Le prieuré Notre-Dame de Longpont
XXIV. La dîme des moines à Montlhéry
Dans cette chronique nous rapportons la procédure engagée entre les religieux de Longpont et les habitants de Montlhéry auxquels les moines clunisiens de Longpont réclamaient le payement de la dîme de vin en espèce, outre le droit de censive et le droit d'amortissement de pressoir. Pierre Jacques Brillon a donné plusieurs volumes, publiés à Paris en 1727, relatifs au droit coutumier du XVIIIe siècle dans le Dictionnaire des arrêts ou jurisprudence universelle des Parlements de France et autres tribunaux et notamment un mémoire d'avocat pour la défense des habitants de Montlhéry (1). Dans la classe des décisions générales, l'auteur a analysé quelques arrêts qui regardent « les dîmes en soi, indépendament de la qualité des novales »(*).
C.Julien Décembre 2012.
L'église prieurale de Longpont (gravure, 1817).
Avant-propos
Le prieuré Notre-Dame de Longpont était un gros décimateur sur de nombreuses paroisses du Hurepoix. Il partageait les différentes dîmes de Montlhéry avec le chapitre de Linas, le prieuré Saint-Pierre de Montlhéry et le seigneur de Bellejame. La dîme du vin était la suivante : « 2 pintes par barique mesure de Montlhéry» ou «10 pintes de vin par chacun arpent de vigne» sauf à Montlhéry, Linas et Marcoussis où elle n'était que de 8 pintes .
L'Hôtel-Dieu de Paris, propriétaire foncier avait rang de seigneurie ecclésiastique et percevait cens, rentes, usufruits, droits seigneuriaux et féodaux sur quantité de biens localisés dans la région de Montlhéry. L'établissement avait de nombreuses possessions dans le monde rural : maisons, terres, vignes, prés, bois, etc. À Montlhéry, les biens étaient principalement des vignes situées dans le canton dîmier du prieuré de Longpont. La liste des censitaires de l'Hôtel-Dieu est longue et nous ne donnerons, ici, que les plus significatifs. Le terrier de l'Hôtel-Dieu, nous font revivre les habitants de Longpont. « Du 14 février 1450, bail à cens par les frères et sœurs de l'Hôtel-Dieu de Paris à Perrin et Dimanche Cordeau de 3 quartiers et demi de friche et vigne au lieudit le Pressoir du Roy qui fut à Guillin Coffret. A charge de 3 sols de cens payable le lendemain de Noël au profit dudit Hôtel-Dieu ». Le 21 janvier 1455, Dimanche Cordeau, laboureur à Guiperreux signe un bail emphytéotique avec les « frères et sœurs de l'Hôtel-Dieu de Paris » d'un demi-arpent de vigne dans leur censive des Graviers « à la charge de 6 deniers parisis de cens et 2 sols parisis d'amortissement de pressoir au profit de l'Hôtel-Dieu ». Le 7 mars 1461, « bail à cens par les frères et sœurs de l'Hôtel-Dieu de Paris à Guillaume Lemaçon, laboureur à Montlhéry de trois quartiers de friches de vignes situés aux Bas-Graviers et un demi-arpent de friches de vignes audit lieu. À la charge de 6 deniers de cens et 3 sols parisis d'amortissement pour les 3 quartiers et 6 autres deniers parisis de cens affectés sur ledit demi-arpent ». Plus tard, Simon Cordeau, couturier, les frères Pierre, Jean et Michel Cordeau tous laboureurs, étaient censitaires à Longpont. Jean Georgette, marié à Jeanne Cordeau, avait aussi un lopin de vignes du côté de Guiperreux « Du 21 décembre 1463, bail à cens par les frères et sœurs de l'Hôtel-Dieu de Paris au nommé Jean Georgette, laboureur demeurant à Montlhéry d'un demi arpent de friches de vignes, chantier des Graviers. À la charge de 6 deniers parisis de cens et 2 sols d'amortissement au profit dudit Hôtel-Dieu ». Par l'échange de 1655, le prieuré de Longpont céda le prieuré de Saint-Julien le Pauvre à Paris contre toutes les censives de l'Hôtel-Dieu à Montlhéry.
