L'abbaye Notre-Dame du Val de Gif (1) (XII-XIIIe siècles)

Chronique du Vieux Marcoussy --Marcoussis--------------- _-------------------------___---_--juillet 2012

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L'abbaye bénédictine N.-D. du Val de Gif (gravure de Paul Mariotte, XVIIIe s.).

 

C. Julien

JP. Dagnot

 

 

Cette chronique est la première d'une série relative à l'abbaye Notre-Dame du Val de Gif, couvent bénédictin de femmes fondé à une époque inconnue sur la rive droite de la rivière Yvette (com. et ch.-l. cant. Gif-sur-Yvette, arr. Palaiseau. Essonne). L'histoire de cette abbaye fut écrite par l'abbé Alliot dont nous prendrons garde de ne pas répéter le texte autant que possible. Le lecteur est invité à compulser cet ancien ouvrage accessible sur Internet (*). Ici, nous proposons de nouveaux textes inédits (1) et notamment, pour ce premier volet, les anciens documents, chartes données au XIIe et XIIIe siècles, avec les diplômes relatifs aux droits dîmiers possédés par les dames abbesse et religieuses de Gif sur le terroir de Saclay et un texte sur la nomination de la Mère de Gif.

 

 

Sur l'origine de l'abbaye

L'abbé Lebeuf fait connaître que la paroisse de Gif est un détachement de celle de Saint-Rémy-lès-Chevreuse, mais ce démembrement très ancien fut fait avant le XIIe siècle (2). «  L'église qui est dans le haut du village reconnoit saint Remi de Reims pour son patron, de même que celle du village de Saint-Rémi qui est une lieue plus haut en remontant la rivière d'Ivette  », nous dit l'abbé Lebeuf. L'historien du diocèse de Paris se porte à croire que le village de Gif aurait fait partie de la paroisse de Saint-Rémy, laquelle certainement existait au commencement du XIIe siècle, puisque vers l'an 1122, elle avait été accordée à l'abbaye de Saint-Florent de Saumur. Le démembrement fait de Gif et son érection en paroisse à part entière fait suite au défrichement et au peuplement du sud parisien et notamment l'installation de nouveaux habitants dans la vallée de l'Yvette. Il semble évident que la création de la paroisse de Gif ait eu lieu avant la donation faite aux moines de Saint-Florent puisque l'évêque de Paris s'est conservé la pleine collation de la cure de Gif.

Bien que de nombreux documents mentionnent que l'abbaye bénédictine Notre-Dame de Gif est connue «  depuis des temps immémoriaux », nul ne connaît son origine. On ignore jusqu'à son premier nom, dit l'abbé Lebeuf, bien que l'historien développe la thèse de l' abbaye de Glise . Toutefois quelques indices peuvent donner lieu à discussion. D'une part, pour la plupart, les actes notariés (foy et hommage, baux d'affermage, prisées du moulin, etc) indiquent la fondation royale du monastère, comme par exemple la transaction du 15 juin 1647 entre les religieuses de Gif avec le couvent des Mathurins de Paris. «  furent présentes en leurs personnes noble dame sœur Magdelaine de Mornay, humble abbesse de l'abbaye de Nostre-Dame du Val de Gif, ordre de Saint-Benoist et de fondation roialle…  ». De quel roi s'agit-il ? Pour certains, Il s'agirait d'une fondation des "rois de la seconde race", un monarque carolingien qui voudrait dire antérieure au Xe siècle. Pour d'autres personnes, il s'agirait du roi Louis VII le Jeune qui aurait donné des lettres patentes au début de son règne, vers 1138. L'abbé Alliot insinue qu'il serait plus raisonnable de penser que ce fut en fin de règne vers 1161, et que le document «  d'une importance capitale pour l'histoire de l'abbaye  »" a été détruit, et même qu'un vidimus daté de novembre 1467 a disparu des archives de l'abbaye.

En second lieu, dans le bref écrit sous le pontificat Alexandre III, il est insinué que pendant la reconstruction du couvent de Gif, les religieuses se retireraient à l'abbaye d'Yerres nouvellement créée (1124 par Eustachia de Corbeil). Nous lisons «  Abbatias… de Gif de novo diceris construisse  » dans la bulle que le pape Clément III (entre 1187 et 1191) adressa à Maurice de Sully, évêque de Paris, où il faut comprendre une rénovation de bâtiments en ruine.

