Breuillet sous la Révolution (3) (1793-1796)
Cette chronique est le troisième volet de l'histoire du village de Breuillet pendant la Révolution. Nous reproduisons, dans l'esprit et la lettre, les procès-verbaux des réunions du conseil général, alias conseil municipal. Le texte précédent nous avait conduit au cours de l'été 1793, sous la magistrature de Louis Augustin Hubert, maire de Breuillet, qui, à cause de la grande rareté des grains, dut appliquer la loi du maximum général .
C.Julien septembre 2013.
Visite du représentant du peuple (24 octobre 1793)
Le pauvre Simon Hubert aurait dû comprendre que les temps étaient changés. Il crut s'en convaincre lors de l'apparition à Breuillet de Jean-Pierre Couturier, représentant du peuple français, membre de la commission des Dix spécialement délégués … pour la régénération révolutionnaire des autorités constituées, accompagné de plusieurs administrateurs et secrétaires. Après l'exécution du roi (21 janvier 1793), nous arrivons au moment où les Montagnards gouvernent la France ; les grands actes révolutionnaires mettent à l'ordre du jour la Terreur dominée par Robespierre après la loi sur les suspects (17 septembre 1793).
Le citoyen Couturier a relaté ainsi son passage : « Le troisième jour du deuxième mois de l'an II de la République française, une et indivisible, j'ai fait convoquer le conseil général de la commune et les membres du comité de surveillance, leur ai fait part de ma mission et leur ai représenté que les circonstances difficiles où se trouve la République pour terrasser tous les ennemis qui la combatte dans le nombre desquels le monstre du fanatisme est le plus dangereux, étoit du devoir de tout bon citoien d'exécuter promptement la loy et que je voiois avec peine encore trois cloches dans le clocher, l'inexécution du décret relatif à l'argenterie des églises et que ce jourd'huy, jour cy-devant connu sous le nom de dimanche, il étoit encore chommé tandis que par une nouvelle loi toutes les fêtes étoient abolies à la réserve de trois par mois, c'est-à-dire le dixième jour de chacun ; à laquelle représentation les membres de la commune et du comité de surveillance le curé à eux réunis m'observèrent que la Loi concernant les décades n'étoit pas encore arrivée, et que dès maintenant ils la mettroient en exécution et qu'en ce qui concernoit le transport de l'argenterie et la descente des cloches, j'avois prévenu leurs désirs, en conséquence, ils ont représenté un calice et sa paterne, un soleil, une boëte à l'huile, deux burettes et le bassin, une croix, un encensoir et sa navette et deux chadeliers petits, le tout présumé être pur argent qu'ils m'ont invité de vouloir bien transférer et qu'à l'égard des cloches ils alloient dès ce moment s'en occuper et qu'ils en feroient faire le transport au district, ce que je leur ai spécialement recommandé sous peine d'être taxé révolutionnairement à un don forcé proportionnellement à leur fortune ; et ils ont ajouté à l'argenterie ci-dessus le bâton de bedeau ayant trois viroles d'argent, un coquille à bec et une petite boite aussi d'argent » (1).
