Marie Touchet, dame de Marcoussis
Après avoir décrit la vie des seigneurs de Marcoussis (cf. chronique « Les Balsac seigneurs au XVIe siècle »), cette chronique et la suivante, par des textes contemporains, rappellent les vies de Madame et Monsieur d'Entragues. Honneur aux dames oblige, nous commençons par Marie Touchet qui fut dame de Belleville pour avoir été la maîtresse du roi Charles IX et dame de Marcoussis pour avoir épousé François de Balsac d'Entragues. Elle donna, à ce dernier, deux filles connues pour leur beauté et leurs mœurs légères : la célèbre Catherine-Henriette, marquise de Verneuil qui fut la maîtresse du roi Henri IV et Marie-Charlotte qui eut une relation hors mariage avec le maréchal François de Bassompierre. À ce propos Louis Jarry écrivit : « Deux filles surtout, vicieuses de tempérament comme leur mère et dressées à son école, atteignirent au même genre de célébrité… Sans prétendre que la dame de Belleville ait fait embrasser à ses filles, de propos délibéré, la carrière de la galanterie, on peut sans crainte affirmer qu'elle les mit sur le chemin… ». Ce texte contient des extraits tirés de la biographie de Jean-Francois Dreux du Radier, journaliste du XVIIIe siècle après avoir été avocat et lieutenant civil et criminel (*)
C.Julien . Février 2014
Marie Touchet, vers 1580, par François Clouet.
État civil de Marie Touchet
Marie Touchet est née à Orléans en 1549. Selon Dreux du Radier, Marie Touchet a été « l'unique maîtresse à laquelle il paroît que Charles IX s'étoit véritablement attaché ». En vérité, ce même auteur donne une autre maîtresse à ce roi, qui serait restée anonyme, bien que certains auteurs lui donne le nom de Magdeleine de Bourdeille. Si l'on en croit Brantôme : « Marie Touchet n'étoit que la fille d'un apothicaire d'Orléans, et s'appeloit indifféremment Jacoffie ou Touchet ». En parlant des amours de Charles IX, dans son discours sur ce prince, Brantôme a écrit : « Il aima fort aussi Marie Jacoffie, dite autrement Touchet, fille d'un apothicaire d'Orléans, très-excellente en beauté ». D'autres lisent Tocossie, et c'est la véritable façon de lire. Dreux du Radier dit : « Tocoffia étoit apparemment le nom latin dont quelques poètes ou quelques critiques s'étoient servi pour rendre le nom de Touchet, qu'on a aussi rendu par Tuchetia, Tochetia ».
Papire-Maffon la fait fille d'un parfumeur d'Orléans; dans les premières éditions, nous lisons : « amavit Mariam Tochetiam, Aurelianensis Unguentarii filiam ». Il semble que le mot d' Unguentarius signifie plus naturellement un parfumeur qu'un apothicaire (Papire-Maffon, Carolo IX , édition de Bâle, p. 524). D'autres auteurs ont écrit qu'elle était fille d'un notaire.
Toutes ces idées sont écartées par Le Laboureur, qui dit, en parlant de sa famille, que Jean Touchet, son père, prenait la qualité de sieur de Beauvais et du Quillard, conseiller du roi, et lieutenant particulier au bailliage d'Orléans ; qu'il était fils de Pierre Touchet, bourgeois d'Orléans, et petit-fils de Jean Touchet, avocat et conseiller à Orléans, en 1492. Jean était lui-même fils de Regnaud Touchet, marchand de la petite ville de Pathay en Beauce. Tout ce qu'on pouvait dire contre la naissance de cette dame, ajoute Le Laboureur, c'est qu'elle avait eu pour mère Marie Mathy, fille naturelle d'Orable Mathy, flamand de nation, et médecin du roi, qui, pour parvenir à cette alliance, donna par le contrat de mariage deux mille écus, ce qui était une somme considérable. Peut-être la qualité d'Orable Mathy, aïeul de Marie, a-t-elle donné lieu à imaginer celle d'apothicaire.
