La vie de Madame de Beaufort Ferrand

Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _------------------- --------- Juillet 2010

Partie de la carte d'Isle de France dressée par Lapointe.

JP. Dagnot

C. Julien

 

 

Cette chronique est consacrée à Anne de Tixier, Dame de Janvry, dont le père Antoine de Saint-Martin de La Porte, frère carme réformé de la Maison du Saint-Sacrement des Billettes donna une biographie «  De la véritable et solide dévotion en la vie de Madame de Beaufort-Ferrand  », publié en 1650 avec privilège et approbation du roi (1). Il va de soi, qu'un ouvrage écrit par un Religieux, ne peut que louer les qualités d'une dame qui fut particulièrement pieuse.

Le volume sur la vie d'Anne de Texier, ouvrage est dédié à son mari, Monsieur de Beaufort Ferrand, conseiller du roi au Parlement de Paris, seigneur de Janvry. Le religieux commence son épître par : «   Je tire de vostre Maison un trésor qui, pour ne s'estre produit qu'avec une grande réserve , et pour avoir voulu demeurer trop caché au monde , ne se rendoit pas utile comme il estoit précieux, C'est la vie d'une Dame que le Ciel a traictée à la façon des Anges, luy donnant une nature si avantageuse , et si dignement répondante à la grâce , qu'ayant esté très éminente en l'une , elle a toujours estè très élevée en l'autre » (2).

C'est en tant que directeur de conscience et confesseur de Madame de Beaufort Ferrand que la père Antoine écrivit son ouvrage composé de trois livres : (i) De la façon de vivre et de converser dans le monde , (ii) De ses vertus et (iii) De ses exercices de piété .

 

 

Sa naissance et son extraction

Madame de Beaufort Ferrant «  estoit fille d'Amos du Tixier, seigneur de Maisons et de Brie, et de Dame Françoise Hurault, tous deux liez de sang ou d'alliance avec des grands chambellans, grands pannetiers et deux chanceliers de France, et quelques chevaliers honorez de l'Ordre du Roy. Ils eurent pour prémices et fils aisné, et principal héritier de leur chaste union Charles du Tixier, auquel les avantages de son esprit et ceux de sa naissance pouvoient faire espérer les plus hautes dignitez  » nous dit le père Antoine, en nous expliquant que Charles du Texier prit le froc aux Feuillants «  entrant dans la Congrégation de Nostre-Dame des Feüillans, et s'y rendant fondateur du Monastère de Fontaines, où il a vescu et est mort en Sainct  ».

Françoise Hurault, sa mère, eut son entrée au monde dans Paris et donna naissance à un fils et quatre filles dont Mademoiselle de Maisons, révérende mère de Saint-Denis où elle prit le voile à l'âge de 46 ans. Marie, l'aînée des filles épousa Messire Charles Ripault, chevalier et comte de Veuilly, seigneur de Genevroy. Anne du Tixier est la troisième enfant du couple et la plus jeune des filles, Magdeleine du Tixier épousa le «  très-haut et très-puissant seigneur le marquis d'Ampierre  ».

Elle passa sa jeunesse au château familial sous la direction d'une gouvernante, fille de Sainte-Marie, qui lui fit «  rompre tout commerce avec certains esprits dont la conversation luy estoit assez agréable…  ». Elle avait ses petits devoirs du matin d'adoration, d'action de grâces, d'offrandes, de contrition, de demande et certaines petites oraisons qu'elle adressait à la sainte Vierge, son bon ange sainte Anne sa tutélaire et au saint du mois, avec un petit train de vie réglé qu'un Père Recolé lui avait donné. Le confesseur poursuit «  De cette mesme source d'humilité vint encor que comme on pensa un jour l'avoir bien obligée de luy envoyer un abbrégé de la vie de Monsieur de Brye son frère après qu'il fust mort, avec son pourtrait, elle le receut d'un air qui marquoit je ne sçay quelle espèce de mécontentement, et comme on luy en demanda le sujet, elle répondit: Helas ! Je ne sçay que trop la saincté de mon frère ! Mais sera, il dit que je suis la sœur d'un Bienheureux et d'un Sainct dans le Ciel, et que je vive en mondaine et en un petit démon sur la terre ?  ».

