre, et comme la fleur des saisons pour le millet, de tant encor ils jouïssent de la rousée du mois d'aoust, et par conséquent ils abondent en grain plus que semez en autre temps  ».

Après le semis du millet et le froment, les deux compères parlent de la culture de «  la vesse, du paniz, les pois, la mellioque, le millet indien, le bled rougeastre, les lupins, les febues, le lin, le chanvre, etc.  ».

Jean-Baptiste recommande les précautions à tenir pour la culture du froment. «  En premier lieu que jamais on ne sème le grain qui sera creu en un bon, et gras terroir, soit fourment, ou seigle, en un champ maigre ou sterille. Et c'est d'où vient l'erreur des fermiers, qui sortans d'un terroir gras, vont cultiver des champs de contraire condition, et portent du bled recueilly en la terre sterille, pour le semer en ceste autre. Faillant encor ceux là qui sèement fourment, et autres grains passé un an, et plus ceux qui jettent en terre le grain qui est desja envieilly de deux ou trois années… Et d'avantage se trompent d'eux-mesmes, ceux, qui ne choisissent point le plus beau grain, meilleur, et plus net pour le semer, le séparant du sauvage…  ». Et «  Pour semer les petis bledz de mars ; labourer la terre avant l'hiver puis y repasser le soc et herser à la Saint-Antoine et fumez pour la troisième façon ».

 

Troisième journée discourant du moyen de planter et eslever les vignes en peu de temps.

Dans ce chapitre Vincent et Jean-Baptiste nous apprennent comment organiser un vignoble. «  Planter des vignes  » était un art noble dans le monde médiévale. Le Hurepoix n'y échappait pas, presque un tiers du territoire de Longpont, de Montlhéry était planté ; à La Ville-du-Bois le vignoble était plus considérable, chaque paysan était «  vigneron  » au lieu de «  laboureur  » considéré comme moins honorable dans le monde rural. Ainsi nous trouvons les vignoirs sur les terres où règnaient les gravières et nous trouvons les noms de chantiers « les Graviers », « les Gravettes », « Le pressoir le Roy », etc. sur les plans d'intendances.

 

 

 

Quels sont les terroirs et bons et mauvais pour la vigne ? «  En premier lieu, il faut ne pas les planter au sommet et copeau de nos collines et moins ès lieux qui sont posez à l'objet du vent de bise, d'autant qu'elles ny seroient guère grand prouffit à produire empeschées par la violence des froidures, comme aussi ne faut les mettre en mauvaise terre si comme sont les amères, ayant goust de sel, en celles encor sont marescageuses, ou glereuses, d'autant que le vin qu'on y recueilleroit, ne seroir ny bon, ny de garde, ains qui se gasteroir et pousseroit fort facilement. Ne faut encor mettre les vignes maigres en un terroir gras, non plus que les fertiles en un maigre ; moins ne planter celles qui sont esmovellées, et font le grain ferme ès terres qui son froides, et humides, ny en terroir chault, et sec, les autres qui int assez de substance, et le grain mollet. Ne faut en mettre de pas une forte ès lieux qui ont des pierres au hault, et cine en grande quantité, à cause qu'elles leur nuisent l'esté pour la chaleur qu'elles reverbèrent, et en hiver à cause de leur froidure excessive ».

Le terroir pierreux est bon pour la vigne. «  Mais y ayant pierre, ou rocher à la racine, ce leur sera grand avantage pour les tenir fresches en esté, et causant que le vin en sera meilleur, et plus savoureux… Semblablement qui veult planter des vignes, fault qu'il choisisse du meilleur plant qu'il luy sera possible, et en désirant avoir de diverses sortes, qu'aussi il les mette séparément l'une de l'autre. D'autant que les petites, et gétiles produisans les raisins courts et les grosses, longs, il est aussi besoing de les planter loing l'une de l'autres, ains encor faut les vendenger choisies, et non toutes à la file, car par ce moyen le vigneron les séparera pour faire ses vins, selon que les diversités des raisins se trouvent chacun à part soy, ou les mesler comme bon luy semble… Fault encor que celuy qui veut planter la vigne, contemple la qualité, et tremperie de l'air, et l'assiette du terroir où il veut la mettre. Car si c'est vers le midy, il prendra de ceste mesme partie les sarments qu'il veut pour vigner, et planter et face le semblable qu'il la veut mettre vers le levant, voulant encor planter en lieu haut qu'il prenne les pourveins aussi en une vigne haute, et si bas, en un bas vignoble. Planant aussi en terroir chauld, sec, froid, ou humide, est requis que l'assiette pareille il choisisse le sarment à renouveller. Car observerant ceste ordre, et le sarment s'affirmera plustost en terre, et feront meilleur fruit, et porternt plustost que si l'on s'y gouvernoit autrement. Et j'advertis de ne point jamais planter la vigne ès lieux froids que durant le printemps, ny ès chauds qu'en automne, ès temperez, tant en octobre qu'au moys de février…  ».