D'autre part, l'énigme s'épaissit quant aux armoiries de l'abbaye dont l'écu «  d'azur à trois fleurs de lys d'or, et une tête de reine d'argent couronnée d'or posée entre les deux fleurs de lys du chef  ». Ce blason pourrait corroborer la fondation du couvent de Gif par une princesse royale. La fleur de lys était un meuble héraldique associé aux rois de France. Le lys royal serait un ancien symbole des Francs, mais on attribue à Louis VII le premier qui puisse être cité pour avoir porté et arboré «  fleurdelys  ». Quand au nombre trois, on le doit à Clovis avec son blason à trois crapauds.

Enfin, reprenant la thèse de l'abbé Lebeuf et la note de l'abbé Alliot, le toponyme «  Gif  » viendrait de «  Wif  » ou «  Guif  », mot d'un dialecte germanique qui signifierait "saisie" ou "accaparement", c'est-à-dire que Gif aurait été une terre saisie par l'un des rois carolingiens, sur quelque leude ou seigneur puissant. Notons également que dans les Annales Bénédictines (t. 6, p. 303) il est parlé de l'«  abbaye de Glise  », terme reprit dans un mémoire du XVIIIe siècle «  l'abbaye de Nostre Dame du Val de Gif anciennement appelée de Eclisé…  » (ADE, 62H1).

Selon l'abbé Lebeuf, la manse abbatiale de l'abbaye de Gif était située sur la paroisse de Saint-Aubin. Au XIIe siècle, un chanoine de Notre-Dame de Paris, nommé Hugues, possédait le domaine de Saint-Aubin, voisin de l'abbaye. Il donna aux Religieuses en pur don, sa ferme et tous ses droits pour obtenir les prières des moniales. Elle consiste en une petite ferme dont «  tous les bâtimens très bien entretenus ont toujours été couverts de chaume  », nous dit l'abbé Lebeuf, et dont le revenu annuel est environ de 200 livres . Cette ferme est la première dotation de ladite abbaye, et elle fait tout le revenu de l'abbesse de Notre-Dame de Gif.

 

Extrait de la carte des chasses (1764).

 

 

Le bref d'Alexandre III

Dans un document du XVIIIe siècle, le notaire de l'abbaye d'Yerres mentionne : «  la donation de l'abbaye d'Hyerres, aux dames de Gif, de la grange d'un lieu nommé Viller, et de l'emplacement où est bâtie la dite abbaye, à condition de prendre leur abbesse dans la dite abbaye d'Hyerres, supposé qu'elles n'en prissent pas parmi elles  ». En fait, il s'agit de l'interprétation du premier document connu sur l'abbaye de Gif «  monasterio de Giffa  » c'est-à-dire le bref promulgué un 17 février d'une année indéterminée entre 1159 et 1180 par le pape Alexandre III «  Alexander episcopus servus servorum Dei dilectis in Christo filiabus… ». Satisfaisant la demande du vénérable évêque de Paris, Maurice de Sully, « venerabilis frater nostro M. Parisiensis episcopoconcesserunt abbatia », le pontife admet que le monastère de Gif est en ruine «  premebatur et edificious minabatur ruinam  » et confirme la donation de l'abbesse et des sœurs d'Yerres «  nostre sua abbatissa et sorores de Edera  » aux religieuses de Gif de la terre et la grange appelée Invilliers «  grangiam quæ Unum Villare vocatur  ». La libéralité de l'abbaye d'Hyerres comprend également une place sur la rive droite de l'Yvette pour permettre la reconstruction du couvent auquel l'évêque de Paris donne son consentement «  prescripta domo construere ea conditione feruata…  ».