 

 

Le mariage d'Anne du Tixier avec Michel Ferrand

Parlant du mariage d'Anne du Tixier, le père Antoine explique que Madame sa mère étant devenue veuve «  d'un mary qui estoit hérétique qui alloit les dimanches à Charenton  », avait prit la résolution de marier ses filles dans la religion catholique et se résout de donner sa fille à un parti à son insu. «  Laquelle luy donna Messire Michel Ferrand, seigneur de Beaufort, conseiller du Roy en son Parlement de Paris, personnage autant signalé et recommandable par son intégrité, justice, et piété, qu'aucun de son aage et de sa robbe, et qui avoit avantageusement toutes les conditions tant souhaittées par cette pieuse Mère. Il rencontra en cette Damoiselle ce que l'Escriture saincte appelle un trésor sur trésor, et une grâce sur grâce, c'est à dire, une femme des plus sages que le siècle portast…  ».

L'auteur développe à la suite plusieurs paragraphes traitant de la vie de Madame de Beaufort Ferrand : de l'air du grand monde qu'elle prit étant mariée, de sa conversion dans le grand monde. Un chapitre entier est consacré par le confesseur pour décrire comment Anne du Tixier se retira du grand monde pour mener une vie plus retirée et comment elle se mit sous la conduite de son directeur de conscience. Le Père Antoine de La Porte s'était établi à Paris pour prêcher le carême trois fois la semaine aux religieuses appelées les Célestes. C'est Mademoiselle Richer, d'origine lorraine, qui présenta le révérend à Madame de Beaufort Ferrand.

De l'union avec le parlementaire Michel Ferrand, Anne du Tixier eut deux fils, Pierre et Jean «  elle n'a rien épargné de tout ce qu'elle a crû leur devoir servir d'éguillon pour les pousser au bien, et de frein pour les retenir du mal  ». Elle a fait passer Monsieur son aisné par tous les exercices propres et ordinaires à son sang. Et retourné qu'il fut des estudes, Monsieur son Mary se voulant voir un autre luy-mesme en son Fils par une charge qui luy devoit donner rang sur les Fleurs de Lys, en qualité de Conseiller au Parlement,comme luy. Pierre Ferrand épousa Mademoiselle Gilot «  Damoiselle, dont on peut dire avec vérité, que la vertu s'est comme incorporée en elle pour se rendre visible…  ».

Le fils cadet, Jean Ferrand, sieur de Vouselle, avait perdu un œil «  d'un coup de pierre qu'il receut  » alors qu'il était dans les mains d'une nourrice peu prévoyante te soucieuse. Il fut éduqué par le Révérend père Paulin, supérieur de la maison professe des Pères Jésuites.

 

 

Madame de Beaufort Ferrand eut une inclination particulière pour ses filles. Alors qu'elle rêvait de voir son aînée, Magdeleine, Mademoiselle de Janvry épouser un gentilhomme très qualifié «  qui avoit une charge très-considérable chez le Roy  », celle-ci décida de prendre le voile de religieuse «  Luy ayant donc faict response un jour de l'Exaltation de Saincte Croix, en son Chasteau de Janvry, et fait la déclaration de ne jamais partager son cœur par l'estat du mariage, et qu'elle se sentoit appellée de Dieu à l'estat de la Religion, ce luy fut véritablement un glaive de douleur, tant chère luy estoit cette fille…  ». En l'an 1634, le jour de l'Annonciation de la sainte Vierge, cette demoiselle entra en religion à Sainte-Elisabeth couvent dirigé par sa tante.

