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L'abbaye Notre-Dame du Val de Gif (10)

L'amertume de la prieure

Dans cette chronique, dixième volet de notre série sur l'abbaye Notre-Dame du Val de Gif, nous nous intéressons à Françoise de Courtilz de Boyon au temps où elle possède la charge de prieure quand survient un évènement majeur, la mort de l'abbesse de Gif, mère Madeleine II de Mornay en octobre 1651.

 

C. Julien J.P Dagnot - Mai 2013

Généalogie simplifiée montrant les alliances Morant-Leuville-Mornay (1-2).

 

 

Un peu de généalogie

Françoise de Courtilz était native de Normandie, fille de messire Nicolas de Courtilz, chevalier, seigneur de Boyon et de Talmontiers, et de haute et puissante Dame Claire de Mouy, dame du Boshion et de Vilets, etc. Courtils (ou Courtilz) est une commune de la Manche (arr. Avranches) proche du Mont-Saint-Michel (3).

La maison de Courtilz (des Courtils, de Cortils, de Curtils, dans les anciens titres) est d'ancienne chevalerie. Dreux et Adam de Courtils furent témoins à une donation faite en 1203 à l'abbaye de Longpont, diocèse de Soissons. Jean de Courtils, chevalier, suivit en 1248 à la première croisade de Saint-Louis, Jean, comte de Soissons et de Chimay. La filiation continue au milieu du XIVe siècle avec la branche aînée, où l'ancêtre au neuvième degré de Courtilz, Conrad, né avant 1330, est titré « walgraëff, haut-voué héréditaire de Mortier » dans le pays de Liège. La branche cadette émigrée en France à la fin du XIVe siècle, parce qu'elle avait pris parti pour le duc d'Orléans contre le duc de Bourgogne, s'est fixée en Beauvaisis et en Vexin. Elle est divisée en plusieurs rameaux. C'est Brules, petit-fils de Conrad, qui commence l'implantation de la famille dans le Beauvaisis. L'une de ses filles épouse en 1440 le petit-fils de Pierre de Mornay, gouverneur d'Orléans pour le roi Charles VII, créant ainsi des relations durables entre les deux familles (encore une fois la puissante famille de Mornay se trouve citée dans la gouvernance de l'abbaye de Gif). Le rameau des seigneurs de Tourly et de Tallemontier, qui était l'aîné, s'est éteint au milieu du XVIIe siècle. Les seigneurs de Sandras qui en était issus ont fini vers 1750. On connaît un nommé Gatien Courtilz de Sandras (1644-1712) auteur des Mémoires de Monsieur d'Artagnan . Au XVI e siècle la branche cadette embrasse la religion protestante et c'est dans le château d'un Jean des Courtils que l'évêque de Beauvais, Odet de Coligny, cardinal de Châtillon, abjure le catholicisme. Au contraire, la branche aînée, dont les membres signeront par la suite « de Courtils », reste fidèle à la religion catholique. La tête de cette lignée, Jean, fils aîné d'Hermand, épouse en 1482 Isabeau de Saint-Pierre-ès-Champs, qui descend directement du roi Louis VI le Gros.

Quant à la famille maternelle de Françoise de Courtilz, les registres de la Chambre des Comptes en l'an 1217 parlent de Goulard de Mouy et de Raoul de Mouy, ceux du Parlement de l'an 1413, rapportent un titre faisant mention de maître Quentin de Mouy, qualifié honorable homme et sage, conseiller du Roy en son Parlement de Paris. Au début du XVIe siècle, messire Jacques de Mouy est enquesteur et général réformateur des Eaux et Forêts de Normandie ( Hist. de la Maison d'Harcourt, t.II ). Louis Moreri cite Louis de Mouy, seigneur de la Moilleraye, lieutenant-général de la province de Normandie, en 1641 ( Gr. Dict. Histor. t.9, 390 ). Dans un aveu de 1539, on lit Nicolas de Mouy, chevalier, baron dudit lieu de Mouy marié à Françoise de Tardes d'où est issu Antoine de Mouy, d'où sortit Charles de Mouy cité en février 1574.

 

 

Nous ne connaissons qu'un frère nommé Alexandre et une sœur nommée Marie à Françoise de Courtilz. Alexandre de Courtilz, seigneur de Boyon, marié à Madeleine de Fours eut deux filles Claire et Madeleine qui rejoignirent un temps leur tante à l'abbaye de Gif. Marie de Courtilz fut accordé le 16 de novembre 1625 avec Nicolas de Bonsens, écuyer fils de Claude de Bonsens, écuyer seigneur des Espinais, de Courci, de Lessart et du Jarrier, et de demoiselle Marie du Tot, sa femme, par contrat de mariage passé devant Le Picart, tabellion à Rouen. De cette union est issu d'Alexandre de Bonsens, écuyer seigneur des Espinais qui épousa le 10 de mai 1647, demoiselle Marguerite de Bosc. Alexandre de Courtilz eut la garde noble des ses neveux, les enfants de sa sœur Marie, par lettres-patentes de Louis XIII du 20 mars 1638.

 

 

La prieure de l'abbaye de Gif

Françoise de Courtilz entra à l'abbaye au temps de Madame de Montenay. À la mort de Madeleine de Mornay, 1ère du nom, en 1638, le pouvoir était sensé passer à la prieure, la mère Cyprienne de Combault arrivée à la fin de son terme triennal. Une nouvelle élection fut organisée par les religieuses qui désignèrent d'une voix unanime, prieure claustrale, Françoise de Courtilz pour son grand mérite. Durant le court laps de temps de l'intérim elle gouverna l'abbaye et fit venir deux de ses nièces, Claire et Madeleine de Courtilz, filles d'Alexandre de Courtilz, seigneur de Boyon.