Nous donnons la transcription de cette pièce considérée comme la charte essentielle du cartulaire de l'abbaye Notre-Dame du Val de Gif. «  Alexander episcopus servus servorum Dei dilectis in Christo filiabus eranda abbatisse et sororibus de Gif, salutem et apostolicam benedictionem, ex autoritico scription auditorio nostro perlecto, nobis innotuit, quod dilectæ in Christo filia nostre, eva abbatissa et sorores de Edera. Vestra inopiæ misericorfiter condolantes, ad cultum Dei et religionem inibi reformandam, et quia domus vestra gravi debitorum onere premabatur et ædificiorum minabatur ruinam, cum per eas vestra non passet inopia relevari, quia abinitio fundationis ejusdem domus ibidam abbatia de bene factorum pettione fuerat stabuanda. Venerabili fratri nostro M.[auritio] Parisensi episcopo concesserunt abbatiam in præscripta domo construera, ea conditione fervata, ut quandocumque contigerit abbatissam decedere, si vos vel illæ quæ nobis successerint in aliquam vestram nequiveritio convenire abbatissam non aliunde, nisi de monasterio Ederæ regulariter eligatis. Insuper grangiam quæ Unum Villare vocatur, ad sustentationam vestram, et earam quæ nobis successerint in perpetuum contulerunt. Quia igitur quæ ad augmentum religionis pertinent, diligenter nos convenit pinovere. Liberalitatam a preæscripta abbatissa et conventu domus vestræ indultam, sicut in scripto autentico continetur, non obstante privilegio nostro jam dicto monasterio de Edera, de domo vestra et grangia supradicta concesso, auctoritate apostolica confirmamus, et præsantio scripti patrocinio communimus. Statuentes ut nulli omnino hominum liceat hanc paginam nostra confirmationis infringere vel ei ausu temerario contrave. Signis autem hoc attemptare præsumprerit indignationem omnipotentio Dei et beatorum Petri et Pauli, apostolorum ejus se novarit in curfurum. Datum Tusculani, XIII Kal. Februarias ».

La traduction de la bulle pourrait être la suivante : « Alexandre, évêque serviteur des serviteurs de Dieu, à nos biens aimées filles jurandes, abbesse et sœurs de Gif, salut et bénédiction apostolique. Nous avons appris par la lecture qui a été faite dans notre auditoire d'un écrit authentique, que nos bien aimées filles en religion, abbesse et les sœurs d'Yerres (on écrivait aussi Hyerres ) touchées de votre pauvreté et de l'impuissance où vous êtes de rétablir le culte de Dieu et les pratiques de la vie religieuse de ce lieu que vous habitez parce que votre maison était accablée du poids du temps et que vos bâtiments étant sur le point de tomber en ruine, votre pauvreté ne vous permettait pas de les relever puisque dès le commencement de la fondation de votre même maison, l'abbaye n'avait pu être bâtie que par les largesses des bienfaiteurs, ont donné sous leur soumission à notre vénérable frère Maurice, évêque de Paris, de bâtir l'abbaye dans la dite maison, mais à condition, que la mort de l'abbesse arrivant, si vous ou celles qui vous succéderont ne peuvent vous accorder à élire quelqu'une d'entre vous, vous ne pourrez dans tous les temps que la chose arrivera élire régulièrement votre abbesse d'autre part que du monastère d'Yerres elles ont encore donné pour votre sustentation à vous et à celles qui vous succéderont à perpétuité une grange appelée Invilliers et nous, parce qu'il est de notre devoir de procurer l'avancement des choses qui ont rapport à l'accroissement de la religion. Nous confirmons de l'autorité apostolique faite à votre maison, par la dite abbesse et couvent, comme il est contenu dans l'écrit authentique ; nonobstant le privilège par nous accordé audit monastère d'Yerres au sujet de votre maison et de la grange susdite et donnons à cette libéralité l'appui du présent écrit, défendant à qui que ce soit d'enfreindre l'écrit de notre confirmation et d'y contrevenir par une audace téméraire, que si quelqu'un ose la tenter qu'il sache qu'il encourra l'indignation de Dieu tout puissant et de ses bienheureux apôtres Pierre et Paul. Donné à Tusculon le 13 des Kalendes de février ».

 

Bulle du pape Alexandre III confirmant la reconstruction de l'abbaye de Gif.

 

En ce qui se rapporte à la ferme d'Invilliers, l'abbé Alliot mentionne ce «  bien mince héritage  » donné par les sœurs d'Yerres, avait été possédé par le chapitre de Notre-Dame de Paris. Un échange avait eut lieu entre les chanoines et le roi Louis VI le Gros contre des vignes valant 20 sols de rente. En l'an 1132, la terre d'Invilliers fut la contribution du roi, pour le salut de son âme, à la fondation de l'abbaye de Yerres qui, plus tard, en fit l'aumône aux sœurs bénédictines de Gif.

