Le prieuré Notre-Dame de Longpont
XXVII. Les vicomtes de Corbeil
Après avoir introduit les biens de l'église de Paris à Viry, nous continuons par les chartes du Cartulaire de Notre-Dame de Longpont par le vingt-septième volet de l'Histoire du prieuré, et notamment celles du XIIe siècle qui sont relatives aux donations d'une partie des dîmes de la paroisse (1). Plus tard, au début du XIIIe siècle, il y eut un échange entre mes moines de Longpont et les chanoines de Notre-Dame de Paris qui désiraient unifier les biens temporels autour de leur fief de Viry.
C.Julien Janvier 2013
Les vicomtes de Corbeil
Au Moyen âge, le vicomte de Corbeil, du latin « vicecomes » était un officier de judicature du comte, pour le gouvernement de la ville et pour l'administration la justice. Le seigneur possédant ce titre héréditaire de la terre titrée « vicomté ». La charge pouvait être transmise par les femmes « vicomtesse ». Le premier vicomte de Corbeil connu se nommait Robert ; il est cité dans l'acte testamentaire du comte Bouchard 1er, daté du 1er mai 1006. La descendance de Robert s'éteignit au cours de la seconde partie du XIe siècle. En 1097, la vicomté est aux mains d'un personnage important qui figure dans le diplôme, de 1071, relatif à l'église Saint-Spire de Corbeil où figure le vicomte Gui qui se qualifie Gaudri, fils d'Hersende « S. Gauderici, filii Herseyndis ».
Pour Joseph Depoin, le vicomte Gaudri serait le fils d'Hersende, veuve de Guérin de Paris, remariée à Bégon de Corbeil (2). Cette filiation est possible car, en 1056, un Ansoud se faisant religieux à l'abbaye de Saint-Maur des Fossés, lui donna les droits de baptême, de sépulture et de dîme de toute la paroisse de Saint-Vrain, du consentement de Bégon de Corbeil et de son fils Gaudri.
La descendance de Gaudri, vicomte de Corbeil
La connaissance de la descendance de Gaudri, vicomte de Corbeil nous est donnée par une charte du cartulaire de Longpont quand deux de ses membres qui avaient reçu l'église Saint-Denis de Bondoufle de leurs parents la donnèrent au prieuré Notre-Dame de Longpont. En fait, il s'agit de la restitution des biens religieux au sein de l'Église.
Une charte du prieuré de Saint-Martin-des-Champs marque les enfants du vicomte de Corbeil quand, le 24 septembre 1097, les neveux de Hugues, enfants d'Eremburge, vicomtesse de Corbeil, confirment la donation de Voves, en présence du comte Eudes. De cette charte nous déduisons que Hugues appartient à la maison du Donjon de Corbeil puisque seuls Erembour, Eremburge ou Aremburge, épouse du vicomte Gaudri de Corbeil, et ses enfants sont impliqués. L'absence de Gaudri exclut l'appartenance de Hugues de Voves à la famille des vicomtes.
Gaudri, vicomte de Corbeil, avait, longtemps avant l'an 1097, épousé Éremburge, petite-fille d'un Ferri, qui pourrait bien être celui qui vivait, en 1006, à la cour du comte Bouchard 1er. De l'union de Gaudri et d'Eremburge sont issus :
- Ferry qui reçut la seigneurie de Châtillon, place forte qui protégeait la ville de Corbeil et contrôlait la navigation sur la Seine. Il épousa Comtesse qui ne lui donna qu'une fille Eustachie.
- Geoffroy d'Yerres qui racheta à son arrière-petit-neveu la dîme de Viry qu'il voulut s'approprier ; mais finit par la céder aux moines de Longpont sur l'insistance de sa femme Machaine. Il eut un fils unique nommé Gautier Tirel comme son oncle.
- Gautier Tyrel qui devint seigneur de la Tour de Poix à Pontoise.
- Begon, clerc qui prit le froc à Longpont. Une charte relative à Bouchard 1er de Vaugrigneuse mentionne « Bego monachus, frater Friderici de Castellonio ».
- Mathilde de Corbeil, femme de Gilbert de Garlande,
- Aélis qui fut mariée avec Isembard dit Payen, fils d'Anseau d'Étampes de la maison Le Riche.