Le mémoire ci-dessus marque « les Religieux non reformez », c'est-à-dire les moines qui vivaient à Longpont avant l'introduction, le 15 mai 1700, de la réforme monastique que l'on nomme « l'Étroite Observance de Saint-Maur ». Outre le strict rétablissement de la règle bénédictine, la nouvelle règle de vie instituait le montant de la mense des moines par un concordat avec le prieur commendataire.
De nombreux documents se rapportent à des différends sur le prélèvement de la dîme. Par exemple : « Sentence de Jean Porteau, prévôt de Montlhéry contre plusieurs vignerons de Linas portant que le chapitre de saint-Merry, seigneur temporel, sera payé à l'avenir du droit de dîme de vin, à raison de huit pintes de vin par arpents (l'arpent valait à Montlhéry trente-quatre ares) » et « Adjudication par le chapitre de Saint-Merry, seigneur de Linas, de la dîme de Sainte-Gemme. L'adjudicataire paiera annuellement 1.500 livres , etc., et lèvera les dîmes grosses, vertes et menues, les lainages, charnages, veaux, oisons, cochons, mouches à miel, agneaux, clos, closeaux, dindons, canards et autres volailles, à raison de huit pour cent ».
Le mémoire de l'abbé Bignon
Factum . Pour Messire Jean-Paul Bignon, prieur commendataire du prieuré de Longpont et les Religieux dudit prieuré demandeurs contre messire Jean Fontaine prévost de Montlhéry et autres deffenseurs. Les prieur et religieux de Longpont sont depuis plusieurs siècles décimateurs de quelques cantons de la paroisse de Montlhéry et ont acquis il y a soixante ans ou environ la seigneurie directe qui appartenoit à l'Hôtel-Dieu de Paris sur ces mêmes cantons. Quoique ces deux qualités n'aient rien de commun, cependant le sieur Fontaine et quelques particuliers qui n'ont pû lui refuser leur intervention voudroient se dispenser de payer la disme sous prétexte des cens et rentes dont leurs héritages sont chargez. Cette prétention si contraire au droit commun n'est fondé sur aucun titre, il faudroit pour estre affranchi du payement de la disme raporter quelque acte solennel passé entre le décimateur et tous les possesseurs des héritages sujets à la disme par lequel on eut subrogé une redevance en argent au payement de la disme en espèce. Mais le sieur Fontaine n'a aucun titre de cette nature et l'on voit au contraire que le prieuré de Longpont a toujours joüi de la disme avoit qu'il eut acquis la directe de l'Hôtel-Dieu et que ceux qui l'ont troublé depuis ont esté condamné à la payer par un arrêt contradictoire du Conseil.