 

 

Le legs du moulin de l'Abbaye  

Après sa reconstruction sous l'impulsion de l'évêque de Paris, Maurice de Sully, l'une des premières possessions du monastère Notre-Dame de Gif, se trouve un moulin, voisin de l'enclos conventuel « quandam molitum molendini proxum ejusdem monasterio  », et qui porte depuis le nom de moulin de l'abbaye , alimenté par les eaux de la rivière d'Yvette. L'existence de ce moulin semble être antérieure à la restauration du couvent, toujours est-il qu'au tournant du XIIIe siècle, il était possédé en indivis, une moitié à l'abbaye et l'autre au meunier qui l'exploitait. Ce partage peu commun se termina par une chicane entre les religieuses et le meunier Eudes Baptesté et Marguerite sa femme «  Odonem Bateste et Margaretum uxorem ejus  », qui fut résolue par le jugement de trois arbitres nommés par Eudes, évêque de Paris. La transaction fut passée l'an 1201 , avec le meunier Odon Baptesté et sa femme, «  pour raison de quelques droits qu'ils prétendoient sur le moulin de l'Abbaye, et qui sont réglez par ladite transaction  ». Ainsi, le litige prit fin et le moulin devint la pleine propriété du couvent de Gif. Nous présenterons cette charte dans la chronique (à venir) du moulin de l'Abbaye.

 

 

Testament d'Adam de Chateaufort

Dès la reconstruction de l'église abbatiale et des bâtiments conventuels du monastère de Notre-Dame du Val de Gif, des donations viennent enrichir le temporel. Les seigneurs des environs font des legs pour fonder des obits selon la formule consacrée «  pour le salut de mon âme, celle des mes ancêtres, etc.  » et solliciter les prières des moniales. Vers 1190, un nommé Adam de Châteaufort fait son testament « testamentum Adæ de Castro Forti  » qui comporte pas moins de ? articles destinées à toutes les églises et maisons religieuses du Hurepoix, parmi lesquelles l'abbaye des Vaux-de-Cernay tient une place majeure (charte LXXXVII). Nous ignorons qui est ce personnage et quelle famille posséda la seigneurie de Châteaufort après les Rochefort-Montlhéry. Mais, nous trouvons le testament d'Adam mentionné dans la charte de Philippe-Auguste (charte LXXXV), et Philippe, frère d'Adam, et que celui-ci établit un de ses légataires, apparaît comme témoin en 1179 dans une donation à l'abbaye de Saint-Jean en Valée près Chartres. En ce qui concerne l'abbaye de Gif, les religieuses reçoivent deux setiers d'annone à prendre chaque année sur le domaine de Châteaufort «  monialibus de Gif duos sextarios annonæ annuatim apud Castrum Forte  ». Le testamentaire précise que la validité de cet acte est conditionnée à l'approbation de sa femme «  uxor mea fide firmavit sibi proposse suo inviolabiliter  ». Les légataires d'Adam sont sa femme, Robert son oncle maternel,et ses frères Galeran et Philippe. L'acte est dressé devant plusieurs témoins dont l'abbé du monastère des Vaux-de-Cernay, le prêtre Salomon, Hugues de Loges et Garnier de Buisson.

 

 