Et sur le point de vouloir clore le présent procès-verbal est comparu le citoien Pierre Bertrand Simon menuisier en ce lieu, lequel a déclaré qu'ayant comme la Loi qui ordonne la destruction des armoiries et autres signes de l'ancienne féodalité, du fanatisme et règnes despotiques qui viennent enfin de disparaître, il étoit monté sur le clocher de l'église à l'effet d'i faire disparaître plusieurs pareils signes mais qu'une affluence de femmes étoient survenues, l'auroient assailli à coups de pierres sans doutte conseillées de le faire après les maris, que ce qui a confirmé cette opinion, c'est qu'étant descendu de l'église, le nommé Houdon, vigneron et Jacques Rose, son gendre, ancien domestique du précédent curé aristocrate renforcé, l'excédèrent sçavoir ledit Rose en le prenant par les cheveux le terrassant et ledit Houdon en lui déchargeant un coup de valet de fer sur ses reins et en le qualifiant de gredin, de coquin et qu'ils étoient fâchés de ce qu'il n'a pas été tué sur l'église, sans que lui déclarant ai donné le moindre sujet, ni dit autre chose sinon qu'en descendant de l'église animé d'avoir été assailli de pierres, et de ce qu'on lui avoit ôté l'échelle, il leur dit qu'ils étoient des gredins, coquins, rebelles à la Loi ; il ajoute que s'étant pourvu devant le juge de paix contre ces hommes qui l'ont ainsi maltraité le nommé Charles Leroi, vigneron, maintenant membre du comité de surveillance bien loin de soutenir le patriotisme s'étoit emploié près du juge de paix pour faire trouver sa cause mauvaise, lequel ici présent est convenu avoir écrit au nom desdits Jean Houdon et Jacques Rose, que c'étoit Simon Bertrand qui avoit frappé le premier. Et par lesdits Houdon et Rose a été dit que ledit Bertrand Simon étant descendu de l'église très animé rencontra ledit Houdon et le traita de gredin, il lui présenta une croix de fer qu'il tenoit en main comme pour le pousser avec cette croix, qu'à ce mouvement, lui, Houdon empoigna la croix dont il fut blessé à la main, par le mouvement que fit ledit Simon en la retirant et par Jacques Rose, il a été dit que voiant que son beau-père saignoit à la main, il terrassa effectivement ledit Simon et que le « hola » succéda aussitôt par la survenance de plusieurs personnes. Lesquelles déclarations n'ont pas été contestées par aucune des parties, ni par aucun membre présent à l'assemblée, elles ont au contraire été confirmées par Nicolas Brou l'aîné qui étoit témoin oculaire de la scène, d'où il résulte qu'il reste toujours constamment vrai que ledit Simon voulant exécuter la Loi par la destruction des signes du fanatisme et de la féodalité, il a été excédé par une affluence de femmes à coups de pierres qu'on lui a ôté l'échelle pour qu'il ne puisse plus descendre et que Prosper Rosière la lui a rapportée, et qu'il n'étoit pas étonnant que ledit Simon brûlant du feu du patriotisme n'ait été animé contre ses assaillants. De tout quoi j'ai jugé par le silence que la commune et le comité de surveillance a tenu sur cette affaire et tiennent même encore en ma présence que leur patriotisme n'est pas à la hauteur qu'il doit être maintenant dans les circonstances où la République est entourée de tyrans coalisés de toute l'Europe pour la déchirer, en conséquence, j'ai destitué le conseil général de la commune ainsi que le comité de surveillance et de suite, je les ai réorganisé révolutionnairement les listes que je me suis fait représenter de la manière suivante.
Municipalité : Pierre Bertrand Simon, maire ; Vincent Rosière, procureur de la commune ; Sulpice Beauvais, substitut à cause des infirmités du procureur de la commune.
Officiers municipaux : Nicolas Paillard, Jean Guillaume Oisille, Jacques Gervais, Pierre Portehault, Nicolas Brou l'aîné.
Conseil des notables : Baron, curé, officier public, Augustin Hubert, Charles Le Libre ci-devant Le Roy , Jean Houdon, Nicolas Poulet, Jean-Baptiste Guignard, François Tabut, Pierre Vonpu, Martin Brou, Valette fils, Jean-Claude Poulet, Ignace Graf dit Bertrand.
S'agissant de l'organisation du comité dont j'avois fondé la destitution sur l'affaire qui a eu lieu entre Bertrand Simon et Jacques Rose, il s'est élevé des voix de pacification, de la consolidation de laquelle l'assemblée a jugé que tout rentreroit dans l'ordre, que cette conciliation effectuée le comité de surveillance seulement formé depuis huit jours seroit composé aussi bien qu'il pouvoit l'être, à ces voix Bertrand Simon a manifesté le désir d'opérer cette même conciliation et de fraterniser avec lesdits Houdon et Rose, lesquelles se sont en conséquence donné la main et l'accolade fraternelle au milieu des applaudissements, en conséquence j'ai confirmé la formation du comité de surveillance en tout son contenu et l'ai chargé de vérifier et de faire la recherche des auteurs et moteurs de cette même affaire, je les ai spécialement chargé de faire les perquisitions les plus sévères contre les hommes suspects et de les faire mettre en état d'arestation , tous lesquels membres tant du conseil général que du comité de surveillance se sont présentés au bureau et ont juré en mes mains de maintenir la liberté et l'égalité ou de mourir à leur poste en les déffendant, ce qui a été fait au milieu des aplaudissemens et des cris de Vive la République, Vive la Montagne , périsse les tirans ; la Liberté, l'Egalité ou la Mort et que la Convention nationale reste à son poste jusqu'à ce que l'ennemi ait mordu la poussière.
