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Le prieuré Notre-Dame de Longpont

XXVIII. La vicomtesse de Corbeil

Nous avons vu précédemment que les vicomtes de Corbeil étaient entrés dans l'histoire au XIe siècle et possédaient la seigneurie de Viry et les fiefs qui en relevaient. C'est ainsi que les terres et les dîmes de Bondoufle, de Châtillon et de Viry étaient des possessions de Gaudri vicomte de Corbeil. Ces biens se partagèrent entre les enfants de Gaudri. De même que Geofroi, l'un d'eux, eut la terre d'Yerres, Ferri l'aîné eu celle de Châtillon, et Bondoufle constitua la dot d'Aélis, mariée à Isembart Payen, fils d'Anseau d'Étampes. Le sujet de cette chronique est la charte qui fut rédigée en 1244 pour résoudre un contentieux entre les moines du prieuré Notre-Dame de Longpont et d'Isabelle de Poissy, vicomtesse de Corbeil, veuve du vicomte Gui.

C.Julien Mars 2013

 

Les vicomtes au XIIIe siècle

Ici, nous empruntons à Joseph Depoin, ses notes sur les vicomtes de Corbeil (1). Le vicomte Gaudri de Corbeil vivait à la fin du XIe siècle comme il est confirmé par une charte du prieuré de Saint-Martin-des-Champs qui marque les enfants du vicomte de Corbeil quand, le 24 septembre 1097, les neveux de Hugues, enfants d'Eremburge, vicomtesse de Corbeil, confirment la donation de Voves, en présence du comte Eudes de Corbeil. Depuis le début de la féodalité, le vicomte de Corbeil, du latin «  vicecomes  » était un officier de judicature du comte, pour le gouvernement de la ville et pour l'administration la justice.

De ce fait, vassal du comte, Gaudri «  Gaudricus  » ne pouvait amoindrir son fief, ne pouvait le laisser tomber en main morte sans le consentement du suzerain et des autres seigneurs de la hiérarchie féodale ; tant que le dernier intéressé n'avait pas accorde son approbation, la donation restait en suspens ; vu son caractère aléatoire, elle n'était pas couchée par écrit des le début. Le vassal s'engageait par serment vis-à-vis de l'Église, et il priait son suzerain direct, dans notre cas le comte de Corbeil, de jurer aussi que la promesse serait respectée.

Sur Gaudri, se rencontre le charte de Vauluisant, évoquée précédemment, où la seule présence de ses deux filles Mahaut et Haales (Aélis) signifie que le vicomte survivait après la mort de tous ses héritiers mâles. Le fils de Gautier Tirel s'était fixé à Poix en Picardie, Geoffroi d'Yerres n'avait pas laissé de postérité et Ferri était mort en Palestine, ne laissant qu'une fille. Ferri d'Etampes, l'aîné des enfants d'Aélis et d'Isembard d' Étampes dit Payen (2), ayant porté les armes contre le roi, était exclu de la vicomté qui passa dans les mains de Gilbert et Mahaut , puis à leur fils Anseau, puisque le titre de vicomte hérédital pouvait être transmis aux femmes.

Anseau 1er eut deux fils de sa femme Anne : Gilbert II et Anseau II. L'existence de Gilbert II comme vicomte de Corbeil est donnée par un acte de 1178. Sur un autre document, il paraît avec sa femme Elisabeth et ses trois enfants, Henri, Bouchard et Cécile. Henri surnommé Ripeniaux , est connu par la confirmation d'une de ses libéralités, qu'accorda son neveu le vicomte Payen en 1199. Bouchard fut apparemment le père de Payen qu'il ne faut pas confondre avec le fils d'Eudes, vicomte de Châtres (Arpajon), témoin d'un serment prêté en faveur de Hugues V, abbé de Saint-Germain-des-Prés (1182). L'obit de Gilbert II nous apprend que ce vicomte abandonna ses fonctions pour entrer dans l'ordre des Hostilations de Saint-Jean de Jérusalem «  Obiit Gilebertus, vicecomes de Corbolio, frater Hospitalis  ».

