ecusson1
ecusson1
Attention ce site change d'hébergeur à l'adresse http://julienchristian.perso.sfr.fr

L'abbaye Notre-Dame du Val de Gif (6) (1571-1610)

Cette chronique, sixième volet de l'histoire de l'abbaye de Notre-Dame du Val de Gif pour la période 1571-1610 pendant laquelle trois abbesses se succédèrent à Gif : Jeanne de Karnazet, Antoinette de la Béraudière et Françoise Miée de Guespré (1).

C. Julien J.P Dagnot - Décembre 2012

L'abbaye bénédictine N.-D. du Val de Gif (gravure de Paul Mariotte, XVIIIe siècle).

 

La prélature de Jeanne de Karnazet

L'abbesse qui succéda à Jeanne de Blosset fut une moniale qui n'avait pas fait profession à Gif ; elle venait du couvent bénédictin de Sainte-Croix de Poitiers. L'arrivée de Jeanne de Karnazet sur le siège abbatial correspond pleinement au régime de la nomination royale. Contrairement à ce que l'abbé Alliot affirme, Jeanne de Karnazet n'était pas la fille de François de Karnazet, mais sa sœur. La preuve en est donnée par le célèbre généalogiste Aubert de La Chenaye Desbois (2). D'ailleurs, il y aurait une génération de trop dans la lignée.

Les Karnazet, famille noble bretonne tire son patronyme de la terre du même nom, en la paroisse de Laprez-Valets, au diocèse de Léon dont Salomon de Karnazet était seigneur en 1355. L'abbé Lebeuf marque que, sous le règne de Charles VII, Yves de Karnazet, premier écuyer de la maison de ce roi, acquit les terres d'Escharcon, Bondoufle et Montaubert en la châtellenie de Corbeil. Il devint «  seigneur de Lardy, sur la rivière d'Estampes, dont il bâtit et fonda l'église, et où il est ihumé, rendit aveu de cette terre, au roi, en 1446  ». Son fils René de Karnazet, né en 1450, grand-père de notre abbesse épousa Marie de Mornay, sœur d'Antoinnette de Mornay. Cette demoiselle épousa, en 1482, Antoine de Karnazet , frère de René, seigneur de Brazeux et sont cités dans une quittance de Philippe de Mornay, leur neveu, du 16 décembre 1483. Antoine de Karnazet décédé en 1502, et Antoinette de Mornay sa femme, décédée l'année suivante, furent inhumés dans l'église de Valgrand [Vert-le-Grand], où une inscription commence ainsi «  le dix février 1501, Antoine de Karnazet, seigneur de Braseux, Valgrand, etc. a délivré au curé, etc.  ». Depuis Guillaume de Karnazet, fils de René, seigneur de Saint-Vrain, posséda la terre de Valgrand.

Du mariage de René de Karnazet et de Marie de Mornay, est issu Antoine de Karnazet , 1er du nom, chevalier, seigneur de Brazeux, maître d'hôtel du roi en 1544, mort le 29 décembre 1552, avait épousé le 16 décembre 1521, Marguerite de Brillac , fille de Charles, seigneur d'Argis, et de Louise de Balsac. De cette union nous connaissons sept enfants dont François , seigneur de Brazeux, capitaine de 100 hommes d'armes, présent à la réformation de la coutume d'Étampes, mort en 1568 ; Adam , chevalier, seigneur de Saint-Vrain, mort en 1584 ; Louis , seigneur de Brazeux, Grigny et Montaubert, maître d'hôtel d'Henri III, mort en 1588 ; Anne dame de Brazeux qui épousa Fran9ois Gouffier en 1544 ; Marie épouse de Ludovic de Cappo et Jeanne , morte abbesse de Gif en 1584.

 

Les cousinages de Mornay, de Karnazet et de Blosset.

 

Nous notons plusieurs facteurs qui ont concouru à la nomination de Jeanne de Karnazet. D'une part, l'influence considérable des membres de la famille de Mornay : un cousin Nicolas de Mornay, seigneur de Villarceaux est gouverneur du duché de Berry et gentilhomme de la Chambre du roi, Pierre II de Mornay, seigneur de Buhy est lieutenant général en Île-de-France et chevalier des Ordres du roi, un autre cousin Nicolas de Mornay, seigneur de Labbeville est officier du duc d'Anjou futur Henri III. D'autre part, en non la moindre, la position privilégiée de son frère Louis auprès du même duc d'Anjou. Si l'on en croit l'abbé Alliot, l'abbaye de Gif n'était pas inconnue de François de Karnazet puisqu'il serait né au manoir de Courcelles, paroisse de Gif et, qu'en 1557, il versa une dot de 100 livres pour la réception d'une sœur converse nommée Suzanne de Lespine.

