Le récit de Mère Gertrude (ou la légende d'Isabeau de Montlhéry) |
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Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _------------------- ------- Décembre 2010
C. Julien
Nous présentons une légende relative à Montlhéry tirée d'un récit donné par un écrivain du début du XIXe siècle, époque où le roman historique était devenu populaire, mettant en scène des personnages du Moyen âge (1). C'est un extrait des « Mémoires d'un Ligueur » écrites par Achille Roche qui furent publiées en 1828 (2).
Préambule L'action principale se passe sous le règne de Charles IX, en août 1572, en ce sinistre jour de la Saint-Barthélemy. Marguerite de Valois vient d'épouser Henri de Navarre, chef de la maison de Bourbon. Elle cache un fidèle du parti protestant, le vieux comte de Tully menacé de mort par les fanatiques catholiques. Le héros principal du roman est un cénobite de Saint-Germain-des-Prés, nommé Ambroise, moine au service des époux princiers. Ayant rencontré le vieil huguenot, Ambroise est mêlé à la famille de Tully (3). Un secret de famille est dévoilé au lecteur : le comte de Vermont, frère du comte de Tully avait une fille Blanche, dame d'Ésigny, mariée à Raymond d'Ésigny et soupçonnée d'adultère avec Arnaud d'Ésigny, cousin de son époux. C'est alors que frère Ambroise est mêlé à l'histoire de cette famille en apprenant par les paroles d'un carme qu'il serait le fils de la comtesse, issu de la liaison adultérine, élevé en secret au fond du cloître par le père Margès, sous-prieur de la célèbre abbaye parisienne. Après s'être présenté devant Raymond d'Ésigny qui avait pris l'habit de moine et lui avoir révélé sa naissance, frère Ambroise reçoit du sous-prieur Antoine, l'ordre d'aller trouver la famille de Tully en Picardie où il rencontrera la divine Anaïs dont il est amoureux. La mission semble de première importance pour la paix civile entre protestants et catholiques « vous recevrez des instructions, mais songez bien que l'église attend de vous une obéissance passive et entière, quels que soient les commandements qu'elle vous donne . Avant de remplir cette mission vous allez partir pour Saint-Rambert. C'est là que vous apprendrez la conduite que vous devez suivre. Vous porterez nos dépêches à Monseigneur de Lorraine, qui s'avancera incognito jusqu'à cette petite ville… ».
Le récit de Mère Gertrude S'étant arrêté dans une auberge où régnait une confusion de personnages hétérogènes : marchands, prêtres austères, jeunes libertins, comédiens et des convives discutant de politique. Une vieille femme, la grand-mère de l'aubergiste, nommée Mère Gertrude fut sollicitée par la compagnie « à deviser sur de vieilles histoires, des scènes de sabbat, de contes de sorciers, d'apparitions, de ces effrayantes histoires, et tous se pressèrent les uns contre les autres en frémissant déjà de ce qu'ils allaient entendre ». « Vous voulez donc, mes enfants que j'égaye la soirée… » dit Gertrude qui commença d'un ton solennel « La jeune fille et la sorcière… nouvelle … ». Vous le savez tous, sans doute, les voyageurs remarquent encore sur la route de Paris à Orléans, un vieux donjon ruiné, débris abandonné de l'ancien manoir féodal de Montlhéry. C'est presque le dernier vestige que les environs de la capitale aient conservé d'un âge dont la civilisation et les mœurs sont déjà si loin des nôtres ; aussi les Parisiens aiment-ils à visiter ce monument curieux ; il est peu d'entre eux qui n'aient visité ce débris gothique et consulté les traditions qui s'y rattachent en interrogeant les habitants des hameaux voisins… Une seule tour a survécu aux coups du temps et aux désastres des guerres du XIII siècles ( ?). « Elle arrêta souvent de puissantes armées ; aujourd'hui, masse inutile, elle ne sert plus qu'à alimenter la curiosité banale des oisifs de la grande ville… ». C'est alors que la légende commence, une pure fiction avec quelques touches de vraisemblance. « C'est dans cet édifice bizarre et redoutable que, vers le milieu du XIIe siècle, le noble baron Aymar vint fixer sa demeure après avoir, passé les plus belles années de sa vie à combattre les Sarrasins pour reconquérir la sépulture du sauveur. Aymar n'était plus dans la première jeunesse; son père avait péri pendant son absence dans une guerre contre ses vassaux, et il se trouvait le seul héritier et le seul descendant de la noble race des barons de Montlhéry, issus du sang de Charlemagne. La solitude et l'ennui qui menaçaient sa vieillesse, déjà peu éloignée, le désir de donner un rejeton à ses illustres aïeux, lui firent rechercher une union qui pût remplir le vide de son âme. Il était riche, puissant, valeureux, sa