La cadette, Marie-Angélique, Mademoiselle de Beaufort , ressemblait en tous points à sa mère. Plusieurs partis avantageux se présentèrent mais la jeune fille voulut garder sa liberté. « Souvent et très-souvent cette beniste petite créature se sçavoit dérober à la campagne, et s'enfermer dans l'église proche du Chasteau, et là se tenoit devant le S. Sacrement, tantosft les bras en Croix, tantost la face contre terre, tantost les yeux baignez de larmes, tantost y prenant la discipline pour demander en cette posture d'humiliation lumière à Dieu, luy disant : Parlez, Seigneur,voila le cœur de vostre petite Angélique tout aux escoutes pour entendre et pour embrasser vostre saincte volonté… ».

 

 

Les exercices de piété et de charité à la campagne

Après avoir parlé de la vertu de Madame de Beaufort Ferrand et de ses comportements dans le mariage, le père Antoine représente son économie et sa façon de vivre dans sa famille, de ses exercices de piété et de charité à la campagne, c'est-à-dire dans sa terre et seigneurie de Janvry. Laissons parler le révérend. La paroisse de Janvry où elle estoit en authorité et en pouvoir, et les autres circonvoisines où elle estoit en estime et en crédit, sont toutes embaumées de l'odeur de ses bons exemples. Elle obligeoit les pauvres gens à l'usage des Sacrements, leur faisant donner l'aumosne après la Confession, augmentant ses libéralitez envers ceux qui profitoient mieux de ses admonitions, et par une pieuse rigueur, elle retranchoit ses charitez aux indévots. Elle s'occupoit à restablir et meubler quelques églises dans une décence plus convenable à la grandeur de nos mystères, taschoit d'y procurer quelques Catéchismes par les Pères de la Mission, ou autres, y entretenoit des lampes devant le S. Sacrement, y protégeoit les Curez, y faisoit observer les Ordonnances et les Polices de l'église, celles spécialement qui deffendent l'entrée des cabarets , et le jeu dans les maisons durant la célébration du Divin service ès jours de Festes. Elle y retranchoit les crapules et les blasphèmes, faisoit des remonstrances à certains plaidreaux de Village qui tirent jusques au sang des parties, et entretiennent de pauvres paysans en un esprit de chicane qui les faict se consommer en frais. Elle y terminoit des différends et des querelles, usoit d'une douce authorité pour faire aller à Confesse ceux qui n'y alloient que rarement. Elle revestoit des pauvres valides, leur faisant donner des instrumens pour aller travailler. Elle y logeoit et traittoit les pauvres passants, et instruisoit de pauvres femmes ou filles ignorantes, y visfitoit et assistoit les pauvres malades de la Paroisse, ou d'argent, ou de médicaments, ou d'habits, ou autres nécessitez. Allant à pied avec une Damoiselle ou femme de chambre aux Villages voisins pour consoler ces pauvres patients, leur porter de petites douceurs, faire leur lict etc. Prenant la maison du malade où elle alloit pour l'une des stations de la Passion de nostre Seigneur où elle l'alloit visiter en sa personne de ces pauvres gens, tantost pour le Mont de Calvaire, un autre jour pour le Mont des Olives. Elle y vouloit toujours sçauoir le nombre des allitez, et donnoit ordre, qu'avant que d'ensevelir qui que ce fust, si faire se pouvoit, on luy en eust donné advis, disant, C'est un droit qui appartient à Madame, pour recompense du soing quelle a prit d'eux en leur maladie. Elle y accompagnoit à pied le S. Sacrement toutes les fois qu'on le portoit aux malades, ou dans le Village, ou à la campagne sous demie lieue. Et les mille autres intentions de faire là du bien que sa charité ingénieuse luy faisoit trouver.

 

 

Les exercices de piété et de charité à Paris

Sous le titre « L'esprit auquel elle visitoit les Hospitaux et les prisons par chaque mois », le père Antoine décrit les exercices de piété de Madame Ferrand à Paris.

