Le prieuré Notre-Dame de Longpont

VI. Chartes relatives à Guiperreux

Chronique du Vieux Marcoussy --Marcoussis--------------- --_-------------------------------------Mars 2010

 

Plan du cadastre napoléonien de Guipereux à Longpont (1811).

C. Julien

 

Cette chronique est le sixième volet de la série des textes qui exposent les chartes du prieuré bénédictin Notre-Dame de Longpont. Ici, nous présentons cinq chartes relatives à Guiperreux, hameau de la commune de Longpont-sur-Orge. Au Moyen âge, Guiperreux était, en partie, fief de la seigneurie ecclésiastique de Longpont. D'autres communautés religieuses possédaient des héritages dont le chapitre de Linas, l'abbaye des Vaux de Cernay et la collégiale Saint-Spire de Corbeil. La fabrique Sainte-Trinité de Montlhéry avait également reçu quelques terres à Guiperreux.

 

 

Guipperreux selon l'abbé Lebeuf

Le toponyme de Guiperreux vient d'un passage à gué sur la rivière d'Orge, en langue latine «  Vadum Petrosum  », c'est-à-dire le " gué pierreux " (1). Autrement dit, on franchissait l'Orge par ce passage empierré, et ceci aux époques les plus reculées. En consultant l'ouvrage d'Albert Dauzat, nous trouvons que le toponyme, la Guayère , nom d'un chantier de Guiperreux, proche du pont de Grotteau, désigne également un gué .  

Guiperreux est certainement le plus vieux hameau du territoire où des " pourpris de masures " étaient installés avant le Xe siècle. Le passé lointain de Guiperreux est ignoré. Par la faute des incertitudes nombreuses qui demeurent, reportons nous à ce qu'avait écrit l'abbé Lebeuf. L'historien du diocèse de Paris cite «  Guéperreux  » en ces termes « … il faut observer une chose importante sur Guéperreux, sçavoir que ce village avoit été donné dès l'an 997 par le roi Robert, encore tout jeune, à l'abbaye de Saint-Barthelemi située à Paris…  ». Puis, de nous dire « Guiperreux était fortement peuplé puisqu'une petite église, une celle ou une chapelle fut construite à Guiperreux dès le début de la christianisation du nord Hurepoix. On peut situer cette construction au Ve ou au VIe siècle  ».

Que dire à ce sujet  ? Nulle trace de construction, nul écrit, nulle allusion, si ce n'est la présence d'un vieux puits et la dédicace à saint Barthélemy de la paroisse de Longpont. Notons que le sanctuaire de la paroisse était abrité par l'église conventuelle Sainte-Marie de Longpont «  ecclesia sancte Marie de Longoponte  ». Ainsi les actes des XIe-XIIe siècles n'évoquent pas la paroisse Saint-Barthélemy. Il faudra attendre les visites de l'archidiacre de Josas au XVe siècle pour en avoir connaissance. Le procès-verbal de la visite du 6 octobre 1461 mentionne « in prioratu de Longoponte,  in parrochiali altari, funda in honore beati Bartholomei  », il s'agit bien de l'église de Longpont dont l'autel paroissial est sous l'invocation de Saint-Barthélemy.

Alors que penser sur cette question ? Ce qui peut être troublant est la permanence de la double dédicace de l'église de Longpont. En tant que couvent, l'église priorale fut consacrée à Sainte Marie alors que Cluny était placé sous le vocable de saint Pierre et saint Paul qui pourrait être symbolisés par les deux statues représentant les apôtres du portail de Longpont. Les fondateurs auraient ainsi repris la dédicace de la chapelle primitive vouée à «   la Vierge qui enfantera  ». La double dédicace permettait les visites de l'évêque de Paris sans interférer avec les affaires ecclésiastiques des Clunisiens. En honorant saint Barthélemy, vocable de la paroisse primitive des bords de l'Orge, la séparation des fonctions était assurée et préservait les intérêts de chacun (2).

