Breuillet sous la Révolution (1) (1789-1790)
Cette chronique rapporte les évènements qui se produisirent à Breuillet (cant. Saint-Chéron, arr. Étampes, Essonne) au cours de la Révolution française, tels que rapportés par les délibérations du conseil général de la commune.
C.Julien septembre 2013.
La plus ancienne mention que l'on connaisse du nom du village de Breuillet se trouve dans plusieurs titres du prieuré Notre-Dame de Longpont. Nous la trouvons sous plusieurs formes latines Braiolet, Braiolum, Braitellum, Braetellum, et Brailleium . Dans celui daté de 1090, Renault de Breuillet « Rainaldus de Braiolet » et Tevin de Forges sont nommés pour juger la plainte portée par Arnoult Malviel contre les gens du prieuré de Longpont (charte LIV). À la même époque les seigneurs de Trousseau lèguèrent leur terre aux moines de Longpont « dedit Deo et sancte Marie de Longo Ponte, et monachis ibi Deo servientibus, terram de Braetello ». Un autre titre datant du règne de Louis VI le Gros contient la donation par Bernard de Chevreuse de la terre de Soligny qu'il avait acquise de Renault de Breuillet « Regnault de Brayola » (charte CCLVI). Cette charte n'est pas sans intérêt puisqu'elle cite Marie de Breuillet, fille du susdit Renault « Maria postea, Reinaldi de Braiolo filia », qui aurait donné une fille naturelle au prince Louis, futur roi Louis VI le Gros (cf. chronique à venir).
Le vieux pouillé de Chartres de 1275 le désigne sous le nom de Braioletum , mot latin qui signifierait un bois. En 1306 on écrivait Broullet , en 1330 Broulet , en 1491 Brouillet , en 1374 Broillet , en 1665 Breuillet . À la fin du XIXe siècle on prononçait encore « Broillet ».
Le village de Breuillet en 1789
Administrativement en 1789, Breuillet fait partie de la généralité d'Orléans, département des élections de Chartres et de Dourdan. Sa municipalité comprenait neuf membres. Le seigneur et le curé en étaient membres de droit. Auprès d'eux, le comte de Tilly et Pierre Broust, ce dernier syndic aux appointements annuels de 27 livres tournois, tout comme le greffier Claude Brière. Les réunions se tenaient dans l'église.
Le 4 mars 1789, « les habitants de Breuillet assemblés au son de la cloche en la manière accoutumée sont réunis dans la nef de l'église paroissiale et représentent leur cahier à Monsieur le lieutenant général de Bâville qui en fit la rédaction en présence desdits habitants et après ladite réunion procédèrent à la nomination des députés de leur paroisse pour l'assemblée des États au bailliage royal de Dourdan ». Les suffrages se portèrent sur Claude Brière, tailleur d'habit et Charles le Roy qui furent chargés de présenter ledit cahier aux dits États.
Nous n'avons pas eu connaissance du cahier de Breuillet, mais les articles ont été collationnés dans celui du baillage de Dourdan : « Cahier de doléances du tiers-état du baillage de Dourdan, remis à MM. Lebrun et Buffy, députés aux Etats Généraux » dont nous donnons quelques extraits. Le procès-verbal fut rédigé le 29 mars 1789 par M. Roger, lieutenant général du baillage et par son greffier M. Gudin.
« L'ordre du tiers-état de la ville, baillage et comté de Dourdan, pénétré de la reconnaissance qu'existent en lui les bontés paternelles du Roi, qui daigne lui rendre ses anciens droits et son ancienne constitution, oublié, en ce moment ses malheurs et son impuissance pour n'écouter que son premier sentiment et son premier devoir, celui de tout sacrifier à la gloire de la patrie et au service de Sa Majesté. Il la supplie d'agréer les doléances, plaintes et remontrances qu'elle lui a permis de porter aux pieds du trône, et de n'y voir que l'expression de son zèle et l'hommage de son obéissance. Son vœu est :
- Art . 1er. Que ses sujets du tiers-état, égaux à tous les autres citoyens par cette qualité, se présentent devant le père commun sans autre distinction qui les avilisse.