Le legs de l 'église de Boudoufle est accompli par Isembard dit Payen, fils d'Anseau d'Étampes « Isembardus cognomento Paganus, filius Anselli de Stampis » et par Ferry de Châtillon, fils de Gaudry de Corbeil « Fredericus, Gaudrici filius »; ces deux chevaliers donnèrent l'atrium, le cimetière et toutes les dîmes attachées à cette église, à savoir celles de Fleury, et de tous les lieux qui dépendent de l'église de Bondoufle, excepté le fisc des chevaliers (charte CLXXX du cartulaire A de Longpont).
En fait ces deux personnages sont beaux-frères, Isembard d'Étampes avait épousé vers 1093 Aélis de Corbeil, fille de Gaudry de Corbeil et d'Aremburge du Donjon (2). La fratrie des seigneurs de Corbeil assistait leur frère, à savoir Geoffroy d'Yerres, Gautier Tyrel, le clerc Begon et Mathilde de Corbeil, femme de Gilbert de Garlande. L'acte de donation fut rédigé au château de Corbeil où tous étaient présents avec leurs vassaux dont Guillaume de Viry et Rodolphe de Ris. Puis le jour suivant, Ferry et sa sœur Aélis, au nom de son mari Isembard vinrent à Longpont pour poser l'acte sur l'autel de sainte Marie devant les deux phylactères de la Vierge et le remettre dans les mains du prieur Henri (charte CLXXX).
Généalogie simplifiée des vicomtes de Corbeil (XIIe s.).
Le patrimoine du vicomte Gaudri
Pour comprendre l'origine du patrimoine des vicomtes de Corbeil, il convient de revenir à la maison des Le Riche de Paris dont la fortune provenait des concessions des rois et des ducs de France qui avaient pris le titre d'abbés héréditaires des abbayes de Saint-Denis et de Saint-Germain-des-Prés. Les débris du patrimoine des moines se retrouvèrent, au XIe siècle, dans les mains des chevaliers : les dîmes et les patronages d'églises de presque toute la banlieue.
C'est ainsi que les terres et les dîmes de Bondoufle, de Châtillon et de Viry étaient des possessions de Gaudri vicomte de Corbeil. Ces biens se partagèrent entre les enfants de Gaudri. De même que Geofroi, l'un d'eux, eut la terre d'Yerres, Ferri l'aîné eut celle de Châtillon, et Bondoufle constitua la dot d'Aélis, mariée à Isembart Payen, fils d'Anseau d'Étampes. Isembart tenait en fief de son beau-frère, à Bondoufle, l'église Saint-Denis, titre qui indique nettement l'origine des ces biens ecclésiastiques, l'aître, c'est-à-dire la propriété du sol de l'édifice, le cimetière et les droits de sépulture, enfin toute la dîme, en comprenant toutes les dépendances de la paroisse et notamment le hameau de Fleury. Isembart et Aélis rendirent ces divers biens à l'Église, mais au lieu de les restituer à l'abbaye de Saint-Denis, ils en firent don à Notre-Dame de Longpont, prieuré dépendant de l'ordre de Cluny dont on compte de nombreux bienfaiteurs appartenant à des branches de la maison des Le Riche de Paris.
L'évêque Geofroi, par un acte du commencement de l'année 1093, autorisa la transmission aux moines de Longpont de l'autel de Bondoufle et des droits religieux y afférents. Le motif de cette libéralité n'est pas indiqué, et le soin que prirent Isembart et sa femme d'obtenir le consentement de la mère et de tous les frères et sœurs d'Aélis, prouve qu'à ce moment le couple étampois n'avait pas encore d'héritiers directs. La date de 1093 est évidemment très voisine du mariage d'Aélis : doit-on voir dans sa pieuse libéralité la rémunération d'une dispense de parenté ou le résultat d'un vœu fait avec son mari pour obtenir des « hoirs de leur corps » ? Elle se serait alors inspirée de l'exemple, bien connu dans les annales de la maison d'Anjou, d'Élisabeth, fille du comte Bouchard le vieux et première femme de Foulques Nerra. En effet on cite une donation faite à Marmoutier, dans ces circonstances, par Élisabeth et le comte son mari ; elle fut suivie de la naissance d'une fille, dont les enfants héritèrent du comté de Vendôme après la mort du fils de Bouchard, Renaud, évêque de Paris, comte de Vendôme et de Corbeil. Ainsi la libéralité faite à N.-D. de Longpont place les donateurs sous la protection de la Sainte Vierge, symbole de la maternité.
