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L'abbaye Notre-Dame du Val de Gif (5) (1523-1571)

Cette chronique est le cinquième volet de l'histoire de l'abbaye de Notre-Dame du Val de Gif. Après avoir décrit la formation du temporel du couvent donnée par la lecture des chartes des XIIe et XIIIe siècles, puis les évènements tragiques qui marquèrent les deux siècles suivants, nous arrivons au XVIe siècle, époque du renouveau, pour laquelle nous disposons de nombreux documents.

C. Julien J.P Dagnot - Décembre 2012

L'abbaye bénédictine N.-D. du Val de Gif (dessin de L. Morize, 1871).

 

La prélature de Catherine de Saint-Benoît

En 1523, Catherine de Saint-Benoît, qui signait «  Katherine  » recueillit la succession d'Antoinette Augier. Aussitôt après son élection, elle s'appliqua à rendre son gouvernement fécond en oeuvres de toutes sortes. Par sa grande piété, cette nouvelle abbesse attira nombre de jeunes moniales ; les grandes familles de la contrée avaient retrouvé le chemin de Notre-Dame de Gif en envoyant leurs filles dans la petite école ouverte de nouveau sous le cloître des religieuses réformées. Parmi les novices était Philippe de Gottelas, fille d'Antoine de Gottelas et de Charlotte de Voisins, seigneur et dame de Villiers-le-Bâcle et de Damiette. Elle vécut à Gif de longues années, et ne quitta l'abbaye qu'en 1551, pour aller édifier par sa piété une autre maison religieuse.

Dans le terrier du fief de Damiette nous trouvons plusieurs pièces qui évoquent la famille de Gottelas, dont un contrat d'échange de 1540. «  Item, une pièce en parchemin faicte passée pardevant Noël Mouchin commis de Jean Richardier, qui est ung contrat d'eschange faict entre Pierre Meusnier et Didier Laurent religieux en ladite abbaye, procureurs, fondés de procuration desdites religieuses et convent inscrit et transcript audit contrat et damoiselle Charlotte de Voysins, veuve de déffunt Anthoine de Gottelas vivant escuyer sieur de Villiers-le-Bâcle, par lequel desdits sieurs Meusnier et Laurent avoient baillé, ceddé et délaissé audit tiltre d'eschange à ladite de Voysins deux arpens de terre labourable assiz audit Villiers-le-Bâcle au champtier nommé la Vieille Ville et troys quartiers de pré et aulnoy ou environ assiz au dessoubz dudit Villiers en la prairye dudit lieu, et pour en contre eschange de ce ladite de Voysins avoit baillé et délaissée audit tiltre d'eschange audits sieurs religieux et couvent deux arpens et demy de terre labourable en deux pièces assis audit Damiette, les terres dudit contrat mesurées arpentées… ledit contrat en datte du 16 mars 1540, signé Richardier. Auquel contrat est attaché une aultre pièce signée (?) commis de Françoys Le sanglier, tabellion audit Chasteaufort qui est un bail qui fait avoir estre par lesdites religieuses à Fontanier laboureur audit Villiers desdits deux arpens de terre audict Villiers et troys quartiers de terre et pré sciz au dessoubz de la Fontaine de La Seyraye en datte du 30 janvier 1536  ».

Sous cet abbatiat nous voyons deux personnages qui abandonnent la totalité de leurs biens à l'abbaye de Gif, ce sont frère Jacques le Clerc, prêtre et confesseur des moniales et sa mère Françoise Louët qui prit l'habit des Bénédictines. Cette dame coucha la communauté de Gif sur son testament ; l'abbaye reçut de nombreux héritages de grande valeur : une ferme à Puyseux-en-France (arr. de Pontoise), des terres à Compans-lèz-Mitry, des rentes au village de Varron-en-France, quelques arpents de vigne à Montmartre, et une somme de 2.000 livres tournois. Thomas Lyet, procureur et receveur de l'abbaye de 1520 à 1537, continua l'œuvre de Blaise le Vacher. Le prêtre Jean Mousset lui succéda bien que la réforme d'Etienne Poncher prescrivait que le procureur fut un laïc. Le père Mousset eut fort à faire avec Pierre Dupin le curé de Saint-Aubin au sujet des grosses et menues dîmes de cette paroisse.

