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Le prieuré Notre-Dame de Longpont

XXXI. Le péage de Paleau

 

Cette chronique est le trente-et-unième volet de l'histoire du prieuré Notre-Dame de Longpont décrivant trois chartes relatives au péage de Paleau situé dans le Gâtinais (com. Ballancourt-sur-Essonne, cant. Mennecy, arr. Évry).

 

C.Julien __Juin 2014

 

 

Toponymie

Sur le cadastre napoléonien de Ballancourt, nous trouvons les toponymes des chantiers et des chemins suivants : le petit Marais de Paleau, la Chapelle de Paleau, le bas de Paleau, chemin du moulin de Paleau à la Chapelle, moulin de Paleau sur la rivière d'Essonne, chemin du reposoir de Paleau à Ballancourt. La commune est située à la confluence de la Juine et de l'Essonne. Ces deux rivières possèdent de nombreux bras et des îles qui forment un milieu humide très étendu.

Les chartes de Longpont concernent un droit nommé successivement «  portus de Palvello  » (chartes CCX, CCXIV), et «  portum de Palvel  » (charte CCXV). Selon le Dictionnaire latin-français de Gaffio , portorium ( portus ou porto ) désigne le péage d'un port, droit d'entrée et de sortie (douane), péage en général, droits : portorium cicumvectionis , la taxe de circulation des marchandises. Le toponyme du lieu viendrait de «  palus , paludis » , s. f., marais, étang alors que «  paluster, palustris  » signifie marécageux et «  palustria  », lieux marécageux, marécages. C'est-à-dire que Paleau est situé au milieu ou proche les marais de la vallée de l'Essonne.

Paleau est situé à peu près à mi-distance sur la route de Corbeil à Étampes, plus précisément à douze kilomètres au sud-ouest de Corbeil et à vingt kilomètres au nord-est d'Étampes (par la route départementale D191). Paleau est par conséquent le lieu sur la frontière des anciens comtés de Corbeil et d'Étampes. Faisant partie du premier domaine capétien, le fief d'Étampes était administré par des chevaliers, officiers royaux. Le roi Philippe 1er et son fils Louis VI le Gros en firent leur résidence comme attestée par les nombreux diplômes donnés dans cette ville. Par contre, Corbeil était le chef-lieu du comté du même nom cédé par Hugues le Grand, duc des Francs qui en investit Hamon, premier comte, vers 950.

Si l'on se rapporte à une ancienne carte postale publiée, vers 1900, par Paul Allorge à Montlhéry, il y avait une foire et un pèlerinage à Paleau-la-Chapelle, le cinquième dimanche après Pâques et le premier août. Ces foires étaient accordées par l'autorité féodale moyennant une redevance payée par les marchands au prorata des marchandises transportées.

Signalons enfin, que Jules Marion, l'éditeur du Cartulaire de Longpont, hésita pour définir le «  portus de Palvello  » comme pouvant être le Pavillon (comm. d'Étiolles, cant. d'Évry, Essonne) ou Palleau-la-Chapelle (comm. de Ballancourt, arr. de Corbeil). Quant à Joseph Depoin, nul doute pour attribuer cette dernière hypothèse, pour la bonne raison que les chevaliers d' Étampes sont impliqués au premier chef dans ces chartes.

 

 

 

La donation du péage de Paleau

En réalité, le péage de Paleau était la copropriété de deux familles seigneuriales dont les fiefs étaient situés de part et d'autre de la frontière des comtés. La première moitié du péage fut donnée, vers 1105, par le prévôt Landry, l'un des chevaliers vassaux des seigneurs de Montlhéry. Il semble que Landry possédait ce droit en plein fief. Le texte de la charte CCX transcrit par Jules Marion est le suivant «  Landricus, prepositus, dedit Deo et sancte Marie de Longo Ponte, et monachis ejusdem loci, medietatem portus de Palvello, quem ipse optinebat, et hoc donum concesserunt Adales, uxor ejus, et filii ipsius, Wlgrinus et Radulfus. Quod viderunt et audierunt hii testes : Radulfus de Sollario ; Tebertus Speculator ; Gislebertus, clyens ipsius Landrici ; Hugo Bocellus  ».  

La traduction sommaire donne : «Le prévôt Landry donna à Dieu et à Sainte Marie de Longpont et aux moines de ce lieu, la moitié du péage de Paleau, qu'il tenait par devers lui, et sa femme Adales et ses fils Ougrin et Raoul approuvèrent cette donation. Ceux qui ont vu et entendu cette chose : Raoul de Solaire, Tebert Speculator, Gislebert, vassal de Landry et Hugues Bocel».