Que Jean Touchet fut lieutenant particulier d'Orléans, c'est ce que prouve cette épigramme de Charles Fontaine, parisien, p. 92 de ses odes, énigmes et épigrammes, imprimés à Lyon, in-12, en 1557, avec ce titre : Au lieutenant Touchet d'Orléans.
Je n'ai amitié qui me touche
De plus près, ami, que la tienne,
Rien éprouvée, par la mienne,
Ainsi comme l'or à la touche.
C'est sans doute au même Jean Touchet, que Jean Vouté, qui était aussi son ami, adresse ce distique : « Æternum quærisque tuum indelebile nomen ? Sic facies, placeas vatibus atque Deis ».
« On étoit naturellement porté à rabaisser sa naissance : c'est le tribut que les personnes en faveur doivent à la magnilité de leur siècle », nous dit Dreux du Radier. De la manière dont le poète Jean Vouté parle à Jean Touchet, père de Marie, il était lié avec les plus beaux esprits et les grands. Apparemment il avait du goût pour les sciences. Cela put influer sur l'éducation de sa fille. On ne parle d'elle que comme d'une beauté accomplie, et d'une fille toute charmante ; et celui qui trouva dans les lettres du nom de Marie Touchet, Je charme tout , ne la flattait point.
Portrait de la demoiselle d'Orléans
D'après son portrait au crayon [« Ce portrait, que j'ai vu, devoit se trouver dans la suite d'Odieuvre, dont le fond a passé au sieur Chargoit. Je ne sache pas qu'il ait été gravé » dit Dreux du Radier], fait de son temps, elle avait le visage plus rond qu'ovale, les yeux vifs et bien fendus, le front plus petit que grand, le nez d'une juste proportion, la bouche petite, le bas du visage admirable. Selon Le Laboureur : « Son esprit doux, vif, amusant, aussi incomparable que sa beauté rendoit encore ses charmes plus piquants, et il étoit difficile de se défendre de la séduction des ses auprès d'une personne si dangereuse ». Le voisinage d'Orléans à Blois, et les fréquents séjours de la cour dans cette dernière ville, donnèrent lieu à l'amour que Charles IX conçut pour elle. Jean Daurat, qui était poète du roi, en titre d'office, a parlé des commencements de cette passion dans une des pièces du recueil de ses poésies, qu'on peut regarder comme la plus spirituelle, et la mieux tournée, soit du côté de l'imagination, soit de celui de l'expression. D'après cette pièce, on peut penser que ce fut à un rendez-vous, ou à un retour de chasse, que le roi devint amoureux.
Marie Touchet selon J. Le Laboureur
Laissons parler le célèbre avocat du XVIIe siècle. « François de Balsac, sieur d'Entragues, Marcoussis , etc. chevalier des Ordres du Roy , Gouverneur d'Orléans , duquel nous avons íí amplement parlé cy-devant, épousa 1. Jacqueline de Rohan dame de Gié, fille de François sieur de Gié et du Verger, et de Catherine de Silly. Sa seconde femme fut Marie Touchet, maistresse du Roy Charles IX et mère du feu duc d'Angoulesme, de laquelle il devint si amoureux ; c'est pour luy en faire reproche que dans le libelle intitulé l'Édit du Roy de Guise , fait l'an 1586, ainsi nomme par allusion au nom de Guise, contre certains petits galands dits Bourbons et aucuns malotrus et yvrognes d'Allemagne, il est appelé par dérision d'Entragues Touchet duc d'Orléans. C'estoit une femme d'un esprit aussi incomparable que sa beauté, dans le nom de laquelle on ne trouva pas sans raison au lieu de Marie Touchet , je charme tout , et il ne se faut pas estonner qu'elle ait trouvé un si bon party dans le vol qu'elle avoit pris à la Cour, où elle tint aussi bien son rang qu'aucune des dames de la première condition. Le sieur de Brantosme dit qu'elle estoit fille d'un apoticaire d'Orléans, et d'autres disent d'un notaire ; mais ils se sont trompez. Jean Touchet son père prenoit qualité de sieur de Beauvais et du Quillart, conseiller du Roy et lieutenant particulier au baillage et siège présidial d'Orléans. Il estoit fils de Pierre Touchet bourgeois d'Orléans, et petit fils de Jean Touchet, advocat et conseiller à Orléans l'an 1402 qui avoit eu pour père Regnaut Touchet marchand de la ville de Pathay en Beausse ».