- Art. 2. Que tous les ordres, déjà réunis par le devoir comme par le vœu commun de contribuer également aux besoins de l'État, délibèrent aussi en commun sur ses besoins.
- Art. 3. Qu'aucun citoyen ne puisse perdre sa liberté qu'en vertu des lois ; qu'en conséquence personne ne puisse être arrêté en vertu d'ordres particuliers, ou que si des circonstances impérieuses nécessitent ces ordres, le prisonnier soit remis, dans un délai de quarante-huit heures au plus tard, entre les mains de la justice ordinaire.
… puis, les articles spécifiques aux gens de la campagne…
- Art. 5. Que les propriétés de tous les citoyens soient inviolables, et qu'on ne puisse en exiger le sacrifice au bien public qu'en les indemnisant à dire d'experts librement nommés.
- Art. 6. Que tous les impôts établis depuis 1614, dernière époque des États généraux, pouvant être regardés comme illégaux par le défaut de consentement de la nation, et cependant le maintien de la chose publique exigeant un revenu actuel, ces impôts soient confirmés provisoirement par Sa Majesté, sur le vœu des États généraux, et la perception ordonnée pendant un délai déterminé, qui ne pourra être de plus d'une année.
- Art. 9. Que la dette nationale soit vérifiée ; que le payement des arrérages de cette dette soit assuré par des impôts indirects, mais tels qu'ils ne puissent nuire ni à la culture, ni à l'industrie, ni au commerce, ni à la liberté et à la tranquillité du citoyen.
- Art. 10. Qu'il soit établi un fonds annuel de remboursement pour éteindre le capital de la dette.
Concernant la justice (création des juges de paix) :
- Que chaque baillage royal ait un arrondissement tel que les justiciables ne soient pas éloignés de plus de trois à quatre lieues de leurs juges, et qu'ils puissent juger en dernier ressort jusqu'à la valeur de 300 livres .
- Que les justices seigneuriales, érigées à titre purement gratuit soient supprimées. Etc…
Concernant l'agriculture :
• Art. 1er. Que les droits d'échange, funestes à la culture, dont ils gênent les opérations et arrêtent l'amélioration, soient supprimés.
• Art. 2. Que les lettres patente du 26 août 1786, qui fixent les droits des commissaires à terrier au triple ou au quadruple de leurs anciennes rétributions, soient révoquées ; que ces droits soient réduits à de juste limites, et qu'il ne puisse être procédé à aucun renouvellement de terrier qu'au bout de quarante ans, et sur de nouvelles lettres.
• Art. 3. Que le privilège de la chasse soit restreint en ses justes limites ; que les arrêts du Parlement, des années 1778 et 1779, qui tendent plutôt à fermer la voie aux réclamations du cultivateur qu'à opérer son dédommagement, soient cassés et annulés ; qu'après avoir fait constater la trop grande quantité de gibier, et sommé le seigneur d'y pourvoir, le propriétaire et le cultivateur soient autorisés à le détruire sur leurs terres et dans leurs bois particuliers, sans pouvoir néanmoins se servir d'armes à feu, dont le port est défendu par les ordonnances ; qu'au surplus il soit établi une voie simple et facile pour que chaque cultivateur puisse faire constater le dommage, et en obtenir la réparation.
• Art. 4. Que le droit de chasse ne puisse jamais gêner la propriété du citoyen ; qu'en conséquence il puisse, dans tous les temps, se transporter sur ses terres, y faire arracher les herbes nuisibles, couper les luzernes, sainfoins et autres productions à telles époques qu'il lui conviendra ; et qu'à l'égard des chaumes, ils puissent être librement ramassés immédiatement après la récolte.
• Art. 5. Que le port d'armes soit défendu aux gardes-chasses, même à la suite de leurs maîtres, conformément aux anciennes ordonnances.
• Art. 6. Que les délits, en fait de chasse, ne puissent jamais être punis que par des amendes pécuniaires.