Dans une charte du cartulaire de Vauluisant (B.N. mss. latin 9601, fol. 38), donnée après 1118, Gaudri, en qualité de vicomte de Corbeil, avec l'approbation de ses deux filles Aélis et Mahaut, concéda aux moines de Vauluisant l'exemption de tous les droits dans la traversée de la ville « Remissio exactionum paagi de Corbolio ». Voici le texte intégral de cette charte : « Notum sit omnibus presentis et futuris quod Codericus vicecomes Corboliensis pro redemptione anime sue et antecessorum suorum, concessit in perpetuum fratribus Vallis Lucentis de rebus suis propriis quicquid ad se pertinebat de paagio apud Corbolium constituto, laudantibus et concedentibus filiabus Aales et Mahaut. Cujus rei testes sunt : Petrus nepos ejusdem Goderici, Balduinus de Corbolio, Paganus de Servum, Guido de Tiguri et Clarembaldus frater ejus, Gaucheriue Bucherius et Magrinus frater ejus. Quod ut ratum in posterum maneat et inconcussum scripto commendari et sigillo reverentissimi Theobaldi Parisiacensis episcopi fecimus confirmari ». L'acte reçut l'approbation de Thibaut, évêque de Paris. Gaudri accorda également aux marchandises appartenant au couvent de Preuilly la libre traversée de Corbeil, ce qui fut confirmé par Gilles Sanglier et Gilles d'Ormoy, ses petit-fils, en 1163-1164.
Puisque Thibaut, évêque de Paris n'a été intronisé qu'en 1143, Gaudri a certainement prolongé sa vie jusqu'aux dernières limites de la vieillesse. La charte de Vauluisant laisse à penser qu'il survécut à tous ses enfants mâles. Le fils de Gautier Tirel s'était fixé à Poix, Geofroi d'Yerres n'avait pas laissé de postérité et Ferri était mort en Palestine, ne laissant qu'une fille. Ferri d'Etampes, l'aîné des enfants d'Aélis, ayant porté les armes contre le roi, était exclu de la vicomté qui passa dans les mains de Gilbert le fils de Mahaut.
L'oncle d'Eremburge
Eremburge avait un oncle, un chevalier riche et considéré, Hugues de Voves, fils de Ferri, possesseur de nombreux domaines dans les comté de Paris et de Chartres (3). Ce seigneur figure en 1085 comme témoin d'une renonciation d'Orson, vicomte de Melun, à tous ses droits de coutumes au profit du monastère de Saint-Maur-des-Fossés, placée sous la tutelle du comte Bouchard de Corbeil.
En 1097, Hugues se rendit au château de Corbeil. Il y avait là d'autres parents, notamment les fils de sa nièce Eremburge : l'ainé Ferri, Geofroi, Gautier et Bégon; ils avaient aussi des sœurs. Par des sollicitations vives et renouvelées, Hugues décida sa nièce et tous les enfants de celle-ci à suivre l'exemple des fils de Séguin, son frère, et à renoncer à leurs droits éventuels sur cette part de son héritage.
Le chambrier du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, Gautier, qui accompagnait le donateur, eut grand soin de donner à cet assentiment toute la solennité possible. Les témoins principaux furent Eudes, comte de Corbeil, Ferri fils de Baudoin de Beauvais, le vicomte Gaudri, Gautier et Gui, fils de Lisiard et petits-fils d'Ansoud-le-Riche. Puis on mentionne Ouri le Chaland, Payen de Lancé, Gautier de Coucy, Gaudri de Villecresnes, Géraud Gâtineau, Hugues de Moissy (Cramayel), Hugues de Brezolles, et Eudes de Champcueil.
Il est permis en effet de regarder cette énumération de témoins comme un aperçu de ce qu'était la petite cour du comte Eudes de Corbeil. La présence de noms qui se rattachent au Vendômois ou qui s'en rapprochent s'explique par le contact que, durant le long règne de Bouchard, la noblesse des deux comtés dut avoir, réunie qu'elle était sous un même chef. Les cartulaires de Paris et de la banlieue nous représentent un certain nombre de ces chevaliers, rassemblés à Corbeil en 1097, comme fieffés dans l'Ile-de-France. Parmi ces cartulaires, celui de N.-D. de Longpont est particulièrement intéressant à consulter. Il précise en effet l'alliance d'Eremburge avec Gaudri et donne sur leur descendance les détails les plus précieux.