 

 

Les donations d'un bourgeois de Montlhéry

Sans le nommer précisément, le terroir de Guiperreux est fortement suggéré dans les cartulaires de plusieurs monastères du Hurepoix. Avant d'évoquer les chartes de Longpont, intéressons-nous à la charte (n°DI) de l'abbaye Notre-Dame des Vaux de Cernay donnée en juillet 1250 par l'official de Paris confirmant le legs par Guillaume de Trappe, bourgeois de Montlhéry, de six arpents de prairie sur les bords de l'Orge «  Carta officialis Parisiensis, de VI arpentis pratorum apud Montem-Letericum, ex dono G. de Trapis  » (3).

Voici la version latine, transcrite par Merlet : "Universis presentes litteras inspecturis, officialis curie Parisiensis, in Domino salutem : Notum facimus quod Guillelmus de Trapis, burgensis de Monte-Letherico, et Odelina, uxor sua, legaverunt religiosis viris abbati et conventui monasterii Vallium Sarnaii quandam peciam prati, ad opus anniversarii ipsorum Guillelmi et ejus uxoris, continentem, ut dicitur, sex arpenta vel circiter, sitam in ripparia de Ourge , inter molendinum de Basset et molendinum de Grootel, contiguam pratis militum de Sancto Michaele, ut dicebant, in censiva dominorum Philippi de Linais et Gilonis, patrui ipsius Philippi, ac Robini, nepotis ipsius Gilonis, armigeri, ad duodecim denarios capitalis census, ut dicebant. Promittentes, etc................

Dictus autem dominus Philippus et nobilis mulier domina Petronilla, uxor sua, voluerunt et concesserunt expresse legatum hujusmodi, et quod dicti religiosi in perpetuum teneant et possideant dictum pratum, cum ad eos fuerit devolutum, post mortem dictorum Guillelmi et ejus uxoris, in manu mortua, sine coactione vendendi seu extra manum suam ponendi, salvo eis solummodo dicto censu ; promittentes, fide data, contra hec non venire. Datum anno Domini millesimo ducentesimo quinquagesimo, mense julio ".

En voici la traduction : « À tous, que ces présentes lettres, verront, l'official de la cour épiscopale de Paris, salut. Nous faisons savoir que Guillaume de Trappe, bourgeois de Montlhéry et Odeline sa femme ont légué une pairie en une pièce aux religieuses personnes, abbé et couvent des Vaux de Cernay pour célébrer l'anniversaire de Guillaume et sa femme. Ce sont six arpents ou environ situés sur les bords de l'Orge, entre le moulin de Basset et le moulin de Grouteau, contigus aux prés des chevaliers de Saint-Michel, lesquels composent la censive du seigneur Philippe de Linas, de Gilles, père de Philippe et de l'écuyer Robin, neveu de Gilles, rendant douze deniers de cens.

Le susdit seigneur Philippe et sa noble épouse Pétronille consentirent et concédèrent, par l'intermédiaire expresse d'un testament, que les susdits religieux auront et possèderont ladite prairie après le décès de Guillaume et sa femme, qu'ils la tiendront en mainmorte, sans être contraints de vendre et de le mettre en d'autres mains, le droit censuel sera conservé. Ils promettent d'être fidèles contre toute vente.

Fait l'année d'incarnation du Seigneur mil deux cent cinquante au mois de juillet   ».

 

Cailles dans les herbes, "De Proprietatibus rerum", avant 1416, BNF

 

La prairie dont il est question est située sur la rive gauche de l'Orge. En effet, la charte (n°DX), de décembre 1250, du même couvent, confirme la donation de cette fameuse prairie en pure et perpétuelle aumône au seigneur abbé et au couvent des Vaux de Cernay «  in puram et perpetuam elemosynam, abbati et conventui Vallium Sarnaii, quedam prata  » en précisant cette fois la situation sur les bords de l'Orge en dessous du village que l'on appelle Guiperreux, proche du moulin de Basset, c'est-à-dire six arpents ou environ, en la censive du seigneur de Linas « que habebant in riparia de Ourge, subtus villam que dicitur Vadum-Petrosum, prope molendinum quod dicitur Basset continentia, ut dicitur, sex arpenta vel circiter, in censiva dominorum de Linais  ».