renommée était grande ; les plus illustres damoiselles ne pouvaient que s'honorer de son alliance. Il choisit Isaure, fille de Burchart de Montmorency , qui s'enorgueillissait d'être allié au sang des rois. Le mariage se célébra avec pompe dans la chapelle de Montlhéry, et les deux époux, tous deux de mœurs simples et douces, uniquement occupés de leur tendresse et des soins d'une dévotion austère, vécurent pendant plusieurs années dans la solitude, tranquilles et heureux ». Cependant une chose manquait à leur bonheur : un héritier. Isaure fit plusieurs pèlerinages (sans doute à Longpont) sans voir réaliser ses espérances. Cette dame avait eu pour compagne d'enfance une jeune paysanne, Anna, sa sœur de lait, « dont l'esprit semblait supérieur à la classe grossière des vassaux » et qui conservait une sorte d'indépendance à la cour de l'orgueilleux Burchart. Un jour qu'elle avait excité la colère du comte, elle s'enfuit laissant son amie esseulée. Cette Anna se présenta à nouveau dans le parc de Montlhéry, quelque temps après le mariage d'Isaure, en disant qu'elle revenait du pèlerinage de la Palestine. Puis , elle se maria à son tour avec l'un des francs-tenanciers du baron et donna naissance à une enfant. La sœur de lait révèle que sa maternité est due à de mystérieuses prières. Un rendez-vous est pris une nuit dans sa rustique demeure où les rôles allaient changer, la serve devenait supérieure à sa noble maîtresse. Aux douze coups de minuit (une constante dans les contes de fée), Anna commença sa sarabande, parlant à un hôte invisible, exécutant des opérations magiques : odeur de soufre, fumée épaisse et bitumineuse… La sorcière fit jurer à la comtesse de « vouer ton enfant au service de celui qui exauce aujourd'hui tes vœux… » et lui donna un talisman en recommandant un secret absolu sur la scène dont elle venait d'être témoin. La dame jura de ne rien révéler à son confesseur.
Au bout de peu de mois, la dame de Montlhéry devint mère. Au désespoir du comte, Isaure ne lui donna qu'une fille nommée Isabeau dont Anna devint la nourrice. Mais, le drame survint. L'enfant s'était attachée à sa nourrice et dépérissait au contact de sa mère biologique. Anna fut rappelée au château où la dame de Montlhéry « la supplia de sauver sa fille de la mort ». Le médecin du seigneur de Montlhéry nommé Ben-Ibrahim (l'auteur reconnaît la supériorité de la médecine arabe) assurait à la châtelaine que sa fille était hors de danger. Le conteur continue sa narration quand Anna et la fillette, un soir d'automne, parcourant un « sentier tortueux » la vision d'un édifice en ruine s'offrit à leurs yeux. « C'est une tourelle noircie, lieu où l'un de tes plus puissants aïeux a perdu le jour, c'était l'illustre Guy-le-Fort, redoutable à tous ses rivaux, et la terreur des Sarazins, il n'a pu être vaincu que par un homme de sa race » dit la nourrice à l'héritière de Montlhéry. Et d'ajouter : « son fils Gontrand le pieux, que les frères de Saint-Jean de Dieu, dotés de lui, vénérèrent comme un saint, plus vaillant encore que son père, l'a, dans ses vieux ans, chargé de chaînes… et c'est dans cette étroite prison qu'il a péri de froid, de tristesse et de faim… ». La narration devient encore plus tragique : « cette masse informe de pierres noires annonce la punition d'un grand forfait. C'est là que l'assassin de Gontrand le pieux a subi le supplice du feu ». Cet assassin était son frère. Sous le prétexte de venger la mort du vieux Guy, il leva la bannière de la révolte… mais son neveu, Aymar-le-Grand, ou le Batard, sut le punir. Après l'avoir retenu quatre années dans la tourelle où son aïeul avait gémi, « il le fit traîner sur cette place où le feu consuma lentement les restes de sa vie ». Quel beau spectacle !! Le lecteur ne pourra que se souvenir de l'évènement réel de 1118, quand Hugues de Crécy, seigneur de Rochefort, assassina son cousin Milon II de Bray qui fut enterré dans l'église de Longpont en présence du roi Louis VI le Gros et de toute la famille de Montlhéry. Le conte se poursuit par la visite « des ruines noircies » par la nourrice et sa filleule à qui l'on avait promis une poupée qui s'y trouvait. Le surnaturel prend le pas : la nourrice disparaît, le vent souffle, il faut invoquer « le dieu d'Anna » qui n'est autre que le « malin », la fillette est alors soulevée « d'un vol rapide pour rejoindre, sur la plate-forme de la tour, la magicienne qui s'y trouvait déjà… ». Isabeau entend la sorcière lui dire « Esprit de la tour infernale ! Je te la voue ; elle est à toi ! Prends possession de ma filleule, de ma pupille bien-aimée. Enfant ! Voilà la poupée que je t'ai promise ». Effrayée la jeune Isabeau