Gautier Tyrel II
Le XIIe siècle est celui des voyages en Terre Sainte. Après la prise de Jérusalem en 1096, les chevaliers avaient coutume d'aller faire le pèlerinage à Jérusalem pour visiter les lieux saints. Avant d'entreprendre le long et périlleux voyage, les seigneurs faisaient des offrandes à l'Église. Toutes sortes de biens étaient léguées pour assurer le salut du voyageur. Ainsi le prieuré de Longpont, dont la célébrité rayonnait dans tout le sud parisien reçut un nombre considération de donations. On se souvient que Milon 1er de Montlhéry participant à la première croisade donna le moulin banal de Grouteau aux moines de Longpont (charte XLV). Puis, se souvenant que sa sœur Mélisende Chère Voisine avait légué sa part de la terre de Ver, par l'intermédiaire de son légataire, Gui Troussel, son fils, il accepta pleinement d'abandonner aux moines l'autre portion du village (chartes CCI et CCII). Participant à la même expédition, Raimbert de Chouanville, prêt à partir pour Jérusalem, donna un demi arpent de vigne situé à Luisant (charte LXIX). Vers 1100, partant pour Jérusalem, Gui Pinel décida que les hostises, tenues par Osmund et Hubert le pelletier, appartiendraient aux moines de Longpont au cas où il lui arriverait malheur (charte LXXXVIII). Un autre seigneur nommé Eudes de Ver, ému à la pensée qu'il pouvait mourir sur la route de Jérusalem, renouvela la donation de la terre du Perray qu'il avait faite pour le salut de son âme et celle de sa mère afin que le don demeure pour l'éternité à l'église de Longpont (charte CCXII).
Le Cartulaire du prieuré Saint-Martin-des-Champs marque plusieurs chartes de la famille Tirel (3). En premier lieu, vers 1083, Gautier Tirel « Walterius Tirellus » assista la cérémonie et témoigna sur l'acte de donation de Foulques d'Annet lèguant à Saint-Martin le fief qu'il tenait de cette église, en présence d'Hervé de Montmorency, de ses chevaliers, et du comte Hugues de Dammartin. Gautier Tirel, châtelain de Poix en Amiénois et de Pontoise, habitait dans cette dernière ville, dès 1102, sur le versant nord-est de la colline du château, un manoir fortifié que s'est appelé l' hôtel de Poix , puis l' hôtel d'Orgemont , lorsqu'il fut acquis par le chancelier de Charles V.
Vers la même époque, Hubert, clerc de Pontoise « Hubertus clericus de Ponte Isare », cède un hôte qui doit acquitter le cens d'un sou, les droits de rouage, forage et autres dus généralement par les hôtes pour fonder un obit. Nous trouvons Gautier Tirel au bas de cette charte « homines Gualterii Tirelli ».
Plus tard, en 1140, le chevalier Gautier Tyrel, partant pour Jérusalem transfert la partie inféodée de la dîme de Viry alors que l'autre portion appartenait à l'église cathédrale de Paris (charte CLXXVII). On remarque l'erreur du scribe qui écrit Ivri au lieu de Viri. Cette charte est précieuse dans le sens qu'elle décrit la famille de Corbeil-Donjon, issue de Bégon, vicomte de Corbeil. « Galterius Tyrellus, quando Hierosolimam perrexit, dedit Deo et sancte Marie de Longo Ponte, ac monachis ibidem Deo famulantibus, partem suam de decima de Ivri [Viri] , quam habebat in vadimonium Teodericus de Parisius. Sed Gaufredus de Edera, frater ipsius Galterii, postea eam redimens aliquanto tempore manu propria tenuit. Sed sepe ammonitus ut ecclesie de Longo Ponte, redemptione accepta, jus proprium redderet, ne, si contempneret, perpetue deputaretur dampnationi, tandem ad se reversus, accepto salubre consilio a domno Stephano, Parisiensi episcopo, rogantibus etiam Johanne, priore, domno Hugone de Creciaco, domno Odone, subpriore sancti Martini de Campis, domno Teulso, monacho, domno Fulcherio, decano, memoratam decimam, redemptione accepta, reddidit, ac donum super altare sancte Marie ipse et Ada, uxor sua, cognomento Machaina, et filius eorum, Galterius Tyrellus, posuerunt ac perpetuo possidendam eidem loco dimiserunt. Quod viderunt et audierunt hii : Radulfus, decanus ; Hermannus, presbiter ; Herbertus, miles ipsius Gaufredi ; Rogerius Pipuns ; Garnerius, famulus, et Johannes, filius ejus ; Richardus, famulus ; Josbertus, cocus ; Gaufredus Turpaut ».