La charte de l'évêque de Paris

En l'an 1203, Eudes de Sully, évêque de Paris, successeur de Maurice, «  Odo, Dei gratia Parisiensis episcopus  » donna un acte de privilège adressé à sa chère fille l'abbesse de Gif à propos des dîmes de Gif. Un conflit était né entre les Religieuses et le curé de Gif. L'abbesse et le couvent avaient reçu les dîmes à prendre sur le village de Coupières «  Curti Petra  », disputées par le curé de Gif qui proclamait être lésé dans ses droits de décimateur. La querelle fut vite éteinte par l'évêque de Paris qui prit parti pour les dames de Gif, préférant leurs prières à celles du curé, auxiliaire épiscopal. L'évêque de Paris, Eudes de Sully, ne manqua pas de doter le monastère de Gif de ses propres libéralités en achetant, en 1206, de Bouchard, seigneur d'Orsay, les dîmes du hameau de Mondétour «  Maudestor  » pour les offrir immédiatement aux dames abbesse et religieuses de Gif. Un diplôme de Philippe-Auguste, donné en 1190 à Fontainebleau, nous apprend que les dames de l'abbaye de Hières (Yerres, Essonne) ont transporté aux dames abbesse et religieuses de Gif, la donation qui leur avait été faite par Louis VI le Gros (charte CCLXXVI). Il s'agissait d'une rente de 18 setiers de grain «  sextaria annonæ  » à prendre sur le moulin de Chilly «  molendini de Calliaco  » possédé par le roi qui dédommageait d'un bien cédé à l'abbaye de Montmartre. L'abbé Lebeuf pense que le transport de cette rente fut fait lorsque le couvent de Gif fut reconstruit et peuplé par une colonie de moniales venue d'Yerres.

Vers 1190, en faisant son testament, le chevalier Adam de Châteaufort «  Adæ de Castro Forti  » fit de nombreuses libéralités aux maisons religieuses du sud parisien dont l'abbaye des Vaux de Cernay qu'il dota richement (charte LXXXVII). Le couvent Notre-Dame du Val de Gif reçut deux setiers d'annone à prendre chaque année sur le terroir de Châteaufort «  monialibus de Gif duos sextarios annonæ annuatim apud Castrum Forte  ». Ce testament est également inscrit dans le cartulaire de Philippe-Auguste (charte LXXXV). Notons que Merlet et Moutié, les auteurs du cartulaire de l'abbaye des Vaux de Cernay mentionnent dans une note «  L'abbaye de Gif, ordre de Saint-Benoît, fut fondée en 1180  » sans donner aucune justification.

Avant de poursuivre, donnons ce qu'a lu l'abbé Lebeuf dans les registres du Parlement de Paris pour l'année 1268 « … une partie du revenu que nos Rois accordèrent à cette maison vers le temps de son établissement, fut la dixme du vin du Roy, le Parlement règla la manière dont le couvent et celui de la Saussaye recevroient ce droit  ».

 

 

Donation des dîmes de Saclay

Au mois de mai 1218, Eudes, évêque de Paris donne des lettres de confirmation en faisant savoir que Roger de Villedauré et Isabelle (ou Elizabeth), sa femme. «  O. Dei gratia parisiensis episcopus omnibus presentes, salutem in Domino. Notum facimus quod Rogerius de Villadanze et Ysabella uxor sua…  », donnèrent à Isabelle de Gif «  Ysabella Giffa  » et à l'abbaye de Gif «  abbatia de Gif  » tous les biens qu'ils possédaient au village de Saclay et notamment les grosses dîmes «  totum decimam apud Sarlenum  ». Encore une fois, le chef de l'Église parisienne montre son grand intérêt à l'abbaye de Gif en garantissant cette donation et apposant le scel épiscopal au bas de l'acte. Les dames abbesse et religieuses de Notre-dame du Val de Gif utilisèrent ce titre pour justifier du prélèvement de la dîme de Saclay «  toute la dixme qu'ils avoient pour en jouïr perpétuellement  ». Les donateurs fondent par cet acte un obit pour les prières des religieuses.

 

Vidimus de la charte de mai 1218 relative aux dîmes de Saclay.

 

 

La transaction de 1265

L'an 1285, le jeudy d'après la feste Saint Jean-Baptiste «  festum sancti Johannes Baptri  », les lettres de frère Jean de Villiers, maître de l'Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem du village de Saclay «  frater Johannes de Villarbius Dei gratia sancte domus Hospit sancti Johannis Jherusalem magister  » confirme la transaction passée avec les dames abbesse et religieuses de l'abbaye Notre-Dame du Val de Gif «  monasterio beate Mariæ de Giffo  » au sujet des dîmes que ce couvent possède depuis un temps immémorial à Saclay « in possessorem a longus temporibus in perrochia de Sacleyo  ». Le couvent de Gif prétend posséder depuis 1218 toutes la dîme sur le terroir de Saclay «  et etiam totum ubium decinam suum habebunt super … in territorio de Sacleyo … septuum bladi…  ». La transaction se rapporte à quatre septiers de blé froment que l'abbaye avait droit de prendre sur ledit Hôpital et pour les dîmes qui étaient en usage de percevoir en vertu de la susdite de la susdite donation sur les terres de l'Hôpital sises sur le terroir de Saclay. Le commandeur de l'Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem s'est engagé pour lui et ses successeurs de payer à perpétuité à l'abbaye de Gif six septiers de bled méteil bon loyal «  boni et legalus  » et suffisant provenant de la grange dudit Hôpital et cinq septiers d'avoine bonne loyale et suffisante provenant desdites terres de la plaine de Saclay, le tout livré mesure de Châteaufort «  mesuram de Forti Castrum ».