Fait. Une partie du territoire de Montlhéry étant autrefois de la paroisse de Longpont, c'est une cure régulière toujours possédée en titre par un religieux de l'ordre de Cluny. C'est aparement le titre en vertu duquel les Religieux de Longpont ont joüi de temps immémorial d'une portion de la disme dans la paroisse de Montlhéry, cette possession se trouve établie par une foulle de titres. Deux bulles des papes Anasrase 4 et Eugène 3 et Alexandre 3 des années 1151, 1154, et 1164 qui au nombre des biens du prieuré de Longpont comprennent villam de Longo Ponte cum decima, decimes de Monte Lherico . Une ancienne déclaration fournie au Roy en 1383 contenant les cens, rentes et héritages droitures, maisons, manoirs et toute autre temporalité apartenant à la Chambre du prieur de Notre-Dame de Longpont dans laquelle sont compris les dismes de vin de la ville de Longpont, comme du Mesnil, de Villebouzin, de Villiers, de saint-Michel, de Guyperreux et de Montlhéry valant par an commencement six queues de vin…
Du 6 aoust 1632, les marguilliers de la paroisse de Montlhéry du consentement du curé et des habitans assignèrent au curé de Longpont une rente de 60 lt. à prendre par chacun an sur des héritages dépendans de la fabrique pour l'indemniser de la sorte qu'il souffroient par ce démembrement, cette rente a toujours été payée et se paye encore au curé de Longpont. Les choses étaient en cet état lorsque les administrateurs de l'Hôtel-Dieu de Paris formèrent le dessein de se faire céder le prieuré de Saint-Jullien le Pauvre situé dans cette ville de Paris dépendant du prieuré de Longpont ; pour cela il fut passé un contrat avec les Religieux de Longpont le 30 avril 1655 par lequel les Religieux consentirent à l'union de Saint-Jullien le Pauvre avec l'Hôtel-Dieu et les administrateurs cédèrent pôur indemniser le prieuré : 1° les dismes de Villejuif qui dépendaient du prieuré de Saint-Jullien le Pauvre, 2° les censives et petites rentes seigneuriales qui appartenaient audit Hôtel-Dieu à Montlhéry affermez à Antoine Heruy sergent audit lieu 30 lt par an, 3° 15 lt de rente de bail d'héritage sur une maison sise audit Montlhéry et quelques autres rentes foncières.
Une observation de césine est que par cet acte l'Hôtel-Dieu céde au prieuré de Longpont aucune disme dans la paroisse de Montlhéry mais seulement les censives et rentes seigneuriales qui luy étoient dûes comme ayant le directe. Cependant quelques habitans de cette paroisse à la teste desquels est le sieur Fontaine, prévost de Montlhéry ont prétendus que les héritages qui étoient situés dans la censive de l'Hôtel-Dieu étoient chargés de quelques deniers de cens et de 5 sols de rente par arpent ; ces 5 sols devoient tenir lieu de la disme sur ce fondement ils ont refusé de la payer aux Religieux de Longpont.
En 1700, le cardinal de Coislin se pourvoit devant le Grand Conseil à cause de la disme de vin à Guyperreux, aux chantiers de Bizon, Bas-Graviers et Haute-Florence et ce à raison de huit pintes par arpents. La disme a toujours appartenu aux Religieux de Longpont, ils ne l'ont point acquise de l'Hôtel-Dieu. Cette propostion est suffisamment establie par les titres qui ont esté expliquez dans le fait, on voit que les Religieux de Longpont ont toujours joüi de la disme sur une partie du territoire de Montlhéry et en particulier sur le canton de Gutyperreux où sont situés les vignes du sieur Fontaine.
La procédure sans fin
Après le mémoire du prieur commendataire de Longpont, une série d'actes de procédure fut échangée entre les parties. Nous notons les pièces de production suivantes sur papier timbré de la Généralité de Paris :
• 14 novembre 1716, extrait du registre du Grand Conseil (1 pièce parchemin),
• 12 janvier 1717, contredit au Grand Conseil sur la dixme de Montlhéry,
• 25 juin 1717, contredit et procédure pour la dixme contre Jean Fontaine (8 folios),
• 12 août 1717, idem (8 folios),
• 17 août 1717, extrait du registre du Grand Conseil (8 folios parchemin),
• 17 août 1717, mémoire des titres qui ont été produits au sujet des dixmes de Montlhéry au Grand Conseil (1 folio),
• juillet-août 1717 extraits des registres des affirmations du Grand Conseil du Roy (2 folios),
• 12 janvier 1718, inventaire de production concernant la dixme de Montlhéry (cahier de 32 folios),