Madeleine de Fours, mère des deux jeunes filles promit à l'abbesse Madeleine de Mornay-Villarceaux 6.000 livres pour l'instruction et la dot des deux pensionnaires qu'on destinait à la vie bénédictine ; mais la mère supérieure ayant exigé 9.000 livres , on ne sait trop pourquoi, les deux nièces de la prieure quittèrent Gif, au grand regret de leur tante. Par la volonté de leur tuteur et de leur mère, elles allèrent s'enfermer aux Ursulines des Andelys, pour y faire profession. Toutefois la jeune Madeleine n'ayant pu s'y habituer, revint à Gif quelques années plus tard, et y prit le voile en novembre 1648.

Françoise de Courtilz connaissait parfaitement toutes les ressources et tous les besoins du monastère, où elle exerça la charge de prieure depuis tantôt quinze ans quand l'abbesse Madeleine de Mornay-Villarceaux décéda en octobre 1651 à l'âge de 34 ans. Son mandat fut fécond et glorieux et, de part sa fonction de prieure claustrale, elle se préparait à porter la crosse abbatiale qui lui revenait de droit. Mais s'était sans compter les intrigues d'Anne Olivier de Leuville, dame de Villarceaux, mère de la dernière abbesse qui manœuvra pour garder la crosse de Notre-Dame du Val de Gif dans sa maison. Cette dame alla chercher la belle-sœur de son frère, le marquis de Leuville, qui avait nom Catherine Morant.

Malgré toutes les démarches et les intrigues de la remuante Anne de Morant, marquise de Leuville, l'affaire exigea un peu de temps ; et en 1651 comme en 1638, après la mort de la première Madeleine de Mornay, ce fut Françoise de Courtilz qui gouverna le monastère en qualité de prieure. Durant cet intérim, celle-ci eut plusieurs affaires assez épineuses à régler. Il lui fallut d'abord résilier le bail du moulin de l'abbaye, que le meunier Asselin ne put tenir, à cause du malheur des temps. De plus, le comté de Dammartin ayant passé des mains du roi entre celles d'Henri de Bourbon, prince de Condé, nos religieuses, grandes propriétaires dans ce comté, et vassales du prince à cause de leurs terres de Puiseux, Mitry, Compans, la Croix-Guyon et autres lieux, ne trouvent pas, auprès des agents d'Henri de Bourbon, la même bienveillance qu'à la chancellerie royale; ce qui leur occasionne des embarras et des menaces de procès. Grâce cependant à l'habilité de la prieure Françoise de Courtilz, et à la connaissance qu'elle a des affaires de la communauté, l'abbaye sort de ces embarras à son honneur et à son profit.

Anne d'Autriche témoignait aux Bénédictines de Gif la même sympathie que tous les rois ses prédécesseurs. Pendant la minorité de son fils, elle ne donna pas moins de quatre ou cinq lettres-patentes en faveur de l'abbaye, pour lui accorder des aumônes et des privilèges. Au mois de décembre 1651, elle fit signer à Louis XIV le brevet de nomination de Catherine Morant. La crosse de Gif échappait encore une fois à Françoise de Courtilz .

 

 

Les condoléances de la mère Angélique

Nous présentons les lettres de la Mère Supérieure du Couvent de Port-Royal des Champs, la célèbre Marie-Angélique Arnauld, sœur du Grand Arnault, qui réforma ce couvent de femmes cisterciennes (4). Ces «  Lettres de la révérende mère Marie-Angélique Arnauld, abbesse et réformatrice de Port-Royal  » ont été publiées à Utrecht, en 1742, c'est-à-dire quarante ans après la destruction par Louis XIV de Port-Royal des Champs à cause du jansénisme professé à cet endroit (5). Les lettres ci-dessous ont été adressées aux supérieures du couvent de Gif : la prieure Françoise de Courtilz. Elles furent écrites en un temps très difficile pour l'abbaye de Gif : le temps de la Fronde et de la guerre et le temps de la démission de l'abbesse. Dans un premier temps, nous citons les lettres envoyées à la Mère prieure de Gif immédiatement après la mort de Madame de Mornay-Villarceaux, c'est-à-dire quand Françoise de Courtilz espère être nommée abbesse de Gif.

À la révérende Mère prieure de l'abbaye de Gif , pour la consoler sur la mort de madame de Mornay de Villarceaux, abbesse de Gif, arrivée le 21 octobre 1651.

«  De Port-Royal, ce 21 octobre 1651 . Ma révérende Mère, encore que nous soyons assurées que vous avez la bonté de croire que nous prenons toute la part que nous sommes obligées de prendre en votre affliction, nous ne laisserons pas, s'il vous plaît, de vous témoigner par celle-ci le ressentiment que nous avons de la perte que vous avez faite, et de vous assurer que nous offrons nos petites prières à Dieu afin qu'il lui plaise d'y remédier en répandant une grâce nouvelle sur votre monastère pour remplir le grand vide qui y est par la privation d'une si bonne mère, puisque lui seul, qui est infiniment plus aimable que les créatures, se peut mettre à leur place, et guérir par ce moyen la plaie qu'il a faite dans vos cœurs en vous ôtant celle-ci. Nous ne manquerons pas aussi, ma révérende mère, après avoir demandé à Dieu le repos de feu Madame, de le supplier de protéger votre maison, et que ce soit sa sainte protection, et non la faveur et l'ambition des hommes, qui vous donne une abbesse, et qu'elle soit selon votre cœur.

Ce sont les sentiments que nous avons à votre égard, et que notre mère nous a commandé de vous témoigner, ce qu'elle auroit fait elle-même si la grande foiblesse qui lui reste de sa maladie ne l'en avoit empêchée. Elle vous salue très humblement et toute la sainte communauté, et vous offre tout ce qui est en son pouvoir pour votre service. Et moi, je vous supplie très-humblement de me croire autant que je suis,

Ma révérende mère,

Votre très-humble et très-obéissante servante en N.S.