Henri et Bouchard ayant disparu, la tutelle d'un enfant au berceau fut confiée à Anseau II, grand-oncle paternel de l'héritier. Cet enfant n'était pas encore baptisé et, pour ce motif, reçut et conserva toute sa vie le surnom de Payen . La tutelle avait cessé en 1187, si c'est bien du jeune Payen qu'il s'agit dans l'acte de cette date, où il est parlé d'un immeuble «  qui fuit nobilis viri Pagani vicecomitis Corboliensis  ». Entre 1190 et 1199, Anseau, dessaisi de sa charge temporaire, est qualifié «  ancien vicomte de Corbeil  ». Ces faits sont établis par une mention contenue dans l'obituaire de Saint-Maur. L'abbé Hugues 1er, qui siégea de 1190 à 1199 environ, accorda avec son chapitre le bénéfice des suffrages de la communauté à Anseau, ayant quitté sa charge «  Hugo, Dei gratia Fossatensis humilis abbas, et omnis conventus, pie petitioni Anselli quondam vicecomitis Corboili, concessimus beneficiorum nostrorum suffragia et, cum dies obitus nobis fuerit cognitus, tantum illi quantum uni ex nostratibus fecimus  ».

Payen porte le titre de vicomte dès 1187. À cette époque un échange fut fait entre l'hôpital de Jérusalem, à Paris, et le prieuré d'Essonne, dépendant de Saint-Denis. Il porte sur des pièces de terre à Corbeil dont l'une fut à noble homme Payen, vicomte de Corbeil «  que fuit nobilis viri Pagani vicecomitis Corboliensis  ». Il fut bien le petit-fils de Gilbert II, puisqu'il eut pour oncle Henri surnommé Ripeniaus, qui eut Gilbert pour père. Une abbesse de Chelles, Mahaud, morte en 1223, était du sang des vicomtes de Corbeil, et très vraisemblablement la sœur de Payen. L'obit du vicomte Payen révèle qu'il abdiqua sa fonction, ne conservant que le titre de chevalier, puis entra dans l'ordre des Trinitaires «  Obiit Paganus miles de Corbolio et frater Trinitatis  ».

 

 

Le vicomte Payen est cité dans divers contrats jusqu'en mars 1221, où sa femme Laurence lui est associée, ainsi que Gui, son fils aîné. D'autres enfants étaient nés de cette union, notamment un cadet de Gui nommé Guillaume. Un troisième fils de Payen, Mathieu est surnommé du Bois «  Matheum de Nemore filium vicecomitis de Corbolio  ». Au mois d'avril 1230, ce chevalier entra en conflit avec l'abbaye de Saint-Denis à propos de l'hostise tenue par Étienne Blancvilain.

 

 

Le vicomte Gui

C'est entre mars 1221 et mai 1224 que le vicomte Payen prit le froc de moine et laissa la vicomté de Corbeil à Gui son fils aîné. Ce qui montre l'expression «  Guido filius vicecomitis de Corbolio  » dans l'acte de février 1216. Gui vendit à Allelme Hecelin onze arpent de terre situés à Nogent dont cinq sont à La Riviere et les six autres à Estans au moulin de Baudouin moyennant 200 livres parisis.

Gui est cité avec son titre lors de l'accord passé en 1237, entre lui et sa femme Isabelle de Poissy, d'une part, et les religieux de Saint-Denis, de l'autre, pour convenir qui ceux-ci commettront un messier à la garde de leurs vignes au Pré-Saint-Gervais, Bruyères et autres lieux circonvoisins, et que le vicomte en mettra aussi un pour garder les vignes des mêmes terroirs qui sont en sa censive.

Isabelle était la fille de Simon de Poissy. C'est en juillet 1248 que celui-ci fit don à Saint-Denis de la mouvance du fief et dépendances sis au Pré-Saint-Gervais et environs, tenu par la vicomtesse de Corbeil dudit Simon qui le reportait en arrière-fief à l'abbaye. Par ce contrat, la vicomtesse et ses héritiers devaient à l'avenir faire hommage direct aux religieux.

 

Extrait de la carte de Cassini.