• 23 janvier 1719, contredit « pardevant nos Seigneurs du Grand Conseil par messire Jean-Paul Bignon, prieur commendataire du prieuré N.-D. de Longpont et les Religieux, le couvent dudit prieuré contre messire Jean Fontaine et autres concernant les droits de dixmes contestés par ledit Fontaine au terroir de Guyperreux, champtier des Graviers et autres (50 folios),
• 20 février 1719 contredit au Grand Conseil (6 folios) ;
Réponse du sieur Fontaine
Devant l'attaque du prieur commendataire de Longpont, les sieurs Fontaine, prévôt de Montlhéry, Pierre de Courchant, procureur du roi en ladite châtellenie et 66 particuliers demeurant en ladite ville font réponse dans un mémoire au sujet de la dîme qu'ils refusent de payer aux prieur et religieux de Longpont « … les droits de dixme tant de la paroisse de Longpont que de Montlhéry, que celuy qu'ils ont acquis par l'échange qu'ils ont fait en 1655 de Saint-Jullien le Pauvre avec l'Hôtel-Dieu de Paris, des cens et rentes que ledit Hôtel-Dieu de Paris avait à Longpont et Montlhéry… Le religieux réformés que ne sont à Longpont que depuis y a huit ans… ». Parmi les habitants qui ont payé la dîme de vin en 1717, on note : le sieur Fontaine prévost de Montlhéry ( 11 pintes ), Monsieur de Courchant ( 10 pintes ), Simon Goix ( 2 pintes ), Michel Vasseur (3 chopines), le nommé Champagne ( 2 pintes ), la veuve Jean Thuron (3 chopines), etc.
Le mémoire de défense
Les religieux de Longpont sont en possession de prendre sur partie des terres de Montlhéry un sol parisis de cens, et cinq sols par arpent pour droit d'amortissement. Ils prétendent percevoir encore la dîme en espèces sur les mêmes héritages. Les habitans s'y opposent, et refusent en disant, que ce droit d'amortissement de cinq sols par arpent, qui leur est payé, est pour et au lieu de la dîme en espèce. Les religieux de Longpont disent au contraire, que ce droit d'amortissement étoit l'amortissement d'un droit de banalité, que l'Hôtel-Dieu, dont ils ont le droit par un contrat d'échange de 1655, avoit sur les héritages de Montlhéry. Deux propositions établies pour la défense des habitans. La première, que les Religieux de Longpont ne peuvent prétendre que le droit d'amortissement dont il est parlé par ces déclarations, soit d'un droit de banalité, qu'en prouvant qu'ils ont eu un droit de banalité. La seconde, que ce droit d'amortissement ne peut être entendu d'un autre droit, que de celui de la dîme.
Première proposition. Le droit de banalité est un droit de servitude réelle, lex fundo dicta ; droit odieux et extraordinaire, nulle servitude sans titre, encore que l'on en ait joüi par cent ans . C'est la disposition de l'article 38, de la coutume de Paris. L'article 71, porte, que nul Seigneur ne peut contraindre ses Sujets d'aller au four ou moulin qu'il prétend banal, s'il n'en a titre ou aveu, et dénombrement ancien .
Les Religieux de Longpont n'ont aucun titre, tel qu'il puisse être, pour établir ce prétendu droit de banalité. Ils disent, qu'on ne peut les obliger de rapporter un titre constitutif de ce droit de banalité, dont ils sont en possession de temps immémorial : mais les habitans leur répondent, qu'il n'est point vrai qu'ils soient en possession du droit de banalité ; jamais ce droit n'a été dû, et jamais il n'y en a eu de possession. On convient qu'ils sont en possession de prendre cinq sols par arpent pour droit d'amortissement ; amortissement qui ne regarde point la banalité. Et quand ils en seroient en possession, ce qu'on leur nie, leur possession seroit inutile sans un titre bon et valable, suivant la disposition de la Coutume.
Pour preuve que ce droit d'amortissement, dont il est parlé dans les déclarations, est du droit de banalité, les religieux produisent sept baux anciens passez par l'Hôtel-Dieu à sept particuliers habitans de Montlhéry, par lesquels l'Hôtel-Dieu a donné les héritages y mentionnez, à la charge d'un sol de cens, et de cinq sols d'amortissement de pressoir. De là ils concluent, que ce droit d'amortissement de pressoir est l'amortissement du droit de banalité, et par une seconde conséquence plus forcée, ils disent que le droit d'amortissement, dont il est parlé dans toutes les déclarations qu'ils rapportent, doit être entendu de la banalité du pressoir.