De la manière de planter la vigne. «  Et voulant planter, viendrez icy choisir les prouveins, et sarments les plus gros, ronds, et ayans plus d'yeux, et marques de boutonnemens, et lesquels celle année ont porté force raisins, ce que vous cognoistrez aux petits bouts des grapes, qui en auront esté coupées, et pas un des autres. D'autant que vous seriez en doute s'ils seroyent point fertils ou non… Et les fault choisir, et couper au croissant de la nouvelle lune, sur le tard après midy , et les planter tout aussi tost qu'il est possible aux premiers jours d'icelle lune. Que si par cas vous envoyez querir loing ces plants, et sarmens, les mettrez soudain dans l'eau, les plantant sans plus tarder, et userez de mesme avec l'eau à ceux qui ont esté coupez freschement, et sur tout si le terroir d'où ils sortent avec sec de la nature… ». Je conseille donc, que plantant la vigne on face, non des troux, mais de petits fossez larges d'une brasse et demie, et ayans pareille haulteur, et ce au mois d'octobre, si vous plantez vostre sarment en février, mais si déliberez de faire vostre plant avant l'hyver, je suis d'opinion que vous fossoyez dès le mois d'aoust, d'autant que les uns fossez seront mis et rédigez en cendres par l'effort des chaleurs, et les autres par la véhémence des gelées, et serez l'esgoust pour les arrouser au lieu où le champ va le plus en pendant, afin que les eaux qui y entrent, courent par dessoubs terre jusques au prouchain fossé, y passans toutesfois le soc, pour faire moins de despence, et puis finir le reste avec la hoüe…  ».

La plantation des nouveaux ceps. «  Plantez qu'aurez vos sarmens nouvellets ne laisserez à chasun que deux yeux ou boutons et comme ils posseront, et que les germes seront à un doigt l'un de l'autre, vous en osterez les moins beaux avec la main et fort gentiment… et ferez cecy vers le mois de may. Et le mois de février suivant, fauldra couper et tailler avec une serpette ce peu qu'il y aura de bois sur le sarment principal, afin que se fortifiant en cep, et jambe, le tout soit uny en une mesme tige. Davantage ne fault faillir de bescher autour de ces oieds et trois et quatre fois la première année et autres suyvantes…  ».

Après avoir donner de nombreux conseils sur l'art et la manière de la viticulture et «  les faultes de plusieurs en eslevant les vignes  », Vincent évoque une précaution qui parait étrange. « … On voit qu'en efleurant les vignes nouvelles, il y a grand danger que ne soyent gastées par les bœufs, et vaches, et que des aussi tost qu'elles en sont morses, ou pasturées, voire ayant seulement senty l'haleine de ces beste s, elles sont un long temps avant que reprendre leur premières force. Y a-t-il un moyen d'obvier à cecy et se deffendre d'une telle malédiction et dommage ?  ». Le remède n'en est pas plus surprenant. «  Si vous baignez ces vignes nouvelles avec l'eau pure qui reste ès vaisseaux esquels on a fait amollir les cuirs de bœufs, ou de vache, et autres animaux, asseuré que dès qu'ils approcheront, ne pouvans souffrir ceste puanteur, et que naturellement ils ont ceste eau en horreur, ils n'y donneront plus aucune attainte. Ainsi vous ayant un vase de telle eau, en tremperez chacun pied avec un balay, si tost que vous verrez que la feille, et pampres seront sorties, et belles, et ce sur le soir, afin que la fescheur de la nuit face mieux incorporer ceste liqueur en la plante, que non pas qi on l'y mettoit le matin, et que le soleil luy ostast sa force  ».