Elle amassoit durant le mois à diverses fois un certain petit revenu en faveur de ces pauvres et tristes images de nostre nature, qui sont dans les Hospitaux et les prisons. Et le jour qu'elle prenoit pour visiter l'Hostel-Dieu, elle adoroit la pauvreté sanctifiée et déïfiée par les exemples d'un Dieu qui s'est appauvry et privé de toutes choses, jusques à n'avoir pas mesme un logis propre à se retirer et reposer, et mourir tout nud dans une Croix dépourveu de toute assistance, chargé de toute affliction et misère, enfin qui a toujours esté sa chère amie, et la compagne inséparable de tous ses estats et mystères.

Voire elle se faisoit pauvre elle-mesme, pratiquant la pauvreté en tout ce qui la regardoit ; en son cœur, le vuidant de tout amour déréglé des biens de la terre, afin d'y donner un plein empire à celuy de Dieu ; en son esprit, le dénuant de toute autre pensée que de contenter un Dieu, n'ayant nullement les richesses en son esprit, ny son esprit dans les richesses, se servant des richesses sans servir aux richesses. En ses habits, n'affectant autant que la bienséance et sa condition le luy permettoient , que les plus modestes et les plus simples : En ses vivres, fuyant ceux qui apportent trop de delicatesse et de délices au goust. En son train, n'ayant de serviteurs que ce que la nécessité de son estat en requéroit. En son lict, l'ayant de la plus ample estoffe, sans affectation et sans appareil. En sa conversation, ne visitant rien si volontiers que les pauvres et les Hospitaux ; en tout et par tout enfin, ayant le cœur libre de toute attache au bien. Là, voyant ces pauvres malades dans les tourmens de leur mal, et dans les abandons de tout secours, elle remercioit Dieu de l'avoir tirée des malheurs de la grande pauvreté où elle eust pu estre. Que vous ay je fait, mon Dieu, disoit-elle intérieurement, pour vous obliger de ne pas permettre que j'eusse esté comme cette pauvre femme gisante en ce grabat, et que je dors à mon aise dans un lict molet. L'esprit dont elle les servoit et les assistoit, venoit de l'obligation qu'elle croyoit avoir de servir, honorer et aymer nostre Seigneur, et de le secourir et de l'ayder, et de s'user à son service en cas qu'elle le vist en nécessité. Comme donc il a cedé ses droicts à ses membres, qui sont les pauvres, et les a associez à la participation de ses acquets ; elle se voyoit à raison de cette cession et transport, obligée de leur rendre en quelque façon les mesmes devoirs, amour, honneur, services et autres offices de charité; c'est pourquoy elle leur faisoit tout comme elle eust fait à Jésus Christ mesme, lequel elle reveroit et regardoit en leur personne sous laquelle il s'est mis, par promesse et par caution qu'il nous a donnée, que ce que nous ferons envers les pauvres en fon nom, il le tiendra fait à sa propre personne, qu'il se tiendra visité, consolé, repu, logé, servy en eux, pour nous rendre un jour de ses propres mains glorieuses ce que nous aurons mis pour son amour dans les mains affligées.

Au jour qu'elle prenoit pour les prisons, elle disoit auparavant quelques prières pour le bien spirituel et temporel de ces pauvres captifs qu'elle alloit visiter et consoler, pour suppléer à celles que la pluspart ne disent pas, ou par lascheté et indévotion, ou par trop d'affliction, qui leur oste la pensée de s'eslever, et de s'addresser à Dieu. Voyant ces âmes infortunées et misérables dans cette Conciergerie…

 

 