prend l'horrible poupée qui parle et accorde tous les souhaits demandés. Pour garder la possession de cette poupée trois conditions doivent être satisfaites par la fillette : ne jamais parler du talisman qui lui a été donné, ne jamais montrer la poupée à sa mère, ne jamais révéler les choses qu'elle a vues dans la soirée. Dans le cas de désobéissance, la poupée disparaitrait aussitôt. La sorcière insiste et disant que la poupée est un talisman qui fera, plus tard, « découvrir le mari qui te convient ». Et l'enfant devint une jeune femme apprenant « les sciences réservées aux hommes », prédisant les éclipses, calculant la crue des eaux, pouvant lutter avec le chapelain de son père dans la connaissance des langues antiques… Toutefois, Isabeau ne ressemblait pas aux jeunes filles de son âge, son air froid et dédaigneux, ses paroles hautaines annonçaient un profond mépris pour tout ce qui l'entourait. On s'aperçut de son aversion pour la religion, tombant dans des convulsions effroyables le jour de la cérémonie sainte de l'Eucharistie. Parvenu à l'âge de l'amour , elle accueillait avec dédain tous les plus illustres chevaliers qui se présentaient pour obtenir sa main. Seul un jeune écuyer, Roland de Villemor avait été touché de la beauté et de l'esprit de l'héritière de Montlhéry, « tous deux avaient l'espoir du bonheur ». Cependant la famille de Villemor était, depuis plusieurs siècles, l'irréconciliable ennemie des châtelains de Montlhéry. Le comte de Villemor refusa à son fils de fréquenter la belle Isabeau sont le père entra en colère à l'idée d'une alliance avec les Villemor. Un obstacle se présenta, sous les ordres de son père, Rollon dut partir pour le voyage de la Terre sainte. Le jeune homme fait une promesse d'amour et de fidélité. Isabeau tarda à répondre à son amoureux en lui donnant rendez-vous le soir même dans une grotte secrète pour donner une réponse. Aux douze coups de minuit (encore fois l'heure symbolique), Isabeau arriva dans la grotte par une nuit orageuse. Un chevalier couvert d'une armure noire se présenta « Héritière de Montlhéry, je viens réclamer l'exécution de ta promesse. Jures-tu de me prendre pour ton fiancé ? Je le jure, répondit la jeune fille ». Le cheval fougueux emporta au loin le chevalier. Des mois passèrent. Le comte de Montlhéry pressa sa fille à envisager le mariage avant qu'il ne meurt. La conversation entre le père et la fille prit un ton d'affrontement, et Isabeau fit une démonstration du pouvoir surnaturel que lui prodiguait le talisman donné par Anna. Elle assombrit d'un coup un ciel éclatant, la grêle et les vents furieux ravagèrent les champs prêts d'être moissonné. Le père, effrayé par le pouvoir maléfique, appela son chapelain, le père André qui prononça à voix basse un puissant exorcisme. Le prêtre en référa à son supérieur ; l'évêque d'Orléans fit rassembler un synode ; la poupée y fut mise à l'examen des pères. Un saint ermite s'avisa d'asperger le talisman d'eau bénite : une fumée noirâtre s'éleva et le simulacre disparut. On arrêta la farouche Anna. Soumise aux tortures de la question, elle avoua son crime. Le comte de Montlhéry fut sommé de livrer sa fille sous peine d'excommunication. Isabeau fut jetée dans les cachots d'Orléans. Son procès vit mille témoins venus déposer contre elle expliquant toutes ses mauvaises actions depuis sa plus tendre enfance. Elle fut condamnée au supplice du feu. Isabeau refusa la sentence. « Vos lois barbares me condamnent mais m'autorisent à réclamer le combat. Je demande l'exécution de cette coutume chevaleresque. Voilà mon gage ». Elle promit sa main au héros qui la soustraira à une mort affreuse. Isabeau fut placée sur l'échafaud contemplant le fatal bûcher de la place d'Orléans. La troisième heure du jour venait de sonner. Tout à coup Rollon de Villemor s'élance au galop dans l'arène, réclamant le droit de défendre l'infortunée. Le combat s'engagea. Le chevalier noir terrassa le champion de l'église. Isabeau fut déclarée innocente. Rollon déclara « dans huit jours, le 13 janvier, je viendrai à minuit réclamer ta main… ». Revenue à Montlhéry, les évènements se précipitèrent : le jeune Rollon mourut, le chevalier noir apparut le jour donné alors que la cloche sonnait minuit, emporta Isabeau dans la chapelle du château et la força au mariage. La foudre éclata sur le château, « la terre s'entr'ouvrit sous les pas de la fiancée, qui s'engloutit avec son lugubre époux au milieu d'une mer de soufre et de feu ». Tous les habitants furent saisis de douleurs. Aymar et Isaure, frappés de douleur, périrent bientôt. Le château fut abandonné, et depuis lors aucun être humain n'en voulut habiter les tristes murs.