 

Vidimus de la charte du frère hospitalier de Saclay (1285).

 

 

Nomination de l'abbesse de Gif

Nous savons que de couvent de Gif avait des liens privilégiés avec le l'abbaye bénédictine d'Yerres. À tel point que le bref du pape Alexandre précise les conditions de rétablissement des bâtiments conventuels avant 1180 «  mais à condition, que la mort de l'abbesse arrivant, si vous ou celles qui vous succéderont ne peuvent vous accorder à élire quelqu'une d'entre vous, vous ne pourrez dans tous les temps que la chose arrivera élire régulièrement votre abbesse d'autre part que du monastère d'Yerres …  ». Un diplôme daté de 1492 montre que cette règle était toujours de mise à la fin du XVe siècle ; c'est la nomination de sœur Estiennette La Paguine à l'abbaye de Gif par les dames abbesse et religieuses de l'abbaye d'Yerres.

« À tous ceux qui les présentes lettres verront, Jeanne abbesse de l'église et monastère de Sainte-Marie d'Hyerre et de tout le couvent dudit lieu, ordre de Saint-Benoist, diocèse de Paris, salut en notre Seigneur. Comme c'est une chose reconnue que lorsque la dignité abbatiale vient à vaquer dans l'église conventuelle ou monastère de Giffe pareillement ordre de Saint-Benoît et diocèse de Paris, la provision et disposition de la future abbesse dudit Giffe nous regardant comme étant ledit monastère de Giffe membre dépendant de celui d'Hyerre et lui étant soumis surtout lorsqu'il ne se trouve pas audit monastère de Giffe des religieuses habiles à élire ou à être élues. La chose étant comme il est dit et la dignité abbatiale ayant vaqué et vacant depuis peu de temps par la mort de défunte Hélie de Forges qui dans lesdits temps se portoit pour abbesse dudit monastère de Giffe. Faisons sçavoir que nous abbesse et couvent du susdit monastère d'Yerres, après avoir appelé celles qui doivent être appellées et avoir observé les solennités de tout temps observées parmi nous, nous nous sommes assemblées le jour de la date des présentes et après l'invocation du Saint-Esprit avons recueilli les suffrages de toutes les capitulantes et ainsi du notre et du consentement unanime de toutes nos sœurs et religieuses capitulairement assemblées et sans opposition d'aucune lesdits suffrages se sont tous rassemblés sur la personne de honnête et religieuse sœur Étiennette La Paguine, thrésaurière et religieuse professe dudit monastère d'Yerres, femme instruite et de bonnes mœurs, recommandable à juste titre par sa prudence et les actions vertueuses, étant d'un âge mur et requis, et fort versée dans les connaissances spirituelles et temporelles. En conséquence, nous l'avons élue et proposée comme nous l'élisons et la proposons pour être abbesse dudit monastère de Giffe vacant de la manière qu'il a été dit ou de quelqu'autre manière que ce soit. Laquelle élection ayant été faite comme il a été dit après l'invocation du Saint-Esprit, nous avons conjuré avec instance la dite élue de donner son consentement à l'élection qui venoit d'être fait d'elle, à quoy elle a répondu que la dignité abbatiale telle que celle dont s'agit demandoit une religieuse de plus grande prudence et de plus grande vertu qu'elle n'étoit.
Néanmoins, après avoir réfléchi sur cela pendant
quelque temps, l'élue ne voulant pas comme elle disoit elle-même résister à la volonté divine a enfin répondu qu'elle consentoit à l'élection qu'on avoit faite d'elle de la manière susdite pour rendre gloire à la Sainte Trinité , père, fils et Saint-Esprit et à Saint-Benoît notre père, elle y a consenti et l'a acceptée sur ce, attendu la vacance du siège épiscopal de Paris nous supplions humblement les vénérables et discrètes personnes Mrs les doyens et chanoines du chapitre de l'église de Paris et tous autres qui ont droit ou sont d'usage de confirmer notre dite élection, nous les prions instamment ».