Administration de Pierre Bertrand Simon
En dépit de ses ennemis et de la haine que lui avaient jurée les femmes de Breuillet, Pierre Bertrand Simon devint le nouveau maire désigné par le représentant en mission. Le citoyen Couturier n'avait certes pas trouvé dans la commune de partisan plus convaincu de la Révolution. Simon convenait parfaitement au gouvernement des Montagnards. Ses actes étaient conformes à ses opinions. Le citoyen maire avait quatre enfants à qui il donna des prénoms révolutionnaires : Germinale, Victoire, Jacinthe et Groseille.
De ce point de vue, les registres d'état-civil de Breuillet décèlent les naissances suivantes : Bacchus Vitry, Messidor Hallier, Abdon Leconte , Groseille Gaudron, Yacinthe Dumortoux, Brumaire Cordier, Raisin Broust, Cézard Broust, Grouchy Broust, Basilic Broust, Cerise Hallier, Darc Leroi, etc. Les cinq officiers municipaux habitaient un coin du village au nom prédestiné, déjà désigné au terrier de 1788 sous le nom de « Pont Rouge ».
L'administration communale reçut, dès lors une impulsion révolutionnaire. Sur les trois cloches, deux furent brisées et les morceaux envoyés au district. Le 18 brumaire an II (8 novembre 1793), le substitut du procureur de la commune comparut au greffe de la municipalité disant : « qu'il lui a apparu dans l'église de cette commune des signes aristocratiques sur un monument posé dans le chœur de l'église, tombe du curé Tarragon, où il y a inscription Messire le seigneur, et c'est ce qui blesse la vue de tous les patriotes et il requiert que lesdits signes soit effacé ou ôté de sa place qui est si apparentes,… Il requiert aussi que le confessional qui est dans la chapelle à gauche qui étoit occupé par le vicaire et que le milieu dudit confessional soit placé en pignon du vicaire à côté de l'arbre de la liberté pour y faire la gueritte d'un sentinelle, ainsi que celui de la chapelle de droite soit aussi ôté et placé à la porte de la maison commune pour y faire aussi une gueritte pour s'en servir dans le besoin ». Sulpice Beauvais n'avait pas des idées banales. Ses idées furent agrées du conseil municipal qui décréta en outre que les guérites seraient « sellé avec des pattes de fer ».
Le 3 frimaire an II (23 novembre 1793), l'assemblée décida des perquisitions chez le citoyen Ignace Graff, fermier de la citoyenne d'Ivry, afin d'y saisir des titres aristocratiques destinés à être « brûlés en la maison commune ». Le 7 frimaire, Jean Fleury, vicaire, âgé de 75 ans « vint déclarer au greffe qu'il renonçoit à sa qualité de prestrise ». Le curé Baron suivit son exemple trois jours après. Le 11 frimaire an II (1er décembre 1793), le maire enregistrait le mariage de Baron, âgé de 33 ans, qualifié d'officier d'état-civil, et de Victoire Vallet, blanchisseuse, âgée de 17 ans.
Signatures au bas de l'acte mariage Baron-Vallet (11 frimaire an II à Breuillet)
La proposition suivante du procureur Rosière ne manqua pas de piquant : « Aujourd'huy 24 frimaire an II de la République une et indivisible, est comparu au greffe de la municipalité le citoyen procureur de la commune disant que les effets qui restent à l'église comme linges, armoires, boiseries et bans et toutes autres effets qui peut y avoir qui ne sont point d'usage pour la Nation, il requiert que tous lesdits effets soient vendus aux citoyens de la commune et non à d'autres et que le produit de ces dits effets sera partagé entre tous les citoyens de ladite commune comme étant un bien commun ».
La vente produisit 3.579 livres 17 sols. Sur l'avis des administrateurs du district d'Etampes, cette somme fut distribuée à 96 familles nécessiteuses de la commune comptant ensemble 374 personnes. Or il arriva que le désaccord s'établit au sein du conseil général de Breuillet. Sur une plainte formulée par quatre des cinq officiers municipaux contre le maire et l'agent général (procureur), le 23 pluviôse an II (11 février 1794), l'administration de la commune fut confiée par le représentant du peuple Crasson à Jacques Gervais, l'officier municipal le plus ancien. L'emploi d'agent général fut donné à Sulpice Beauvais.