François 1er fut le plus puissant de tous les protecteurs des moniales de Gif et l'un des souverains qui donna de nombreuses lettres patentes. Le roi aida l'abbesse dans plusieurs différends : avec les Hospitaliers de Saclay, avec la dame de Marcoussis, et même avec l'évêque de Paris. Les démêlés avec Jeanne de Graville, dame de Marcoussis ont fait dire à l'abbé Alliot «  qui avait hérité de l'esprit chicaneur de l'amiral son père  ». Le sujet du conflit était le défaut de paiement de la rente annuelle de 25 livres tournois que la dame s'était engagée à payer pour la nourriture d'une sœur nommée Marie du Rozier dont elle s'était fait la protectrice. La dame de Marcoussis avait un second contentieux avec l'abbaye de Gif ; elle voulait s'emparer des bois voisins de la ferme de Gousson appartenant aux religieuses. Le registre terrier de 1630 évoque cette affaire ; «  Item une lettre royaulx du Roy François ler régnant donnés à Paris le 10 janvier 1537 par lesquelles lesdites dames … que accordé à cause de leur fondation et dotation competoire et appartenir une pièce de boys taillis scize près leur monastère touchant aux boys de dame Jeanne de Graville seigneur de Marcoussy, et à présent à Monseigneur le duc d'Orléans frère du Roy à cause de son comté de Lymours, laquelle contenoit 12 à 13 arpents autrement ou vulgairement appellée les boys de l'abbaye, de laquelle pièce de boys elles avoient toujours jusqu'à ce que les héritiers de ladite dame de Graville avoient fait procès et une sentence par laquelle il appert que la propriété et appartenance de ladite quantité de 12 à 13 arpents de boys revient audites dames et ladite pièce de boys ainsy inventoriée  ».

Nous retrouvons encore une fois, les descendants de l'amiral de Graville dans plusieurs actes du XVIe siècle concernant le fief de Gousson. La douzième pièce est ung bail à Jehan Clément et Pierette sa femme fille de deffunt Richard Pevrier, laquelle a promis et promet et faict promesse pour plus grande garantie bailler auxdites dames abbesse et couvent toutte part et portion que a ladite Pevrier en reçoit à cause de la succession de son deffunt père aux susdits lieux les héritaiges sciz à Gousson en la censive desdites dames, moyennant le prix porté par ledit Coubart en datte du 10 janvier 1530. La treizième pièce est un contrat d'eschange passé pardevant Cauré, commis de Villet Malnoue tabellion audit Chasteaufort, qui est ung contract d'eschange faict entre lesdites dames et noble homme Noël Bastien de Balsac en son nom et comme ayant les droicts de Messire Anthoine de Balsac contenant ledit de Balsac, avoit baillé audites religieuses quatre arpens de terre en une pièce scize proche de Gousson tenant aux terres desdites religieuses, et aux boys appartenant au seigneur de Montaigu… à cause de ses boys de Graville, du 19 janvier 1575, signé Coubart.

 

 

Les différends avec le curé de Gif

Un sujet constant de dispute entre le curé de Gif et ceux des paroisses environnantes fut la perception des dîmes. Le clergé séculier a, de tous temps, prétendu que la dîme lui revenait et était destinée à l'entretien de la cure et de l'église. Du fait des donations des dîmes inféodées faites à l'abbaye Notre-Dame de Gif depuis le XIe siècle, les religieuses furent souvent en procès avec le curé. En 1532, un nouveau curé arrive à Gif en la personne de Jean Frédeval, intime de Jean du Bellay, l'évêque de Paris et de son frère René du Bellay, abbé commendataire de l'abbaye de bénédictins de Saint-Meen au diocèse de Saint-Malo.

Profitant de la protection épiscopale, le curé de Gif n'hésita pas à revendiquer les dîmes de la paroisse, notamment celles perçues dans la prairie de Coupière. Jacques le Clerc, procureur des religieuses bataille dur pour anéantir les prétentions du curé n'hésitant pas à dire que «  le curé de Gif était le domestique de l'évêque  ».