Cette charte n°DX des Vaux de Cernay nous informe de l'existence, dès le XIIIe siècle, du moulin de Basset en amont du moulin de Groteau dont nous connaissons l'incorporation dans le temporel du prieuré de Longpont dès 1074. Cette dernière usine aurait été construite dès 990 quand Thibaud, seigneur de Bray, s'installa sur la colline de Montlhéry.

Ainsi dès le XIIe siècle, Guiperreux était considéré comme un village «  villam  », ensemble de plusieurs hostises agglutinées le long de l'actuelle rue Julien Hébert, autrefois «  la Grand 'rue  ». De plus, la charte n°DX donne une information très importante quant à la situation des chantiers de Montlhéry. Citons : «  Et duo arpenta vinee site in territorio de Foens , in duabus peciis, videlicet unum arpentum in censiva dictorum religiosorum, et aliud arpentum in censiva domini de Guillervilla, militis, onerata de duodecim denariis census, ut dicitur, capitalis ; que omnia movebant de conquestu eorum facto, constante matrimonio inter eos, ut dicebant  ». C'est-à-dire : et deux arpents de vigne, en deux pièces sises au terroir de Fous, dont un arpent est situé en la censive des susdits religieux et le second arpent en la censive du seigneur de Guillerville, chevalier, rendant douze deniers de cens, et que tout ces biens sont mouvants du fait de son acquisition, agrandissant son patrimoine.

 

 

La donation d'Aveline Pinel

Penchons-nous maintenant sur le cartulaire du prieuré N.-D. de Longpont (4) . En 1070, Aveline, fille de Gautier Pinel fonde plusieurs obits auprès des moines de Longpont en donnant plusieurs biens. Cette dame se préparait pour la vie éternelle en confiant son âme à Dieu par l'intermédiaire des moines de Longpont chargés de dire et chanter des messes en sa faveur. Ce sont cinq hostises de terre d'une demi charruée à Fontenelles dont celles tenues par Oylard et Hunald et un pré à Guiperreux (5) . L'acte est mis dans les mains d'Étienne, troisième prieur conventuel de N.-D. de Longpont.

Voici le texte de la charte n°LXXIV (cartulaire A), transcrite par Jules Marion : «  Avelina, filia Galterii Pinelli, dedit Deo & sancte Marie de Longo Ponte, & monachis ejusdem loci, v hospites, terram ad dimidiam carrucam ; apud Fontenellas, duos hospites, Oylardum scilicet & Hanaldum ; apud Vadum Petrosum, prata. Hoc beneficium sancte Marie, atque priori Stephano, & aliis monachis maxime concessit, ut uno quoque [annos] anniversaria faciant pro Gauterio, patre suo, & matre ac fratre suo, Guidone, &, post suum obitum, de illa monachi memoriam hebeant. Hujus rei sunt testes hii, ex illius parte : Frogerius, Ansaudus, Robertus, filius Hescelini ; Joscelinus ; ex parte monachorum : Harduinus, presbiter ; Ilbertus, Benedictus, Georgiusv Rimbaldus, Josbertus, Hilduinus, Bernardus, Radulfus  ».

La traduction donne : « Aveline, fille de Gautier Pinel donna à Dieu, à Sainte Marie de Longpont, et aux moines de ce lieu, cinq hostises de terre d'une demi charruée sises à Fontenelles, dont deux hostises tenues par Oylard et Hunald et un pré situé à Guiperreux. Pour le bénéfice de Sainte Marie, le prieur Étienne et tous les autres moines consentirent pour consacrer, pendant un an, l'anniversaire fondé pour Gautier, son père, et la mère de son frère Gui, et après sa mort, de cela les moines auront la mémoire. Les témoins de cela sont, de la part d'Aveline : Froger, Anseau, Robert, les fils d'Hescelin, Joscelin, de la part des moines : le prêtre Hardouin, Hilbert, Benoît, Georges, Rimbaud, Josbert, Hilduin, Bernard et Raoul».