« Et tout ce qu'on pouvoit dire contre la naissance de cette dame , c'est qu'elle avoit eu pour mère Marie Mathy, fille naturelle d'Orable Mathy, flamand de Nation, médecin du Roy, qui pour parvenir à cette alliance donna par le contract de mariage deux mille escus, qui estoit une somme alors considérable. Marie Touchet eut pour frère Polycarpe, sieur de Beauvais, mort sans enfans, et Marguerite Touchet, femme de Claude Robineau, sieur de Lignerolles commissaire des guerres. Lubin Touchet, frère puisné de Pierre son ayeul, fut greffier en l'élection d'Orléans, et de son mariage avec Françoise Bouchault, sortit Claude Touchet , sieur de Goumiers mort l'an 1563 qui eut de Renée fille de Guillaume Hurault, et de Jeanne Germé, Claude et Jacques Touchet, Jeanne Touchet femme de Hervé le Semelier, et Claude mariée à Pierre Fougeu, sieur des Cures, gouverneur d'Amboise, grand mareschal des Logis des Camps et armées du Roy. Claude Touchet, sieur de Goumiers, contrôlleur des tailles à Orléans, épousa Claire Martin, fille de Robert sieur de Villiers, et de Marie Bourdineau dont François Touchet capucin, Jacques abbé de Nostre-Dame d'Issoudun, Pierre sieur de Goumiers commissaire des guerres non marié, et Anne Touchet alliée à Nicolas Boullart, sieur de la Roncière, secrétaire du Roy. Jacques Touchet advocat au Parlement, second fils de Claude, et de Renée Hurault, s'allia avec Claude le Vassor, fille de Germain, et de Claude Vaillant, et fut père de Pierre Touchet, advocat à Orléans, qui n'a point eu d'enfans, de Jacques aussi mort sans postérité, et de Claude Touchet femme de Jean Gaudart sieur, du Petit- Marais, conseiller au Parlement qui en a des enfans ».
Marie Touchet et son fils Charles de Valois (gravure, XIXe s.).
Les amours de Charles et Marie
En 1566, Charles IX, âgé de 16 ans, fraîchement déniaisé, le roi aperçoit Marie Touchet. Différentes versions divergent quant aux circonstances de la rencontre ; pour certains historiens le roi était à Orléans lors du voyage dans les provinces de France, pour d'autres Charles se serait épris de Marie au retour d'une chasse à Blois. Toujours est-il qu'il demande au maître de sa garde robe de la convaincre de venir passer la nuit avec lui. La nuit suivante, Marie, délaissant sa liaison avec Montluc, retrouve le roi et lui accorde ses charmes. Le roi enjoué par cette expérience demande à sa soeur Marguerite de Valois de la prendre comme femme de chambre et ainsi de pouvoir la rencontrer à la cour. Passons sur l'anagramme « Je charme tout ». Nous arrivons le 30 mai 1574, selon Michelet, le roi atteint d'une maladie de flux de sang, passa une dernière nuit avec Marie qui lui fut fatale.