Laissons Jacques le Clerc nous conter lui-même, dans la langue du XVIe siècle, un épisode de cette lutte. « En l'an mil cinq cens trente quatre, levasmes seulement vingt-cinq jarbes de bled, parce que fusmes empeschiés par maistre Jean Frédeval, curé de Gif, ou par maistre René du Bellay, abbé commendataire de Saint-Main, conseiller en la court de parlement à Paris, et frère de levesque de Paris ; lequel de Saint-Meen, vicaire général dudit evesque son frère, en faisoit son propre fait; parce que ledit Frédeval, curé, estoit des domestiques de son frère levesque de Paris, et envoya ceste dit an, Mil Vc trente quatre, plusieurs gendarmes sur grands chevaulx de lances, seellés de selles d'armes, et bien embastonnez, que l'on disait estre au capitaine Martin, son frère, qui firent plusieurs oultraiges, comme de tuer notre jument, qui estoit une très bonne beste et valait bien dix escus, et navré à playe et sang notre procureur et serviteurs, sans ce que leurs fissent aucune résistence, et ne s'en doubtoient point, mais estoient allés pour cueillir nos dites dismes, en guardant notre possession ».

Puis, rassemblant des hommes peu recommandables René du Bellay organisa le sac de l'abbaye. Une plainte fut portée devant le prévôt de Châteaufort qui emprisonna un vulgaire comparse nommé Guillaume Fossart et cita le curé et les deux vicaires de Gif à comparaître. Les tracasseries ne cessèrent pas puisque le procureur écrit : «  aultres plusieurs molestes, comme de faire suspendre et excommunier le béat père confesseur de la dite abbaye, et aultres de noz gens, les molestant, tant en court séculière comme ecclésiastique; et nous coustat tout plain d'argent ».

Finalement, un accord fut conclu. Nous le trouvons dans les papiers du terrier de 1630 : «  La quatrième pièce est un contrat faict et passé pardevant Bastonneau et Maupeou notaires, entre messire Guillaume Bonsifre, advocat en Parlement, seigneur de Lymours, comme soy faisant et portant fort desdites dames d'une part et vénérable maistre Jean Frédeval docteur en médecine et curé de la cure dudit Gif, sur leur différend qui estoit entre lesdites dames plaidant le sieur curé, que lesdites dames maintenues pour les dixmes tant grosses que menues, des grains, vins et autres fruits croissant au-dedans du territoire par le dixmage dudit Gif, leur appartenoient en bonne possession, depuis l'an 1205 et 1210 continue jusqu'en l'an 1530 que lesdites dames et maître Jean Cambon, lors curé dudit Gif avoit signé pour raison desdites dixmes par laquelle lettre ledit Chambon se seroit obligé payer audites religieuses soit par chacun an pour elles du droit de dixme et à elles en tenant la quantité de quinze septiers de bled, plus deux parties de bled, mems de Charanfour, deux cents botteaux de gluye de feurre [gluye est un mot normand qui signiffie foin long] et douze livres de chanvre, le tout rendu dedans le clos desdites religieuses au jour de Saint-Martin d'hiver. Et oultre lesdites religieuses requierent de toutes dixmes de leurs héritages quelconques tant de leur ancienne fondation que de toutes leurs acquisitions par elles faites et qu'elles pouvoient faire à l'avenir, leurs fermiers et domestiques à raison plain de soumettre par ledit contrat par le moyen duquel et par l'adveu porté au contrat, gens de Conseil, ledit maître Jean Frédeval, curé de Gif, tant pour luy que pour ses prédécesseurs curé dudit Gif ladite quantité de quinze septiers de bled et deux parts bled et d'autre avoyne mesure de Chasteaufort, deux cents de gluye de feurre, deux livres de chanvre le tout rendu dedans le clos desdites dames au jour de Saint-Martin d'hiver et que lesdites dames ne payeroient audit curé aucune dixme à cause de leurs héritaiges au-dedans du territoire et paroisse de Gif, ensemble leurs fermiers, serviteurs et domestiques comme aussy tous les héritaiges qu'elles pourroient achepter jusqu'au nombre de 26 arpents et le surplus desdites dixmes appartiendroient au sieur Frédeval, ses successeurs curés dudit Gif selon que le contient plus au long du contrat du 21 juing 1536, signé Bastonneau et Maupeou, notaires  ».

 

 

L'abbatiat de Jeanne de Blosset

Nous ignorons la filiation exacte de Jeanne de Blosset qui gouverna le couvent de Gif pendant presque trente ans. Selon la France Pontificale , Jeanne 1ère de Blosset fut religieuse professe de Poissy, abbesse de Gif en 1543 et mourut le 13 juillet 1571, à l'âge de 70 ans. Elle fut la première abbesse perpétuelle après la réforme du concordat de Bologne signé par le pape Léon X et le roi François 1er, à qui revenait le droit de nomination à toutes les abbayes du royaume. L'abbé Alliot n'est pas très loquace à ce sujet ; il nous dit seulement : « … la nouvelle titulaire était en tout digne de la haute distinction qu'elle venait d'obtenir. Sortie d'une famille d'origine normande, qui eut quelqu'éclat au XVIe siècle; âgée de 42 ans, petite, maigre, les yeux vifs et ardents, la parole claire, entraînante, un peu précipitée: formée à cette grande école dominicaine, si justement célèbre dans l'église, Jeanne de Blosset, en arrivant à Gif, n'eut que peu de modifications à introduire dans sa vie...  ».