• Art. 7. Que Sa Majesté soit suppliée de faire renfermer les parcs et forêts destinés à ses plaisirs, même autoriser ailleurs la destruction des bêtes fauves, qui ruinent les campagnes et particulièrement ce qui avoisine cette forêt de Dourdan.
• Art. 8. Que tout particulier qui, sans titre ou possession valable, aura colombiers ou volières, soit tenu de les détruire ; que ceux qui auront titre ou possession valable soient tenus de renfermer leurs pigeons dans les temps des semences et de récoltes.
• Art. 9. Que tous les baux de dîmes, terres et revenus appartenant aux ecclésiastiques et gens de mainmorte, soient faits devant les juges royaux, après affiches et publications solennelles, et qu'en conséquence les baux, ainsi faits subsistent même après la mort des titulaires, et que lesdits baux ne puissent être faits pour moins de neuf années.
• Art. 10. Qu'il ne soit permis à aucun cultivateur de prendre, soit en son nom, soit sous des noms interposés, plusieurs corps de ferme et exploitations distinctes, à moins que les exploitations réunies n'excèdent pas l'emploi de deux charrues de labour.
• Art. 11. Que les droits de champarts et autres de pareille nature, soient convertis en prestation, soit en grains, soit en argent, d'après une estimation haute et favorable, pour le propriétaire qu'il plaira au Roi de déterminer sur le vœu des États généraux, et que, dès ce moment, il soit défendu de transporter hors de la paroisse les pailles provenant des champarts et des dîmes.
• Art. 12. Que les domaines corporels de la couronne soient ascensés en grains à perpétuité par des contrats préparés par les États provinciaux et garantis par les États généraux et par Sa Majesté.
• Art. 13. Que les biens communaux soient partagés entre les membres des communautés, dans la forme qu'il plaira à Sa Majesté d'ordonner, sur le vœu de la nation.
• Art. 14. Que les plaintes en retirage et dégâts de bestiaux soient portées préalablement aux municipalités des paroisses, qui constateront les délits et concilieront aimablement les parties, si faire se peut, le tout sans frais, sinon les renverront devant leurs juges naturels.
• Art. 15. Que les milices, qui dévastent les campagnes, enlèvent des bras à la culture, forment des mariages prématurés et mal assortis, imposent à ceux qui y sont sujets des contributions secrètes et forcées, soient supprimées et remplacées par des enrôlements volontaires, aux frais des provinces.
• Art. 16. Qu'il soit permis aux particuliers et communautés de se libérer des rentes qu'ils doivent aux gens de mainmorte, en remboursant le capital au taux qui sera fixé, à la charge par les gens de mainmorte de verser des capitaux dans les emprunts autorisés et garantis par le Roi et par la nation.
• Art. 17. Que l'ordonnance et règlement sur les bois et forêts soient réformés, de manière à conserver les droits de propriété, encourager les plantations et à prévenir la disette des bois. Que l'administration des forêts et des bois appartenant aux gens de mainmorte soit soumise aux États provinciaux, et subordonnément aux bureaux du district, et qu'il soit établi de nouvelles lois pour en assurer la conservation et punir les délits.
• Art. 18. Qu'il ne soit accordé aux gens de mainmorte aucun quart de réserve, sans qu'une partie du produit soit destiné à la replantation de leurs bois ou des terrains en friche dépendant de leur propriété.
• Art. 19. Que les seigneurs voyers ne puissent planter ni s'approprier les arbres plantés sur les propriétés qui bordent les grands chemins ; qu'il soit ordonné, au contraire, que les arbres appartiendront aux propriétaires des fonds, en remboursant les frais de plantations.
• Art. 20. Que la largeur des grandes routes, celle des chemins vicinaux et ruraux, soit déterminée d'une manière fixe, uniforme et invariable.
• Art. 21. Qu'il soit imposé des peines contre ceux qui laboureraient les chemins vicinaux et ruraux.