Sœur Agnès de Saint-Paul, Rse ind.

Je vous supplie très-humblement que ma très-chère sœur Madeleine de Saint-Maur [la sœur Madeleine de Saint-Maur de Chiverny, sœur de madame d'Aumont] trouve ici les assurances de la compassion que j'ai de sa douleur, et que je la visite en esprit plusieurs fois le jour pour essuyer ses larmes, s'il mettoit possible, et pour les offrir à Dieu afin qu'elle lui soient agréables.

 

 

Les échanges épistolaires

Pour situer ce qui vient, précisons qu'il s'agit de la relation épistolaire de la prieure de Notre-Dame de Gif avec la mère supérieure de Port-Royal des Champs (F6). Antoine Singlin, directeur spirituel de l'abbaye fut un personnage essentiel dans l'histoire de Port-Royal et intervint également à Gif.

Du 5 décembre 1651, lettre à la mère prieure de Gif, Françoise de Courtilz au sujet de l'affaire de son abbesse Catherine Morant (lettre CCCLXXII). Par ce courrier est évident que l'abbesse de Port-Royal prodigue ses conseils appuyés aux sœurs de l'abbaye de Gif, et notamment avec leur prieure à qui elle avait apporté son soutien dans son élection sur le siège abbatial de Gif. L'arrivée de la protégée de la marquise de Leuville fut considérée comme une trahison des supérieurs du couvent. La Mère Angélique console sa correspondante dans l'attente de jours meilleurs.

« Je vous plains, ma chère Mère, plus que je ne vous puis dire, dans votre affliction, mais il faut adorer les jugemens de Dieu, et en nous humiliant de tout notre cœur sous la divine justice espérer toujours en sa miséricorde. Sa sagesse infinie a mille moyens de nous délivrer de nos peines, ou nous les rendre utiles à notre salut, quoiqu'elles y semblent contraires. J'ai peine à me persuader que l'affaire de votre abbesse soit expédiée, quoiqu'on vous le dise, et j'ai été très aise d'apprendre que Messieurs vos Supérieurs avoient empêché le voyage de M. votre confesseur. Si on avoit une de vos lettres, on l'envoieroit aussitôt à la Cour , et indubitablement sur votre consentement on expédieroit l'affaire. C'est pourquoi je m'imagine qu'on vous presse si fort, et il me semble que hors vos deux supérieurs, vous ne vous devez fier à personne, quelques belles paroles qu'on vous dise. Tel vous trompera qui ne le pensera pas, parce qu'il sera trompé par un autre . Cependant on gagne toujours le tems, en vous faisant cesser vos poursuites. Au moins, ma chère Mère, ne cesser d'en faire auprès de notre bon Dieu, et qu'il soit toujours votre espérance.

«  Ne faites rien contre vous , quoiqu'on vous dise, hors ceux qui ont pouvoir de la part de Dieu de vous commander. J'ose vous supplier, ma chère Mère, de vous garder d'un secret orgueil, à cause que vous avez été nommée. Vous penserez peut-être que si vous tardez trop à rendre ces prétendus devoirs, on croira que c'est par ressentiment de votre intérêt. Cela pourra peut-être vous tenter longtemps, même après que l'affaire sera faite, si Dieu le permet, et vous fera tomber dans des complaisances contre votre conscience, ou en de faux silences dans lesquels on pêche trop souvent autant que par les paroles, et on s'en aperçoit moins. Pardonnez-moi, ma chère Mère, cette liberté. Ma propre corruption et l'expérience de tant d'années me fait tout craindre pour ceux que j'aime. J'ai tant passé de périls et fait tant de fautes que j'ai appris à mes dépens les mises de notre ennemi et de notre propre corruption. J'en découvre tous les jours de nouvelles, auxquelles l'unique remède est d'avoir un continuel recours à Dieu, et de se séparer autant qu'il nous est possible des créatures, hors l'absolue nécessité. Vous ferez très bien de ne parler de vos affaires à qui que ce soit.

« Je souhaiterais, ma chère Mère, que vous fussiez toutes dans une parfaite union, comme les saints Apôtres, et dans une continuelle oraison. Il me semble qu'il est possible que Dieu ne vous donne pas une abbesse selon son cœur. Attirez au moins le plus que vous pourrez de ses grâces ; et ne croyez pas, ma chère Mère, que je pense mal de notre communauté en vous disant ceci. Mais, je connais le filles et qu'elles sont faibles, sujettes à se distraire et à répandre leurs esprits dans de vaines craintes, vaines espérances, vains désirs, vaines prétentions, et qu'en disant souvent, il faut bien prier Dieu, on ne le fait guères. Au moins ce malheur m'arrive souvent. Je dis qu'il le faut faire, parce que je suis très persuadée par les paroles de Notre seigneur, que c'est le plus puissant moyen d'obtenir sa miséricorde, et je ne le fais pas de la manière qu'il nous le commande, parce que je suis misérable. Priez Dieu pour moi, ma chère Mère, comme je vous puis assurer que je désire le faire pour vous de tout mon cœur.

« Obligez-moi d'assurer ma Sœur de S. Maur, que je suis toute à elle, et la bonne sœur Françoise. Quand vous ne seriez que vous trois dans la parfaite union, ne vous découragez pas, puisque Notre Seigneur promet qu'il sera au milieu de vous, pourvû que de votre part, comme je n'en doute pas, vous soyiez aussi unies aux autres. Je suis, etc.