Deux options se présentent pour donner des parents à l'abbesse Jeanne de Blosset, en considérant les deux branches issues de Charles et de Jean II, fils de Rogerin de Blosset seigneur du Plessis-Pâté (cf. la chronique «  Les Blosset seigneurs de Plessis-Pâté  »). En compulsant la famille de Blosset, nous trouvons Charles Blosset qui fit faire la chevauchée de la justice en présence du procureur du roi de Montlhéry et autres personnes. Maître d'hôtel de la reine en 1453, au partage de 1462, il eut les seigneuries de Saint-Maurice-en-Thizouailles et Fleury. Charles Blosset, escuyer comme procureur de Rogerin Blosset son père, rendit aussi aveu en 1462 de leurs terres et baronnies du Plessis-Pasté et de la Motte. Il épousa Charlotte de Mornay dont il eut : Christine de Blosset , veuve en 1510 de Pierre des Ulmes, écuyer, seigneur de la Maisonfort-Bitry, et Jean de Blosset , écuyer, seigneur de Fleury, épousa en 1499 Anne de Saint-Julien dont il eut Louis de Blosset, seigneur de Fleury, Saint-Georges et Villiers qui épousa avant 1537 Madeleine de Rodon, auteur du rameau de Fleury. Il semble que l'abbesse de Gif, née en l'an 1501 soit la fille de Jean de Blosset seigneur de Fleury et d'Anne de Saint-Julien ; Jeanne arrivant dans la deuxième année du mariage.

Selon de La Roque , auteur de la généalogie de la maison d'Harcourt «  Messire Jean II Blosset chevalier, seigneur de Torcy, Beaumont, Doudeauville et baron du Plessis-Pasté estoit vicomte d'Evreux, selon des arrests de l'Eschiquier de 1505 et 1506, prenant encores cette qualité en plusieurs actes. Son père estoit Jean 1er Blosset, baron du Plessis-Pasté, cette maison procédant de celle des barons d'Esneval, vidames de Normandie et de Jossine d'Estouteville, dame de Torcy et de Beaumont. Ledit vicomte d'Evreux avoit épousé Anne de Cugnac fille d'Antoine de Cugnac, seigneur de Dampierre aussi vicomte d'Evreux, dont Jean III, seigneur de Torcy, baron du Plessis-Pasté, chevalier de l'Ordre du Saint-Esprit, gouverneur de Paris et Isle-de-France… » (1). Il est peut probable que l'abbesse Jeanne de Blosset appartienne à cette branche en tant que fille de Jean II que l'on dit être décédé avant 1500.

 

Filiation possible de Jeanne de Blosset (branche paternelle).

 

Antoine de Cugnac, seigneur de Dampierre et de Bocard, baron d'Imonville, était conseiller et maître d'hôtel ordinaire du roi Louis XII et vicomte d'Evreux. Il était fils de Pierre de Cugnac, chevalier, seigneur de Dampierre et autres lieux, conseiller et chambellan du roi Louis XI, grand maître des Eaux et Forêts de Normandie et de Jeanne de Prunelé et petit-fils d'Antoine de Cugnac et de Jeanne le Brun de Palaiseau. Ledit vicomte d'Evreux épousa Madeleine de Mornay fille de Jacques de Mornay et décéda l'an 1528, ayant procréé de son mariage Antoine de Cugnac, chevalier, maître d'hôtel du roi François 1er. Encore une fois nous retrouvons la puissance famille de Mornay.