En ce qui concerne le commerce des grains :
- Qu'au moment où le blé froment aura atteint dans les marchés le prix de 25 livres de septiers, il soit défendu à tous les laboureurs d'en acheter, si ce n'est pour leur subsistance.
- Que l'exportation et la circulation des grains soient dirigées par les États provinciaux, qui correspondront entre eux pour prévenir respectivement l'enchérissement subit et forcé des subsistances.
- Que, dans un délai fixé, les poids et mesures soient rendus uniformes dans toute l'étendue de Royaume.
Notons que dans son cahier, la noblesse du baillage de Dourdan déclare être intimement convaincue de la nécessité de protéger l'agriculture.
- Que le champart en nature, de tous les droits seigneuriaux le plus contraire aux progrès de l'agriculture et à la liberté du cultivateur puisse être racheté ou échangé, sans porter atteinte à la propriété, et sans donner ouverture aux droits royaux et seigneuriaux…
- Que les dîmes, également nuisibles aux progrès de l'agriculture et à la considération due aux curés, qui sont souvent obligés d'avoir des disputes d'intérêts avec des personnes auxquelles ils doivent prêcher le désintéressement, puissent être échangées, d'après une convention faite de gré à gré entre le décimateur et la communauté entière qui serait grevée de la dîme.
- Que tous les fermiers qui réunissent sous la même régie une grande quantité de terres, au détriment de l'agriculture et des petits cultivateurs, supportent la majeure partie de l'impôt personnel, dont lesdits cultivateurs peu riches seront soulagés.
Le curé jouissait à cette époque d'une primauté qui se révèle dans un grand nombre d'actes. On peut lire à la date du 3 may 1789 « Nous sous signez, curé, sindic et principaux habitans de la paroisse de Breuillet, assemblés à l'effet de choisir une personne pour exercer les fonctions de sage-femme dans cette paroisse, avons d'un consentement unanime, nommer Catherine Bergerotte femme de Michel Auré, vigneron en cette paroisse laquelle certifions de bonnes vies et meurs ». Notons que le procès-verbal du cahier du clergé du baillage de Dourdan fut signé par le nommé Ciergeur, vicaire de Breuillet.
Les premiers évènements
Le 28 juillet 1789, les paroissiens s'assemblèrent au son de la cloche sur la place publique pour procéder à l'établissement d'une milice bourgeoise. L'élection des officiers donna les résultats suivants :
• commandant en chef : Monsieur le curé
• gros major : Monsieur le vicaire.
La cure possédait le presbytère contenant huit espaces de bâtimens, cour, jardin et clos attenant, le tout contenant deux arpens et demi environ, plus trois arpens et environ sept perches de pré, tous ces biens francs d'impôts (le clergé étant un ordre privilégié).
À la date du 14 décembre 1789 et conformément au décret du 12 novembre précédent, la municipalité de Breuillet reçut et applique une instruction de l'Assemblée nationale constituante sur la formation des nouvelles municipalités qui devaient comprendre un maire, un procureur, des substituts, des officiers municipaux et des notables. L'ensemble de tous ces élus se nommait le Conseil Général de la commune . L'élection eut lieu dans l'église de Breuillet le 8 février 1790. On compta 91 citoyens actifs prenant part au scrutin. Par 58 voix, Pierre Broust cy-devant sindic, fut élu maire et prêta serment immédiatement ainsi que le maître d'école Nicolas André Piat. Le corps municipal fut ainsi constitué :
• 1 er officier : Thierry Charles, vigneron,
• 2 ème officier : Marcognet Thomas, laboureur,
• 3 ème officier : Léonard Paul Nicolas, maçon
• 4 ème officier : Beauvais Dominique, vigneron,
• 5 ème officier : Marly Michel, vigneron,
• Procureur : Brodeur Jean-Baptiste, vigneron,
• Secrétaire-greffier : Brière Claude, tailleur d'habits.