 

 

Le 23 décembre 1651, la mère Angélique exhorte la mère prieure de Gif à beaucoup prier pour l'affaire de sa nouvelle abbesse (lettre CCCLXXVIII). « J'ai bien de la joie, ma très chère Mère, d'avoir appris qu'il n'y a encore rien de conclu pour cette affaire. Vous voyez bien que tout ce qu'on vous a dit et écrit jusqu'à cette heure n'a été que pour vous surprendre. Vous avez été très bien très bien conseillée de ne rien écrire qui pût vous faire tort. Je crois que tout le temps que Dieu vous donne est afin que vous liu demandiez miséricorde, et qu'il vous la fera en vous donnant une supérieure selon son cœur, ou qu'il vous fera la grâce de profiter de tout ce qu'il ordonnera, vous mettant dans une si sainte disposition que tout vous coopéra en bien. Les jugements de Dieu et ses voies sont admirables. Il arrive souvent qu'il semble vouloir détruire, lorsqu'il veut édifier ; et ce qui paroît un effet de sa colère et de sa justice, l'est de sa miséricorde. Bienheureuses sont les âmes qui ne regardent dans tous les évènements que sa sainte volonté, pour s'y soumettre, étant certain qu'elle leur sera toujours favorable.

« Ces saints arrivent heureusement dans l'éclat de vos affaires, et il semble que notre seigneur naissant s'offre à vous servir. Exhortez bien vos sœurs, ma très chère Mère, à ne bouger de sa sainte crèche les humbles sollicitations qu'elles y seront plus efficaces que toutes celles que l'on pourra faire à la Cour. Ce divin roi du ciel et cette reine qui sont dans la crèche sont maîtres du cœur de notre Roi et de notre Reine de la terre ; ils leur feront faire tout ce qu'il leur plaira, ayez y une parfaite confiance. Nous continuons à prier pour vous, à toutes les heures de l'Office. Faites nous aussi la charité de vous souvenir de nous, ma très chère Mère, et nos deux chères sœurs. Je vous assure que de tout mon cœur je désire faire la quantième de votre union. Je suis toute à vous. Et s'il vous plaît de nous écrire, obligez moi.  

Début de janvier 1652, la mère prieure de Gif reçoit la lettre CCCXCII au sujet de l'abbesse qui venait d'être nommée. La mère Angélique se veut être une manière de directrice spirituelle des religieuses de Gif. La situation était trop belle pour y introduire les préceptes jansénistes tout en recommandant que la sérénité règne entre les moniales et leur nouvelle Mère.

  « Je m'estimerais heureuse, ma chère Mère, de pouvoir mériter la confiance qu'il vous plaît d'avoir en moi, dont je me reconnais très indigne. Je vous prie Dieu qu'il lui plaise, ayant égard au mouvement de votre piété et humilité, de me faire la grâce de vous rendre autant de services comme il m'en donne la volonté sincère. Je vous supplie de me dire dans toutes les occasions, ce que vous demandez de moi avec une entière liberté.

« Je ne m'étonne nullement de la peine que vous avez ressentie d'une aussi grande perte que celle de votre chère Mère Abbesse je crois que plusieurs années ne l'effaceront pas, et qu'elle se renouvellera en une infinité de rencontres. Il faudra toujours l'offrir à Dieu par un esprit de pénitence et de soumission à ses jugemens, au fond du cœur où se doivent faire les véritables sacrifices, sans parler de cette chère Mère que le moins que vous pourrez, c'est-à-dire dans les obligations auxquelles les occasions vous y engageront, et sans témoigner alors vos sentimens, puisque c'est donner lieu à la nature. C'est une très utile mortification de cacher ses mouvemens et de les étouffer si l'on peut, sans en faire part à personne, outre que cela excite des jalousies.

« Vous devez vous attendre que l'élection qui a été faite de vous pour abbesse , vous sera un sujet de tentation et d'affliction peut-être pour le reste de votre vie ; et puisque cela n'a pas réussi, vous devez croire que ç'a été le dessein de Dieu sur vous, et accepter cette croix avec humilité et soumission, souffrant avec une sainte vertu que l'on continue à juger, comme on commence déjà, que tout ce que vous ferez et direz est par le mouvement prétendu du dépit de ce que vous n'avez pas été abbesse. Pour être fidèle à Dieu en cela, ma très chère Mère, il faut n'y avoir nul égard, c'est-à-dire aller votre grand chemin, faisant tout ce que vous croyez en conscience devoir faire et dire par l'avis de vos Supérieurs. Gardez-vous bien pour éviter les petits reproches, de demander d'être déchargée, si vos directeurs pour d'autres bonnes raisons ne vous le conseillent. Que s'il arrive que par les bulles de Madame votre abbesse on laisse la charge de la maison à la prieure jusqu'à ce qu'elle ait trente ans [cette abbesse qui se nommait Madame de Morant avait vingt-deux ans], comme c'est la coutume, vous aurez beaucoup plus de peine. Mais ma très chère Mère, suivez l'ordre de vos Supérieurs avec simplicité et patience, priant beaucoup Dieu qu'il vous fasse agir par son esprit et par sa grâce, et vous verrez que sa bonté vous soutiendra. Ne regardez que lui en toutes choses. Avant que de parler et d'agir, examinez si c'est la charité ou la cupidité qui vous y porte. Priez Dieu de vous le faire connaître afin de vous retirer ou de continuer.