Pour certains, dont l'abbé Alliot, « la nomination par le roi découvre l'inqualifiable abus de l'ingérence royale dans la distribution des bénéfices. Le roi en effet, pour complaire à des courtisans en faveur, récompenser des services, obéir à des influences de cour…  ». Quelles étaient les influentes personnes dont parle notre historien ? Tout d'abord, du côté paternel, la famille de Blosset a toujours servi les Valois, comme chambellan ou hommes d'armes. Elle était alliée aux Le Veneur de Tillières. Marie Blosset, dame de Saint-Pierre de Carrouges, épousa Philippe le Veneur baron de Tillières dont sont issus Charles le Veneur baron de Taillie et le cardinal Jean le Veneur. Marie Blosset, dame de Saint-Pierre de Carrouges était fille de Jean Blosset, chevalier, seigneur desdits lieux, conseiller et chambellan du roy, grand sénéchal et réformateur général du duché de Normandie en 1477 et 1480, qui fit hommage de la chastellenie de Menc, de Bornois, mines d'argent et de plomb, par lettres données au Plessis-le-Parc-lès-Tours le 27 septembre 1481 et de Marguerite d'Orval. Jean Le Veneur, neveu de Jean Blosset, fut évêque de Lisieux et coiffa le chapeau de cardinal en 1533. Il était aussi le neveu d'Étienne de Blosset de Carrouges, chanoine de Paris puis évêque de Nimes en 1481 et transféré au siège épiscopal de Lisieux de 1482 à 1505. Du côté des femmes, la grand-mère de Jeanne était Charlotte de Mornay, fille de Charles de Mornay, seigneur de Villiers-le-Châtel, Achères, Ambleville et autres lieux, échanson du dauphin, futur Louis XI, et de Bonne de la Vieuville. Les Mornay étaient très attachés aux princes d'Orléans qu'ils servaient depuis l'an 1400. Deux des frères de Charlotte, Guillaume de Mornay et André de Mornay furent successivement maître d'hôtel du roi. Nous retiendrons le nom de la grand-mère de Jeanne de Bosset, issue de la puissance famille de Mornay qui donna cinq abbesses à Gif .

 

Filiation possible de Jeanne de Blosset (branche maternelle).

 

Quoiqu'il en soit de la généalogie, nous retrouvons la famille de Mornay, les Blosset et les Le Veneur avec différents degrés de parentés. Tous ces personnages proches du pouvoir royal ont joué un rôle non négligeable dans la nomination royale de Jeanne de Blosset. Notons qu'Antoine de Cugnac, chevalier, maître d'hôtel de la maison royale, fut le plus proche du roi François 1er.

 

 

L'abbesse de Gif en prison

L'abbatiat de Jeanne de Blosset fut l'un des plus longs de tous ceux qui régirent l'abbaye, puisqu'il dura près de trente ans, connut toutes les vicissitudes et toutes les extrémités. Mais s'il fut l'un des plus agités, il fut aussi l'un des plus glorieux et des plus prospères. La nouvelle abbesse débuta sous d'assez heureux auspices, aidée par la prieure Gabrielle Théodet. On lit dans les preuves des libertés de l'Église Gallicane, que pour cause de diffamation, l'évêque de Paris la fit emprisonner, en 1548, avec deux autres religieuses du monastère, nommées Marie de la Rosière, et Magdeleine Bouchet.

L'abbé Alliot nous donne plus de détails sur cette affaire. Le redressement du temporel de l'abbaye avait contraint la Mère supérieure à faire produire plusieurs centaines de pièces de procédure et les réclamations des défendeurs avaient été portées à la Curie parisienne. Les actes d'administration de l'abbesse de Gif ne plaisant pas à l'évêque qui vint visiter en personne le monastère. Le cardinal Jean de Bellay, le protecteur du curé de Gif, était animé par une vieille rancune à l'encontre de l'abbesse. La visite fut houleuse, les religieuses indignées se répandirent en violentes invectives contre le prélat qui parle d'un «  grand scandale notoire, public, et manifeste contre le bien et honneur de la religion monastique  ». L'affaire fit grand bruit, très en colère, le cardinal cita l'abbesse et deux religieuses devant l'Official du diocèse, et toutes trois furent enfermées dans les prisons de l'évêché. Voici l' Arrest de la Cour, sur le procès fait par l'évesque de Paris à une abbesse et quelques religieuses. Extrait des Registres de Parlement du vendredy 18 janvier 1548 (2)