Un des premiers actes du conseil général fut de prendre l'arrêté suivant destiné « à soutenir le maintien et le bon ordre de la paroisse. … Défences sont faites à tous cabaretiers de tenir le monde chez eux pendant le service divin et après une heure indue… Défences sont faites à toutes personnes de ne point travailler ny festes ny dimanche sans nécessité légitime… ». Voilà comme on comprenait la liberté de conscience, ce jour du 24 février 1790 ! Le conseil général racheta son intolérance en prenant le 11 avril une nouvelle délibération : « … il n'y aura plus aucune distinction dans l'église en aucune manière et il n'y aura plus de morceaux de pain bénie distingué de donné à aucune personne, excepté à tout le clergé et aux deux marguilliers ».
La prestation de serment civique imposée par un décret de l'Assemblée nationale constituante donna lieu, le 3 juin 1790 à une cérémonie faite « avec toute la pompe et la magnificence possible . À cet effet on a autorisé le maire de ladite paroisse à faire un enrôlement de quarante jeunes gens qui tous bien formés et sous les armes commandé par Louis Charles Fournier, soldat appointé du Régiment de Navarre, ont assisté à cette cérémonie avec toute la décence et toute la majesté possible ». La cérémonie se déroula par :
• un discours prononcé en chaire dans l'église, sur la cérémonie et dit par Louis Simon Ciergens (Ciergeur ?), vicaire, de manière à faire une impression favorable sur l'auditoire… Des applaudissements qui se sont élevés à la fin du discours ont fait connaître le contentement et la satisfaction qu'il avait procuré à tous les Français rassemblés à cet instant.
• Une procession avec audition du Veni creator ». Une foule de citoyens sur le visage desquels la joye, la satisfaction, l'allégresse la plus vive s'empressaient les uns les autres d'arriver à l'endroit où ils devaient s'y jurer mutuellement de répandre jusqu'à la dernière goutte de leur sang, plutost que d'abbandonner la constitution qui devoit leur être donnée par l'auguste Assemblée nationale. Arrivés dans ce lieu, le clergé, les officiers municipaux, ma garde bourgeoise et tout le peuple s'est rangé autour d'un autel orné de fleurs, de guirlandes, de couronnes sur lequel on avait placé une croix fort élevée et le sieur Pierre Broust maire de ladite paroisse dans un discours plein d'énergie leur a montré l'obligation qu'ils allaient contracter par le serment solennel qu'ils allaient faire. Il a engagé chaque citoyen de regarder dorénavant comme traître à la Patrie quiconque oserait réclamer en sa présence contre les décrets de l'Assemblée nationale et de les dénoncer comme tels aux tribunaux établis à cet effet. Les sentiments d'affection, de reconnaissance qu'avoient allumés dans les cœurs le discours tenu en chaire auparavant se sont redoublés, et au milieu des cris de Vive la Nation et le Roy dont l'air retantissoit, tous ce sont engagés par le serment le plus solennel à demeurer irrévocablement attaché à la Nation, à la loi et au Roy, et à cimenter, s'il le faut, de leur sang la constitution dont on a jetté si heureusement les premiers fondements.
« Là il a été décidé du consentement unanime de toute la commune que l'on témoigneroit à l'Assemblée nationale la soumission la plus profonde et la plus respectueuse pour tous les décrets déjà émanés et qui émaneront par la suitte de leur autorité. Enfin, au milieu d'une décharge de fusils on a commencé le Te Deum qui a été chanté avec les transports de la plus vive allégresse en retournant à l'église dans laquelle tout le peuple s'est rendu avec le même empressement qu'ils en étoient sortis pour attirer sur l'Assemblée nationale et sur la personne sacrée du Roy toutes les bénédictions qu'ils n'avoient cessés de leurs donner pandant la cérémonie par le psaume Exaudint qui a été chanté de manière à faire sur tous les cœurs la plus vive impression ». Ce procès-verbal ampoulé fut rédigé, on le devine, par le vicaire lui-même.