Dès sa nomination par le roi Charles IX, Jeanne de Karnazet renvoie le directeur spirituel dominicain et confie la gestion du temporel à Catherine de Kerquifinen qui recouvre les arrérages des dîmes impayées et s'active à réparer le moulin de l'abbaye. Les religieuses de Gif n'avaient pas toujours été heureuses avec les meuniers. Ceux-ci changeaient bien souvent, et avaient de fréquents démêlés avec l'abbesse. Un acte de prisée du moulin contre Jean Aubry naguère lors meunier est dressé le 2 juillet 1573. «  À la requeste de noble dame Jehanne de Carnaset abbesse de l'abbaye Notre-Dame du Val de Gif, pardevant Gilles Malenon principal tabellion en la chastellenie de Chasteaufort, il est proccédé à la prisée et estimation des ustensiles tournants travaillants du moullin de l'abbaye et autres meubles appartenant dudit moullin, après le départ de Jehan Aubry, meusnier, ont comparu Jehan Devert, maistre charpentier demeurant à Montlhéry, et Gilles Besnier, marchand à Gif, lesquels ont visité et prisé ledit moulin…  ».

Le 3 octobre 1576, Jean Griffon signa un bail du moulin pour un temps de six années et le renouvela t rois ans plus tard, le 22 juin 1579. « … les Relligieuses abbesse et couvent de l'abbaye N.-D. du Val de Gif lesquelles confessent ce jourdhuy bailler à tiltre de loyer moison de grain à commencer du quinziesme jour d'octobre venant jusques à six dépouilles à Jehan Griffon, marchant et laboureur demeurant à Gif à ce présent, promet audict tiltre pour luy ledict bail, le moulin à eau et appartenances…ledit bail moyennant la redevance de 16 septiers de bled mousture que ledit preneur promet bailler auxdictes dames relligieuses par chacun an, avec ungne demi douzaine de chappons et ung gasteau d'ung minot de bled au jour de l'an ou aux Roys…  ».

L'abbé Alliot marque la récupération de la ferme et du fief du Cormier qui avait été vendu au XVe siècle à l'ancêtre de l'abbesse, un nommé Charles de Karnazet dont on dénombrait une quarantaine d'héritiers. Un accord fut passé le 23 décembre 1577 en présence de Guillaume Thiboust, vicaire de Gif, par lequel les religieuses gardaient les 100 sols de rente perpétuelle, assis sur le fief, et une seconde rente de 600 francs au principal de 7.200 francs rachetable et remboursable.

À cette époque, le couvent de Gif reconstitua le temporel par de nombreux achats et échanges. Une autre lettre passée soubz ledit scel pardevant Guillaume Avoit commis de Michel Coquillon tabellion audict Chasteaufort contenant Yvon Barillon marchan dit Afillance avoit vendu auxdites dames cinq quartiers de terre scize proche ladite abbaye et soubz les boys dudit sieur d'Orsay en datte du 1er octobre 1579, signé dudit Coquillon auxquelles sont attachés deux aultres pièces faisant mention de la propriété desdictz cinq quartiers et leur propriété auparavant par ledit Barillon [En la censive du seigneur d'Orsay et chargé à raison de sept sols tournois de cens pour arpent à cause de sa terre du Mesnil suivant ce qui a esté escrit par Messire Boulay sur la déclaration passé par l'abbaye à Monsieur d'Orsay le 13 janvier 1635].

Un contrat d'eschange est passé le 19 janvier 1575, par devant Cauré commis de Villet Malnoue tabellion audit Chasteaufort qui est ung contract d'eschange faict entre lesdites dames et noble homme Noël Bastien de Balsac en son nom et comme ayant les droicts de Messire Anthoine de Balsac contenant ledit de Balsac avoit baillé audites religieuses quatre arpens de terre en une pièce scize proche de Gousson tenant aux terres desdites religieuses, et aux boys appartenant au seigneur de Montaigu d'une part, contre eschange arpens avoit baillé audit de Balsac… d'un bout au chemin tendant de Grousson par hault au seigneur de Montaigu, à cause de ses boys de Graville, signé Malnoue.