Les habitans répondent :
1° il est contre toutes sortes de principes, de prétendre établir un droit de banalité sur sept baux qu'un seigneur aura passéz à sept habitans. Il faut, suivant le sentiment unanime de tous les docteurs, que le droit de banalité soit établi pour bonne et juste cause, avec tous les habitans d'un lieu, il ne suffiroit pas qu'il fût passé avec la plus grande partie ; il ne pourroit obliger que ceux qui s'y seroient soumis, et n'engageroit en aucune façon ceux qui ne l'auroient pas accepté.
2° il n'est parlé en aucune façon dans ces sept baux, d'amortissement de droit de banalité, mais seulement d'amortissement de pressoir ; ainsi, suivant ces sept baux, on ne peut entendre ce droit d'amortissement que de ce qui se payoit au pressoir. Ce qui se payoit au pressoir, étoit-ce un droit de banalité de pressoir ? Etoit-ce le droit de dîme qui se payoit au pressoir ?
Les Religieux de Longpont ne prouvent point que ce fût un droit de banalité, ils ne peuvent le soutenir sans un titre ; il faut donc rejetter absolument cette idée, et l'on n'en peut tirer autre conséquence, sinon que la dîme se payoit au pressoir, ainsi qu'il se pratique en plusieurs endroits, avec d'autant plus de raison, que si par ce droit d'amortissement de pressoir, dont il est parlé dans ces sept baux, on avoit entendu le droit de banalité de pressoir, on n'auroit pas manqué d'en faire mention ; ce droit étoit assez considérable pour ne le pas oublier ; et il est même de principe, que les servitudes doivent être nommément, et spécialement déclarées dans les titres, suivant l'article 215 de la Coutume.
Cette première proposition est d'autant plus véritable, que dans nul titre, pas même dans le terrier fait par l'Hôtel-Dieu, il n'est parlé de droit de banalité, au lieu qu'il y est parlé de dîmes et champarts.
Seconde proposition. Ce droit d'amortissement, dont il est parlé dans toutes les déclarations, ne peut jamais être entendu que de l'amortissement de la dîme. Premièrement , les Religieux de Longpont ne peuvent faire application de ce droit d'amortissement, dont il est parlé dans toutes les déclarations, à un autre droit. En second lieu , les habitans de Montlhéry, au moyen de ce droit d'amortissement de cinq sols par arpent, sont en possession, de temps immémorial, de ne payer aucune dîme, et se soumettent à la preuve du fait, s'il est contesté. Il n'y a que huit ou dix ans qu'ils sont entrez à Longpont ; avant eux, c'étoit des non réformez, qui n'ont jamais perçû la dîme en espèce, avec le droit d'amortissement.
Plan du dîmage de Montlhéry.
En troisième lieu , les habitans ont rapporté deux anciens baux d'héritages, donnez par l'Hôtel-Dieu, à la charge d'un sol de cens, et de cinq sols pour droit d'amortissement de dîme, guet et garde . Les Religieux de Longpont ont fait tous leurs efforts pour détruire la preuve évidente qui résultent de ces deux actes. Ils objectent, que ces deux baux étoient uniques. La réponse est facile : comment les Religieux de Longpont voudroient-ils obliger les défendeurs de rapporter tous les baux des héritages du lieu, qu'ils n'ont certainement pas, et qu'ils ne peuvent avoir. Ces Religieux eux-mêmes, à qui l'Hôtel-Dieu a remis tous ses titres lors de l'échange de 1655 qui en ont été chargez par un inventaire, qui en ont donné leur récepissé, qui par conséquent ont entre leurs mains tous les baux de ces héritages, qui en rapportent sept aujourd'hui, parce qu'ils se sont imaginez qu'ils sont à leur avantage, ne devroient-ils pas les rapporter, puisqu'ils sont certainement en leur possession.