La pratique religieuse de Madame Ferrand

Assez souvent elle faisoit chaque jour dire une Messe, et voicy ses motifs. Le Dimanche, pour rendre, disoit-elle, à la très adorable Trinité l'hommage de ma Foy, et le culte de ma Religion, et la sacrifice de ma rédemption. Le Lundy, en satisfaction à la justice Divine, pour les âmes de mes parens détenues dans ces prisons destinées à la dernière purgation des Eleus. Le Mardy, en l'honneur de Sainte Anne, à ce qu'il luy plaise d'associer ma famille, à celle dont elle a esté le Chef, et qu'elle m'obtienne de son petit Fils, qui est le Sacrificateur, le sacrifice et celuy à qui on sacrifie, une bonne mort. Le Mercredy du S. Esprit pour obtenir ses dons pour me conduire dans l'estat où Dieu m'a appellée à sa plus grande gloire. Le jeudy, pour me transformer par amour en celuy qui s'est faict ma viande et mon breuvage. Le Vendredy, en satisfaction à la justice de mon Dieu de mes pechez, pour lesquels je luy offre la vie , les travaux, la Passion, et la Mort de mon Jésus, donc sa bonté m'a faict cession en mourant. Le Samedy, de la très-pure Vierge, afin qu'elle offre au Père Eternelles mérites de son Fils, en recognoissance des grâces que j'ay receuës dans la sepmaine de son infinie miséricorde, tant générales que particulières, et qu'elle luy de mande nouvelles bénédictions pour la suivante, et qu'il soit souverainement adoré et aymé de moy et de ma famille, que je dis appartenir à Marie.

Entre les dévotions qu'elle avoit de donner quelques choses aux Églises, elle avoit celle-là de donner ce qui est de plus nécessaire à la célébration de ce mystère, et ce qui touche plus immédiatement le Corps et le Sang de nostre Seigneur. En cette veue elle donnoit tous les ans à certaines maisons Religieuses Reformées, blé et vin pour cela, afin que ne pouvant pas offrir elle-mesme ce Sacrifice à Dieu , elle y contribuast au moins le plus qu'elle pourroit. Après la Saincte Messe, souvent elle catéchisoit et habilloit et faisoit chauffer en temps de froid des pauvres filles, lisant ou se faisant lire la vie du Sainct ou Saincte qui écheoit dan le jour, faisant travailler pour l'Eglise et pour les pauvres.

 

 

Les séjours à Janvry

Sous le titre « De quelle façon elle passoit le temps qu'elle estoit à la campagne » le confesseur le la dame de Janvry décrit ses séjours dans sa seigneurie. « La mort estant aussi subtile pour nous surprendre, que puissante pour nous attaquer, elle prevenoit ses surprises et prenoit ses seuretez contre ses attaques, choisissant tous les ans durant la saison qu'elle estoit aux champs quelques jours pour se disposer à bien mourir, et pour y mettre ses affaires en ordre, et sa conscience en estat, comme si elle y eust deu mourir ».

1. Jugeant qu'elle n'avoit encor point assez entièrement satisfait à Dieu pour ses offenses, elle arrestoit de s'en acquiter, pour le moins partie, durant quelques jours par jeusnes, aumosnes et pénitences extraordinaires, craignant que si elle ne les chastioit elle-mesme de bonne heure par la pénitence, elle obligeast Dieu de la punir par sa justice, et par la privation de ses grâces efficaces et nécessaires pour persévérer en sa grâce au défaut desquelles elle ne demeurait foible parmy les grandes tentations, et qu'elle ne tombait en de nouveaux péchez , pour n'avoir pas voulu satisfaire pour les premiers.

2 . Elle faisoit tous les jours d'une semaine par esprit de pénitence, et par motif de charité, quelques actions héroïques de vertu, comme de trouver quelque belle invention d'obliger généreusement quelque personne qui l'eust désobligée, tantost de se priver de quelque satisfaction qui luy estoit deuë, où elle eust eu grande ardeur, tantost, etc.

3. Elle donnoit encore quelques jours au zèle des âmes, prenant à tasche d'y retirer quelques-unes du vice, ayant leu en Sainct Jacques, que Dieu ne souffrira jamais que le Démon luy enleve à la mort une âme qui durant sa vie en aura retirée une autre du pouvoir de son ennemy.