L'auteur qui donne à Charles IX le nom d'Eurimedon, et à la jeune Touchet, celui de Callirhoé, feint que Diane irritée contre Eurimedon qui l'emportait sur elle en adresse, ordonne à Callirhoé l'une de ses Nymphes, de lancer un de ses traits contre son rival. Mais pour le ménager, elle en choisit un des moins dangereux. La nymphe épie l'occasion de frapper Eumeridon, et en l'attendant, elle s'endort à l'ombre d'un myrthe. L'amour survient, et la trouve endormie. Il vide le carquois qui était auprès de Callirhoé, et le remplit de ses propres flèches. Eumeridon parait enfin. Au bruit de sa fuite, Callirhoé se réveille. Elle lui lance un des traits de l'amour, qu'elle croit être celui qui lui avait donné Diane. Eumeridon blessé devient amant de la Nymphe. Il perd le repos, il se plaint. Apollon vient à son secours, et détermine Diane à souffrir que Callirhoé soit sensible à l'amour d'Eumeridon (1). Elle s'attendrit, leur amour devient mutuel. On ne saurait méconnaître dans cette pièce la naissance des amours de Charles IX, et de la belle Touchet, c'est dommage qu'elle soit sans date. Si une pièce de vers (8) faite par Desportes sous le nom de ce prince, et adressée à Callirhoé, regarde Marie Touchet, comme on ne sauroit en douter, le roi résista quelque temps à la passion qu'elle lui inspira, et ne se rendit qu'après avoir inutilement essayé de vaincre son penchant. Mais Callirhoé, c'est-à-dire, la belle, l'emporta, et le cœur naturellement fier du roi lui céda.
Dreux du Radier ne trouve pas d'époque précise au commencement de la tendresse du roi pour Marie Touchet, « mais elle s'étoit déjà établi un tel empire sur son cœur, en 1570 », et lorsque Charles IX épousa Elisabeth d'Autriche, qu'ayant examiné le portrait de la princesse avant le mariage, elle dit comme par réflexion, l'Allemande ne me fait pas peur, inférant par là, ajoute Brantôme, qu'elle présumait tant de soi et de sa beauté, que le roi ne s'en saurait passer. Papire-Maffon dit que ce fut après l'arrivée de la reine : « Inspecta Isabellae Regnae que recens venerat in Galliam, pictura, risisse dicitur addito verbo ; nil me terret Germana ».
En effet, la passion de ce prince dura jusqu'à sa mort ; et dans l'indifférence générale pour le trône qu'il quittait, et pour tout ce qui l'environnait, il ne perdit point la mémoire de la belle Touchet. L'abbé de Brantôme dit, que n'osant pas en parler à la reine sa mère, il commanda à M. de la Tour, frère puîné du maréchal de Retz et de l'évêque de Paris, qui était maître de sa garde-robe, de lui faire ses recommandations.
Charles de Valois, comte d'Auvergne, duc d'Angoulême.
Plusieurs auteurs prétendent que le roi se rendait de nuit sans escorte pour rencontrer la belle Marie dans un relais de chasse, hors la vue et le su de la reine-mère Catherine de Médicis. Après quelques semaines, la jeune maîtresse tombée enceinte fut éloignée de la Cour sur les terres du duché de Savoie où elle accoucha d'un garçon qui ne survit que quelques jours.
Au cours de l'automne 1572, Marie Touchet attendant un autre enfant se réfugie au château de Fayet, propriété d'Hector de Maniquet, maître d'hôtel et confident du roi, pour y cacher sa grossesse. Le 28 avril 1573, Marie Touchet mit au monde, un fils baptisé Charles légitimé sous le nom de comte d'Auvergne et duc d'Angoulême.
La dame de Belleville
Selon Guy Breton, l'auteur des Histoire s d'Amour de l'Histoire de France , la discrète et l'aimante Marie Touchet qui, sans trop le vouloir, aurait été l'élément déclencheur de la Saint-Barthélemy. Sachant que Charles l'aimait aveuglement, Marie qui pratiquait la religion réformée (elle est « huguenote ») encourageait son amant à se rapprocher de l'amiral Gaspard de Coligny, chef des huguenots, que le roi considérait comme un second père. Au début de l'été 1572, Coligny proposait à Charles IX de soutenir les Flamands contre les Espagnols et de faire la guerre à Philippe II d'Espagne. Le 22 août, Coligny échappa à un attentat perpétré par un certain Charles Maurevert. Certains historiens ont vu Catherine de Médicis cherchant à se débarrasser de l'amiral qui influençait trop son fils. Elle craignait une vengeance de la part des protestants. Charles IX aurait été victime d'une crise de nerfs tandis que sa mère lui disait que Coligny était un traître et devait mourir ainsi que tous les chefs du parti huguenot. Devant l'insistance de sa mère, Charles IX aurait crié « Il faut les tuer tous afin qu'il n'en ait pas un seul pour me le reprocher un jour ! ».