« Il est difficile que vous ne ressentiez pas un peu de froideur pour Madame votre abbesse : mais, ma très chère Mère, il faut que la charité la fasse cesser. Vous avez du faire tout ce que vous avez fait pour empêcher qu'elle ne fut abbesse, et peut-être n'avez-vous pas assez fait, dont vous devez demander pardon à Dieu, y ayant eu de l'intérêt et possible de l'orgueil qui vous a retenue. Mais du moment qu'elle sera en possession, et que vous connaîtrez que Dieu par un jugement adorable et terrible, aura permis qu'elle soit votre Supérieure, vous devez ne regarder plus que son ordre qui vous oblige de l'aimer, de l'honorer et de vous y soumettre en tout ce qui vous sera possible, sans pourtant la flatter ; mais tolérez ce que vous pourrez voir qui ne vous semblera pas comme vous le pouvez désirer. Il ne faudra pas, ma très chère Mère, la juger d'abord à la rigueur, et se cabrer sur des choses dont Dieu pourra la délivrer et corriger par sa grâce, ni souffrir que l'on murmure, autant que vous pourrez l'empêcher. Mais il vous faut exhorter toutes les sœurs à la patience, et prier Dieu qu'il les dirige, sur tout en ce moment où il faut extrêmement craindre que l'esprit de division ne se mette dans la maison.

« Car vous pouvez être assurée qu'il y en aura qui prendront les devans pour s'insinuer dans ses bonnes grâces par flatterie. Cela déplaira aux autres qui en parleront, et cela formera des partis. Au nom de Dieu, ma chère Mère, opposez-vous à ce mal, si vous le voyez naître, par un esprit tout de charité, supposant les unes dans leurs faiblesses et retenant les autres, qui avant peut-être raison ne laisseraient pas de causer un très grand mal. La seule charité ne fait point de mal ; par tout où elle manque, la cupidité règne et détruit tout, quelque bon prétexte qu'elle puisse prendre. J'ai déjà entendu dire que l'on appréhende que les parents ne soient à charge au monastère. Cela sera très mal, si cela est. Néanmoins il est aussi très mal que les religieuses montrent tout d'abord qu'elles ont plus d'appréhension de la disposition du temporel que du spirituel, et cependant la misère du temps et le terrible relâchement de la discipline est venu à ce point qu'on a plus d'égard à l'un qu'à l'autre ; en sorte qu'une bonne ménagère de qui les parents feront beaucoup de bien à la maison, sera toujours plus estimée qu'une qui sera plus spirituelle et cherchera premièrement le Royaume de Dieu et la justice comme l'ordonne notre sainte règle.

« Ne souffrez pas, ma chère Mère, qu'on fasse des murmures pour des choses basses qui choqueraient d'abord votre abbesse et peut-être que la patience, la douceur et l'humilité gagneront son cœur, et obtiendront qu'elle fera ce qu'elle devra pour le spirituel. Pour le temporel même, vous pouvez après avoir beaucoup prier Dieu, en avertir le Supérieur, et vous y êtes obligée quoiqu'aux abbesses titulaires il y ait peu de remède de la part des hommes, et que le plus souvent des plaintes causent de plus grand maux que ceux dont on se plaint, quand ce ne sont pas choses contre l'essentiel de la règle et scandaleuses, car celles-là ne se peuvent souffrir quoi qu'il en puisse arriver. Mais pour les petits désordres, encore qu'on les doive déplorer, le meilleur pour l'ordinaire est de le faire devant Dieu : les larmes versées en sa divine présence par le motif d'une vraie charité, font plus d'effet que tous les moyens humains dont on se pourrait servir. Je suis, etc.

Le 26 janvier 1652, la mère prieure de Gif reçoit une missive où la Mère Angélique lui parle d'une incommodité et de l'état de Port-Royal des Champs (lettre CCCXCV). L'hiver 1651-1652 fut terrible, suivi par les évènements de la guerre civile de la Fronde. « Ma fièvre a pris congé de mois au quatrième accès et elle m'a traitée, ma chère Sœur, si doucement que je n'ai pas sujet de me plaindre d'elle, ne m'ayant point fait perdre de sang, ni le sens en aucune façon. J'ai un peu causé à deux frissons, et je n'en suis pas plus faible, grâces à Dieu. J'ai été à l'eau bénite, à la messe qu'on n'a pas chantée, n'ayant osé y aller à jeun, à cause que je pris nier une couple de médecine. Je ne me suis point recouchée, et j'ai entendu le sermon, ou je me suis trouvée très misérablement dépeinte. Je crois que la Mère Agnès est guérie de son rhume, au moins m'en assure-t-elle. Je vous rends grâces très humblement du soin qu'il vous plaît d'avoir d'elle et de moi.

«  Le froid nous est venu voir  ; mais nous avons de si puissantes armes contre lui que nous émoussons facilement les pointes de sa rigueur. Ma sœur N. se porte bien à un mal de dents près qui lui fait quelquefois la guerre, mais les accès n'en sont pas longs. Tout le reste se porte bien, grâces à Dieu. Il n'y a personne au lit dans la maison et au dehors il n'y en a que deux : ce n'est pas trop pour cent dix-sept personnes. Je n'ai pu voir M. Singlin qu'hier au soir un moment : ce sera pour demain, Dieu aidant. Il est si enrhumé qu'il a eu grande peine à achever son sermon. Bon jour ma très chère sœur. Vous savez bien que je suis toute à vous, bien fâchée de ne rien valoir, et de ce qu'ainsi je vous suis très inutile.

Le 6 février 1652, la Mère Angélique Arnault écrit à la mère prieure de Gif pour lui donner divers avis sur la conduite qu'elle doit suivre vis-à-vis de la nouvelle abbesse Madame de Morant. La Mère Angélique demande à Françoise de Courtilz de ne pas évoquer toute la rancœur qu'elle pourrait montrer suite à sa défaite. En un mot, la mère Angélique lui conseille de se soumettre (lettre CCCXCIX).