4. Elle y entendoit tous les jours autant de Messes qu'il s'y en disoit.

5. Elle prenoit un jour pour dresser ou pour renouveller son Testament, voire pour en exécuter ce qu'elle pouvoit en pleine santé ; et après avoir demandé à Dieu plus efficacement que jamais la sanctification de son nom, l'avancement de son règne, l'accomplissement de sa volonté pour l'éternité sur elle et sur toutes les personnes, et les choses qui dépendoient d'elle; après avoir destiné et consacré à sa gloire tous les momens de vie qui luy restoient pour vivre et mourir en son amour ; après luy avoir sacrifié sa dernière heure en la manière qui luy eust esté plus agréable ; après l'avoir en qualité de pécheresse acceptée avec toutes les circonstances d'humiliation et de douleur qu'il luy eust pleu de luy ordonner en pénitence deuë à ses pechez, et comme Chrestienne, l'avoir acceptée et chérie avec toutes les souffrances qui la devoient accompagner, telles qu'elles pussnt estre, comme une portion désirable de la Passion de son Fils, et comme une association à sa Croix; après l'avoir supplié de recevoir, pour supplément aux deffauts qu elle s trouveroit lors avoir apporté à la pénitence de ses pechez, la satisfaction qu il a pleu à son Fils de luy en faire par son sacrifice de rédemption; après lu le seul Eucharistique qui se puisse dignement recognoislre de toutes ses miséricordes et s es bien-faits, qui est Jésus Christ son Fils, elle dressoit son Testament en la forme qui suit.

 

 

 

Le testament

«  La disposition de son Testament qu'elle faisoit toutes les années, et telle qu'elle l'a laissée à sa mort  » nous dit Antoine de Saint-Martin de La Porte . Au mois de mars 1647, la dame de Janvry renouvelle son codicille.

 

Au nom du Père, et du Fils, et du Sainct Esprit.

Je, Anne du Tixier, saine d'esprit et d'entendement, connoissant que la mort est si asseurée, et l'heure d'icelle si incertaine, de crainte d'en estre prevenuë, je veux ordonner de ma dernière volonté , ainsi que celuy auquel je me dois toute, me l'inspirera

I. Je recommande à cette dernière de mes heures mon âme à mon Dieu Créateur , Rédempteur et Glorificateur, et je coniure sa bonté par les entrailles de sa miséricorde, de me pardonner tous mes péchez, et de monstrer en moy que ceux qui ont recours à elle, ne sont point confondus de leurs attentes, quelques criminels qu'ils soient; j'accepte néantmoins toute l'amende honnorable, et les souffrances que sa divine volonté par son juste jugement pourra désirer de moy après ma mort, dans le lieu destiné à la dernière purgation des Éleus.

II. J'implore vostre crédit , ô très-pure Vierge et Mère de mon Jésus, pour mesnager auprès de ce vostre adorable Fils , ma grâce en cette heure décisive de mon éternité. Vous estes l'asile des pêcheurs, la Reyne des hommes s tiltre qui vous engage à escouter cette pauvre Anne du Tixier, qui crie de toute elle-mesme, Sancta Maria mater Dei, ora pro nobis peccatoribus nunc et in hora mortis nostræ , Amen.

III. Je vous supplie, grand sainct Joseph, Père putatif de mon Jésus, son Ange visible, et le très-digne Espoux déjà sacrée Mère, de m'obtenir de sa Majesté que je vive et meure en la foy de ses mystères , l'espérance de ses promesses, et en l'amour de ses bontez. Et vous, mon très-cher gardien, et ange de mon Dieu, ne m'abandonnez pas en mes défaillances de cette dernière heure , augmentez vos foins, demandez lors les lumières et les forces qui me feront nécessaires pour mourir dans un parfait esprit de pénitence. Enfin , menez, moy en triomphe à mon Dieu. Grande Saincte Anne ayeule de vostre Sauveur et le mien. Souvenez-vous que j'ay l'honneur de farter vostre nom, et que je vous ay une singulière confiance et respect, ne permettez pas que celle qui joüist de tous ces avantages périsse à sa mort. Je vous demande aussi vos intercessions , intelligences très-pures, que tous vos Chœurs Angéliques employent leurs voix pour demander à nostre commun Maistre miséricorde en ma faveur à l'heure de ma mort. Et vous, saincts Apostres, Martyrs, Vierges, bref , toute la Cour céleste, ayez compassion de celle qui est dans la voye, et par vostre gloire que vous devez à mon Jésus, priez-le qu'il soit mon Jésus a ma mort. Je vous coniure , grand Sainct Denis patron du Temple où j'ay esté fait fille de Dieu et de l'Église, et vous grand Martyr Sainct Estienne sous les auspices duquel je suis depuis trente-trois ans de plus , emportez de mon Dieu la grâce finale, qui finalement donne la gloire. Amen.