Cette charte confirme l'importance des prairies de la vallée de l'Orge. Celles situées à Longpont-Guiperreux étaient renommées pour la qualité de l'herbe et des fourrages. Nous avons appris que le chapitre de Linas y possédait une censive ; plus tard, la fabrique de Montlhéry recevra également des redevances féodales sur les bords de l'Orge.

C'est bien un legs important que reçoit la communauté des Clunisiens de Longpont, plus d'une trentaine d'arpent avec les bâtiments de ferme et leurs habitants ; car à cette époque, bien qu'ayant le statut d'hôtes, les paysans n'étaient pas libres de leurs mouvements sur l'espace des seigneuries. Au Moyen âge, on parle de manse (d'où dérive le toponyme Mesnil ) qui est l'unité de tenure concédée par le maître du domaine au paysan moyennant des redevances et des corvées. C'est aussi l'unité d'exploitation car composée d'habitations, de bâtiments d'exploitation et de terres et une unité fiscale.

 

Ruralium commodorum opus (vers 1330-1340).

 

De nombreux textes médiévaux font état de «  herbergage  » qui peut être traduit par hostise. Selon Du Cange, le terme «  herberjagium  » désigne une habitation rurale, tenure paysanne avec habitation et terres ; le terme peut s'appliquer également à une maison de maître, dont dépendent des tenures. En juillet 1290, Isabelle, veuve de Denis de Maubuisson, vendit à l'abbaye de Saint-Denis, pour 60 livres parisis, la sixième partie d'un fief près Louveciennes « … c'est asavoir du herbergage qui fu damoiselle Mahaut de Maubuisson, de soissante quatre arpenz de bois ou la entour, du vivier assis dedenz le bois, du four de Maubuisson, de quatre vins hostises ou la entour…  ».

Pour terminer, parlons de cette famille Pinel. Vers 1112, un nommé Gui Pinel assiste en compagnie de tous les chevaliers de Montlhéry, le seigneur Milon II de Bray qui confirme les donations faites par ses parents. Vers 1105, ce Gui, fils de Gautier Pinel et d'Aveline, prit les habits de moine à Longpont avec son frère nommé Evesgod. La forêt de Séquigny et les communaux attachés constituèrent leur dot. Plus tard, les deux autres frères, Hescelin et Hugues donnèrent tout nécessaire pour les constructions, celui des pour les échalas et des clôture ainsi que tout le bois mort pour le chauffage des moines. Avant de prendre le froc, ce Gui Pinel avait donné les hostises d'Osmond et d'Hubert le pelletier avant de partir pour le voyage à Jérusalem.

 

 

Legs d'une vigne par Mélisendre

Voici le texte de la charte n°XCII (cartulaire A), transcrite par Jules Marion : «  Notum sit omnibus hominibus pactum quod habuerunt inter se Johannes, cognomine Beroardus, uxorque ejus, Milesendis, cum monachis sancte Marie de Longo Ponte ; scilicet de quadam vinea quam habebant juxta vineam eorum, apud Vadum Petrosum. Hanc igitur vineam cupientes habere Johannes uxorque ejus sueque adjundere, ab illis quisierunt quatenus eam sibi tali pacto concederent ut vineam quam habebant, que suit Galardonis, ilico acciperent & XII im nummos, pro remedio anime sue, censuales, quos sibi reddebant, uno quoque anno, &, post excessum cujuslibet eorum, ipsam vineam ecclesia heberet : post excessum vero alterius, alteram partem vinee, quam diu possederant, ecclesia simili modo heberet, &, terram quam habebant de Odone, Huldeberti filio, ad censum sex denariorum, & prata que possidebant ad censum de monachis illis, post excessum supradicti Johannis, ecclesia omnino haberet. Illis igitur monachis hanc convencionem concedentibus, pluribus viris audientibus, quosdam eorum descripsimus : Harduinum, capellanum de sancte Marie de Longo Ponte ; Olgrinum, presbiterum de Lynais ; Gaufredum, majorem sancte Marie ; Serannum, servientem ; Umbertum, fratrem Harduini ; Petrum, famulum sancte Marie ; Araudum, pistorellum sancte Marie  ».