Fête de la fédération
La fête de la fédération se trouve ainsi relatée au registre de la municipalité. « Aujourd'huy quatorze juillet mil sept cent quatre-vingt-dix, pour répondre à l'invitation faite à toutes les communes du Royaume de se joindre à la cérémonie de la Confédération qui se doit faire aujourd'huy à Paris, nous habitans et membre de la commune de Breuillet après avoir assisté à une messe solennel du saint-Esprit chanté dans l'église de cette paroisse pour atirer sur tout le Royaume français la Bénédiction du ciel, avons prêté serment d'être fidèle à la Nation, soumis à la Loy et au Roy , de défendre de tout notre pouvoir la Constitution, de respecter et de ne donner aucune atteinte aux propriétés et d'empescher et de nous opposer de toute nos forces à tous ceux qui chercheroient à troubler la tranquilité publique ». On sent bien dans ce procès-verbal l'intervention du curé Vincent Fontaine et du noble, comte de Tilly qui l'ont signé.
Le repos dominical
Les officiers municipaux appliquaient avec sévérité l'arrêté du 7 mars 1790 concernant l'observance du repos dominical. C'est ainsi que le 29 juin 1790, le procureur Brodeur accompagné de quatre soldats de la garde bourgeoise, dresse procès-verbal contre Mathurin Baudry et Jean-Charles Thierry qu'il trouva dans le cabaret de la veuve Broust à Brétigny « en train de boire au moment du douzième psaume des vespres ; bien qu'ils prétendoient ne pas avoir entendu sonner les cloches, les délinquants se virent condamner en chambre du corps municipal à 20 sols d'amende destinés aux pauvres ».
Le 4 juillet suivant, le maire et le procureur accompagnés également de quatre soldats de la milice bourgeoise, se transportèrent à la prairie où se trouvèrent Pierre Bouché et Huot, ce dernier de Boissy-sous-Saint-Yon, en train de faner pendant la messe. Jugés immédiatement les deux coupables se virent taxés à une amende de 30 sols.
Cette justice municipale voulait être absolument impartiale en verbalisant si besoin était contre ses propres membres : « … le 29 août, le maire faisant la police des cabarets pendant les vêpres, surpris « chez le débitant Guinée, les personnes de Dominique Beauvais, l'un des officiers municipaux, Jean-Baptiste Brodeur, procureur, Jacques Duperray, charron, en train de boire ». Procès-verbal fut dressé et les prévenus condamnés à 20 sols d'amende sauf Guinée condamné à 3 livres parce qu'il avoit fermé ses portes et bu avec ses clients.
Toutes ces poursuites en faveur de l'Eglise produisirent fatalement un effet opposé. Dans la nuit du 12 au 13 septembre 1790, Jean-Baptiste Paillard, vigneron, et Vincent Rozière, charron, eurent l'idée d'aller manifester sous les fenêtres du vicaire. L'affaire prit des proportions énormes. La municipalité, bien pensante, ouvrit une enquête et convoqua les témoins. Jacques Roze, vigneron, vint déclarer « avoir entendu les inculpés dire des sottises atroces qui ne méritent pas d'être récitées, contre les sieurs curé, son vicaire et son bedeau ». Marie Catherine Saintin, épicière, déposa les avoir entendu chanter un Libera. Le procès porté devant le conseil du district d'Etampes se termina par la condamnation de chacun des prévenus en la perte des droits de citoyen actif et en 20 livres d'amende. La sentence fut affichée à la porte de l'église pendant 24 heures.
Et le maire Pierre Broust demeura sévère. Mais il lui arriva de tomber le 2 janvier 1791 sur un gaillard peu commode, le cabaretier-menuisier Pierre Bertrand Simon qui faillit se jeter sur lui. Pierre Broust se retire prudemment et fila aux vêpres suivi de près par le délinquant qui l'injuriait et qui déchira les affiches placardés à la porte de l'église.