Le procureur et receveur de l'abbaye, un certain René Rouillart, prêtre, est vigilant pour le recouvrement des revenus : «  Une sentence est donnée au Chastelet au proffit desdites dames à allencontre de Messire Jean du Mayn, prebtre curé de Saclay par laquelle il avoit esté puissance à payer auxdites dames ladite quantité de 11 septiers de grain par tiltre normal et recognoissance d'ycelle redevance. Ladite sentence du 5 avril 1575  ».

L'abbatiat de Jeanne de Karnazet finit avec son décès le 23 janvier 1584. L'effectif du couvent était tombé à trente moniales ; Jeanne Paris est prieure et Isabeau Boucher appartenant à la famille d'Orsay est la sous-prieure ; Perrette Poulain et Catherine Mahiel sont des sœurs qui occupent les principales charges du couvent.

 

 

La prélature de Antoinette de La Béraudière

Antoinette de La Béraudière remplaça Jeanne de Carnazet. L'abbé Alliot marque «  Elle avait environ quarante ans, était sans aucun lien avec notre abbaye et tirait son origine d'une famille qui nous est totalement inconnue. Elle était professe du célèbre monastère de Fontevrault,…  ». En compulsant différentes études de généalogie de la famille de La Béraudière , nous trouvons cette famille originaire de l'Anjou, avec plusieurs de ses branches qui ont longtemps habité le Poitou. Par contre, nous n'avons aucune trace de la Mère supérieure de Gif. Le Gallia Christiana n'est pas prolixe donnant une courte notice sur la troisième abbesse titulaire: «  Antoinette de La Béraudière , professe de Fontevrault, en fut appelée pour gouverner l'abbaye de Gif en 1584, et mourut le 14 octobre 1599, âgée de 55 ans  ».

Toutefois, nous trouvons un nommé Jean de La Béraudière qui participa à la troisième croisade en 1190. Puis au XVe siècle, Jean 1er de La Béraudière , seigneur de La Béraudière , de saint-Hilaire, de Chanteloup et d'Assay, chambellan du duc Charles d'Orléans. Puis, son petit-fils Hardy de La Béraudière , seigneur d'Ozay qui épousa le 28 janvier 1453 Marie des Touches fille de Guillaume, dont sont issus Eustache de La Béraudière , marié à Jeanne Banourd et Perette de La Béraudière mariée en 1489 avec Pierre de La Bouslaye. Au XVIe siècle nous notons Mathurin de La Béraudière , époux de Marguerite de Confolens dont il eut deux fils, l'un Philippe de La Béraudière marié à Françoise de Vivonne d'où Gabriel, François, et Renée qui vivait en 1572, l'autre René de La Béraudière marié à Jeanne de Singarreau, d'où sont issus François et Joseph.

Deux membres de cette famille méritent notre attention, car il se peut qu'ils aient été les bienfaiteurs de l'abbesse de Gif. En premier lieu, François de La Béraudière , chevalier, seigneur de Villechèze, Villenon, Bréjeuilles, chambellan du duc d'Alençon, frère du Roi. Il servit en 1563 comme guidon de la compagnie de M. de Montpezat. Vers 1570, il épousa Adrienne Frotier, fille de François, seigneur de la Messelière , et d'Antoinette Goumard. En second lieu, Louise de La Béraudière (1520-1586), parfois surnommée «  La belle Rouhet  » fille de Louis de La Béraudière , fut une dame d'honneur de Catherine de Médicis «  escadron volant de la reine  ». D'une grande beauté, Louise de La Béraudière séduisit le roi de Navarre Antoine de Bourbon, père d'Henri IV, dont elle devint la maîtresse et eut, en 1554 un fils, Charles de Bourbon qui entra dans les ordres et devint archevêque de Rouen en 1594. L'un ou l'autre était proche du pouvoir royal et auraient procurer la crosse de l'abbaye de Gif à leur cousine en récompense de services rendus au Valois .