La traduction donne : «Nous faisons remarquer à tous les hommes qu' une convention est faite entre Mélisendre, la femme de Jean, surnommée Beroard, et les moines de Sainte Marie de Longpont ; au sujet d'une vigne possédée à côté de la vigne située à Guiperreux. Par cela, l'épouse de Jean souhaite y joindre sa vigne dans la mesure où, la convention accordant la vigne qu'elle avait, que Galardon accepte sur le champ et douze sous de cens qu'il rend chaque année pour le salut de son âme, et après la mort, cette vigne appartiendra à l'église, après la mort de l'un des deux [époux] une autre vigne qu'ils avaient depuis longtemps, à l'instant reviendra à l'église de la même manière, et la terre tenue par Odon, fils d'Huldebert, chargée de six deniers de cens, et un pré dont le cens est payé aux moines, reviendra à l'église après la mort du susdit Jean. De cette convention accordée aux moines, de nombreux hommes entendirent la description : Harduin chapelain de Sainte-Marie de Longpont, Olgrin prêtre de Linas, Geoffroy régisseur de Sainte-Marie, Seran serviteur, Umbert frère d'Hardouin, Pierre serviteur de Sainte-Marie et Araud, boulanger de Sainte-Marie ».

Le don de cette vigne avec ses droits féodaux attachés est daté vers 1100 par l'auteur du cartulaire. Le hameau Guiperreux était célèbre pour son vignoble car la terre de groue (ou grouette ) était favorable à la viticulture. Les chantiers des Provins, des Fleurances, des Graviers, de l'Effondrée sur Longpont, jouxtant ceux du Pressoir-le-Roy et les Graviers de Bizon sur Montlhéry, bien orientés sur les pentes de la vallée de l'Orge étaient exploités par les vignerons des deux villages.

Dans le terrier du XVe siècle, les baux à cens et à rente mentionnent le paiement du «  droit d'amortissement de pressoir  » sur les chantiers du terroir de Guiprreux.

 

 

La donation de Foulques de Buno

La charte n°CI du cartulaire A se rapporte au legs de deux hostises à Guiperreux. Voici le texte de la charte transcrite par Jules Marion : «  Fulco, dominus de Buno, jacens in infirmitate qua mortuus est, dedit Deo & beate Marie de Longo Ponte duos hospites ad Guadum Petrosum. Hujus doni sunt testes : Rainaldus, filius majoris ; Johannes, filius Garnerii  ».

La traduction donne : « Foulques, seigneur de Buno, malade et attendant la mort , donna à Dieu et à la bienheureuse Marie de Longpont, deux hostises à Guadum Petrosum. Les témoins de cela : Rainald fils du régisseur et Jean fils de Garnier».

Le texte de cette charte est l'un des plus court du cartulaire de Longpont. Aucune date n'est donnée pour cet acte. On notera que Guiperreux est cité comme «  Guadum Petrosum  », au lieu de «  Vadum Petrosum  ». Le donateur est Foulques qui se préparait à «  passer dans l'autre monde  ». Ce chevalier est le seigneur de Buno «  dominus de Buno » en latin, hameau de la commune de Buno-Bonnevaux (cant. Milly-la-Forêt, Essonne). Il n'est pas étonnant de voir le chevalier de Buno à Longpont. Nous avons appris par une charte précédente que les moines possédaient de nombreux biens dans le Gâtinais et la vallée de l'Essonne.

Au commencement du XIIe siècle, Tescelin, fils de Foulques de Buno approuva la donation faite par le vicomte Aymon, de deux arpents de prés à Buno-Bonnevaux (charte LXXV du premier cartulaire). Le scribe mentionna le hameau de «  Bunum  ». En ce qui concerne la charte de Tescelin, l'acte avait été reçu par le prieur Henri dans l'église de Montlhéry. Nous ne connaissons pas la date exacte, mais il est probable que Foulques de Buno soit mort peu avant 1100, puisque le consentement du legs précédent avait été seulement donné par son fils, dont le bien était tombé dans sa mouvance.