 

 

Les contentieux sur les dîmes de Saclay

Revenons un moment sur le temporel de l'abbaye de Gif. Outre les nombreuses censives, des établissements comme le moulin de l'Abbaye sur l'Yvette ou la ferme d'Invilliers et autres héritages, les religieuses possédaient des droits de grosse dîme sur le territoire de Saclay en même temps que le curé de cette paroisse. Comme bien souvent en pareil cas, des conflits éclatèrent entre le curé et l'abbaye qui était soupçonnée d'usurpation de dîme par le bas-clergé. Un mémoire écrit en 1748 donne le ton de ces chicanes intemporelles. Nous donnons in extenso ce texte précieux pour l'économie agricole du XVIIIe siècle à Saclay:
« Depuis, M. Louis M
eusnier, curé de Saclay, par acte passé devant notaire le 24 octobre 1630 a reconnu devoir à l'abbaye par chacun an les six septiers de bled méteil et cinq d'avoine mesure de Châteaufort à prendre dans la grange des dixmes de Saclay. M. François Prieur, son successeur a passé la même reconnaissance le 10 aoust 1647 ajoutant pour les grains, le tout bon, ce même François Prieur a transigé avec l'abbaye le 19 janvier 1660 pour plusieurs années d'arrérages de ladite redevance reconnüe dans les mêmes termes. M. Jean Dubois a pareillement reconnu le 20 may 1669 et a transigé le 29 juillet pour plusieurs années d'arrérages. M. Jean Robes a reconnu le 13 mars 1725 et a toujours livré le bled tel qu'il le recueilloit de la dixme, sans seigle pur et sans aucun mélange de seigle après la récolte.
Enfin M. Letellier actuellement curé depuis environ deux ans, a reconnu payer en 1747 pour la première fois, mais bien différemment de son prédécesseur, ne livrant que moitié seigle et moitié froment, trois septiers de l'un, trois septiers de l'autre. Les dames de l'abbaye de Gif pour esprit de paix ont bien voulu ne lui pas renvoyer son bled et se sont contentée de marquer sur leur quittance qu'elles ne recevoient ce bled ainsi mélangé que sans préjudice de leurs droits et cette année 1748 ledit curé a envoyé trois septiers de seigle séparés en attendant les trois de froment. C'est l'innovation dont les dames se plaignent et tels sont leurs motifs.
1° Les titres primordiaux én
oncés simplement bled méteil provenant du crû de la dixme cédée au curé. Enoncé qui exclut formellement toute livraison de seigle pur aussi bien que tout mélange de seigle après la récolte. Telle est la disposition des lois et jugement sur cette matière.
2° L'abbaye de Gif étoit en possession immémorialle de recevoir la redevance en bled méteil. Le sieur curé ne pouvoit donc changer qu'en vertu d'un jugement qui débouterait l'abbaye. Par acte fait et passé sous le scel de M. l'évêque de Paris au mois de may 1218, Roger de Villedauré et Elizabeth, sa femme, ont donné à perpétuité à l'abbaye de Gif toute la dixme qu'ils avoient à Saclay. L'an 1285, l'abbaye de Gif a transigé avec le frère Jean de Villiers, maître de l'Hôpital de Saclay de Saint-Jean-de-Jérusalem au sujet de quatre septiers de bled qu'elle avoit droit de prendre sur ledit Hôpital et pour les dixmes qu'elle étoit en usage de percevoir en conséquence de la susdite donation sur les terres dudit Hôpital sises sur le terroir de Saclay et le com