Dans son drame en vers intitulé « Marie Touchet », Gustave Rivet, poète du XIX e siècle, fait de Marie la confidente qui s'oppose à la politique qui conduit au massacre de la Saint-Barthélemy. Dans une chanson l'on chante encore aux environs de Beaugency :
C'est Marie d'Orléans,
Touchez là, ma commère, touchez là,
C'est Marie d'Orléans,
Qui a de beaux bras blancs.
Revenons au propos de Dreux du Radier. « Dans les différentes causes auxquelles on a attribué la mort de Charles IX (1574), quelques-uns ont parlé d'une entrevue de ce prince avec Marie Touchet. L'abbé Papire-Maffon dit : « Sane rex ipse, inter moras longissimi morbi, femel ad eam divertit ; suspicioque est auctum morbum ex importuno aut immodico coitu, et acceleratum vitae finem ». Il alla la voir pendant sa longue maladie, et accéléra sa mort par les plaisirs auxquelles il se livra, ou à contre-temps, ou immodérément. Ce que dit cet auteur de Marie Touchet, Brantôme le dit de la reine. Sauval, dans le pitoyable recueil qu'il nous a donné sous le titre d' Amours des rois de France , où il a ramassé, sans jugement, tous les contes cyniques, manuscrits et imprimés qu'il a trouvés sous sa main, dit que « le roi étoit allé voir la reine de Navarre, sa sœur » et assure que c'est ainsi qu'il faut lire Brantôme. Il se peut faire que quelques critiques de son humeur ait donné cette explication à la marge, mais elle ne se trouve ni dans l'édition de 1666, ni dans celle de 1699, ni dans celle de 1722, faite avec beaucoup de soin.
Dreux du Radier nous dit « … c'est au lecteur à prendre parti ; et si j'osois me décider, je prendrois volontiers celui de Brantôme, qui devoit être mieux instruit que Papire-Maffon. Je sais les raisons qu'on peut alléguer en faveur du dernier ; mais elles ne sont pas assez fortes pour avoir une prépondérance déterminée ». La mort de Charles IX, à l'âge de vingt-quatre ans devait faire un grand changement dans la fortune de la favorite ; cependant elle se soutint. Née en 1549, elle était encore jeune et aussi belle que jamais. Elle n'avait qu'un an plus que le roi. Maîtresse depuis quelques années, d'un roi aussi généreux que Charles IX, sans doute elle avait eu deux enfants du roi, et le dernier, qui porta le prénom de son père, né un an avant la mort de Charles, était reconnu. Il porta les titres de comte d'Auvergne et duc d'Angoulême, tige de la branche des derniers duc de ce nom, né, suivant Anselme, au château de Fayet en Dauphiné, le 28 avril 1573, et mort, suivant le même auteur, le 24 septembre 1650 ; et suivant l'épitaphe, qui est sur son tombeau aux Minimes de la place royale le 22.
Ajoutons à tout cela, que Marie Touchet était assez adroite pour soutenir le vol qu'elle avait pris à la cour ; et que si elle avait de l'ambition, elle savait la soutenir. Pour Le Laboureur, « elle n'a jamais porté ses prétentions aussi loin que les duchesses d'Etampes et de Valentinois ». Si cela eût été, nous verrions Marie Touchet jouer un plus grand rôle sous le règne de Charles IX ; et l'endroit seul par où elle y est connue, est l'amour que le roi eut pour elle. On ne la voit point s'intriguer, cabaler, ou de concert avec la reine-mère, ou contre ses intérêts. Elle savait que cette princesse, toute livrée à son ambition, ne lui nuiront pas, dès qu'elle prendrait le parti de l'indifférence dans les matières du gouvernement.
Portrait de Marie Touchet imaginé par l'école romantique du XIXe s.