« Ma fièvre tierce est passée, grâces à Dieu, ma très chère Mère, il ne me reste que mes incommodités ordinaires qui sont assez grandes pour réduire une personne aussi lâche que moi à ne faire presque rien. Quand je serai en santé je ne pourrois rien faire qui vaille, de sorte que je me dois consoler de mes impuissances qui me donnent le moyen d'éviter peut-être plus de mal… J'eusse bien voulu que M. Singlin eût été ici pour lui demander si vous l'eussiez du prier de se faire bénir chez vous. Mais ayant considéré la manière toute prophane dont cela se fait, le tumulte du monde qu'on auroit peut-être fait entrer, j'ai cru que vous ne devez point du tout faire, afin de ne prendre nulle part à toutes ces distractions, pour ne pas dire à tous ces désordres. Je crois que pour son bien et le vôtre vous ferez mieux de passer ce jour en retraite devant le Saint Sacrement, et demander miséricorde pour elle [Catherine Morant] et pour vous. Pour sa réception, je crois ma chère Mère, que vous ne lui devez faire aucune harangue. Ce n'est pas le métier des Filles ; et sur tout ne lui parlez point du tout de ce qui s'est passé à votre égard, ni des oppositions que vous avez faite à sa promotion. Si elle ou autres vous en parlent, vous devez répondre en deux mots sans autres compliments, que vous avez fait ce que vous avez cru en conscience devoir faire, et que vous ferez aussi à l'avenir, Dieu aidant, ce que vous saurez de votre devoir, vous rendant aux ordres de Dieu pour honorer et servir celle qu'il vous donne pour Supérieure. Pour le reste, il faudra donner ordre que la Mère de Saint-Benoît fasse tout préparer sans avarice et sans super fuité. Si les valets se rendent difficiles ou font les insolents, ce qui est ordinaire en ces rencontres, il faudra tout supporter à ce premier abord, pour ne pas cabrer tout d'un coup – j'entends ce qui ne regardera que la dépense – et après cela dans quelque temps vous pourrez parler doucement… Il faut dissimuler et prier Dieu…. Je suis, etc. ».

 

 

Les lettres au temps de la Fronde

De février 1652, lettre CCCCII, à la mère prieure de Gif. Sur la disposition où elle étoit de la servir, et sur les péchés des Religieuses. Elle rassure sur la soldatesque qui parcourt la campagne. « Je vous supplie très humblement, ma chère Mère, de n'avoir jamais de pensée que vous nous puissiez importuner. Je me tiens aussi obligée de vous servir et le fais d'aussi bon cœur qu'à nos sœurs de Paris ; car je ne puis faire distinction entre toutes les Religieuses…. Je vous supplie donc de ne faire plus de cérémonie avec nous. Les soldats qui passent à cette heure ne sont pas à craindre : on les mène en diligence pour grossir l'armée des Princes, de sorte qu'ils n'ont pas le loisir de mal faire …. Pour moi, ma très chère, je m'imagine que tous les péchés de nous autres religieuses blessent plus la bonté de Dieu, que tous les crimes des hommes qui ne le connoissent point et qui n'ont pas reçu tant de grâces de lumières et de mouvemens de conversion que nous qui les négligeons par l'attache que nous avons à nos passions et à cent niaiseries. Mais je vous demande pardon, ma très chère, de vous amuser de mes pensées. Je suis, etc.

Du 14 mars 1652, lettre CCCCVII, à la mère prieure de Gif. Elle lui donne divers avis, et notamment sur l'insécurité de la région. Nous n'avons point encore de peur, ma très chère Mère, je n'ose pourtant vous rien conseiller que je n'aie parlé à M. Singlin qui vient ce soir , et demain Dieu aidant, je vous manderai son avis. J'espère que Dieu par sa miséricorde nous conservera… Si nous apprenons quelque chose, nous ne manquerons pas de vous en avertir. Nous n'avons pas assez de foi. Donnez le meilleur ordre que vous pourrez pour vous défendre contre les voleurs qui pourroient passer, car il n'y a que cela à craindre. Je ne crois pas qu'il y ait eu autant de mal aux Religieuses d'Angers qu'on dit. Assurez-vous, ma chère Mère, que nous vous rendrons tous les services que vous désirerez à qui nous seront possibles, sans rien excepter car je suis entièrement à vous.

De mars 1652, lettre CCCCIX, à la mère prieure de Gif. Sur les dangers de la guerre. On nous a voulu épouvanter aussi bien que vous ; mais nos amis qui s'y connoissent le plus ne croient pas qu'il y ait encore de péril . Si nous apprenons qu'il y en ait, nous vous en avertirons aussitôt. Je vous supplie de nous faire de même, si vous apprenez quelques nouvelles qui méritent d'être crues, car pour celles des paysans, leur effroi leur fait tout croire et tout craindre, quoique sans apparence . M. Féron nous a dit que Madame votre Abbesse lui avait fait bien froid, et il ne prétend nullement avoir part à la conduite de son esprit. Abandonnons tout à Dieu, ma très chère, et ne lui demandons que d'être très parfaitement fidèles à tout ce qu'il demandera de vous. S'il nous l'accorde comme j'espère, rien ne vous nuira. Je n'ai pas le tems d'en dire davantage.