En quatrième lieu , M. le Maître, conseiller en la quatrième Chambre des Enquêtes, qui partage avec les Religieux de Longpont la dîme sur le territoire de Montlhéry, à cause de sa seigneurie de Bellejame, et à qui les Religieux de Longpont n'osent disputer ce droit, ne la perçoit sur les héritages qui y sont sujets à son égard, qu'à raison de cinq sols par arpent. Les déclarations qui lui ont été passées sont toutes en la même forme que celles qui ont été passées aux Religieux de Longpont, c'est-à-dire, que les tenanciers ont reconnu devoir à M. le Maistre un sol de cens, et cinq sols d'amortissement. Il y a même quelques déclarations, mais en petit nombre, qui font mention que ce droit d'amortissement est de la dîme.
Si ce droit est l'amortissement de la dîme, comme on n'en peut douter, il est incontestable que les religieux de Longpont ne peuvent encore percevoir la dîme outre et pardessus ce droit ; ce seroit percevoir deux fois le même droit sur les mêmes héritages ; ce qui ne se peut proposer.
Les Religieux de Longpont ont établi leur demande sur trois propositions :
- La première, que la dîme étoit dûë,
- La seconde, que les habitans ne rapportoient aucun abonnement de la dîme,
- La troisième, que quand il y auroit eu un abonnement, l'abonnement seroit nul.
Ces trois propositions n'ont nulle application au fait. On convient, à la vérité, que la dîme est dûë de droit ; mais elle n'est pas dûë aux religieux de Longpont en vertu de leur clocher, puisqu'ils ne sont point curez de Montlhéry, ni curez primitifs ; ils ne peuvent la prétendre que comme étant aux droits de l'Hôtel-Dieu, à qui elle a toujours été payée par l'amortissement de cinq sols par arpent.
Avant l'échange de 1655, l'Hôtel-Dieu la percevoit sans contradiction de la part des religieux de Longpont. Ils ont acquis le droit de l'Hôtel-Dieu, ils ne peuvent donc le prétendre que de la même manière que l'Hôtel-Dieu le percevoir. Or les défendeurs l'ont toujours payé de cette manière, c'est l'usage uniforme et immémorial du lieu ; la dîme qui se partage entre plusieurs seigneurs, se paye aux autres seigneurs du territoire de la même manière.
À l'égard de la seconde proposition, il est vrai que les défendeurs ne rapportent pas un contrat d'abonnement de la dîme, fait entre l'Hôtel-Dieu et les habitans ; mais ils sont en possession immémoriale de ne pas payer la dîme en espèce. Ils en ont la preuve par toutes les déclarations acceptées par l'Hôtel-Dieu lors du renouvellement de son terrier ; ces déclarations représentent le contrat d'abonnement de la dîme : voilà toute la preuve dont ils ont besoin.
Les religieux de Longpont ont acquis ce droit de l'Hôtel-Dieu, à qui il se payoit auparavant ; par conséquent ils ne peuvent prétendre plus de droit que l'Hôtel-Dieu en avoit.
D'ailleurs la dîme se paye de la même manière aux autres seigneurs, qui partagent ce droit avec les religieux de Longpont. Il seroit contre toutes les règles, de faire payer la dîme de deux manières différentes sur le même territoire.
À l'égard de la troisième proposition des Religieux, que l'abonnement de la dîme est un contrat nul et reprouvé, deux réponses :
- La première est, que dans l'espace dont il s'agit, il ne s'agit pas de sçavoir, si les habitans payeront la dîme en espèce, au lieu du droit de cinq sols par arpent. Ce n'est pas là ce que les religieux demandent, ils prétendent faire payer en espèce le droit de dîme, outre et pardessus celui de cinq sols. Ainsi en l'état où est la cause, ils n'ont pas dû se jetter dans la question de sçavoir, si une dîme peut être abonnée, ou non. S'ils avoient demandé la dîme en espèce, au lieu du droit de cinq sols par arpent, ce seroit le cas de traiter cette question. Mais voulant aujourd'hui avoir la dîme en espèce, et garder le droit de cinq sols par arpent, les habitans leur soutiennent avec justice, que cette question est étrangère au fait dont il s'agit.