À propos d' Antoinette de La Béraudière , l 'abbé Alliot dénonce «  une inexpérience totale, un esprit borné et une simplicité, mais d'un extérieur affable et tout rempli de bienveillance ». Vers 1590, La malheureuse abbesse n'a pas la force de réprimer toutes les disputes à l'intérieur du cloître et d'imposer silence aux querelles intestines. Bientôt elle est entourée et circonvenue par une partie de la communauté, qui en gouverne toutes les affaires sous son nom dont la sœur Catherine Mahiel, devenue prieure, qui avec les sœurs Madeleine Soutin, Catherine Guy, Jeanne de La salle et Marthe Cossard forment une coterie contre les autres des moniales.

Nous n'avons que quelques documents de l'administration désastreuse d'Antoinette de La Béraudière. Pour obtenir de maigres subsides, l'abbesse conclut des baux emphytéotiques de 99 ans accordés à Pierre Fredi pour les terres de La Noue moyennant une rente annuelle de 8 écus tournois et à Antoine Soreau, procureur au Châtelet pour la terre de Saint-Aubin moyennent une redevance annuelle d'un muid de blé méteil. Un brevet daté du 2 juin 1594 est un brevet obtenu du feu Roy Henry le Grand portant exemption de ladite charge de décimateur tant pour le passé que l'advenir au profit de l'abbaye de Gif. Le même document mentionne « ung admortissement du Roy Loys roi de France et duc d'Aquitaine datté de l'an 1154  ».

Un parchemin donné 27 février 1595 est un tiltre nouvel passé par messire Guillaume Thebouze prebtre curé dudit Gif desdites redevances pardevant ledit Carré commis du tabellion de Chasteaufort. Une lettre est passée soubz le scel de Chasteaufort pardevant Carré commis de Gilles Malnoue tabellion de ce lieu, par laquelle appert avoir esté baillé à tiltre de ferme à Marin des Eaut demeurant à Moullon 75 arpents de terre ou environ tant labourable que non labourable assiz au terroir de Saint-Aulbin, y compris quatre arpents de pré dit les prez Auroux, lesquelles terres avoient esté baillé à Gassot Roze pour le temps et espace de 99 ans, lequel contrat a esté terminé le 10 may 1570, ledit bail datté du 30 may 1590, signé Malnoue.

Un bail du moulin de l'Abbaye est fait le 12 janvier 1595 à Simon David . «  Pardevant Guillaume Carré, substitut du tabellion royal furent présentes les relligieuses abbesse de Notre-Dame du Val de Gif en leur personne Antoinette de La Béraudière , abbesse, sœur Catherine Mahiel prieure, sœur Madeleine Soutin, sœur Jehanne de La Salle , sœur Catherine Guy, sœur Marthe Cossard, sœur Claude La Marle et sœur Catherine Fourchal, touttes assemblées au son du timbre à la grille de leur abbaye, faisant… lesquelles de leur bon gré et bonne volonté ont baillé à tiltre loyer et moison de grain à commencer le quinzième jour de janvier prochain pour le temps de neuf ans à Symon David, marchand munier, et sa femme, de présent demeurant au moulin de Jaulmeron paroisse dudit Gif. C'est assavoir le moulin à eau assis en la paroisse de Gif…Le présent bail moyennant dix huict septiers de bled mousture que les preneurs s'obligent bailler de trois moys et trois moys, aussy ung gasteau d'ung minot de bled forment chacun an au jour des Roys…  ».

 

 

Françoise Myée de Guespré

La charge de l'abbaye de Gif resta vacante pendant six mois, sans doute à cause des tractations pour nommer une nouvelle mère supérieure. Françoise Miée de Guespray arriva en mars 1600. Nulle part nous n'avons trouvé la filiation de Françoise Miée de Guespray (elle signait Myée selon l'abbé Alliot), mais, en recoupant les travaux de l'abbé de La Roque et ceux plus récent de l'abbé Alliot nous établissons le tableau généalogique présenté dans cette chronique.