Les personnages cités, agissant comme témoins, sont au nombre de deux seulement. Nul chevalier «  milite ou dominus » n'est mentionné. Seuls, Rainald le régisseur du domaine des moines dans le Gâtinais et Jean, fils de Garnier sont nommés. Vers 1090, sous la qualité de serviteur, puis de régisseur, Garnier est cité de nombreuses fois dans les chartes de Longpont :

•  lors du don de 10 sols sur la couture, sous la partie orientale de la forêt de Montlhéry et le legs du fief de Basset à Brétigny et de toute la dîme, du cimetière et du bois de Bondoufle par Eustachie, sœur de Burdin Lisiard.

•  lors de la donation d'un arpent et demi de terre à Savigny donnant 3 muids d'avoine, pains et chapons et 12 sols de cens à prendre sur les hostises à Villarceau par Ermengarde, surnommée Papasola, et son fils Philippe.

•  en compagnie des serviteurs Robert et Bernard, lors du legs de la moitié de la dîme de Montéclin et des deux parts de dîme à Vauboyen par Teulfus prenant les habits de moine à Longpont.

Ce Jean, fils de Garnier «  Johannes, filius Garnerii, famuli  » est présent à Longpont, en 1150, lors de la donation de la sixième part de dîme levée dans la paroisse de Montlhéry par le chevalier Guillaume Cochivis. Thibaud, évêque de Paris, en tant que supérieur ecclésiastique avait autorisé ce legs (6).

 

 

Le temporel de Saint-Spire de Corbeil

Sous le titre « Littera de terre de Vado Petroso » donné par l'auteur du cartulaire de Saint-Spire de Corbeil, l'official présente les lettres concernant la terre de Guiperreux datées de janvier 1259 (7). Dans la notice de présentation, nous lisons «  Saint-Spire présente les traits les plus typés de la collégiale castrale fondée et soutenue par une dynastie de petits comtes d'Île-de-France autour de reliques, celles de saint Exupère et de saint Loup, évêques de Bayeux, déplacées et captées. C'est la seule tradition qui indique le comte Aimon de Corbeil comme fondateur, en 963  ».

Les actes de don n'apparaissent qu'à partir de 1183, enrichis, au cours des années 1150-1250, de textes réglementaires, de dispositions diverses sur les prébendes, mis par écrit sous la double pression de l'évêque, détenteur du droit de visite, et du roi, qui tient solidement son pouvoir de nomination de l'abbé. Les périodes où Corbeil entrent dans le douaire de la reine Adèle, mère de Philippe Auguste, ne voient bien sûr aucun changement de fond au statut et à la dépendance de la collégiale. On peut avoir une idée assez précise de l'implantation foncière de l'établissement à la fin du XIIe siècle grâce à une bulle de Célestin III de 1196 par laquelle le pape prend sous sa protection l'église de Saint-Spire et son temporel. Le pape confirmait la villa de Ballancourt, des hôtes à Fontenay-le-Vicomte, Chevannes et Soisy-sur-Seine, la villa de Villededon, diverses possessions à Évry, à Villarcel et Arpajon.