Voici une traduction sommaire. «Gautier Tyrel, partant pour Jérusalem donna à Dieu et à Sainte Marie de Longpont et aux moines serviteurs de Dieu, une partie de la dîme de Viry, autant qu'il avait pris l'engagement devant Théodoric de Paris. Après [ce don] Geoffroy d'Yerres, frère de Gautier, a retenu un temps cette chose dans sa main. Puis, il accepta l'aumône faite à l'église de Longpont pour sa rédemption, il rendit ce droit de propriété [féodal], non par mépris, car estimant la condamnation perpétuelle, à la fin il revint en arrière, et il accepta la conciliation salutaire du seigneur Étienne, évêque de Paris, en présence du seigneur prieur Jean, du seigneur Hugues de Crécy, et de Eudes, sous-prieur de Saint-Martin-des-Champs, du seigneur moine Teulso, du seigneur chanoine Foulques, accepta la rédemption et rendit la dîme, l'acte fut déposé sur l'autel de Sainte Marie par Gautier Tyrel et sa femme Ada, surnommée Machane et son fils et posèrent cela sur l'autel pour être tenu à perpétuité par les religieux de Longpont. Ceux qui virent et entendirent cela : le doyen Radulf, le prêtre Herman, Herbert, le chevalier de Geoffroy, Roger Pipuns, le serviteur Garnier et son fils Jean, le serviteur Richard, le cuisinier Josbert et Geoffroy Turpaut».
Lors de la donation célébrée à Longpont, nous remarquons la présence de nombreux prélats de l'Eglise parisienne. Tout d'abord, Étienne 1er de Senlis (1124-vers 1142) l'évêque de Paris en personne, le chanoine Foulques, Jean 1er, prieur conventuel de Longpont en 1140, Eudes, sous-prieur de Saint Martin-des-Champs, et du seigneur Hugues de Crécy, qui, à cette époque était moine à Saint Martin-des-Champs. Il s'agit de Hugues de Crécy [sur-Marne], fils de Gui le Rouge et petit-fils de Gui 1er de Montlhéry. Seigneur violent, il fut surnommé Cadavre à cause de sa maigreur. Il avait hérité Châteaufort de son père, Gometz de son oncle Guillaume et Rochefort de son frère Gui II. Ces trois châteaux le rendaient très puissant, mais il ne se consolait pas d'avoir perdu Montlhéry qui lui avait été donné par Bertrade de Montfort et que Louis VI lui avait enlevé au profit de son cousin Milon II de Bray. Après l'assassinat de ce dernier, Hugues prit le froc de moine dans l'Ordre clunisien.
Relevons succinctement la généalogie de la famille dont est issu Gautier Tyrel. Ce chevalier appartient à la maison des vicomtes de Corbeil. Gautier Tyrel ( Tiraus dans des chartes) fut le familier de Guillaume le Roux, fils et successeur de Guillaume le Conquérant. Cette camaraderie connut une triste fin : alors que Guillaume chassait, on le retrouva mort, victime d'un étrange accident. Gautier jura qu'il ne se trouvait pas avec le prince au moment du drame. Craignant d'être incriminé, il s'enfuit en France et se retire à Pontoise où il habite en 1102, et donne l'hospitalité à Louis, fils de Philippe 1er, exilé de la cour par la haine de Bertrade, sa belle-mère. Après avoir fondé le prieuré de Saint-Denis de Poix en 1118 et l'abbaye de Sélicourt en 1131. Il part pour le pèlerinage de Terre Sainte, en 1140, et meurt en chemin. Marié avec Aélis, fille de Richard Giffard, il est le père de deux garçons : Gautier Tyrel, mort jeune et inhumé à Saint-Martin de Pontoise, et Hugues Tyrel qui succéda à son père.
Enfin, par jugement de l'évêque donné en 1125, nous apprenons que Gautier Tirel III avait usurpé l'autel de Waben que Ybert ou Imbert, abbé de Saint-Josse-sur-Mer après Gautier de Lalaing vivant en 1105, réclamait le retour.