Selon de La Roque , auteur de la généalogie de la maison d'Harcourt : «  Antoine Miée seigneur de Guespré, vicomte d'Argenten et d'Exmes l'an 1477, fils de Girard Miée et de Marie d'Anctouille qui avoit pour aieux Colin Miée et Perrette de Beteuille fille de Guillaume de Beteuille et de Jeanne de Bienfaite, pour bisaieux Olivier Miée écuyer, seigenur de Cahun, Saucey, Rouvay et Bourgeauville et Jeanne d'Estanchon dame de Guspré en 1382, et pour trisaieul Gueffin Miée vicomte de Rouen. Dudit Antoine Miée, vicomte d'Argenten et d'Exmes et de Jacqueline de Pontfarcy dame de la Chaperonnière , sortit de Richard Mié qui de Catherine Vipart fille de Jean baron de Bec-Thomas, eut Jean Miée qui épousa Françoise de Chambray, fille de Nicolas de Chambray baron d'Auffay, père et mère de Jean Miée qui laissa Renée Tiercelin sa femme Philippes Miée seigneur de Guespré marié à Charlotte Morelet de Museau (petite-fille de Thomas de Pelleué, seigneur d'Aubigny, vicomte de Valongues, à cause de Robert de Pelleué dont elle descend) la qualité de cette maison (dont l'héritière aisnée est entrée par mariage dans celle de Béthune qui a toutes les marques de grandeur) aiant esté registrée dans les archives de Malte pour Thomas et François de Miée de Guespré, chevaliers de l'Ordre Saint-Jean de Hierusalem  » (3).

 

 

Pour sa part, l'abbé Alliot ne donne que deux indications qui nous sont précieuses : «  Ce ne fut qu'au mois de mars 1600, que sœur Françoise Myée de Guespray vint prendre possession de l'abbaye de Gif. D'origine normande, la mère de Guespray était jeune encore lorsqu'elle fut pourvue delà crosse abbatiale. La nouvelle abbesse appartenait à une famille dont plusieurs membres bataillèrent aux côtés du roi Henri IV, ce qui lui donna à elle-même un certain crédit à la cour. Formée à la vie religieuse sous la direction de sa tante Suzanne de Chambray, abbesse de Saint-Remy-des-Landes, au diocèse de Chartres, la mère de Guespray y avait fait profession  » (4). Nous savons donc que la jeune abbesse de Gif est Normande de naissance et qu'elle est la nièce de Suzanne de Chambray. Notre abbesse est donc née du légitime mariage (selon la formule consacrée) de Jean Myée, baron de Guespré, écuyer avec Françoise de Chambray .

Françoise Miée de Guespré, ne prit possession de l'abbaye de Saint-Julien du Pré au Mans qu'en 1609 ; elle fut d'abord religieuse au prieuré de Saint-Louis de Poissi, diocèse de Chartres, puis abbesse de Saint-Rémi, ensuite abbesse de Gif, diocèse de Paris au mois de mars 1600, et enfin revint comme mère supérieure du couvent de Saint-Julien du Pré ; elle obtint du pape Paul V, en 1613, Marguerite Miée de Guespré, sa sœur, pour coadjutrice ; étant accablée d'infirmités, elle se démit de tout entre les mains de sa sœur, et elle mourut en 1620. Son corps fut inhumé dans la nef de l'église. Elle portait dans ses armes d'azur à la face d'or, accompagnée de trois bezans d'or, 2 et 1 (5).

 

Généalogie de Chambray (d'après Étienne Pattou).

 

Plusieurs documents mentionnent deux autres dames qui, outre Françoise Miée de Guespré, furent mères de l'abbaye de Saint-Julien du Pré au Le Mans. «  En 1637, l'abbesse Marguerite de Miée de Guespré reçoit la déclaration de Marin Duboust pour le fief de La Sarazinière. La défunte abbesse Marguerite de Miée de Guespré avait vendu des biens de l'abbaye Saint-Julien du Pré à Marguerite Piau, mère dudit sieur Pierre Chevalier, sieur de La Chiquaudière , élu en l'élection du Mans. En 1664, l 'abbesse Charlotte de Miée de Guespré baille à Marin Amellon, sieur de Chassillé, le moulin de Lallère, en Sillé-le-Philippe. Échange entre le chapitre de Saint-Julien du Mans et l'abbesse Charlotte de Miée de Guespré du champ de La Motte-Saulnière , au Pré, contre le champ des Venelles, sis au même lieu  ».