Constitution civile du clergé
L'Assemblée nationale constituante avait rendu le 26 décembre 1790 un décret relatif à la prestation du serment des ecclésiastiques fonctionnaires publics. Voici en quelques termes jura Vincent Fontaine, curé de Breuillet, à l'issue de la messe du 2 février 1791, dans l'église où étaient réunis le conseil général de la commune et les fidèles : « L'Assemblée nationale s'étant plusieurs fois déclarée de ne point vouloir toucher au spirituel ny blesser la foi catholique, apostolique et romaine et que son intention n'est point d'exiger de nous son serment contraire à cette foi divine à laquelle je veux vivre et mourir fidel, c'est conformément et d'après l'assurance qu'elle nous donne à cet égard que je puis d'être soumis à la loi, fidel à la loi, fidel à la Nation et au Roy et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roy, de veiller soigneusement sur les fidelles qui me sont confiés et de rempli à leur égard tous les devoirs de pasteur ». Parmi ces fidèles, il n'en manquait pas qui eussent volontiers mangé le « pasteur ».
Le fidèle Pierre Bertrand Simon, entre autres, attaquait continuellement le maire, la municipalité et le curé. Si bien qu'à la date du 13 juin 1791, le procureur se vit dans l'obligation de lui dresser procès-verbal ainsi rédigé le lendemain sur le registre de la municipalité. « Il a été, par ledit sieur procureur, rendu plainte contre Pierre Bertrand Simon, menuisier en cette paroisse, des injures et invectives que ledit Bertrand Simon ne cesse de proférer journellement et en public tant contre Dieu même que contre la municipalité, le curé et habitans de cette paroisse et notamment le dimanche, jour de la Pentecôte, douze du présent mois depuis la sortie des vêpres jusqu'à environ dix heures du soir et au milieu du carrefour de la paroisse ; qu'il s'est permis de dire qu'il tuerait toute la municipalité, qu'il passerait une balle au travers du corps du curé et qu'il avait joui de presque toutes les femmes du pays, que Dieu était un « J.f. » de lui avoir mis (ici une incongruité) toutes les femmes du pays, en présence du public, hommes, femmes et enfants qui s'étaient réunis entendant ces déclarations pour le contraindre de se taire et de rentrer chez lui, et attendu que des propos de cette nature ne peuvent être que du délire d'un insensé et d'un furieux qui tend à troubler le repos et la tranquillité public, et à donner aux enfans et aux gens malhonnêtte un exemple dangereux, ledit sieur procureur de la commune requiert qu'il soit ajouté à ladite plainte que ledit Pierre Bertrand Simon est venu à la chambre de la municipalité au moment que ledit sieur procureur faisait sa plainte contre lui, que ledit Bertrand Simon s'est jeté sur Pierre Broust, maire, et l'a terrassé par terre en présence des officiers municipaux et lui a dit qu'il périroit ou lui… . ».
Personne ne périt, mais l'affaire fut envoyée au district d'Étampes. Cette décision n'était pas faite pour apaiser ledit Simon, qui, le 25 juin, à huit heures du soir, vint trouver le maire dans sa grange, l'injuria et lui dit « qu'il le tuerait avant huit jours ». Simon était un assassin peu pressé. Il eut cependant le désagrément d'être appréhendé le 21 août à midi par les gendarmes et conduit dans la salle de la municipalité où était assemblé le conseil général, pour exécution de la sentence du tribunal d'Étampes le condamnant à… des excuses.
La peine était plutôt douce et ne donnait que peu de satisfaction aux outragés en général et aux dames de Breuillet en particulier. La femme Guignard pour sa part ne s'en constata pas et guetta une occasion qui se présenta le dimanche 9 octobre.
Bertrand Simon revenait du pressoir du Chapitre, portant une hotée de vin. La vindicative commère armée d'un bâton « en bois de bouleau de trois pouces de circonférence et de trois pieds cinq pouces de longueur » en envoya un coup par la tête de son antagoniste. Elle y alla de tout cœur, car, suivant le procès-verbal, Simon fut « aveuglé de sang ». Elle s'enferma chez elle, ne laissant à sa victime que l'insuffisante consolation d'adresser à la porte close cette apostrophe : « … va gredin vous n'avez pas pu me tuer d'un coup de fusil ny me faire pendre mais vous massassiné sur le grand chemin … ».
À suivre...