Administration de Jacques Gervais
Un des premiers actes de la nouvelle municipalité fut de déléguer l'agent national ou général Sulpice Beauvais et Nicolas Palleau, officier municipal « à la maison de Bâville commune de Roche-Lupin pour réclamer les cueilloirs et papier et carte de la commune de Breuillet comme titre utile à l'assiette des impôts fonciers ». L'enseignement public fut organisé, conformément à la loi, le 3 germinal an II. Le conseil général agréa, comme instituteur le citoyen Nicolas André Piat, « ancien recteur d'école de cette commune ».
On était alors en pleine Terreur. Le 6 floréal an II (25 avril 1794), l'officier public Ignace Graff dit Bertrand domicilé à La Folleville s'était présenté au greffe et avait annoncé que « la Noget d'Ivry, cy-devant demeurant à Bâville… avet passez par le glaive de la Loy ». Euphémisme charmant.
Il y avait alors en France une certaine quantité de nobles de nom, bourgeois d'origine, anoblis de par leur propre autorité. Cette particularité n'était pas nouvelle, et autrefois Sully et Colbert avaient dû agir contre ces usurpateurs qui coupaient aux impôts. Quand survinrent la terreur et son « glaive », les titres et particules de cette noblesse étrange disparurent comme par enchantement, chacun de ses membres préférant magnifiquement « redevenir Gros Jean comme devant », que de faire connaissance avec la guillotine.
23 ventôse an III.
15 ventôse an III.
Signatures du maire et de l'officier public en pluviôse an II.
C'est ainsi que le 7 floréal an II (26 avril 1794), la ci-devant citoyenne Augustine Catherine Dupré, veuve de Jean-Baptiste Charles, demeurant à Paris, section de l'indivisibilité, déclara au greffe qu'elle désirait fixer sa résidence au hameau de Guisseray. Elle révéla que « feu Jean Dupré, son père, avait prétendu avoir aquit une charge qui donnoit après vingt ans d'exercice le privilège de noblesse si peu important à la citoyenne déclarant puisqu'en mil sept cent soixante onze la dite citoyenne susnomée et à la fleur de son âge ainsi qu'elle le déclare a épousé le citoyen feu Charles roturié étant dune âge avancée étant fils du citoyen Charles, greffié en chef du présidial de Verdun et ledit feu son mari n'a jamais possédé aucune autre charge que celle d'avocat an consulle et de controleur du payan des gages et comme il ni avoit aucun privilège attaché à cest deux charges et même quil n'a exercé que très peu de temps quoiqu'ayant en la vanité de prendre dans différents actes même dans ceux de baptêmes de ses enfants, d'écuyé et de chevallié, la citoyenne veuve Charles, observe quelle est séparée de corps et de bien avec son mari depuis le mois d'aoust mil sept cent quatre vingt-douze et quelle n'étoit ni de la façon de pensée de son mari ni de cest folles prétentions puisqu'elle a fait tout ce qui étoit nécessaire pour s'en séparer quelle n'a participé en rien à la fausseté qu'il a voulu s'atribuer et dans la crainte d'estre compris aux gens a quil la Loi ordonne de quitter Paris, elle a désiré passer à sa section y prendre un ordre de passe tant pour elle que pour sa fille et elle vient en faire la déclaration à la ditte municipalité pour prouver quel cest toujours plu à se soumettre à toute les lois, mais elle observe quelle est loins de sasimiler aux ci-devant nobles et de croire estre comprise dans le décret, elle n'a donc pris le parti précautionelément qu'à cause des paines rigoureuses prononcé par la Loi contre ceux qui peuvent se trouver dans le cas azardroist de demeurer à Paris ou dans les villes frontières de la république. Elle demande qui lui soit donnez acte par la municipalité de sa démarche quelle nest provoqué que par son civisme, son zelle et son respect pour la Loi… ».
La précaution de la citoyenne Dupré n'était assurément pas inutile. La grande mais terrible Convention nationale ne plaisantant pas avec les lois. A force d'énergie elle sauva la France. Mais quelle vigilance ! La crainte du « glaive de la Loi » était le moteur le plus efficace de la machine administrative.