 

 

La charte des moines de Longpont

L'acte de mars 1244 prouve qu'Isabelle, vicomtesse de Corbeil était veuve de Gui et administrait les biens de ses enfants mineurs. Cette charte apparaît dans le second cartulaire du prieuré Notre-Dame de Longpont sous le titre «  Transaction touchant un pré à Essonne, au lieu dit les Fontaines, appartenant au couvent de Longpont  » (B.N. Nouv. Acquis. Lat., 932, fol. 10).

Voici la transcription latine de l'acte : «  O. p. l. i. Officialis Parisensis, in Domino salutem. Notum facimus quod, cum inter priorem et conventum de Longoponte, Parisiensis dyocesis, ex parte una, et Ysabellim, relictam defuncti Guidonis quondam vicecomitis Corboliensis pro se et liberis suis in labello suo existentibus ut dicitur, ex altera, orta esset materia questionis ut asseritur, super quibusdam pratis sitis ut dicitur prateria subtus Fontanas, contiguis molendinis novis dictorum monachorum super Essonam ut dicitur, quorum partem emerant dicti prior et conventus ut dicitur, et postea in quieta et pacifica possessione fuerant. In alia vero parte omnimodum aisenciam ad dicta molendina ab antiquis temperibus ipsi prior et conventus et eorum hospites de Vere Parvo habuerant ut dicitur. Quas possessiones et aesentiam dicta Isabellis ut dicitur, sine rationabili causa et minus juste et in eorumdem monachorum prejudicium et gravanem impediebat ut dicitur, et etiam perturbabat. Item super hoc quod ipsi monachi fuerant ut dicitur, a temporibus antiquis in possessione pacifica trahendi retia super rippam dicte aque a parte Fontaneti quam tractus possessionem ipsa Issabellis similiter ut dicitur petiebat. Tandem dicto priori cum quibusdam monachis suis, pro se et conventu suo ut dicitur, et dicta Issabellis, pro se et liberis suis, super dictum locum ut asserunt convenientibus, Arnulphus prior Longipontis, pro se et conventu suo predicto, ex una parte, et dicta Isabellis, pro se et liberis suis ut dicebant ex altera in nostra constituti presentia recognoverunt se super predictis, de bonorum virorum consilio, composuisse amicabiliter in hunc modum : videlicet quod, de consensu utriusque partis, mete dictorum prioris et conventus, ac dicte Domine er liberorum suorum fixe fuerint et posite ut dicitur, per quos fit defensio et separatio pratorum, dicte domine Isabellis et liberorum suotrum a pratis monachorum predictorum. Recognoverunt etiam dicti prior et Ysabelis coram nobis conventum esse inter eos, expressum pariter et consensum, quod dicti prior et conventus habebunt, et in perpetuum possidebint quiete et pacifice quicquid est ultra metas ex alia parte. De dicto vero tractu recium, recognoverunt dicti prior et Isabellis coram nobis in hoc concorditer convenisse quod dicta domina Ysabellis et heredes sui de cetero non poterunt impedire aut perturbare quominus dicti monachi possent perpetuo trahere recia sua super ripam Essone, ex parte Fontaneti : ita tamen quod dicta Isabelli dampnum non inferant vel gravamen. Promiserunt insuper dicti prior, pro se, et conventus, et dicta Isabellos pro se et liberis suis, videlicet dictus prior per stipulationem legitinam, et dicta Isabellis fide in manu nostra prestita corporali, quod contre premissa ut aliquid premissorum, per se vel per alium non venient in futurum. Datum anno Domini M°CC°XL° quarto, mense marcio ».