La dame de Marcoussis
Mézeray a prétendu que Marie Touchet avait été mariée du vivant du roi, et par le roi même, à François de Balzac d'Entragues, gouverneur d'Orléans (cf. la chronique « Les Balsac d'Entragues mignons des Valois »). Bayle croit ce mariage postérieur, mais il déclare qu'il n'est pas en état d'en donner la preuve. Cette preuve est aisée à faire. Si à la mort de Charles IX, sa maîtresses eût déjà été mariée, l'appellerait-on aussi constamment qu'on fait, en parlant d'elle à la mort de ce prince, Marie Touchet, et non Madame d'Entragues ? Ceci n'est qu'une conjecture : voici une démonstration.
Elle ne fut que la seconde femme de François de Balzac d'Entragues. La première femme étoit Jacqueline de Rohan , laquelle ne mourut qu'au mois de mai 1578 à Bois-Malherbes, quatre ans après Charles IX. La célèbre "haute et puissante dame Marie Touchet, dame de Belleville et de Langeais" l'épousa donc en octobre de la même année. André de Béning, archer de la garde du corps du roy sous la charge de Clermont d'Entragues fit partie des témoins.
Henriette de Balzac, maîtresse de Henri IV, fut le premier fruit de ce mariage: elle ne naquit qu'en 1579 (2). Voilà la preuve complète que Bayle cherchoit contre Mézeray. Il se peut faire que M. d'Entragues fut extrêmement amoureux de Marie Touchet avant la mort de Charles IX ; et le peu de distance de son mariage avec elle, à la mort de sa première femme Jacqueline de Rohan, en est une sorte de preuve. Le laboureur, cité par Bayle, dit que M. d'Entragues, en devint si amoureux, qu'on l'appelle, par dérision, d'Entragues-Touchet, duc d'Orléans , dans un libelle intitulé : l'édit du Roi déguisé, titre qui faisait allusion au nom de Guise.
François d'Entragues, aîné de sa maison, capitaine de cinquante hommes d'armes, gouverneur d'Orléans, lieutenant général de l'Orléanais, et chevalier des ordres du roi, en 1578, lors de la première promotion, était un parti considérable. Son rang à la cour la soutint sur le pied où elle y avait paru ; et la faveur de la célèbre Henriette de Balzac auprès de Henri IV, en augmenta encore l'éclat. Quoique l'une de ses deux filles ait été maîtresse de ce prince, l'autre du maréchal de Bassompierre, desquels elles ont eu plusieurs enfants, Marie Touchet leur mère ne parut pas moins délicate sur leur honneur. On dit, et Saint-Romuald l'a écrit, qu'il en coûta la vie à un page de son mari. Suivant cet auteur, elle le poignarda de sa main, parce qu'il avait violé une de ses filles dans le cabinet d'un jardin ; et elle lava cet affront dans le sang du coupable. Ce fait méritait bien que l'auteur en indiquât la source ; mais c'est une méthode à laquelle il ne s'est point assujetti dans ses recueils, quelquefois curieux, mais souvent suspects. Il place le fait vers l'année 1572 : l'époque est au moins très fausse.
Sully et Pérefixe, bien plus respectables que le Feuillant, nous ont donné des anecdotes très intéressantes de ce que firent Monsieur et Madame d'Entragues, pour faire valoir à Henri IV le mérite de la vertu de leur fille au plus haut prix. Il fallut une promesse de mariage pour écarter les persécutions de la mère de Henriette, et cent mille écus ne la rendirent pas traitable (3).
De la manière dont parle Bassompierre de ses amours avec Marie de Balzac, seconde fille de madame d'Entragues, il paraît que ses précautions n'avaient pas un succès fort heureux, et qu'elle-même n'était pas implacable. Écoutons Bassompierre ( Journal de ma vie , t. I, p.152 et suivantes). « Je m'en vins à Paris voir ma maîtresse, qui étoit logée à la rue de la Coutellerie , où j'avois une entrée secrète par laquelle j'entrois au troisième étage du logis, que sa mère n'avoit point loué ; et elle, par un dégré dérobé de la garde-robe, me venoit tropuver lorsque sa mère étoit endormie ».