- La deuxième réponse des habitans est, que cette question de sçavoir, si l'abonnement d'une dîme est valable, est décidée par la déclaration de Charles IX du 25 octobre 1561, et par une infinité d'arrêts, qui ont jugé que les anciens abonnemens de dîmes devoient avoir leur exécution. La déclaration de Charles IX, renduë sur les remontrances du clergé, en ordonnant le payement de la dîme, porte une réserve expresse en ces termes : « Sans toutefois en ce comprendre ceux qui par ci-devant ont transigé, ou composé pour lesdites dîmes et prémices, lesquelles transactions, ou compositions, nous entendons demeurer en telle force et vertu, comme elles étoient auparavant ces présentes, en payant le droit et le devoir, selon icelle composition ».
En conformité de cette déclaration, il a été jugé par arrêt du Parlement du 11 février 1617, au profit des habitans de Maciz, et autres villages voisins, contre l'évêque, et le chapitre de Troyes, que l'on ne payeroit pas la dîme des vignes en espèce, mais à raison de quatre sols par arpent seulement. Il y a eu plusieurs autres arrêts, tant au Parlement, qu'au Conseil, qui ont été depuis rendus en conformité de cette maxime, témoin l'arrêt que le Conseil a rendu en faveur des habitans d'Argenteüil, maintenus dans la possession de ne payer pour la dîme que 2 sols 6 deniers par arpent.
Il y a d'autant plus de raison de l'ordonner ici de cette manière, que les religieux de Longpont ne sont, ni curez, ni curez primitifs de Montlhéry ; qu'ils ont acquis ce droit de l'Hôtel-Dieu, par conséquent ne peuvent changer le droit qu'ils ont acquis ; et que tel est l'usage uniforme, de payer la dîme dans le lieu, non seulement aux Religieux de Longpont, mais encore aux autres seigneurs qui la partagent avec eux.
Les arrêts que les Religieux ont citez pour dire que nonobstant les abonnements, il a été ordonné que la dîme se payeroit en espèce, ont été rendus, non dans le cas de dîmes inféodées, non dans le cas de déclarations multipliées, mais dans le cas de transactions reconnuës mauvaises, ou dans le cas d'une possession acquise avec des curez, qui ne pouvoient faire préjudice à leurs successeurs. Enfin les religieux de Longpont ont avancé un fait, qu'ils étoient en possession de percevoir la dîme en espèce sur le territoire.
Ce fait leur a été dénié, et on leur a mis un fait en avant, dont on a offert la preuve, qui est que du temps des non réformez, c'est-à-dire, il y a huit à dix ans, la dîme a toujours été perçûë à raison de cinq sols par arpent, de temps immémorial.
Si depuis que les réformez sont entrez à Longpont, ils ont surpris, ou forcé quelques habitans de la leur payer en espèce, ce qui n'est pas de la connoissance des défendeurs, ils ont crû mal-à-propos, qu'ils parviendroient par ce moyen à s'attribuer un nouveau droit ; ils n'ont pû donner atteinte au droit universel et uniforme, qui est la première règle en fait de dîmes.