La traduction sommaire est la suivante. « A tous ceux que ces lettres verront, l'Official de la Curie parisienne, au nom du seigneur salut. Nous faisons savoir qu'entre le prieur et le convent de Longpont, au diocèse de Paris, d'une part, et Isabelle veuve de feu Gui de son vivant vicomte de Corbeil, tant pour elle que pour ses enfants dont elle a la tutelle, d'autre part, il est question de défendre en la matière relative au pré situé dans la prairie au-dessous de Fontaine, contigu du moulin neuf que les susdits moines possèdent sur la rivière d'Essonne, duquel pré une partie a été acquise par lesdits prieur et couvent et qui fut possédé pacifiquement par ceux-ci en toute quiétude. D'autre part, lesdits prieur et couvent ont toujours disposé du moulin depuis des temps immémoriaux et autant des hostises de Vert-le-Grand [Valgrand]. Ces biens sont revendiqués sans aucune justification par la susdite Isabelle et cela cause grand tort et préjudice aux susdits moines mettant les relations dans un grand désordre. Ces biens appartiennent aux moines, ils possèdent en toute quiétude depuis un temps immémorial le droit de traîner des filets de pêche sur les rives de la rivière à Fontaine, droit que dame Isabelle réclame la possession. À la fin, entre ledit prieur et les susdits moines tant en leur nom que pour leur couvent et ladite Isabelle tant en son nom que pour ses enfants, il est fait une convention. Arnoult, prieur de Longpont tant en son nom que pour le susdit couvent, d'une part, et la susdite Isabelle tant en son nom que pour ses enfants d'autre part, reconnaissent en notre présence, de façon précise entre hommes de bonne volonté, l'accommodement du différend est obtenu, c'est à savoir que, du consentement des deux parties, ledit prieur et le couvent et ladite Dame et ses enfants auront et posséderont d'une manière définitive et séparée les prés qui seront à ladite Isabelle et ses enfants et aux susdits moines. Et lesdits prieur et Isabelle reconnaissent et acceptent la convention faite entre eux, expressément par parties égales et conforme à leurs souhaits ; que lesdits prieur et couvent auront et posséderont à perpétuité en toute tranquillité ce qui est, d'autre part, convenu ci-après. En ce qui concerne le droit de pêche, ledit prieur et Isabelle acceptent devant nous cet accord et conviennent que ladite Dame Isabelle et ses héritiers ne pourront perturber la pose de filets de pêche par les moines sur les rives de la rivière d'Essonne hors de Fontaine, toutefois que cela ne soit pas au détriment d'Isabelle. Et ledit prieur, tant en son nom que pour le couvent et Isabelle tant en son nom que pour ses enfants promettent de respecter cet accord placé en nos mains que nul viendra compromettre à l'avenir. Fait en l'an de grâce 1244, au mois de mars.

Cet acte, qui se distingue entre tous par l'insistance systématique des réserves qu'y inséra le greffier de l'Official, montre que c'est entre 1237 et 1244 qu'il faut chercher l'année où disparut le vicomte Gui. Cette charte est également contenue dans le troisième cartulaire, donnée la même année, et se rapporte aux prés d'Essonne. C'est une transaction entre le prieuré de Longpont et Isabelle de Poissy, vicomtesse de Corbeil, au sujet des prés et de la pêche sur la rivière d'Essonne (charte XIV).

 

Extrait du cadastre napoléonien d' Écharcon.

 

Le scribe ne mentionne pas la paroisse, sinon que ce sont les prés sur les bords de l'Essonne en dessous de Fontaine. Nous savons que le prieuré de Longpont avait des biens à Vert-le-Grand qui est cité à propos des hostises et à Écharcon où un moulin à eau tourne sur la rivière. Il existe un chantier appelé «  les Fontaines sous la Montagne  » à Écharcon. La prairie dont il s'agit est, par conséquent, est située dans cette paroisse près du moulin.

La charte marque que le prieur de Longpont en fonction en 1244 se nomme Arnoult. Jules Marion ne cite pas ce nom dans la liste des prieurs. Nous connaissons Drogon, quinzième prieur installé en 1235 et son successeur Étienne d'Espinaille qui accéda au priorat en 1245 (3). Il convient donc d'insérer Arnoult compté comme le seizième prieur de Longpont.

À suivre…

 

 

Notes

(1) J. Depoin, Les vicomtes de Corbeil (Libr. Historique, Corbeil, 1917).

(2) Ce Payen, fils d'Anseau d' Étampes «  Isembardus, cognomento Paganus, filius Anselli  » fut, vers 1100, témoin avec Gui Lisiard, d'une donation d'une hostise et d'un arpent de terre à Savigny (charte CCLXXXIII). Il donna lui-même, vers 1130, sa part de l'église de Boudoufle aux moines de Longpont.

(3) J. Marion, Le Cartulaire du Prieuré de Notre Dame de Longpont de l'ordre de Cluny au diocèse de Paris (Impr. Perrin et Marinet, Lyon, 1879).