Qu'on juge les transes de Jacques Gervais, maire par intérim, quand il apprit le 9 floréal an II, que « le cochon de Nicolas Paillard mis en réquisition par l'administration d'Étampes « était malade et en danger de mort ».
Temple de la Raison
Le 3 prairial an II (22 mai 1794), l'agent national Beauvais, agissant en vertu d'un arrêté du Comité de Salut Public du 23 floréal précédent, portant qu'au frontispice des édifices ci-devant consacré au culte on substituera à l'inscription Temple de la Raison, ces mots de l'article premier du décret de la Convention nationale du 18 floréal : « le peuple reconnoit l'estre suprême et l'immortalité de l'âme » mit la commune en demeure de faire faire l'inscription sous quatre jours. Le culte de la déesse Raison venait de disparaître avec son fondateur, le conventionnel Hébert, mort sur l'échafaud.
Les réquisitions
La situation des citoyens en l'an III, à s'en rapporter aux procès-verbaux, était toujours bien précaire. La plupart ne pouvait satisfaire aux réquisitions et les commissaires envoyés par le district d'Étampes se voyaient dans l'obligation, dès les premiers mois de cette année de distribuer les grains livrés entre les cent familles nécessiteuses de la commune. Beaucoup de ces miséreux avaient des parents dans les armées de la République, et les secours que leur accordait, pour cette raison, la loi du 13 prairial an II, étaient un bien maigre compensation.
Comme monnaie les assignats, en parfait discrédit, de reste. En ces temps de misère, il n'y avait pas de petite économie, même et surtout pour le conseil général de la commune. Le 7 nivôse an III (27 décembre 1794), l'agent national exposa que « vu la rigueur du temps et les opérations qui existe an ce moment, quil es urgent d'ajeter un poille pour mettre dans la maison commune afin de conserver le bois qui se trouve rare an ce moment ». Les opérations dont il s'agit consistaient dans « le brûlement des bois et l'envoi des cendres an génie militaire chargé de la fabrication des poudres de guerre ». La proposition de l'agent national fut favorablement accueillie par le conseil général.
Les réquisitions répétées, outre qu'elles énervaient les cultivateurs qui n'en pouvaient mais, avaient pour résultat immédiat de créer une grande animosité contre la municipalité en général, et contre Jacques Gervais, maire par intérim, en particulier. Cette inimitié se traduisit par de sourdes rumeurs, d'abord ; puis, la Terreur passée les habitants mécontents ne se génèrent guère pour exprimer, en termes aussi clairs que vulgaires, toutes leurs rancœurs.
Le citoyen Louis Broust, vigneron, avait été mis en demeure de mener au marché d'Étampes un demi quintal de grain. Le 6 ventôse an III (24 février 1795), vers six heures du soir, Jacques Gervais revenait de ses travaux lorsque le citoyen Bertier marchand de vin à Paris et le citoyen Nicolas Paillard meunier à Breuillet l'invitèrent à enter chez le cabaretier Duperray. « En ce moment ledit Broust a été fraper à la porte de la maizon comune et ni ayant trouvez personne ledit Broust est revenu sur ses pas pour sans retourner soi-disant ché lui. Le citoyen Nicolas Soulas, vigneron demeurant à Brétigny commune de Breux a dit audit Broust sy tu cherche la municipalité an voillat issy une party. Ledit Broust a répondu que oui et setant aprochez sur le pas de la porte dudit Dupairait a aperçus ledit Gervais an lui disans sest dont que tu te fout de moy de mavoire mie requisision pour que je donne du bled, tenant sa dit requisision an sa main. Ledit Gervais lui a répondu ne te fâche pas pour celat contre moy va tans expliquer aux districte et lais moy tranquille. Ledit Broust lui a reppondut quesque tu veux que jy aille faire ille sont aussy bon que toy et a dit acolerre va, viens chercher mon bled toy ou dautre su tuest bon garçon va ille nans sortira pas ou on me foutera la tête à bas et aucain Janfoutre natrerat ché moy. Comant ge peu ancore avoire deux septiers de bled ché moy et tu mans demande. Sest une vengance que tu as contre moy et a getere ledit apapier qu'il tenet an sa main dans la maison audit Dupairait, an disant tien voilat ton foutut papier et je mans fout autant comme de toy et comme de ceux qui l'avont fait ».