« Sur la requeste présentée à la Cour par le procureur général du Roy, par laquelle pour les causes contenues en icelle, attendu que le procès cy devant fait par l'évesque de Paris, ou les vicaires et députez, contre sœur Jeanne Blosset, abbesse et mère du monastère de Nostre dame de Gif, sœur Marie de la Rosière, et Magdeleine Bouchet, religieuses dudit monastère , lui avoit esté communiqué suivant l'ordonnance et arrest de ladite cour, en voyant lequel auroit ledit suppliant trouvé plusieurs choses mauvaises et méchantes vérifiées, lesquelles ont créé et produit un grand scandale notoire, public, et manifeste contre le bien et honneur de la religion monastique et infraction des statuts cy-devant faits, tant pour la réformation dudit monastère, que pour la réformation des autres six couvents de l'ordre de Sainct Benoist, estans en ce diocèse, par défunct de bonne mémoire Estienne Poncher, en son vivant évesque de Paris, receus et approuvez par ladite Cour ; pour laquelle contravention, et autres cionsidérations y avoit ledit suppliant trouvé cas privilégié, pour le regard duquel il avoit prins ses conclusions, qu'il bailleroit pardevers ladite Cour en temps et lieu. Et pource qu'il estoit adverty que lesdits juges d'Église vouloient procéder au jugement dudit procès pour le regard du delict commun, et qu'il estoit besoin faire assister quelque nombre de conseillers de ladite Cour, et pareillement de religieux réformez, pour assister au jugement dudit procès sur le delict commun, afin de faire garder lesdits statuts cy-devant faits, pour le bien et entretement de la réformation dudit couvent, et autres de ce diocèse. Il requiert que ledit évesque de Paris, ou ses vicaires députez par luy, pour le jugement dudit procès, pour le delict commun, fussent tenus d'appeler au jugement dudit procès sur ledit delict commun, tel nombre de conseillers de ladite Cour qu'elle trouveroit bon, et pareillement tel nombre de religieux réformez qu'il seroit advisé estre expédient, et qui seront trouvez estre propres pour ce faire : et néanmoins que défenses fussent faites ausdits juges d'Église, de ne procéder à l'élargissement desdites Blosset, de la Rosière et Bouchet, qu'il ne soit premièrement jugé, et discuté par ladite Cour sur le cas privilégié : pour le regard duquel leur fust enjoint de renvoyer ledit procès en icelle, pour par elle estre fait droit sur les conclusions dudit suppliant, et autrement, comme de raison.

 

 

« Et icelle requeste veuë par ladite Cour, et tout considéré ; ladite Cour ayant égard à ladite requeste, et icelle entérinant, a ordonné et ordonne, que l'évesque de Paris, ou ses vicaires députez par luy, pour le jugement du procès fait contre lesdites Blosset abbesse, de la Rosière et Bouchet religieuses de ladite abbaye et monastère de Gif, seront tenus appeler avec eux maistre Christophe de Molle, et Jacques Verjus conseillers en icelle, pour le jugement dudit procès sur le delict commun ; et aussi appelleront au jugement dudit procès les prieurs de Sainct-Martin-des-Champs, des Célestins, de Chartreux, et de Sainct-Germain-des-Préz ; et fait icelle Cour inhibitions et défenses ausdits juges d'Église, de procéder à l'élargissement desdites Blosset, de la Rosière et Bouchet, qu'il ne soit premièrement discuté par elle des cas privilégiez, et à cette fin leur enjoint renvoyer ledit procès en icelle, pour y estre fait droict, ensemble sur les conclusions dudit suppliant, et estre pourveu sur le tout pour le bien de la religion, comme il appartiendra par raison.

 

 

La dîme de Saclay

Le droit de percevoir les dîmes de Saclay provenait de la donation faite en 1218 par Roger de Ville-d'Avray et sa femme Elisabeth. Par la lettre de 1285, sous le scel du roi de France, Jean de Villiers, maître de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem avait reconnu aux religieuses de Gif le droit de prélever la dîme sur les terres de l'Hôpital de Saclay et le commandeur de l'Ordre s'obligeait à payer «  les arrérages de six septiers de bled méteil comme ung septier d'avoine mesure de Chasteaufort  ».

Après les procès de la seconde moitié du XVe siècle, la chicane récurrente sur la dîme de Saclay se ralluma. Une sentence énoncée en datte du 12 juing 1512, signé Buyer, soubz le scel de la prévosté de Paris entre Messire Marin Delarne prebtre curé de Saclay et Vauhallan son annexe et Nicolas de Laleu et Collin Baudon et noble homme Charles Jumenil commandeur Saint-Jean de Latran et seigneur de l'Hospital de Saclay… la redevance de dix ans qui estoient les dixmes de Saclay et Vauhallan avoient esté adjugées, et de payer audites dames religieuse de Gif ladite quantité de onze septiers de grain.