Hugues Tirel 1er
Au commencement de l'an 1138, le roi Louis VII approuve la donation au prieuré de Saint-Martin-des-Champs par Hugues 1er Tirel de la terre de Bouffémont « elemosinam quam Hugo Tirels dedit …villam scilicet Bofesmont cum agris et terris ad eandem villam pertinenti bus »; il confirme une libéralité de son père Louis VI. Quelques jours plus tard, deux lettres de confirmation furent rédigées, la première par Étienne, évêque de Paris, approuvant le don de la terre de Bouffémont par Hugues Tirel, la seconde par Hugues III , archevêque de Rouen, confirmant la donation de la même terre à Saint-Martin-des-Champs. Puis, se rappelant qu'il avait donné la terre de Bouffémont en se réservant une rente viagère de sept livres, Hugues Tirel renonce à ce revenu moyennant un capital de cinquante livres que lui verse le prieur Thibaud II , à Pontoise, dans l'église Saint-Pierre. Plus tard, sa femme Adèle et son fils Gautier Tirel IV confirment cet accord au château de Poix en Picardie en présence des chanoines de Prémonté, d'Alvered de Courcelles, de Renier d'Argoules, etc. « Postmodum hanc donationem concesserunt et confirmaverunt, apud Peiz uxor ejus Adela et filius Galterius , coram testibus quorum hec sunt nomina : Garnerius prior canonicorum , Hugo prior canonicorum , Ruricius canonicus , Radulfus canonicus, Goszo capellanus , Gaufredus filius Wiardi , Alveredus de Sancta Maria , Alveredus de Curcellis , Rainerius de Arguel , Guido hostiarius , Drogo puer, filius Gaufredi » . Cette charte rappelle que les châtelains, de la famille des Tirel, furent au nombre des soutiens de l'ordre naissant de saint Norbert, et appelèrent à Selincourt, une de leurs terres, les chanoines de Prémontré dès 1132.
Hugues Tirel 1er « Hugo cognomine Tyrellus », châtelain do Poix en Picardie et de la tour de Poix à Pontoise, seul héritier de Gautier Tirel II par suite de la mort de son frère aîné Gautier III , se croisa en 1147 avec Louis VII , ainsi que le prouve une fondation qu'il fit alors au prieuré de Conflans-Sainte-Honorine où sa mère s'était retirée pour passer religieusement son veuvage et avait été inhumée ; cet acte est daté « secundo die Penthecostes, rege Francorum pergente Iherusalem et ipso Hugone cum illo » Hugues ne paraît pas être revenu de ce voyage, et Gautier Tirel I V , son fils, le remplaçait en 1157.
Eustachie de Châtillon et Jean d'Étampes
Vers 1140, les moines de Longpont reçurent l'accord des membres de la famille de Corbeil. Il s'agit de Jean, fils de Païen d'Étampes, de son épouse Eustachie et du fils de celle-ci, Ferry, pour la donation opérée par Gauthier Tyrellus lors de son départ pour Jérusalem (charte CLXXVIII). « Domnus Johannes, filius Pagani de Stampis, et Eustachia, uxor ejus, ac Fredericus, filius Eustachie, concesserunt donum et decimam de Ivri [Viri], quam Galterius Tyrellus, quando Hierosolimama perrexit, ecclesie de Longo Ponte dimisit; quam etiam ipsi calumpniabant. Hujus concessionis hii testes existunt: Thomas, abbas Mauriniacensis (1); Teodericus, monachus, capellanus ejus; Johannes, prior de Longo Ponte; Symon, monachus, camerarius; Galterius, capellanus; Ansellus, filius Archembaldi de Catena; Heinricus, frater Balduini de Corboylo; Adam de Miliduno, de Ponte; Galterius de Stampis; Bernardus, famulus prioris de Longo Ponte ».
Voici la traduction succincte : « Le seigneur Jean, fils de Payen d'Étampes, et sa femme Eustachia et Fréderic, le fils d'Eustachia, approuvèrent le don et la dîme de Viry que Gautier Tyrel remit à l'église de Longpont en partant pour Jérusalem, et qui étaient contestés. Les témoins de cet accord : Thomas, abbé de Morigny, le moine Théodoric, chapelain [de Morigny], Jean, prieur de Longpont, le moine Simon, chambrier, le chapelain Galtier, Ansel, fils d'Archambaud de La Chaîne, Henri, frère de Baudouin de Corbeil, Adam de Melun, de Pont, Gautier d'Étampes et Bernard serviteur du prieur de Longpont».
Dans cet acte, nous trouvons l'approbation du neveu du donateur, fils d'Aélis de Corbeil et d'Isembart dit Payen pour le legs de Gautier Tyrel partant pour le pèlerinage de Jérusalem. Nous trouvons encore une fois des ecclésiastiques qui témoignent : l'abbé de Morigny, près d'Étampes, de l'ordre de Saint Benoît, au diocèse de Sens, le chapelain de cette abbaye, le prieur et son serviteur Bernard, le chambrier du prieuré de Longpont, le moine Ansel de La Chaîne dont l'oncle fut prieur de Saint-Pierre de Montlhéry et Gautier d'Étampes.