Dans son Dictionnaire topographique, du diocèse du Maine , l'abbé Le Paige marque : «  Marguerite de Miée de Guespré fut installée dans la chaire abbatiale en 1620, par l'official du Mans, elle avoit pris possession de l'abbaye dès 1618. Marguerite de Miée de Guespré établit, avec bien des contradictions, la réforme dans son abbaye ; elle adopta le bréviaire bénédictin ; elle exhorta, avec douceur et charité ses religieuses à apprendre le plain-chant et le latin, autant qu'il est nécessaire pour expliquer l'Écriture-Sainte ; enfin elle mourut ornée de toutes les vertus chrétiennes, le 4 mars 1644, âgée de 70 ans, et fut inhumée dans le chœur de son abbaye, par l'évêque Emeri-Marc de la Ferté , qui fit son éloge funèbre  » (5).

Examinons brièvement la famille maternelle des Chambray car on peut concevoir aisément que les oncles et la tante de Françoise Miée de Guespré eurent un crédit considérable à la Cour d'Henri IV et furent très influents auprès des ministres pour la nomination de leur nièce à l'abbaye royale de Gif. Le château de Chambray situé sur la rivière d'Iton en Normandie, diocèse d'Evreux, a donné le nom à une ancienne maison, dont on rapporte la postérité depuis le chevalier Amaury qui accompagna l'an 1099, Robert, duc de Normandie en la conquête de la Terre Sainte. Cette famille disposait plusieurs personnages, oncles de Françoise, à la cour des rois de France. Jean de Chabray fut enfant d'honneur du dauphin, futur François II, son frère Gabriel, chevalier baron d'Aussay fut gentilhomme ordinaire de la chambre du roi Henri III, puis officier de Henri IV, leur beau-frère Louis de Canouville, mari de Barbe de Chambray fut également gentilhomme ordinaire de la chambre du roi. La tante Suzanne de Chambray était abbesse au diocèse de Chartres.

 

 

L'œuvre de Françoise Myée de Guespré

Dès son arrivée à Gif, Françoise Miée de Guespré prit à cœur de mettre de l'ordre dans le temporel et recouvrer les biens perdus par les mères précédentes et notamment dénoncer les baux emphytéotiques des fermes de La Noue et de Saint-Aubin.

Le 1er septembre 1600, une lettre royale, dans laquelle Henri IV ordonnait à ses conseillers d'examiner les deux baux ou contrats. Voici les propres termes dont se servait le roi : « S'il vous appert de ce que dict est, des dictz contrats portans leurs vices, sans y avoir gardé aucune solempnité requise; que la dicte de la Béraudière , abbesse fut facille; que par iceux y ait lézion contre moictié du juste prix; que les dictes Religieuses ny ayent esté appelées et preste consententement ou d'autres chose tant que suffire doilve; en ce cas, cassez, rescindez et adnullez les dictz contractz, que ne voulons aucunement nuire, ny préjudicier aus dictes exposantes, et dont les avons relevées et relevons par ces dictes présenles et faictes au surplus aus dictes parties bonne et briefve justice, car tel est notre plaisir ». Une sentence du 4 juillet 1601 condamne les fermiers de La Noue et de Saint-Aubin à rendre aux religieuses les terres qu'ils avaient achetées. Un appel fut porté devant les juges qui rendirent une nouvelle sentence le 28 février 1602 par laquelle les baux emphytéotiques sont annulés car les plaignants «  avaient duper la malheureuse abbesse, abusant de sa simplicité d'esprit … ».

Le 3 febvrier 1603, par un contrat est passé devant deux notaires du Châtelet de Paris, nous apprenons la foy et hommage est rendu aux religieuses de Gif pour leur fief d'Invilliers «  Ung aultre contract est attaché coppie d'ung contrat faict entre damoiselle Claude Laudais veufve Jacques de La Rochette d'une part et messire Jacques Sevin correcteur en la Chambre des Comptes, par lequel ledit sieur Sevin entre aultre héritaige avoit baillé et délaissé en toute despense à ladite damoiselle Laudais entre aultre héritaiges 60 arpents de terre tenus en foy et hommaige desdites religieuses à cause dudit Invilliers et les 60 arpents chargés comme 10 livres parisis de rente par chacun an  ».