Les Hospitaliers se montrent mauvais payeurs et sont une fois encore engagés dans des procédures avec les moniales de Gif en faisant intervenir le curé de Saclay. Un procès-verbal de compulsion est fait par Jean Bailly commissaire au Châtelet de Paris «  à laquelle esté revendiquée par frère Guillaume Grignon commandeur de Saint-Jean de Latran à l'allencontre des dames religieuses et abbesse par lequel entre eux avoit esté compulsé, transcript et collationné ung bail passé pardevant Doran Dedan notaire au Chastelet de Paris contenant Messire Pierre Delaune demeurant Viry-sur-Orge et comme au nom de Messire Marin Delaune son frère, prebtre curé de Saclay et de Vauhallan avoit faict un bail pour trente troys ans au proffit de la cure de saclay pour le prix ancien y contenu, et aussy de payer ce qui estoit deub et accoustumé de payer auxdites religieuses. En fin de laquelle coppie est aussi baillé par Gillebert Agiran le 17 aoust 1530  ».

Plusieurs autres sentences sont données au profit des dames de Gif. La sentence en date du 12 avril 1532 est donnée par messire le prévost de Paris ou son lieutenant civil entre ledit messire Marin Delaune prebtre curé de Saclay … de laquelle ledit Delaune avoit esté maintenu en puissance et exécution la charge de payer auxdites dames religieuses lesdits 11 septiers de grain. Plusieurs pièces notariées sont des contrats faicts entre lesdites dames religieuses et ledit de Grignon pour lesdits onze septiers de grain. La dix-neuvième pièce du dossier est « une enqueste en parchemin faicte à la réquisition des dames religieuse contre ledit Grignon par messite Guillaume Bonfils prévost de Chasteaufort le 7 mars de ladite année 1533 par laquelle avoient amplation annuelle de 11 septiers de grain mesteil. La prissance de icelle par la cure de Saclay. En fin de laquelle est la publication d'icelle faicte le 27 juing 1534 ». La vingtième lettre est une sentence donnée au Chastelet de Paris au proffit desdites dames abbesse contre ledit Grignon en laquelle … l'an 1535 deubs audites religieuses à eux de 5 septiers d'avoyne et six septiers de bled seroient appretiez à ledit Grignon leur payer ou messire Claude Crampreux lors naguere curé de Saclay. Condamne ledit Grignon. Ladite sentence du 24 juillet 1536.

Une autre sentence fut donnée «  au proffit desdites dame allencontre de messire Germain de Montaillant prebtre vicaire de Saclay demeurant audit lieux et comme establyz aux biens saisiz sur le curé dudit lieu deffendeurs, laquelle avoit esté dit que lesdits deffendeurs voudroient compter dans quinze jours à payer six septiers de bled et cinq septiers d'avoyne en l'apprétiation en la sentence du 24 juillet 1556  ». Cette fois, les religieuses sont exaspérées par la mauvaise fois du curé de Saclay et font agir les huissiers.

Une situation identique est observée à Villiers-le-Bâcle où les religieuses de Gif ont droit de prendre un tiers des dîmes de cette paroisse, les deux autres tiers appartenant aux religieuses de Port-Royal des Champs. Le 2 juillet 1515, une lettre en parchemin, est passée soubz le scel de Chasteaufort pardevant Rullet tabellion dudit lieu, appert Marquet Langloys marchand à Villiers-le-Bâcle a baillé, baille et retient à tiltre de ferme et moyson de grain pour une année de messire Blaize Le Vacher prebtre procureur des dames abbesse et religieuse les grandes et grosses dixmes de bled, les grains consistant et tenant en la paroisse de Villiers-le-Bâcle moyennant douze septiers de grain, en deux part bled payables chacun an au jour Sainct-Martin d'hiver. Les difficultés commencent quelques années plus tard puisqu'une sentence est donnée au Chastelet par laquelle ledit Langloys avoit esté condamné rendre et payer auxdites dames la quantité de huict septiers de grain faisant la tierce partie des dixmes, le 28 aoust 1534.

 

 

La renaissance de l'abbaye de Gif

La renaissance de l'abbaye de Gif est l'œuvre de Jeanne de Blosset qui montra son opiniâtreté à recouvrer la règle de Saint-Benoît et à rétablir le temporel du monastère. L'abbé Alliot (3) développe l'action de l'abbesse et nous n'en donnerons qu'un résumé. Montrant une énergie sans faille, l'abbesse bénéficia, comme nous l'avons vu, de la protection de François 1er et son action bénéfique pour le couvent fut possible dans une période où la paix et la prospérité économique régnaient en France. Dès son arrivée, le nombre des religieuses s'accroît, les petites écoles couvrent, les pensions des moniales, les revenus des héritages du couvent et les rentes sont régulièrement acquittés, mais il fallait réparer des graves erreurs de gestion du XVe siècle, celles de Marguerite d'Orouër et des deux soeurs de Forges .