Enfin Jean-Baptiste discute cinq points «  pour avoir du fruit et raisins en abondance. « Au premier, que vous beschiez plusieurs fois les vignes avant l'an, en commençant en février et ferez vote besoigne eu descroist de la lune, à cause que les herbes se dessechent plus facillement. Au second, souvienne que lors que vous ouvrez et deschaussez la vigne vous ostiez toutes les racines. Tiercement, faut tenir bien nette la tige et souche maistresses de tout rejetton croissant sous les bras principaux ou souz le liaison. Le quatrième précepte est que vous arrachetiez au moys de may tous les rejettons superflus qui se trouvent ès branchages et bras de la vigne… Il est besoing d'oster tous les sarmens jettons et bourgeons qui n'auront point porté raisins de l'année, d'autant que estans stériles, ce n'est aps raison qu'ils tirent à foy l'humeur… Le cinquième point est, qu'à la fin de may, vous coupez les bouts de tous les sarmens qui ont raisins, afin que l'humeur qui s'espand en alongeant le branchage, soit employé à grossir, et nourrir le raisin, oultre ce que l'ardeur et haste ne poura nuire au fruit, elle s'espandant sur les bouts tendrelets des branches et faire croistre le raisin  ».

Plusieurs traités sont évoqués pour tailler. Le déclin de la lune est meilleur temps à tailler les vignes qu'autre saison. Vignes taillées en automne sont plus fertiles que les autres. Le temps sec est propre à la taille. Abondance de bois est nécessaire aux ceps qui sont gras et gaillards. Ne pas commettre les fautes de certains : «  au contraire ne fuyez pas la trace d'un nombre infiny d'autres [vignerons] qui gastent et ruinent les vignes misérables en y laissant tant de sarmens sans prouffit et mal à propos, et en ostent ceux qui devroient y estre, et ne fust ce qu'à servir d'esperon et garant en default des bons  ». On amende et engraisse les vignes avec «  du fumier le plus vieil qu'on peut choisir, mais fault le mettre loing du pied de la vigne…  ».

À moindre frais, le vigneron utilisera : les grappes de raisons pressées et desséchées, le tan des noix, «  les nerroyeures de la semence de lin, la fieure des arbres et les cendres qu'on tire des fournaises. Encore y est bonne la poussière recueillie en esté dans les ruës, et chemins, la terre qui reste après la façon du salpêtre, la gress des cloaques et esgouts, le fié gardé des chevaux…  ».

Cette troisième journée se termine sur la définition et des considérations sur l'année bissextile citant quelques superstitions "d'aucuns trop curieux". «  Sont encor en opinion que durant l'an bissexte plusieurs femmes avortent, et les bestes ne délivrent leur engeance sans péril, et que les œufs des poules, ny autres oiseaux ne viennent à prouffit ou perfection quelconque ; voire y a il des hommes si superstitieux, qu'ils tiennent l'an du bissextre pour mal-encontreux , et si infortuné, que non seulement ne voudroyent espouser femme pour riche, et belle, et bien aprise qu'elle fust, ains encor refuseroient d'acheter alors quelque possession, et moins le mettroient en chemin pour faire quelque long voyage, à sillonner les ondes de la mer, commencer bastimens, ou autre entreprise, et louable et nécessaire, s'asseurant de quelque malheur si alors ils en faisoyent, ou effectoyent quelque une de ces choses  »

 

Quatrième journée touchant les vendenges et façons à faire le vin avec d'autres observations à ce apartenantes.

Plusieurs conseils sont donnés comment travailler le raisins afin d'obtenir le meilleur vin. «  Et par ainsi ne fait faulte de vendanger le raisin estant meur médiocrement car s'il le coupoit encor verdelet, et aigre, il seroit des vins ginguets, et verds sans grâce ny bon goust, et estant trop meur, le vin aussi seroit mat et sans faveur, et qu'à grand peine on pourroit conserver long temps. Davantage met soing de ne point vendanger son seulement durant qu'il pleust voire ny lors que le raisin est chargé de rousée  ».

 

 

Jean-Baptiste dit que l'année 1540 fut fort fertile. Pour une bonne vendange on doit attendre que la rosée soit «  abatuë, et que l'air soit plustost chault que froid, d'autant que le vin en est meilleur, et de plus longue durée. Ce qui advint en celle heureuse année de l'an 1540 , où le temps de vendanges s'estant passé sans pluye jusques à la sainct Martin, l'on soisonna tellement en bons frouments et délicats vins, que de nostre aage on , a veu une pareille abondance. Si faire se peult encor, je trouveray bon qu'on ne vendangeast qu'après le 18 ou 20 jour de la lune, à cause que les vins en deviennent plus puissans et font de meilleure garde que si le raisin est cueilly au croissant… Fault auusi séparer les raisins sauvages, les niellez, gressez bruslez et chansis d'avec les bons, sans y laisser parmy fueille, paille, nu festu quelconque…  ».