Dans une intrigue, il nous apprend qu'il avait Henri IV pour rival. Cela rend la vertu des deux sœurs bien suspecte. Il ajoute, que des jaloux de sa bonne fortune ayant averti la mère, elle y prit garde de plus près ; mais qu'elle fut encore trompée. « Un matin, voulant cracher, et levant le rideau de son lit, elle vit celui de sa fille (Marie d'Entragues) découvert, et qu'elle n'y étoit pas. Elle se leva doucement et vint dans la garde-robe, où elle trouva la porte de cet escalier dérobé, qu'elle pensoit qui fût condamné, ouverte ; ce qui la fit crier, et sa fille à sa voix de se lever en diligence, et venir à elle. Moi, cependant, continua-t-il, je fermai la porte, et m'en allai bien en peine de ce qui seroit arrivé de toute cette affaire, qui fut que sa mère la battit, qu'elle fit rompre la porte pour entrer en cette chambre du troisième étage où nous étions la nuit, et fut bien étonnée de la voir meublée des beaux meubles de Zamet, avec des plaques et flambeaux d'argent. Alors tout notre commerce fut rompu ; mais je me raccommodai avec la mère, par le moyen d'une demoiselle, nommée d'Azi, chez laquelle je la vis, et lui demandai tant de pardons, avec assurance que nous n'avions point passé plus outre que le baiser, qu'elle feignit de la croire » (4).
La partie fut renouée, et Marie Touchet devint aïeule. Après un commerce suivi de dix ans entre sa fille et le maréchal de Bassompierre, depuis 1599 au plus tard, jusqu'en 1609, sa fille devint grosse. La mère s'emporta, la chassa de sa maison ; et, pour apaiser sa colère et rentrer en grâce, mademoiselle d'Entragues promit d'épouser Bassompierre, mais celui-ci s'y refusa.
En 1776, l'historien Jean-François Dreux du Radier écrivit à propos de la grossesse de Marie d'Entragues, enceinte des œuvres de Bassompierre : « Pour apaiser la colère de sa mère et rentrer en grâce, mademoiselle d'Antragues demanda une promesse de mariage à son amant, lui offrant toutes les contre-promesses, c'est-à-dire toutes les assurances qu'elle ne tireroit point avantage du titre qu'on lui donnoit, et que celui qu'elle exigeoit, n'étoit que pour adoucir sa mère, et accoucher tranquillement… C'étoit une manie de vouloir que ses filles eussent des promesses de mariage avec leurs amants. Henri IV avoit été obligé d'en passer par-là, pour avoir la paix avec madame d'Entragues… ».
La disgrâce de 1610
Le printemps de 1599 avait vu mourir la belle Gabrielle d'Estrées, favorite, du roi Henri IV ; l'été devait apporter une nouvelle passion : « Henriette, fille de François Balzac, seigneur d'Entragues, de Marcoussis et du Bois-Malesherbes, et la dame Marie Touchet son épouse ». Le 1er octobre 1599, à signer une imprudente promesse de mariage. Les amours tumultueuses de la demoiselle d'Entragues et du roi Henri IV entraînèrent la famille dans des aventures dangereuses. Le marquisat de Verneuil offert à Henriette n'avait pas compensé sa déception, ni celle de ses parents. Aussi les vit-on directement mêlés, en 1602, à la conspiration qui devait conduire le maréchal de Biron à l'échafaud. Le comte d'Auvergne et toute la famille d'Entragues furent mêlés au complot contre le roi. Le 1er février 1604, un arrêt de la cour avait condamné à mort, pour lèse-majesté, les comtes d'Auvergne et d'Entragues qui furent graciés peu de temps après.
Le changement que la mort de Henri IV produisit à la cour, y diminua le crédit de la maison d'Entragues. Devenu veuve le 11 février 1613, Marie Touchet fit, suivant les apparences, une sorte de retraite. Elle s'y livrait à des lectures solides, et digne de la beauté de son esprit, que l'abbé Le Laboureur appelle incomparable. Par un sonnet que lui adresse Berthaut, évêque de Séez, on apprend que les œuvres de Plutarque, cet auteur de tous les lieux, et de tous les temps, étaient l'objet favori de ses études.