L'abbaye de Gif entra en conflit avec les possesseurs d'Invilliers, de Saint-Aubin, de Gousson, du Cormier et autres biens de l'abbaye, sans oublier les droits dîmiers à Gif, Saclay et Villiers-le-Bâcle. En juillet 1546, l'abbesse refuse de recevoir la foy et hommage de Jean Chauveau curé de Janvry, venu à Gif accompagné par le notaire de Janvry, tant en son nom qu'en celui de son beau-frère Louis Cornée, médecin de Briis. De 1543 à 1563, l'abbesse obtient la restitution du fief de Gousson, l'annulation des baux emphytéotiques abusifs, le paiement des cens et des arrérages.

Jeanne de Blosset remplaça le desservant de la chapelle des moniales par un prêtre séculier nommé Gilles Le Roy, qui devint curé de Gif. La visite du convent et la confession des moniales fut confiées à frère dominicain nommé Henri des Grassins puis à Jean Duval qui recevait 30 livres parisis et des souliers pour ses frais. L'arrivée des Dominicains fut la seule décision de l'abbesse et fut, sans doute, la cause du conflit avec le cardinal-évêque de Paris. En ce temps, l'abbaye obtient la protection du roi Henri II et de la reine Catherine de Médicis. Le roi donne 10 livres , et la reine 3 écus pour les prières des moniales. Les prieurs de Saint-martin des Champs et de Longpont fondent des messes à Gif. Les religieuses vont même jusqu'à donner l'autorisation d'être enterré dans leur cimetière, tel est la cas du fils de Madame d'Aigrefoin en 1558. Pendant sa longue prélature, Jeanne de Blosset changea plusieurs fois de prieure : Jeanne Paris qui succéda à Claude Croquescel, et Geneviève Seguyer entrée en charge vers 1567. François Plisson de son côté était un procureur dévoué et entendu aux affaires, et le chapelain Nicolas de Bernutte un prêtre pieux et fort régulier.

À la fin de la prélature de Jeanne de Blosset, en 1571, le couvent abrite une quarantaine de religieuses professes ; chacune reçoit une dot annuelle de 160 livres pour sa nourriture et son vêtement . Après cette période faste, le ciel s'obscurcit. Le mois de septembre 1562 voit une émeute des Parisiens contre les Calvinistes, les combattants se répandirent dans la banlieue en y portant le ravage et l'épouvante. Les religieuses de Gif, effrayées quittèrent leur cloître; quelques-unes rentrèrent dans leur famille en particulier les sœurs Delestre, Beauclerc et Boucher réclamées par leurs parents. L'abbé Lebeuf affirme l'abbesse avait négligemment accueilli «  une sœur religieuse et professe de Moncel, près Pont-Saint-Maxence, qui vivait à Gif, y restait habillée en demoiselle séculière, et fréquentait les nouveaux hérétiques ».

La population de l'abbaye devenue si importante, l'abbesse dut à deux reprises faire entreprendre des travaux importants, pour la consolidation et l'agrandissement de sa maison. Elle était encore toute occupée de ces soins matériels, lorsque la mort la frappa le 13 juillet 1571 à l'âge de 70 ans. La crosse de l'abbaye N.-D. du Val de Gif passa dans les mains d'une parente de Jeanne de Blosset, nommée Jeanne de Karnazet fille du seigneur de Brazeux, fief de la paroisse de Vert-le-Grand. Encore une fois la puissance maison de Mornay contrôlait le couvent de la vallée de l'Yvette.

À suivre…

 

 

Notes

(1) G. A. de La Roque, Histoire généalogique de la maison d'Harcourt , vol. 2 (chez Sébastien Cramoisy, Paris, 1662).

(2) Pierre Dupuy, Preuves des libertés de l'église Gallicane , t. II (chez Sébastien Cramoisy, Paris, 1651)

(3) Abbé J.-M. Alliot, Histoire de l'abbaye et des religieuses bénédictines de N.-D. du Val de Gif (chez A. Picard, Paris, 1892).