Les descendants d'Isabeau de Montlhéry, fille de Milon 1 er le Grand.
Épilogue Suite à son récit la Mère Gertrude tira l'horoscope dans les lignes de la main à l'un des voyageurs présents dans l'auberge « Je vois partout dans votre main qu'un grand danger vous menace, vous êtes entouré de vos plus cruels ennemis… et quelle honte ce serait pour une vieille béarnaise d'avoir laissé arrêter son prince dans sa maison ». Mère Gertrude avait reconnu le roi Henri IV sous les habits grossiers du voyageur. Elle continua ses prédictions sur l'avenir du roi, celui de ses descendants allant même jusqu'à évoquer l'arrivée d'un grand homme qui n'était autre que Bonaparte… Que dire de ce récit contenant tous les ingrédients pseudo-historiques ? Tous les clichés utilisés dans les contes merveilleux sont présents. Le sire de Montlhéry revenant de la Terre Sainte, la famille Burchard de Montmorency, etc. La demoiselle nommée Isabeau pourrait être la fille de Guy 1er et d'Hodierne qui épousa Josselin de Courtenay dont les descendants firent souche dans l'un des états chrétiens d'Orient : le comté d'Edesse situé en Mésopotamie, dans la région du cours supérieur de l'Euphrate. Cette demoiselle pourrait être également la fille aînée de Milon 1er le Grand et d'Adélaïde de Troyes qui épousa Thibaud II de Dampierre dont descend la maison de Bourbon (5).
Notes (1) A.Roche, Le Fanatisme (chez Corbet aîné, Paris, 1828). (2) Achille Roche était un républicain convaincu. Rédacteur en chef du Patriote de l'Allier , il est mort le 26 janvier 1834 . La ville de Moulins a donné une rue et une place à Achille Roche. (3) Antoine de la Radde , gentilhomme picard, comte de Tully, seigneurie du Vimeu était marié à Barbe de Mailly. Le 18 septembre 1570, il donna la seigneurie de Tully à sa fille Gabrielle de la Radde. Cette dame avait épousé Jacques de Fontaine en 1585 d'où sont nés trois filles et deux fils dont Pierre seigneur de Ramburelles qui succomba en duel en 1626, Nicolas, seigneur de Tully et Barbe mariée à Louis de Moreul, seigneur de Tanques, Cayeux, Fresnoy et autres lieux. Barbe de Fontaines qui succéda à ses frères se maria en secondes noces avec Louis Gaillard de Longjumeau, seigneur du Fayel, lequel descendait de Michel Gaillard, chevalier, seigneur de Longjumeau et du Fayet, pannetier ordinaire du roi et de Souveraine d'Angoulême, sa femme en 1512, fille naturelle de Charles d'Orléans. Leur fils aîné Charles Gaillard, seigneur de Ramburelles, épousa Jeanne Lebon. Leur fils Nicolas Gaillard vivait encore en 1713. En 1728, damoiselle Suzanne de Gaillard-Longjumeau possédait la seigneurie de Ramburelles. (4) Il s'agit de Charles de Guise, second fils de Claude de Guise et d'Antoinette de Bourbon-Vendôme, frère de François de Guise. Nommé archevêque de Reims à l'âge de treize ans en 1538, il fut créé cardinal par le pape Paul III en 1547. L'une des figures de la contre-réforme en se faisant le défenseur des décrets du concile de Trente, il devint chef du parti catholique au lendemain de l'assassinat de son frère le 18 février 1563. (5) La maison de Bourbon-Dampierre est issue des Montlhéry par Isabeau, mère de Guy 1er de Dampierre, aïeul de Béatrice de Bourgogne qui épousa Robert de Clermont, sixième fils de Saint-Louis.
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