Le 6 novembre 1603, «  une minutte du contract de transaction faict, partye est encore de ladite sentence par laquelle lesdites dames avoient receu et acquitté audit sieur Dumay tous les fruicts et arrérages par luy deubs et estant passé au jour dudit contract et continuent la puissance encore troys années, lequelles expieroient au jour Sainct-Martin d'hiver 1604, auquel pour paroit leur rendre lesdits lieux en bon estat et valleur, ledict contract signé du sieur Partyse  ». Le 28 septembre 1604, une sentence donnée au marbre du Palais à Paris «  au proffit desdites dames allencontre du sieur Dumay par laquelle ayant esgard…. avoient esté ramiser en tel estat qu'elles estoient auparavant et faisant ledit sieur Dumay ordonné de deppartir de la jouissance dudit lieu et ferme de La Noue et en laisser la jouissance auxdites dames et le remboursement par elles des réparations nécessaires par luy sur lesdits lieux et héritaiges, laquelle faicte signée Laudry  ». Finalement, Françoise de Myée du Guespré termine sa prélature en affermant la ferme de La Noue le 27 octobre 1610 «  ung bail passé soubz le scel de Chasteaufort, par lesdites dames lesquelles avoient baillé à tiltre de ferme pour le temps de neuf années à Symon Chordy des terres des Mollières, ladite ferme de La Noue qu'elles avoient déclaré en 60 arpents de terre labourable et non labourable de prez et pastures, franches et quittes de dixmes grosses et menues, ledit contract signé Lelièvre tabellion à Chasteaufort  ».

En ce qui concerne la ferme de Saint-Aubin plusieurs pièces marquent les actes de l'abbesse réformatrice. Un contrat d'affermage passé «  soubz le scel de Chasteaufort pardevant Carré commis de Gilles Malnoue tabellion de ce lieu  » en date du 30 mai 1590, nous apprend que «  75 arpents de terre ou environ tant labourable que non labourable assiz au terroir de Saint-Aulbin, y compris quatre arpents de pré dit les prez Auroux, lesquelles terres avoient esté baillé à Gassot Roze pour le temps et espace de 99 ans, lequel contrat a esté terminé le 10 may 1570  ». Une coppie de bail en parchemin passé pardevant Carré commis, par lequel appert lesdites dames ont baillé pour le temps de 9 ans à René Huart, une place en laquelle souleoit y avoit maison avecq la quantité de soixante arpens de terre ou environ labourables et dix arpens de bruyères, en datte du 6 febvrier 1601.

D'autres chicanes eurent lieu pour les fermes de la Brie à Compans et à Puisieux. Plusieurs membres de la famille de Guespré, bien introduit à la Cour du roi, agirent de telle sorte que le nommé Gabriel Fournier fut débouté de toutes ses prétentions. Françoise de Myée de Guespré abandonne le faire-valoir direct de la ferme de l'abbaye par «  ung bail faict par lesdites dames pour le temps de six ans à Bonnaventure Pagnon la ferme de ladite abbaye déclarée consistante en la basse-cour, grange, estable, pressoir, jardin dit le jardin de Fosse avecq toutes les terres labourables dépendantes de ladite abbaye pour le prix et aultres charges portées par ledit bail en datte du 8 septembre 1600, signé Robert Badaix  ». Ce contrat fut passé avec la présence de Jean Paris, chapelain résidant au couvent et la prieure Doralice du Cerf .