Landry est qualifié «  praepositus  » qui, dans le latin médiéval signifie le chef, le commandant, l'officier et proposé, ou l'intendant. Selon l'usage féodal, le bien n'appartenait pas à un homme, mais à la famille, c'est-à-dire aux héritiers putatifs; ainsi Landry ne pouvait faire le legs sans l'accord de sa femme et celui de ses deux fils. Nous le rencontrons dans plusieurs chartes du prieuré de Longpont. Il était de naissance aristocratique et était un familier à la cour «  familia  » du seigneur de Montlhéry, Guy Troussel. Son autorité de suzerain est attesté dans notre charte puisque l'on trouve le témoin Gislebert, vassal (ou protégé) de Landry « clyens ipsius Landrici  ». Selon Niermeyer, le terme «  clyens  » implique l'expression «  capitalis dominus  » qui peut revêtir deux sens très différents : soit seigneur de corps, c'est-à-dire seigneur dont la seigneurie s'exerce non pas sur un bien immobilier, mais sur une personne (voire sur d'autres biens mobiliers tels que les chevaux et les bœufs; au titre de quoi le seigneur perçoit le chevage ); soit seigneur principal ou premier seigneur ou suzerain.

Vers 1100, le prévôt Landry «  Landricus, prepositus » est témoin accompagné du régisseur Ascelin et du prévôt Duran [de Montlhéry] lors de la cérémonie célébrant la donation d'un pré à Lysui de Longpont chargé de quatre deniers de cens par le prieur Henri (charte CXII). Vers 1105, il assiste à l'arbitrage par Gui Troussel pour éteindre une dispute entre les moines de Longpont et Gautier de Châtres pour les limites de la terre d'Holdelburge située à Savigny (charte CLXXIV) ; puis lors de la confirmation de la donation du droit de passage et le labour de la terre Ver par le seigneur Gui Troussel et Mabilia, sa femme, avait donné à Dieu et Sainte Marie de Longpont (charte CC). Vers 1105, Landry est le premier témoin pour assister Guy Troussel qui fonde son anniversaire en léguant une partie de son clos de vigne à Champlan avec cinq arpents qui rendent un cens de cinq muids de vin (charte CCXXI).

La présence de Raoul de Solaire (Solers, arr. Melun, Seine-et-Marne) signifie que le donateur pouvait être natif du Gâtinais. Tebert Speculator ne nous est connu que par cette charte. Par contre, il est question d'Hugues Bocel « Hugo Bocellus » dans la charte XLII, où il apparaît comme l'un des chevaliers de Montlhéry.

 

Extrait du cadastre napoléonien de Ballancourt-sur-Essonne (22 juillet 1823).

 

 

La donation du second lot

La seconde partie du péage appartenait aux chevaliers étampois, officiers et chambellan du roi. La première part étant tombée dans les mains des moines de Longpont, il ne faisait aucun doute que l'autre part leur arrivât tôt ou tard. Vers 1110, l'un d'eux Godefroy d'Étampes donna sa part du péage de Paleau (charte CCXIV).

«  Godefredus, filius Teudonis de Stampis, dedit Deo et sancte Marie de Longo Ponte, et monachis ejusdem loci, medietatem portus de Palvello; et per Moreherium, militem, de Balisi, misit donum apud Longum Pontem, quod ex sua parte super altare sancte Marie poneret. Et hoc donum concesserunt uxor ipsius Godefredi et Teudo, filius amborum. Hujus rei sunt testes: Ansellus, monachus; Mainerius, filius Alberti; Guido, frater ejus; Arnulfus Ruffus, de Alvers; Moreherius, miles; Paganus, filius Anseis  ».

La traduction sommaire donne : «Geoffroy, fils de Thion d'Étampes, a donné à Dieu, à Sainte-Marie de Longpont et aux moines de ce lieu, la moitié du péage de Paleau ; et par l'intermédiaire du chevalier Morhier de Balisy mit l'acte de donation à Longpont qu'il posa de sa part sur l'autel de Sainte Marie. La femme dudit Geoffroy et son fils Thion autorisent cette donation tous deux ensemble. De quoi sont les témoins : le moine Ansel, Mainer, fils d'Aubert, Gui, son frère, Arnulf Le Roux d'Auvers, le chevalier Morhier, Payen, fils d'Anséis».

Selon Depoin, Thion 1er d'Etampes «  Theudo miles Stampensis  » eut plusieurs fils dont Orson II «  Ursionis  », Haymo «  Teudo et filius ejus Haimo  » et Geofroi ou Gaufroi «  Godefredus filius Teudonis de Stampis  ». Cette famille était une branche issue des Le riche de Paris, dont nous connaissons les ancêtres, Ansoud et Reitrude qui avaient possédé une partie du dénombrement du fief épiscopal dans le Hurepoix. Geoffroy possédait à Palleau des droits qu'il concéda à Notre-Dame de Longpont, du consentement de sa femme et de son fils Thion III . Ne pouvant se rendre lui-même au monastère, il chargea Morhier, chevalier de Balizy, de déposer pour lui l'acte de donation sur l'autel de Notre-Dame. Gaufroi tenait ces droits en fief de Thion II, fils d'Ours ou Orson II , son cousin germain, qui confirma sa libéralité en présence de: Simon Château, Thomas de Bruyères-le-Châtel, Roger et son fils Gautier de Saint-Yon, et autres.