La sentence de 1719
Un arrêt fut rendu par le Grand Conseil le 28 juin 1719 contre le sieur Jean Fontaine, le sieur Cormier Auguste de Courchamp, Jean Leroy notaire, Pierre Peuvrier, Huguer, Grégoire Rousseau, Lelorain, Lefebvre, Jouibert, Jenty, Champagne, Hieronne, Marchand, Peuvrier et autres, tous demeurant à Montlhéry, qui maintient et garde l'abbé Bignon, prieur de Notre-Dame de Longpont et les Religieux en possession de pouvoir percevoir leurs dixmes de grain et vin sur les héritages des paroisses et territoires de Longpont, Montlhéry, lieux en dépendant. Et en conséquence condamne les susnommés de payer auxdits prieur et Religieux de Longpont pour leurs fermiers et préposés les dixmes de grain et vin en nature tel qu'elles sont dues suivant l'usage des lieux sur toutes les terres, vignes et héritages possédés par lesdits dans les paroisses de Longpont et Montlhéry. Et notamment au terroir de Guyperreux, lieu-dit les Graviers…
Voici la conclusion de Pierre Jacques Brillon « Cette cause ainsi plaidée par moi, avocat du prévôt, et autres habitans de Montlhéry, fut appointée le 17 août 1717 et par arrêt au mois de … 1719, ils ont perdu leur cause, et ils ont été déclarez sujets à la dîme ». En conclusion, à raison de huit pintes l'arpent, le nouveau taux de la dîme de vin est quatre fois plus grand que l'ancien taux de 4 sols parisis l'arpent.
Nous retrouvons les mêmes termes dans l'état du temporel du prieuré N.-D. de Longpont présenté devant la diète du chapitre général de l'ordre de Cluny : « En 1719, on a gagné un procez contre le prévost de Montlhéry, le procureur du Roy, le greffier et plusieurs habitans dudit lieu, qui refusoient de payer la dixme en espèce attendu qu'il y avoit plus de 300 ans qu'on la payoit en argent, les dépents ont été compensés ; il en a coutté à la maison 440 lt., on les gagnera bien dans la suitte, puisque l'arpent de vignes qui ne payoit de dixme que 4 sols parisis payera huit pintes de vin et que cette même année la dixme de vin a augmenté de moitié à cause des arrérages qui estoient dû depuis l'instance ».
Notons que dans le compte de 1713, le chambrier du prieuré de Longpont donne le produit du vin dans la cave du couvent :
• de la vigne du clos : 11 poinçons de vin blanc,
• du pressoir de Longpont : 6 poinçons,
• du pressoir de Guyperreux : 5 de rouge et 8 de blanc,
• de la dixme : 7 poinçons,
• la veuve Cordeau nous a donné deux acomptes,
ce qui fait en tout 40 poinçons et demi de vin.
Pour l'année 1735, une note du chambrier nous apprend la contenance d'une pièce de vin, mesure de Longpont : « le produit de la dixme de vin a rapporté environ 13 pièces de vin, pour chaque arpent de vigne doit 8 pintes de vin. Dans 5 pièces de vin, il se trouve 2.600 pintes , laquelle quantité de 2.600 pintes fait celle de 325 fois 8 pintes et à 8 pintes par arpent, 325 fois huit pintes font 325 arpents » [la pinte, mesure de Paris, valait environ 95 centilitres].
Dans l'état présenté aux auditeurs des causes du chapitre général tenu à Cluny le 16 mai 1753, il est marqué : « Plus ils ont dans leur cave 70 pièces de vin dont 3 pièces pour le remplissage quand on le soutirera au clair, 34 pièces pour la boisson des Religieux pendant deux ans, 15 pièces pour la boisson des domestiques ainsi le restez 18 pièces de vin de dixme et de pressoir à vendre à raison de 15 livres la pièce, soit 270 lt. ».
À suivre ...
Notes
(*) Nous conservons intentionnellement le texte du XVIIIe siècle.
(1) Pierre Jacques Brillon, Dictionnaire des arrêts ou jurisprudence universelle des parlemens de France et autres tribunaux , t. IV (chez G. Cavelier, Paris, 1727).
(2) Le prieuré de Longpont était considéré comme un gros décimateur sur de nombreuses paroisses. Dans l'évêché de Paris, les moines prélevaient les dîmes de douze villages dont : Longpont, Montlhéry, Pecqueuse, Champlan, Bondoufle, Orangis, Nozay-La Ville-du-Bois, et la moitié de celles dîmes de onze autres villages ou hameaux dont Viry, Jouy, Savigny, le quart de celles de Linas, Plessis-Pâté et Villabé, etc.