La sage gestion du temporel permit à l'abbesse de faire l'acquisition, en 1608, de la terre de Damiette, voisine de l'abbaye. Cet ancien fief était la propriété des deux frères François et Jean de Gottelas. Les titres du couvent marquent cet achat. «  Ung brevet en parchemin passé pardevant De Senarquet et Bouteruipe, notaires au Chastelet de Paris par lequel appert Françoys de Gotelas, sieur de Mesangeon demeurant à Berchot-Levesque (?), de Jean de Gottelas … avoient vendu et promis garantie auxdites dames abbesse et religieuse et couvent de Gif, acceptant par dame Françoyse de Myée de Guespré lors abbesse de ladite abbaye, le fief, terre et seigneurye de Damiette assiz près ladite abbaye, paroisse de Gif, consistant en chasteaufort estant à présent en ruine, cloz de fosséz, maison, jardin, cour, rentes tant en grain que volailles à prendre sur plusieurs habitants et paroissiens dudit Damiette, une pièce de pré tenant audit chasteau contenant sept arpens et demy cloz de fosséz et de lanière tout à l'entout de laquelle pièce ilz avoient seulement vendu six arpens qui est milieu de ladite pièce à la demoiselle de Saint-Marc, en concorde apert à nous prévost de Chasteaufort en plusieurs autres pièces de pré, terre et aulnoye aplain déclarés au contrat qui ne seront inserrén par ledit inventaire pour depuis y avoir (?) quelques eschanges … lesquels seront cy après inventoriés et leur adveux et desnombrement faict de ladite terre et seigneurie de Damiette qui sera aussy inventorié. Lesquels héritaiges lesdits de Gottelas avoient aussy vendu le droit de rivière et pesche en icelle commençant depuis la prise du moullin de Jaumeron jusques l'escluze du moullin de l'abbaye, aussy ladite seigneurye … généralement toutes les appartenances et dépendances d'icelle sans nulles réserves de Monsieur de Voisins, ladite vente faicte aux charges déclarées par ledit contrat et moyennant la somme de 6.105 livres en escus ayant court. Audit contrat avoit esté payé 2.100 livres tournoys et le surplus payable aux temps et termes portés par le contrat. Et plus partye duquel avoit esté vendu 75 livres de rente au principal de 1.200 livres selon que plus au long est porté par ledit contrat du 11 febvrier 1608  ». Puis nous trouvons : «  a procuration passée par ledites religieuse de ladite abbaye et dame de Guespré le 14 janvier 1608 pardevant le commis du tabellion de Chasteaufort et ensuite est une procuration faicte par damoiselle Anne du Tavanne, femme du sieur de Gottelas à l'effet dudit contrat de rente du 1er febvrier 1608 pardevant Payaut tabellion audit Beauvilliers… de la somme de 1.850 livres tournoys pour partye du gros, duquel payement avoit esté faict par noble homme Messire Denys Boutilier… laquelle somme avoit esté mise et consignée du mesme sieur Boutillier par Messire Léon Barpor chevalier seigneur de Moussy pour la rachapt de 200 livres que faict Messire Claude Barpor président au Grand Conseil de (?) auxdites religieuses par leur constitution du 5 octobre 1593  ».

La vente du fief de Damiette faisait suite à l'endettement des frères Gottelas. Plusieurs actes mentionnent le rachat de rente constituée sous le règne d'Henri III. «… coppie signée par Colleau de La Noue, Ambroize de Bardet, ladite collation faict à son original d'ung acte passé pardevant Françoys, notaire audit Chastelet contenant messire Paul Petau, conseiller du Roy en sa cour de Parlement à Paris avoit receu dudit Françoys de Gottelas la somme de 775 livres tournoys, sçavoir 700 livres pour reste du rachapt de 205 livres tournoys de rente qui date le 11 juillet 1608 par contrat passé pardevant Barberien notaire, la somme de 75 livres… ledit rachapt du 6 febvrier 1609  ». Les archives contiennent également des quittances et des contrats faits par «  ledit Françoys de Gotelas tant pour luy que son frère  ».

La prélature de Françoise de Myée de Guespré ne se passa pas sans de grandes difficultés à l'intérieur du cloître. Suite aux querelles incessantes avec les sœurs refusant la réforme et sa santé défectueuse, l'abbesse démissionna, quitta Gif, et «  obtint l'abbaye de Saint-Julien du Pré dans la ville du Mans, où elle mourut le 27 septembre 1620, après s'être associée comme coadjutrice sa soeur, religieuse dominicaine de Poissy…, sa cousine Madeleine de Montenay fut nommée à Gif…  », nous dit l'abbé Alliot..

À suivre…

 

 

Notes

(1) Abbé J.-M. Alliot, Histoire de l'abbaye et des religieuses bénédictines de N.-D. du Val de Gif (chez A. Picard, Paris, 1892).

(2) François Alexandre Aubert de La Chenaye Desbois , Dictionnaire de la Noblesse , t. VIII (chez Boudet, Paris, 1779) p.316.

(3) G. A. de La Roque , Histoire généalogique de la maison d'Harcourt , vol. 2 (chez Sébastien Cramoisy, Paris, 1662), p. 1152.

(4) Fisquet, dans la France Pontificale , veut qu'elle ait été professe de l'abbaye de Pacy, au diocèse d'Evreux. C'est là une erreur manifeste, car cette maison ne fut fondée qu'en 1637, et ne put par conséquent ouvrir ses portes à Françoise Myée de Guespré dans les dernières années du XVIe siècle.

(5) André-René Le Paige, Dictionnaire topographique, historique, généalogique de la province et du diocèse du Maine , T. II (Toutain, Le Mans, 1777).