IV. Je donne mon corps à l'Église, et la coniure de le recevoir dans la sépulture de ses enfants, encor qu'il en soit très-indigne, et dans Saincte Elisabeth , si cette Maison me veut faire l'honneur de l'agréer, et Monsieur Ferrand, Conseiller du Parlement, mon Seigneur de mary le trouve bon, l'ayant toujours très fidellement aymé et honnoré , comme sa vertu et sa bonté m'y ont obligée ; je le supplie très humblement de vouloir estre l'exécuteur de ce présent Testament.

V. Je veux que mon corps soit mis dans un coffre de bois au plus, et porté par des prestres et des Religieux, afin que celuy dont ils sont les vivantes images, me fasse miséricorde en leur faveur. Je veux qu'il soit suivy de soixante pauvres revestu de gris , et qu'on choisisse les plus abandonnez et les plus misérables. Je ne veux du reste que le plus simple conupy, c'est-à-dire, sans tenture, et le moins de luminaire qu'il se pourra. Je veux qu'il soit dit un Service avec la grande Messe à la Paroisse où mon corps sera porté, et un tout pareil à Sainte Elizabeth où il sera inhumé.

VI. Je supplie encor mon dit Seigneur de mary de retenir le jour ou le lendemain de ma mort deux cent Messes une fois payées, et qu on les fasse dire aux autels Privilégiez autant qu'on le pourra. J'ordonne aussi sous son bon plaisir deux annuels pendant deux ans, et un service à la fin de chaque année , et tous les deux annuels et services à Saincte Elizabeth, voulant qu'il soit pour ce donné à cette Maison mille livres une fois payées, laissant à la charité de mon Seigneur et mary le surplus des prières.

VII. J'entends et veux qu'on prenne sur mon bien de quoy acquitter mes debtes , les gages de mes domestiques, et le mestier de mes lacquais, cinquante livres de pension viagère a mon cocher Jean Bion , en cas qu'il se retire de la Maison, sinon je le recommande à son bon Maistre. À Marie ma femme de Chambre, outre ses gages , deux cens livres une fois payées. À Villeneufve quarante francs, outre ses gages. À ma nourrice Françoise tous les ans durant sa vie, vingt livres. À Magdelon trois cent livres quand elle se mariera.

VIII. Je supplie mon Seigneur et mary de trouver bon que je donne à nostre fille Magdeleine Ferrand religieuse à Saincte Elizabeth deux cens livres de pension viagère, cent francs de pension viagère à ma soeur de Maisons Religieuse Recollecte à Verdun, à cause de l'extrême pauvreté de sa Maison. Autant pour la mesme raison au révérend Père de la Porte sa vie durant, pour luy témoigner quelque ressentiment de ses charités. Et de plus mille livres à sa Maison des Billettes une fois payées en considération des bons offices que j'ay receu de ces bons Religieux, et afin de les obliger à prier Dieu pour moy quand ils rendent leur culte au très-Sainct Sacrement. Aux Révérends Frères Feuillans de Dijon deux mille livres une fois payées, lesquelles j'entends estye mises en fond pour augmenter un peu la fondation que feu Madame de Maisons, ma très-honorée Mère , a faict ausdicts Feuillants en la Maison natale de S. Bernard. [Et autres legs pieux qui vont à la concurrence de près de quatorze ou quinze mille livres].