Le sieur Avogadre insiste sur le choix des grappes et conclut que l'on «  mettra les gros raisins et communs à part pour faire la boisson de la famille, ou des gens de basse qualité, qui arriveront à la maison  », tandis que Vincent Magie répond «  Jaçoit que les gros vins rouges soyent agréables au commun, si est-ce que les délicats, clairets et subtils en couleur ont de tout temps esté loüez et choisis par les hommes de bon jugement, et sur tout par les médecins les plus experts et excellents  ». Puis, divers conseils sont prodigués sur la vinification, « les incommodités qui adviennent en laissant cuver longuement le vin ». En mettant 30 hôtées de bons raisins en deux cuves chacune et que l'une bouille quatre ou cinq jours, elle rendra pour le moins vingt seaux de vin, et l'autre bouillant vingt-cinq ou trente jours n'en rendra point dix-huit et «  mesme moins si le vin a boullu avec grand vehemence et chaleur  ».

L'auteur des Secrets de la vraye Agriculture remarque que l'usage et la vinification des vins clairets furent introduits en Italie par les Français au temps du roi Louis XII car les Français ayant coutume de boire des vins clairets, étant en pays milanais «  trouvans les vins du païs aspres, grossiers et trop vermeils ne pouvoient les boire de ceste sorte, qui fut cause que les Milanois commencèrent à les acoustumer à la mode de France  » en faisant bouillir les vins seulement trois ou quatre jours.

Vin blanc fait de raisins noirs. «  Dites moy, je vous prie, la façon de faire ces vins  », demande Vincent. «  Pour faire bons et délicieux vins que nous apellons forcez, à cause qu'ils sont faits de raisins noirs : fault premièrement tout aussi tost que le raisin est porté en la foulerie, et mis en la cuve le fouler tres bien aux pieds, et mettre le vin dans des vaisseaux les plus nets qu'on sçaura choisir, et quoy qu'on peult mettre soubs le pressoüer ces raisins, si vault il mieux les fouler, à cause que le vin en sort meilleur, puis faisant bouillir ce vin qui este dans la cuve, avec de l'eau, qui servira de bonne despence pour les serviteurs….  ».

Quant à ce qui concerne les moyens de faire du vin doux : « … vous prendrez cent livres de bons raisins, et fort meurs, et les mettres dans la cuve, et iceux bien foulez l'en jetterez dessus la quantité d'eau de 30 livres , les compartissant par cinq ou six matins de suite à l'entour des grapes du vin que vous voulez faire doux, après cela tirerez le vin lendemain du jour sixiesme, et le verrez estre cler, doux et piquant. Vous en diray une autre sorte. Mettez 30 hotées de raisins bien meurs dans une cuve, les y laissant ainsi sans les fouler 3 ou 4 jours ains que les fouler, et foulez que seront très bien, mettez y dessus 5 ou 6 seaux d'eau bouillante, en couvrant tout aussi tost le vaisseau afin qu'il soit plus puissant à l'effect qu'on luy demande, et 14 heures après faut tirer ce vin lequel sera fort cler et doux en son boire. C'est que si vous mettez le lundy dans la cuve 30 hotées de raisins bons, bien choisis, meurs et qui ne soyent fendus, ny éclatez du chault ou de la pluie, le mardy au soir il faut que les mettiez sur douze seaux d'eau pour le moins, et l'en tirerez le mercredy suivant, les posant ainsi avinée dans une autre tire, afin qu'elle exhale ses vapeurs, l'en tirant le lendemain encor un coup, et l'y remettant le samedy au soir, et le dimanche où la coulant et tirant encore pour la mettre dans le vase susdit  ».

Curieux, Vincent veut connaître les secrets et recettes à donner bon goût au vin. «  Pour donner du goust de muscadet au vin nouveau desja en ses muids, entonnelé et devenu clair, jy mets des fleurs sechées à l'ombre et cueillies de l'année, de sureau , lesquelles j'envelope dans un sachet ou pièce de linge, autant qu'il en pourroit en la main pour chascun seau de vin, et lequel moyen le vin reçoit cette odeur de muscat. Mais je les lie si bien et tellement au bondon que les sachets ne descendent jamais plus bas que de la moytié du vin, et au bout de huict jours je les oste, faisant le semblable lors que j'y mets mes grains de coriandre  ».