La terre allodiale de Morsang-sur-Orge
Au début du XIIe siècle, le seigneur Eudes de Viry donne un alleu ou franc-alleu situé à Morsang-sur-Orge (charte CLXIII). « De alodio terre de Morcenco, quem Odo de Ouriaco Deo et monachis sancte Marie de Longo Ponte dederat, inter Landricum de Ouriaco, qui Eremburgem, filiam supradicti Odonis, uxorem habebat, et ideo illam terram calumpniabatur, et monachos jamdictos, qui ipsam terram multo tempore quietam tenuerant, concordia ita facta est : Monachi enim ipsi Landrico et Eremburgi, ejus uxori, et Odoni, amborum filio, orationum suarum et omnium beneficiorum ecclesie participationem concesserunt. Ipfi vero, Landricus videlicet et Eremburgis atque Odo, eorum filius, de illa terra donum fecerunt, quod in manu domni Heinrici, prioris, miserunt. Hujus rei suns teftes hii, ex parte eorum : Hugo et Galterius, fratres ipsius Landrici ; Robertus de Prato ; Leodegarius, filius Herberti de Rivo ; Erardus, filius Oberti ; Arzo, presbiter ; ex parte sancte Marie :.Gaufredus, major ; Oylardus, famulus; Rannulfus, famulus; Raimbaudus, famulus; Bernardus de Cabrosia ».
Voici la translation sommaire : «C'est au sujet de la terre allodiale de Morsang qu'Eudes de Viry avait donné à Dieu et aux moines de Sainte Marie de Longpont, avec lesquels Landry de Viry époux d'Eremburge, fille du susnommé Odon, s'était chicané en détournant cette terre que les moines avaient longtemps possédée en toute quiétude. La paix est maintenant rétablie. Les moines accordent à Landry, à son épouse Eremburge et à leur fils Odon une participation à tous les bénéfices ecclésiastiques. Landry, Eremburge et Odon donnent cette terre et envoient l'acte dans la main du seigneur Henri, prieur de Longpont. Les témoins du côté de la famille : Hugo et Gautier, frères de Landry, Robert de Prat, Leodegar, fils d'Herbert de Rive, Erard, fils d'Obert et le prêtre Aszo. Les témoins du côté de Sainte Marie : le régisseur Geoffroy, les serviteurs Oylard, Ranulf, Raimbaud et Bernard de Chevreuse».
Cette charte qui a pour objet la terre allodiale située à Morsang-sur-Orge, dans le fief du seigneur Eudes de Viry, vassal du vicomte de Corbeil, arrive après une période de conflit avec Landry de Viry, gendre d'Eudes. De concert avec sa femme et son fils, ce dernier remet l'acte de donation dans les mains du prieur Henri Brito. À l'opposé du fief, l' alleu ou franc-alleu [ alodium , lat. méd.] est terre en pleine propriété affranchie de toute obligation ou redevance. Selon Jules Marion, Ouriacum est une mauvaise leçon pour Viriacum , Viry.
Les témoignages
Dans plusieurs chartes, nous trouvons des personnages avec le patronyme « de Viriaco », ou « de Viri ». La charte CLXXX du Cartulaire de prieuré de Longpont cite Vulgrain de Viry « Wulgrinus de Viriaco » lors de l'importante donation, vers 1130, de l 'église de Saint-Denis de Boudoufle, et l'atrium et le cimetière, et toutes les dîmes, à savoir de Fleury, et de tous les lieux qui dépendent de l'église de Bondoufle par Isembard dit Païen, fils d'Anseau d'Étampes ainsi que de Frédéric, fils de Gaudry de Corbeil pour le salut de leur âme. « … ecclesiam videlicet sanct Dionysii de Bunduflo, et atrium a sepulturam, et totam decimam, scilicet et de Fluriaco, et de omnibus locis, sicut pertinet ad ecclesiam ipsam Bundufli, excepto fisco suorum militum …». L'acte est signé dans le château comtal de Corbeil en présence de tous les vassaux du comte : Rodolphe de Ris, Vulgrain de Viry , Augrin de Villabé, Christophe de Villabé, Jean de Bondoufle et Rainald, son frère, Hugues de Draveil, Oylard, [venator ?] et Rainard, chantre de Sainte Marie. Le scribe décrit les phylactères [petits étuis contenant un parchemin sacré ou une relique] de Longpont contenaient le morceau de voile de la Vierge donné par Saint Denis selon la tradition locale. Ils étaient placés sur l'autel à l'occasion des grandes cérémonies.