mandeur s'est engagé pour lui et ses successeurs de payer à perpétuité à l'abbaye de Gif six septiers de bled méteil bon loyal et suffisant provenant des terres dudit Hôpital et cinq septiers d'avoine bonne loyalle et suffisante du crû aussi desdites terres, le tout livré mesure de Châteaufort . Par sentence du Châtelet du 12 juin 1512, certaines dixmes de Saclay contestées entre le commandeur de l'Hôpital et le curé ont été adjugées audit curé à condition d'acquitter ledit Hôpital par chacun envers l'abbaye de Gif des onze septiers de grain, sçavoir six septiers de bled et cinq septiers d'avoine. Par sentence du Châtelet du 4 novembre 1535, le frère Guillaume Guignon, commandeur de Saint-Jean de Latran, comme détempteur de la grange dixmeresse de Saclay a été condamné à continuer de payer, par chacun an à l'abbaye de Gif, onze septiers de grain, six de bled méteil et cinq d'avoine avec dépens . Par sentence rendüe aux requêtes du Palais le 5 avril 1565, M . Pierre de Moignon, curé de Saclay, a été condamné à payer par chacun an à l'abbaye la même redevance. L'abbaye du possessoire eût adjugé à lui curé le petitoire.
3° Cette redevance ainsi réduite à la moitié de seigle pur se trouveroit conséquemment réduite à plus de la moitié de sa valeur intrinsèque de bled méteil, le prix de seigle pur n'allant pas ordinairement à la moitié du prix du bled.
4° Le sieur curé est ob
ligé de payer cette redevance du crû de la dixme qui ne peut guères rapporter trois septiers de seigle pur. En voici la preuve. La paille de seigle ne sert qu'à faire des liens et à couvrir, de la vient que les propriétaires ne permettroient ordinairement dans leurs baux au fermier d'une voiture, c'est-à-dire de cinquante arpent de solle, que deux arpents de seigle par an, pour ne pas dépailler leur ferme. Aujourd'huy cette permission s'étend à trois ou quatre au plus, ce qui feroit huit arpents sur cens. Or, à Saclay la dixme est à quatre gerbes l'arpent, ainsi les huit arpents de seigle sur cens ne peuvent produire au décimateur que trente deux gerbes qui ne peuvent en général, année commune, rendre un septier de seigle, mesure de Châteaufort et criblé. Il faudroit donc au moins trois cents arpents en nature de bled et ainsi une dixme de neuf cents arpents d'étendüe, pour donner au décimateur trois septiers de seigle. Pour où, il est aisé de voir que le curé de Saclay se décharge presque en entier pour le payement de cette redevance de tout le seigle qu'il a recüeilli dans sa dixme, si même il n'est obligé d'en achepter ou d'en prendre sur d'autres dixmes à lui appartenantes. Car il n'y a pas d'apparence qu'une dixme chargée d'une aussi petite redevance soit si étendüe.
5° L'énoncé bled méteil ne signifie pas nécessairement comme le prétend le sieur curé, moitié seigle, moitié froment. Il y a, disant Mrs les jurisconsultes et entr'autres M. Moüe, trois sortes de méteil, le méteil blanc dans lequel on trouve quelques grains de seigle restés par hasard la semence après la récolte ; tels sont à peu près les grains de dixme dans la plaine de Saclay et autres survoisinage, le méteil moindre provenant de terres plus légères où on a semé le bled plus bis, c'est-à-dire, avec environ un tiers de seigle, et un petit méteil provenant de terres où on a semé moitié seigle et moitié froment. Or il y a très peu de ces deux espèces de terre dans la plaine de Saclay, donc le curé ne peut donner à l'abbaye aucune de ces deux espèces de méteil recueilli tel. Il ne pourroit non plus mettre dans le méteil blanc qui est le plus grand produit de la dixme aucun grain de seigle, toutes les lois défendent expressément ce mélange qui, quoiqu'en très petite quantité diminue considérablement le prix du bled méteil blanc. ».

À suivre…

 

 

Notes

(*) Numérisation de l'Université de Toronto ( archive.org/details/histoiredelabbay00alli).

(1) Série 62 H des ADE.

(2) Abbé J. Lebeuf, Histoire de tout le diocèse de Paris, t.IV (chez Prault, Paris 1757).

(3) Abbé J.-M. Alliot, Histoire de l'abbaye et des religieuses bénédictines de N.-D. du Val de Gif (chez A. Picard, Paris, 1892).

 

 

 

 

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