Voici ce sonnet adressé à l'âme de Plutarque, de qui l'auteur donnait les œuvres à Madame d'Entragues :
Bel esprit qui, tout plein d'immortelles lumières,
Te vois dans ce grand œuvre incessamment vivant,
Aide à cette belle âme, ardemment poursuivant,
L'honneur dont le savoir rend la vie héritière,
C'est par toi qu'elle peut devenir la première
En la gloire du bien sur tous biens s'élevant :
On ne l'eut su pouvoir d'un maître plus savant,
Ni loi d'une plus belle et plus digne écolière
Illustre son esprit de ta vive clarté,
Glorieux en ton cœur d'instruire une beauté
Qui, franche des désirs que sa grâce fait naître,
Si le ciel te vouloit dans son corps renfermer,
T'apprendroit, sans parole, à constamment aimer,
Et deviendroit soudain maîtresse de son maître.
Œuvres de Berthaud , p. 378.
Ces paroles paraissent des premiers temps, et de la jeunesse de Berthaut ; et le titre de madame d'Entragues détermine à les appliquer à la mère plutôt qu'à la fille, qu'on appela longtemps mademoiselle d'Entragues, et depuis la marquise de Verneuil.
Elle y trouvait ces grands traits, ces belles maximes qui avaient formé la jeunesse de son auguste amant, de Charles IX. C'était pour elle un mérite de plus dans un livre qui lui rappelait l'époque la plus brillante de sa vie. Il n'est guère de femme insensible aux idées que Plutarque retraçait peut-être à madame d'Entragues.
Les historiens du règne de Louis XIII, ceux qui sont entrés dans les plus grands détails, ne disent rien d'elle. Marie Touchet mourut le 28 mars 1638, âgée de quatre-vingt-neuf ans et fut inhumée aux Minimes de la place Royale, tel qu'il paroissait, par son épitaphe. Cette épitaphe était gravée sur une lame de cuivre enfermée dans son tombeau. Elle était conçue en ces termes : « Ci gît le corps de haute et puissante dame madame Marie Touchet, de Belleville ; au jour de son décès, veuve de haut et puissant seigneur, Messire François de Balzac, seigneur d'Entragues, chevalier des ordres du roi, et gouverneur d'Orléans, laquelle décéda le 28 mars 1638, âgée de quatre-vingt-neuf ans ». Le tombeau disparut à la Révolution.
Notes
(*) Jean-Francois Dreux du Radier, Mémoires historiques, critiques et anecdotes des reines et régentes de France , t. V (chez Michel Rey, Amsterdam, 1776).
(1) Callirhoé est un mot grec composé, qui signifie beau courant d'eau. M. de Thou s'en est servi pour rendre le mot Fontainebleau, mais mal à propos, puisque Fontainebleau est nommé, dans les anciens titres, Fons, Blaudi, Bleaudi, Blaaudi , ou Bliaudi , d'où Fontainebleau, ou Fontaineblaud, et non Fontainebelleeau.
(2) La preuve s'en tire de la mort de Henriette de Balzac, arrivée le 9 février 1633, à l'âge de cinquante-quatre ans, et non pas soixante-quatre, comme on le dit deux fois dans le nouvel Anselme (tome II, p. 439, et tome I, p. 202) où, au lieu de soixante-quatre ans, il faut mettre cinquante-quatre ans, comme dans la première édition.
(3) Chronique à venir.
(4) Comment Bassompierre pouvait-il être instruit de ces petites circonstances ? Cela donne un air de roman à son aventure. Lorsqu'il écrivait ses mémoires, il était à la Bastille , et attaché à la princesse de Conti, qui « n'osoit prendre le nom de sa femme » ; il n'aimait plus mademoiselle d'Entragues, « qui avoit plaidé pour l'obtenir, et le prenoit malgré lui ».