Du 3 avril 1652, lettre CCCCXVII, à la mère prieure de Gif. Elle lui parle de son abbesse, et des réparations qu'on allait faire à Port Royal des Champs. Nous n'avons reçu qu'aujourd'hui, ma très chère Mère, votre lettre du 23 février. Pour cette bonne fille dont vous parlez et qui est nièce de la sœur de Sainte Fare, nous ne l'avons pu voir étant incommodée. Ma sœur Marie Dorothée de l'Incarnation (le Conte) l'a vue, et elle dit qu'elle a bonne façon. Mais pour cette heure nous ne la saurions prendre, n'ayant point de place ; et nous allons être extrêmement incommodées pour le logement parce que l'on va travailler à rehausser notre dortoir, et à y faire deux rangs de cellules. Nous y sommes obligés pour n'avoir plus de place à Paris ni ici. Les bulles de madame votre Abbesse sont bien longues à venir : c'est du temps que Dieu vous donne pour vous préparer à la recevoir. Je ne vous plians point dans ce retardement ; c'est toujours autant de repos et un moyen de vous mieux préparer à tout ce qui peut arriver. Souvenez-vous toujours, ma très chère, que tout coopère en bien à ceux qui aiment Dieu, de sorte que nous n'avons pour nous préserver de tous les maux, qu'à prier Dieu qu'il nous donne son saint amour, puisqu'il les change toujours en de vrais biens.

 

 

Les conseils de la mère Angélique

Au début du mois d'octobre 1653, il semble que la démission de l'abbesse de Gif soit en bonne voie. Dans sa lettre DLXXXIV, à Madame la marquise d'Aumont, la mère Angélique parle du voyage que cette dame avait fait à Port-Royal des Champs pour y être plus dans la retraite, et sur les bonnes dispositions de Mademoiselle de Monglat, nièce de la marquise. Cette jeune fille prit le voile pour devenir quelques années plu tard, abbesse du couvent Notre-Dame du Val de Gif où elle établit parfaitement la Réforme. «  Nous sommes en grande amitié, et dans une si parfaite confiance, la petite sœur de Monglat et moi, qu'elle veut que je la mène à confesse et dire ses péchés en ma présence…  ». Victoire de Clermont de Monglat était pensionnaire à Port-Royal, considérée comme une fille de grande espérance. Elle entra au noviciat, mais les ordres du roi l'ayant fait sortir de Port-Royal en 1661, elle entra à Gif.

Le 11 avril 1654, l'annonce de la bonne réussite de l'affaire de la démission de Madame de Morant abbesse de Gif est faite «  j'ai reçu avec la même joie que vous, la nouvelle de l'accomplissement de vos désirs…  » écrit la mère Angélique à Françoise de Courtilz. Enfin la prieure de Gif qui venait d'obtenir du brevet royal, allait devenir abbesse de Notre-Dame du Val (lettre DCXXXVII). La lettre postée le 24 avril, renseigne sur les intrigues du clan Olivier de Leuville. « Je craignois et tenois pour tout assuré que si votre affaire passoit par la voie ordinaire du Cardinal [Mazarin] elle seroit sue et rompue par Madame votre tante [la marquise de Leuville]… » (lettre DCXL).

Dans une longue lettre datée du 28 avril 1654 (lettre DCXLI) à Françoise de Courtilz, la Mère prieure de Gif, qui vient d'être nommée abbesse, la mère Angélique passe en revue tous les devoirs d'une bonne supérieure et termine par ce mot de saint Bernard «  mon secret est pour moi  ». À l'âge de 48 ans, il ne semble pas que la mère prieure de Gif, qui avait tenu les rênes de l'abbaye pendant si longtemps, ait besoin de tels conseils. Bien que la mère Angélique termine par «  Je suis toute à vous, ma très chère Mère. Je vous supplie de la croire, et de prier Dieu pour moi comme je fais de tout mon cœur pour vous  », n'empêche que le ton de la lettre est très doctrinal en prenant comme prétexte qu'elle avait elle-même «  porté dix-neuf ans cette croix  » en faisant plusieurs fautes. Quelques flatteries sont glissées parfois « … vous avez un grand avantage, ma très chère Mère, que je n'avois pas, c'est que vous entrez dans cette charge par une véritable et sainte vocation  ». Puis tombent les coups bas : «  j'appréhende que votre crainte excessive ne vienne d'un peu de paresse  », ou bien «  je crois que vous souffrez dans votre cœur, plutôt d'orgueil que d'humilité  ».

Du 1654 , à la Mère prieure de Gif qui était nommée abbesse . Elle lui donne divers avis. Plusieurs lettres, datées de mai 1654, sont adressées Catherine Morant sur divers sujets. Elle est encouragée dans ses bonnes dispositions. Alors qu'elle vit ses derniers instants comme abbesse de Gif, la mère Angélique lui parle sur ce qu'elle avait encore à souffrir dans l'exercice de sa charge, etc. (lettre DCXLIII). Du 21 juillet 1654, la lettre DCLVIII est destinée à Madame de Morant, ancienne abbesse de Gi, sur la retraite qu'elle voulait faire à Port-Royal. «  Je crois, ma très chère Mère, que vous ferez bien d'attendre que vous ayez votre permission après laquelle vous verrez ce qu'il vous plaira de faire. Mais je crois qu'il ne serait pas bien de sortir, avant l'exécution de cette affaire. J'espère que vous verrez M. Singlin : il sera bientôt ici. Je lui ferai voir vos lettres, et vous prendrez son avis. Cependant, ma chère Mère, demeurez en paix, vous offrant à Dieu pour le changement que vous méditez.

Quoique j'estime que Dieu vous assistera beaucoup, puisque vous le prenez pour l'amour de lui et qu'en cela il vous fait la grâce de donner en vous démettant un très bon exemple dans l'Eglise, où il permet que l'ambition de commander soit si grande ; néanmoins il se pourra faire que vous souffrirez des tentations, Dieu le permettant ainsi pour éprouver votre foi. C'est pourquoi il fut, ma très chère Mère, vous préparer en invoquant beaucoup la divine miséricorde, sans laquelle nous ne pouvons espérer que misères. Si votre santé est visiblement mauvaise, il ne sera que bon de la prendre pour prétexte de votre sortie. Mais ayez un peu de patience, pour ne rien gâter ; aussi bien je crois que vous ne ferez point faire la prise de possession, qu'au retour de M. le curé de S. Nicolas, qui ne sera pas plutôt que celui de M. Singlin. Je suis, etc . ».