La famille des Morhier n'est pas inconnue pour les moines de Longpont. Elle semble très liée avec les chevaliers d'Étampes dont Ougrin Le Riche et son frère Aymon qui se sont présentés comme les témoins de Notre-Dame de Longpont quand les trois frères Morhier, Amaury, Pierre et Geoffroy, fils de Thibaud de Mur, approuvèrent, en tant que premiers seigneurs, la donation de la terre dite « Lysin de Longpont » par Geoffroy Turpin et sa femme Doda. Dans cet accord entre les frères Morhier et le prieuré Notre-Dame de Longpont, l'un de leurs pleiges ou garants se nomme «  Marcus filius Roscelini  » (charte CIX).

 

 

Concession du droit féodal

Après avoir accueilli les droits de péage de Paleau, les moines de Longpont s'adressèrent au premier seigneur pour en recevoir tous les droits féodaux. Nous trouvons ainsi toute l'étendue du droit féodal, c'est-à-dire le donateur lié à sa famille et à son suzerain. Vers 1110, le chevalier Theudon d' Étampes concède son droit de suzeraineté sur le péage de Paleau donné par son fils Geoffroy (charte CCXV). «  Theudo, filius Ursi de Stampis, concessit Deo et sancte Marie de Longo Ponte, et monachis ejusdem [loci], portum de Palvel, quem Godefredus predictis monachis dederat, qui eundem portum ab ipso Teudone in feodo tenebat. Hujus autem concessionis sunt testes isti: Symon Castellus; Radulfus de Ivrini; Thomas de Brueriis; Rogerius de sancto Yonio; Galterius, filius Rogerii de sancto Yonio; Arnulfus, major; Robertus, famulus; Rogerius Huret  ».

En voici la traduction : «Thion, fils d'Ours d'Étampes, a autorisé la donation du péage de Paleau qui avait été faite par Godefroy en faveur de Dieu et de Sainte-Marie de Longpont et des moines de ce [lieu], et qu'il tenait de lui en fief. Les témoins de cette concession : Simon Château, Raoul d'Ivry, Thomas de Bruyères, Roger de Saint-Yon, Gautier, fils de Roger de Saint-Yon, le régisseur Arnulf, le serf Robert et Roger Huret».

La concession de Thion (ou Teudon) est encore une fois l'occasion de se faire valoir auprès des moines de Longpont et leur demander de s'interposer entre le donateur et Dieu. Le premier témoin est un familier du prieuré de Longpont, le riche seigneur d'Orsay Simon Château dont les parents et lui-même furent très généreux avec les moines. À ce propos, Joseph Depoin semble avoir fait une erreur quand il désigne «  Symon Castellus »  comme le châtelain Simon de Neauphe en ajoutant «  (de Nealfa)  » dans la transcription latine.

Parmi les témoins, figurent Roger de Saint-Yon et son fils Gautier. Roger surnommé Payen, «  Rogerius de Sancto Ionio, qui vocatur Paganus  » est cité à plusieurs reprises pour avoir souscrit des actes à Longpont. Vers 1090, il assiste Arnaud Malviel qui se plaint de l'attitude des gens du prieuré vis-à-vis de ses serfs devant les chevaliers Tevin de Forges et Rainald de Breuillet nommés pour arbitrer le conflit (charte LIV). Vers 1100, les fiançailles de Roger de Saint Yon avec Adélaïde, fille de Tevin de Forges sont célébrées à Longpont. À cette occasion Tevin avait doté le prieuré d'un patrimoine considérable consistant en l'église de Forges avec l'atrium, le cimetière et la dîme. Il semble qu'Adélaïde était la fille unique de Tevin puisque celui-ci abandonnait également une terre pour une charrue, le bois nécessaire et même les serfs, plus le four, l'étang le moulin de Forges (charte CCCXXXIII).

Vers 1100, le même Payen de Saint-Yon et Hugues Chamilli sont aux côtés du prieur Henri quand Tescelin, fils de Foulques de Buno confirma le legs de deux arpents de prés par le vicomte Aymon, son ancêtre (charte LXXXV). Quinze ans plus tard, le diplôme de Bernard de Chevreuse désigne Aymon et Hugues, les frères de Payen de Saint-Yon «  Pagano de Sancto Yonio; Aymone et Hugone, fratribus ejus » (Charte CCLVI). Ces trois personnages sont une fois de plus devant l'autel de Longpont quand Marie de Breuillet cède la moitié de la terre de Soligny (charte CCLXXIV).

À suivre…

 

 

Notes

(1) J. Marion, Cartulaire du Prieuré de Notre-Dame de Longpont de l'Ordre de Cluny (Impr. Perrin et Marinet, Lyon, 1879).

(2) J. Depoin, La chevalerie étampoise (Libr. Alphonse Picard, Paris, 1910).