Voici la charte n°CIV (publiée pour la première fois par E. Coüard-Luys) relative à Guiperreux : « Universis presentes litteras inspecturis officialis curie Parisiensis salutem in Domino. Notum facimus quod in nostra presencia constituti Dominus Theolbaldus de Videles, presbiter, Stephanus ejus frater, Johannes Rousel, et Johannes de Excorciaco, armigeri, asseruerunt quod habebant et possidebant apud Vadum Petrosum septem arpenta dimidio quarterio minus prati siti retro clausum monachorum de Longuo-Ponte, et tres dreturas cum hostisiis pertinentibus ad easdem, item viginti sex solidos et dimidium capitalis census minuti apud Montem Lethericum et loca circum adjacentia, que omnia et singula supradicta, videlicet septem arpenta dimidio quarterio minus prati, tres dreturas cum hostisiis supradictis et viginti sex solidos et dimidium capitalis census minuti cum omni jure, dominio et proprietate in rebus predictis pertinentibus ad easdem, predicti Theolbaldus, Stephanus, Johannes et Johannes, in nostra presencia constituti, recognoverunt et confessi sunt se vendidisse et in perpetuum quitavisse capitulo ecclesie Beati Exuperii Corboliensis pro ducentis tres decim ( sic ) libris sex solidis et octo denariis Parisiensium jam eisdem venditoribus solutis, numeratis et traditis, ut confessi sunt coram nobis, renunciantes excepcioni non numerate pecunie, non tradite, non solute ; promittentes voluntate spontanea, non coacti, fide in manu nostra prestita corporali, quod contra vendicionem et quitacionem hujusmodi jure hereditario, racione conquestus vel alio modo, per se vel per alium non venient in futurum et quod dictam vendicionem ut premissum est factam, prefato capitulo garantizabunt, liberabunt et defendent in judicio et extra judicium quocienscunque opus fuerit contra omnes. Preterea dominus Bertaudus de Bona, miles, primus dominus feodalis rerum predictarum omnium, ut dicebat, Johannes Polins de Varenniis, armiger, secundus dominus, ut dicebat, et dominus Symon de Everiaco in Bria, Renaudus et Perrotus (?) armigeri, nepotes ejusdem, tercius dominus, ut dicebant, volentes et acceptantes coram nobis vendicionem predictam, voluerunt et expresse consenserunt quod prefatum capitulum omnes res predictas et singulas, ut dictum est, venditas teneat et possideat in futurum in manu mortua, absque coactione vendendi vel extra manum suam ponendi, promittentes fide in manu nostra prestita corporali quod contra vendicionem, quitacionem et concessionem predictas jure aliquo sive racione quacumque per se vel per alium non venient in futurum, et quod res predictas, ut dictum est, venditas eidem capitulo in manu mortua garantizabunt et liberabunt imposterum quocienscumque opus fuerit contra omnes. Datum anno Domini millesimo ducentesimo quinquagesimo octavo, mense januario».

La traduction est la suivante : « À tous ceux que ces lettres verront, l'official de la cour épiscopal de Paris, salut au nom du Seigneur. Nous faisons savoir qu'une médiation fut faite en notre présence parce que le seigneur Thibaud de Videlles, prêtre, son frère Etienne, et les écuyers Jean Rousel et Jean de Excorcia ont prétendu qu'ils avaient et possédaient sept arpents moins un demi quartier de prairie derrière le clos des moines de Longpont , et trois droitures relatives aux hostises, de même 26 sols et la moitié des menus cens à Montlhéry et aux environs, que tous ce qui vient d'être énoncé, c'est-à-dire les prés, les hostises et les menus cens, que ces choses étant la propriété à juste titre des susdits Thibaud, Etienne, Jean et Jean, en notre présente médiation, ont reconnu et confessé qu'ils ont été vendues à tout jamais et acquittées par le chapitre de Saint-Éxupéry de Corbeil pour 230 livres 6 sols et 8 deniers parisis sans entraves en monnaie ayant cours, et ils confessent publiquement et font connaître et déclarent y avoir aucune restriction à la transmission et la jouissance des biens….

Ensuite, le seigneur Bertrand de Bonnes, chevalier, premier seigneur dominant de toutes les choses susdites, et le proclame solennellement, Jean Polins de Varennes, écuyer, second seigneur et le proclame solennellement, et le seigneur Simon d'Evry en Brie, et les écuyers Renaud et Pierre, ses neveux, les troisièmes seigneurs le proclame solennellement, acceptent et veulent de leur plein gré la vente susdite, et accordent aux présents chanoines toutes les choses une par une désignées ci-dessus et disent que les biens vendus seront à l'avenir tenus et possédés en mainmorte et garantissent ce droit contre quiconque qui voudrait s'y opposer. Fait l'an de l'Incarnation de notre Seigneur, au mois de janvier 1258 ».

Cette charte est, en réalité un acte de vente, de plusieurs biens situés sur les paroisses de Longpont et de Montlhéry. Le texte est riche en enseignements pour le prieuré Notre-Dame. Il confirme d'une part que la prairie est une grande parcelle, de plus de deux hectares, située en fond de vallée derrière le clos des moines. Nous apprenons ainsi l'existence d'un terrain clos de murs sans doute où les moines pouvaient avoir une vigne et un verger dans leur censive de Guiperreux.