Je conjure mon bon mary d'approuver ces choses que je remets entièrement à sa volonté, non seulement pour la substance , mais mesme pour les circonstances de ce mien Testament. Et recognoissant que je luy ay pû causer beaucoup de peine saine et malade ; je luy en demande tres-humblement pardon, et de toutes mes fautes passées avec toute la soubmission que je dois et que je puis luy protestant que mon imprudence a fait mon crime, et non aucun défault d'affection et que j'ay une joye parfaicte de mourir comme j'ay vescu sa très-humble et très-obéissante, et très-affectionnée et très-fidelle servante Anne du Tixier. Je coniure et commande à mon fils Pierre Ferrand de vivre toujours en paix et respect avec Monsieur son père et d'aimer son frère et de luy rendre tout le naturel, le soing de la justice qu'il luy doit comme bon frère. Et ordonne à Jean Ferrand, mon fils d'obliger par son affection et ses obéissances , Monsieur son père de luy estre bon père, et de rendre à son aisné tout ce qu'il luy doit, et tous les deux de garder inviolablement les commandements du premier Père avec qui vous aurez à démesler toute une éternité. Si vous m'aimez vous ne denierez pas les instantes et dernières prières que vous faict vostre toute affectionnée mère, et qui supplie le Père et le Fils et le S. Esprit de vous donner ses plus réservées bénédictions, le vous les souhaitte avec toutes les ardeurs de mon cœur. Je coniure vostre naturel, mes très chers enfants, d'avoir soing et affection pour vostre sœur, de l'assister autant que vous le pourrez, et que jour de vostre vie vous n oubliez pas que je vous crie : Miseremini mei, miseremini mei.

Anne du Tixier ce 20 May 1647. Jésus soyez- moy Jésus, et que dans le temps et dans l'éternité je chante vos louanges. Ainsi soit-il.

Le lendemain de cette disposition de Testament elle se disposoit à rendre l'âme, comme si elle eust eu asseurance du Ciel qu'elle y deust mourir, et s'imaginant d'élire au lict de la mort le cierge allumé, le Crucifix devant les yeux, comme si on l'eust exhortée à l'agonie ; elle faisoit premièrement une reveue et une Confession générale depuis la dernière, avec la plus larmoyante et désintéressée contrition qui luy estoit possible de n'avoir pas aimé Dieu durant la vie, ou de ne l'avoir pas assez aimé, ou de l'avoir trop tard aimé, avec une protestation efficace et résolution inviolable, que le relie de ses jours luy alloit estre une restitution de l'honneur dont elle l'avoit privé jusques alors, et faisoit dire ce jour là mesme une Messe où elle assistoit pour obtenir la grâce de la persévérance finale.

Mme Ferrand de Beaufort mourut le 16 juillet 1649 après 33 ans de mariage avec Messire Michel de Beaufort Ferrand.

 

 

Notes

(1) A. de Saint-Martin de La Porte, De la véritable et solide dévotion en la vie de Madame de Beaufort-Ferrand (chez Joseph Cottereau, rue S. Jacques, à l'enseigne de la Prudence, Paris, 1650). Et sciet omnis populus qui habitat intra portas urbis, mulierem te esse virtutis. Ruch. 3.

(2) Le couvent des Billettes (aujourd'hui rue des Archives, IVe arr. de Paris). Le jour de Pâques, 2 avril 1290, le juif Jonathas qui mutila une hostie consacrée, la plongea dans l'eau bouillante, fut saisi et brûlé par le peuple ; sa maison et son jardin donnés par Philippe-le-Bel, à un bourgeois de Paris qui fit construire une chapelle expiatoire. Des religieux hospitaliers de Notre-Dame s'y établir et par un acte du 24 juillet 1639 les carmes de l'Observance de Rennes, prirent possession, du prieuré, de l'église, du monastère et de tous meubles. L'église des Carmes-Billettes fut rebâtie sans changer de place.

 

Ces sujets peuvent être reproduits " GRATUITEMENT" avec mention des auteurs et autorisation écrite