On comprend, dès lors, pourquoi les élections de germinal an III (mars 1795) bouleversèrent à peu près complètement le conseil général de Breuillet qui se trouve ainsi constitué :
Municipalité : Ignace Graff dit Bertrand, maire ; Sulpice Beauvais, agent national,
Officiers municipaux : Nicolas Palleau, François Guette, Jean-Baptiste Etienne Guignard, Jacques Duperray. Plus 12 notables.
Administration de Ignace Graff dit Bertrand
Les membres composant le conseil général de Breuillet avaient reçu, sans aucun doute, une instruction des plus rudimentaires. Témoin le notable Jean-Baptiste Paillard, qui, nommé officier d'état-civil, se déclara « incapable de rédiger une acte aussy conséquent » et se fit adjoindre pour se faire, le greffier qui était, de son côté, en guerre ouverte avec l'orthographe.
Mais si le Français n'était pas leur fort, ils avaient, en revanche, des dispositions spéciales pour le calcul et le prouvèrent le 25 floréal an III (14 mai 1795) quand ils examinèrent les comptes de Pierre Bertrand Simon, ex-maire, ex-trésorier de la fabrique et de la Charité, devenu percepteur de la commune. Les chiffres présentés par Simon étaient de la dernière exactitude en recettes comme en dépenses , mais l'article « reprises » était beaucoup moins clair. Le conseil mit le percepteur en demeure de lui présenter ses comptes en règle « dans le délai d'une décade » le menaçant passé ce délai d'une dénonciation au district.
Naturellement Simon difficilement impressionnable n'obéit point ; une plainte fut envoyée le 9 prairial au directoire d'Étampes. Simon s'exécute le 24 thermidor. Ses comptes furent épluchés avec soin. L'agent général lui reproche sévèrement de n'avoir pas porté enrecettes savoir
• les quatre bastons du daix,
• trois banquettes servant dans l'églize pour le maite chante,
• une cuvette de cuivre rouge,
Vu le peu d'importance de cette lacune, les comptes furent approuvés.
Pierre Bertrand Simon garda bon souvenir de l'aventure. Quand on lui demanda le 8 vendémiaire an IV (30 septembre 1795) de dresser la liste « des citoyens qui on des parens au service de la patery et qui prétendent aux secours que la Loy accorde », il s'y refusa prétextant ne le savoir faire en ajoutant qu'il n'avait pas les moyens de le « faire faire par d'autres ». Sa mauvaise volonté est manifeste.
Alors, il arriva que lui, Simon, lui qui avait montré tant d'enthousiasme lors des enrôlements de 1792, lui qui avait offert un uniforme pour des militaires, se trouva accusé de « manque de civisme ». Sa réflexion sur ses « moyens » réveilla ses contradicteurs, « il s'était tout dernièrement rendut adjudicataire au districte d'Étampes d'une propriété national d'environ deux mil livres ». Simon fut déclaré suspect, mauvais citoyen et signalé comme tels à Étampes : il ne s'en souciera point. Les temps avaient bien changé. La Convention nationale disparue, la réaction eut beau jeu avec le nouveau gouvernement, faible et miséreux.
Le 10 messidor an IV (28 juin 1796), les citoyens Pierre Broust, maire, Jean-Michel Amé, Jean Houdon, Sulpice Beauvais, ex-agent national, Jacques Broust, Nicolas Piat, instituteur, Denis Dinzille, notable, vinrent déclarer devant l'adjoint « quil choisissoient la cidevant église pour y exécuter le culte catholique ».
Directoire et Consulat
Les registres de la municipalité, malheureusement, n'ont pas été tenus avec soin de l'an IV à l'an XI. De quelques actes insignifiants du reste, qui ont été dressés dans ce laps de temps, il ressort que le citoyen Claude Brière, d'abord agent municipal est devenu maire de Breuillet.
Note
(1) Le comité de surveillance est une institution révolutionnaire créée par le décret de la Convention nationale le 21 mars 1793 dans chaque commune. Composé de 12 membres, le comité est chargé d'établir la liste des étrangers présents sur le territoire de la commune. La loi du 1er jour complémentaire an I (17 septembre 1793) étend la compétence du comité dans le but d'établir la liste des suspects et de procéder à leur arrestation.