Les vendeurs possédaient certainement ces biens suite à la succession d'un de leur parent. Ce sont des chevaliers ou écuyers du sud Hurepoix. Le prêtre Thibaud de Videlles est seigneur du village proche de La Ferté-Alais , son frère Etienne demeure aux alentours. La complexité du régime féodal apparaît ensuite dans le texte : les droits féodaux appartenaient à plusieurs seigneurs dominants issus de la même famille dont le chevalier Bertrand de Bonnes et l'écuyer Jean Polins de Varennes (8). Tous ces gentilshommes donnent leur consentement, de façon explicite, comme une aumône faite à l'église de Corbeil.

Tout au long du XIIIe siècle les moines de Longpont ont agrandi leurs censives. Le 1er février 1297, une vente est faite à leur profit par Philipot, Jeannot et Edelot, fils et héritiers de feu Jean Trapez, bourgeois de Montlhéry et Heloÿse sa femme. Le sous prieur et couvent de N.-D. de Longpont, reçoivent une pièce de terre arable contenant de 4 arpents ou environ assise au terroir de Longpont sur le chemin qui va de Longpont à Guippéreux en la censive du sieur prieur dudit Longpont chargé envers lui de 2 sols parisis des cens payable le jour de Saint Rémy, ladite vente faite moyennant 50 livres parisis (9).

À suivre…

 

 

Notes

(1) A. Dauzat, Dictionnaire étymologique des noms (Larousse, Paris, 1951), p. 311.

Guéer c'est passer un cours d'eau à gué (du vieux français, guet ).

(2) On observe ici la complexité de l'organisation ecclésiastique sous le Moyen âge où le clergé séculier et le clergé régulier étaient bien souvent en compétition quant à savoir qui était le bénéficier pour les casuels, dîmes, obits, fondations, etc. La prépondérance des Clunisiens de Longpont était due, d'une part, au droit d'exemption accordé dès la fondation du prieuré et d'autre part, à l'état de seigneurie ecclésiastique qui donnait tous les droits féodaux aux «  Prieur, Religieux et couvent N.-D. de Longpont  », comme il était dit et écrit.

(3) L. Merlet et A. Moutié, Cartulaire de l'abbaye de N.-D. des Vaux de Cernay de l'ordre de Citeaux au diocèse de Paris (Henri Plon, Paris, 1857).

(4) J. Marion, Le Cartulaire du Prieuré de Notre Dame de Longpont de l'ordre de Cluny au diocèse de Paris (Impr. Perrin et Marinet, Lyon, 1879).

(5) Une «  charruée  » est un terme médiéval désignant la superficie qu'un attelage pouvait labourer journellement, soit environ 12 arpents. Une charruée est divisée en «  bovées  », qui est la mesure agraire correspondant au nombre d'animaux de trait de la charrue. Une charruée contient autant de bovées qu'il faut atteler d'animal à la charrue. Le «  bonnier  » était la mesure agraire comprenant 8 verges ou 2 arpents .

(6) E. Coüard-Luys, Cartulaire de Saint-Spire de Corbeil au Diocèse de Paris (Impr. Douchin, Rambouillet, 1882).

(7) Thibaud fut évêque de Paris de 1143 au 8 janvier 1159. Avant que d'être évêque, Thibaud était prieur de Saint-Martin des Champs. C'est donc en tant que Clunisien qu'il était devenu un grand ami du prieur conventuel de Longpont, lequel portait le même prénom de Thibaud.

(8) [ Bonnes ], de nos jours Chamarande, cant. Étréchy, Essonne. [ Varennes ], Varennes-Jarcy, cant. Épinay-sous-Sénard, Essonne.

(9) Les lettres d'amortissement accordées par Philippe le Bel, roi de France, aux religieux de Longpont pour des acquisitions qu'ils avaient faites dans leur censive furent adressées au mois d'août 1301.

 

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