La quatrième journée finit par un "advis pour la garde et conservation des vins". «  Premièrement, je loüe que les vins estans tirez et mes en leurs vaisseaux, vous laissiez ouvert le bondon, et les emplissiez tous les jours d'autre vin, jusques à ce qu'ils cessent de boüillir, et lors estoupez le bondon, sans y rien remuer jusques à tant que visiterez vos vins pour les emplir, et changer, soit à la sainct Martin, comme aucuns font, ou au moys de mars que les peschiers commencent à flourit, quoy que les anciens soyant d'advis que cela se face le raisin estant en fleur, et ce après le plein de la lune et elle déclinant , car qui attendroit du tout  son déclin et decours, les vins puissants souffriroyent plustost toute chose impossible que se gaster ; mais les autres , je suis d'advis les muer la lune estant vieille, d'autant que les forts se pouvans convenir en aigreur, elle sera non moins puissante de les garentir que les autres ». Puis viennent les recettes et moyens de faire du vinaigre blanc des vins «  poussez et gastez  » ou bien pour faire de fort bon vinaigre : «… en ayant douze seaux de ce vin gasté, faites en bouillir un à bon escient, puis le jettez sur tout le reste, l'augmentant et diminuant selon que le vinaigre sera peu ou plus fort, et le rendrez bon en perfection. L'aigrirez en outre davantage y mettant dedans une lame d'acier toute ardente assez souvent, mais chascune fois la faisant réchauffer selon la bonté ou peu de force dudit vinaigre, car il se parfera en ceste sorte ».

Pour remédier à un vin qui commence à se gâter, il est recommandé d'utiliser de bonnes oranges non douces, mais qui ont de l'aigreur et de l'amertume, et d'introduire les quartiers dans le muid pendant cinq à six jours au plus. On utilisera une orange par seau de vin. Enfin la dernière leçon répond à «  comment faire pour esclercir les vins troubles ?  ». «  C'est chose aysée et facile à faire, puis que le nombre d'autant d'oeufs, qu'il y a de seaux de vin au muid, y peuvent remédier en un jour ou deux, mais les battre avec leur coque avant que les jetter dans le vaisseau, ostant néantmoins celle peau menuë et subtile qui tient la coque, d'autant qu'elle séchant et pourrissant pourroit endommager le vin  ». Si le vin est trop trouble, il faut ajouter une once de sel, une orange ou citron pour feuille de vin, une poignée ou deux de marne bien lavée et «  mettant tout cecy avec un baston, le jetterez dans le muid asseuré que dans quatre jours le vin sera aussi cler que le désirez  » (**)

À suivre…

 

 

Notes

(*) Nous avons conservé la composition initiale . Dans le texte du XVIe siècle, il faut comprendre les significations suivantes : long "s" ( "f" ) qui, bien sûr, doit être lu comme "s" ; et la marque "~" , qui indique que "n " ou "m" est entendu à suivre une voyelle  : donc " ỡ bre " = " ombre", et " gẽtils " = " gentils"; sauf après "q" , où " ui" ou " ue" suit . Et puis, il y a la convention latinate de changer " v" pour "u" dans le corps d'un mot , mais changer "u" à "v" au début ; ainsi , " trouuer " = " trouver " , et " cuue " = " cuve", mais " vn " = " un".

(1) Augustino Gallo, agronome italien (1499-1590) publia à plusieurs reprises, à partir de 1550, son traité d'agronomie " Le Vinti giornate dell' agricoltura et de piaceri della villa ". La dernière édition in-4° parue en 1569 est celle de Brescia, sa ville natale.

(2) François de Belle-Forest, écrivain français (1530-1583) fut un traducteur des travaux des auteurs italiens. Sa traduction la plus célèbre parue en 1575, La Cosmographie universelle de tout le monde est celle de Sebastian Münster.

(**) Les mesures anciennes employées dans ce texte. journau : surface labourable par un homme en un jour, soit 34,284 ares. – Once  : mesure de poids valant 1/8e de marc soit 3,059 grammes . – Seau  : mesure de capacité de liquide valant 10 à 12 litres . – Brasse  : mesure de longueur valant 5 pieds soit 1,62' mètre.