Dans la charte XX, les seigneurs de Massy firent des aumônes au prieuré de Longpont. Tout d'abord, Evelyne, femme de Guillaume de Massy « Avelina, uxor Warini de Maciaco », entrant dans l'esprit universel, donna deux setiers d'annone à prendre chaque année, à savoir un setier d'avoine et un setier de blé d'hiver. Son mari Guillaume et son frère André approuvèrent ce legs et l'acte fut posé sur l'autel. Devenant âgé, son fils Guillaume fit connaître qu'il cassait la donation de sa mère. Sur le conseil de plusieurs personnes et après avoir fait pénitence, il accepta et donna une rente assise sur une hostise située à Torigny tenue par Asto de Viry « apud Torinni super unum hospitem, qui vocatur Asto de Viri, assedit ». Guillaume de Massy agit qualité de protecteur de l'œuvre, c'est-à-dire la construction faite l'église de Longpont « constructo opere, sacrista » avec la condition du retrait de l'hostise lors de l'achèvement. Mais, réalisant que ces paroles étaient maladroites, le donateur restitua les pleins droits pour se réconcilier et faire la paix avec les moines. La charte est dressée à Montlhéry, devant le prieur Landry, le camérier Duran, Philippe, prieur de Brolio, Manasses, prieur de Montlhéry, Garin de Massy et Guillerme, son fils, Haymon de Bullion, Philippe de Luisant, le serviteur Jean, Yvon, son frère, le régisseur Terrico, et beaucoup d'autres.
Au mois d'avril 1170, Hugues de Viry « Hugo de Viri » est témoin lorsque Maurice, évêque de Paris, constate la cession de droits sur les dîmes de Brie faite par Milon d'Attilly au monastère de Saint-Martin-des-Champs où son père a pris l'habit religieux. Le prélat en investit le prieur Gautier, la femme de Milon, Aye, leurs enfants, Jacques, Manassé, Roger, Milon, Agnès, Félice, Aveline, ayant donné leur consentement (Arch. nat., S 1421, nº 6).
Le 5 avril 1192, en présence de Thibaud de Viry « Theobaldus de Viri » , du doyen Othon et du prévôt Garnier, Maurice, évêque de Paris, juge apostolique, termine un différend entre Saint-Martin-des-Champs et les chevaliers de la Noue, Foulques et Jean, au sujet des dîmes de Largny. Vers 1208, les chanoines de Sainte-Opportune renoncent en faveur de Saint-Martin à leurs droits de cens sur deux arpents au Marais, l'un tenu par Eudes de Viry « Odonis de Viriaco » et l'autre par la femme de Guérin Comte, chargés de quatre sols de cens annuel.
En mars 1250, Geoffroy, archidiacre la curie parisienne confirme la vente à Nicolas Arrode, bourgeois de Paris, et Alips, sa femme, de biens à la Villeneuve-le-Roi par Jean Héron, écuyer, et sa famille. Gui de Ver, Adam Héron, le seigneur Jean de Viry « dominus Johannes de Viri » , Adam de Vitry, chevaliers, en sont garants. Ce sont trois arpents de terre arable « tria arpenta terrarum arabilium sita apud Villam Novam Regis » au dessus du clos du chevalier Guillaume Le Bouc dans la censive dudit seigneur rendant 32 deniers de cens et de plusieurs autres biens.
À suivre…
Notes
(1) J. Marion, Le Cartulaire du Prieuré de Notre Dame de Longpont de l'ordre de Cluny au diocèse de Paris (Impr. Perrin et Marinet, Lyon, 1879).
(2) J. Depoin, Les vicomtes de Corbeil (Libr. Historique, Corbeil, 1917).
(3) Hugues possédait notamment des maisons à Melun, la terre de Voves, au pays chartrain, et une partie de celle de Boisselle, aujourd'hui comprise dans la paroisse de Saint-Germain-lès-Arpajon. Sur la fin de sa vie, n'ayant aucun héritier direct, il résolut de léguer ces biens au prieuré de Saint-Martin-des-Champs. Mais, il ne pouvait s'en dessaisir sans le consentement de ses proches. Il fit donc venir à Paris ses deux neveux, Ferri dit Payen le Roux, et Maurice, fils de son frère Séguin; il obtint d'eux, non sans recourir à des prières instantes et réitérées, leur désistement en faveur des moines, dans l'église même de Saint-Martin. Ceci se passait en 1096.
(4) Joseph Depoin, Recueil des chartes et documents de l'abbaye de Saint-Martin des Champs, monastère parisien (Ligugé, 1913-1921).