Dans sa lettre du 2 août 1654 (DCLX), à la reine de Pologne, la mère Angélique rapporte la prise d'habit et la profession de plusieurs filles à Port-Royal, et la retraite de l'ancienne abbesse de Gif, etc. «  Madame. Un de nos Hermites m'ayant donné l'extrait d'une lettre d'un grand saint…. Nous donnâmes hier l'habit à une de nos pensionnaires [sœur Magdeleine de Sainte-Agathe Choart de Buzanval, nièce de l'évêque de Beauvais], qui est céans depuis neuf ans parce que nous ne le donnons qu'à dix-neuf ans, afin qu'elles le reçoivent avec plus de jugement… Nous avons reçu depuis deux jours une religieuse qui n'a que vingt-six ans, et pour qui ses parens, qui sont Monsieur de Leuville et Madame de Senèse, avaient obtenu l'abbaye de Gif il y a trois ans, quoique les religieuses eussent élu une bonne fille de leur maison et que la reine leur eût promis de l'accepter. Mais le crédit l'emporta pour cette jeune religieuse, que Dieu a tellement touchée qu'elle a résigné sans le su de ses parents à celle qui avait été élue, laquelle en a pensé mourir de douleur, et deux jours après qu'elle a eu pris possession, la déposée est venue avec nous, avec un grand désir d'être le dernière et d'y commencer un noviciat. J'avoue Votre Majesté que çà été pour moi une grande joie de voir qu'en ce temps, où l'ambition règne si horriblement même dans les Religions, et qu'il se fait tous les jours des maisons exprès pour contenter des filles qui veulent être supérieures, d'en voir, dis-je, une si jeune quitter pour l'amour de Dieu, et pour suivre Notre Seigneur Jésus-Christ qui s'est fait le dernier des hommes pour guérir notre orgueil … ».

 

 

L'accession à la prélature de Gif

Dès sa prise de possession, âgée de 21 ans, Catherine Morant ressent tout le poids de la gouvernance de l'abbaye de Gif, et se reconnaît incapable de la porter. L'abbé alliot la décrit de cette manière : «  Femme d'une simplicité excessive, d'une intelligence bornée, nullement faite pour le commandement, elle est presque sans volonté  ». Au lieu de s'appuyer sur la grande expérience de la prieure Françoise de Courtilz, elle néglige ce moyen comme trop facile et se tourne vers la célèbre mère Angélique Arnaud, abbesse de Port-Royal des Champs. Cette dernière considérée comme sa sœur, ne tarda pas à prendre sur Catherine Morant beaucoup d'influence. Après de nombreuses conversations entre les deux abbesses Catherine Morant réalise qu'elle ne peut plus porter la crosse de Gif et démissionne définitivement en faveur de Françoise de Courtilz, dont ses religieuses lui avaient fait apprécier les mérites et les vertus.

Les démarches faites pour assurer la crosse abbatiale à Madame de Courtilz furent couronnées de succès, elle put prendre possession de sa charge au mois de juillet 1654. La cérémonie de sa bénédiction eut lieu à Gif et fut une véritable fête de famille pour le cloître, où toutes les religieuses se montrèrent heureuses de sa nomination, parce qu'elles la vénéraient comme une mère.

Dans un premier temps Françoise de Courtilz dut faire face aux intrigues de la marquise de Leuville qui voulait garder la main sur l'abbaye de Gif, mais l'habileté de l'abbesse réduisit les prétentions de la marquise à néant. Au temps de la prélature de Françoise de Courtilz, l'abbaye de Gif fut très prospère puisqu'en y joignant les novices et les pensionnaires petites et grandes, ainsi que les domestiques qui s'entassaient dans les bâtiments de service, nous voyons la mère supérieure à la tête d'une importante maison de 120 personnes environ, «  qui malgré la profession de recluses, jettent la vie, le mouvement et l'animation dans la solitaire vallée de l'Yvette  », nous dit l'abbé Alliot (7).

À suivre…

 

 

Notes

(1) Anselme de Sainte-Marie, Histoire chronologique de la maison royale de France , t. VI (Cie Libr. Associés, Paris, 1733) p. 484 [généalogie des Olivier de Leuville].

(2) F.-A. de La Chesnaye Desbois , Dictionnaire de la noblesse , t. XIV (chez Schlesinger, Paris, 1869), p. 512 [généalogie des Morant].

(3) Les seigneuries de Boyon et Talmontiers sont situées dans la pays de Bray, proche Gournay-en-Braye. Notons que l'abbé Alliot fait une petite faute en écrivant Talmoutier .

(4) M. P. Faugère, Lettres de la mère Agnès Arnault, abbesse de Port-Royal , t. I (chez Benjamin Duprat, Paris, 1858).

(5) Comme chacun sait la mère supérieure de Port-Royal des Champs appartenait à cette forte famille des Arnault, sorte de tribu sacerdotale, qui donna un si grand nombre des siens à l'Église et à Port-Royal, et surtout ces trois incomparables religieuses : Marie-Angélique, Agnès sa sœur, et leur nièce Angélique de Saint-jean. Elles avaient pour frères Henri Arnault, évêque d'Angers, Robert Arnault d'Audilly, et le célèbre docteur Antoine Arnault. Néé en 1593, la mère Agnès, consacrée à la vie religieuse dès sa première enfance, fut d'abord coadjutrice et ensuite abbesse de Port-Royal. Elle mourut en 1671, à l'âge de 78 ans.

(7) La mort enleva Françoise de Courtilz le 1er novembre 1669, à l'âge de 63 ans, après avoir porté la crosse pendant quinze ans.