Les dixmes de l'abbaye de Gif L'affaire Sallé (1618) |
|||
Chronique du Vieux Marcoussy --Marcoussis--------------- _-------------------------___---_--juillet 2012 Attention ce site change d'hébergeur à l'adresse *** (*)
Extrait de plan terrier du comté de Limours.
C. Julien
Dans cette chronique, nous présentons les minutes du procès intenté, en 1618, par les dames abbesse et religieuses de Notre-Dame du Val de Gif à un laboureur de Gif, le nommé Jean Sallé qui refusait de s'acquitter des dîmes dont ses terres étaient chargées. L'affaire fut portée devant l'Officialité, tribunal ecclésiastique de la Curie parisienne devant lequel étaient traités les litiges avec le clergé. Au chapitre des dixmes et des bénéfices , le greffier traite des procédures civiles devant l'Official, évoque plusieurs procès sous le sous-titre « Sentence diffinitive de l'Officialité de Paris touchant le payement des menuës dixmes, d'agneaux, cochons, oysons, etc. » (1). Ce contentieux est un bel exemple des relations conflictuelles entre décimateurs et paysans. Les chicanes tournent autour de l'assiette de la dîme, la superficie des champs, la qualité des produits et la manière de faire des gerbes. À chaque fois, on devine qui gagne le procès. Parfois les procès duraient plusieurs années, voire une décennie comme le procès de la dîme de vin à Montlhéry à la fin du XVIIe siècle…
Exploit d'assignation pour droit de dixmes au pétitoire. À la requeste des dames abbesse, religieuses et couvent de l'abbaye de Gif, y demeurantes, où elles ont élû domicile. Soit donné assignation à Jean Sallé, habitant dudit lieu de Gif, à comparoir d'huy en huitaine au prétoire et par devant monsieur l'Official de Paris, pour s'y avoir condamné à payer aux demanderesses… la quantité de … gerbes, pour le reste de la dixme des 34 arpens de terres par luy ensemencez, en avoine, orge et vesses, qu'il a dépouillez au mois d'aoust de la présente année 1618, à raison de 4 gerbes par arpent, dont il a payé le surplus, supposant n'avoit ensemencé que 30 arpens desdites terres, et en cas de dény offrent de vérifier, même au payement du double, attendu ses recellez et fausses déclarations, conformément aux ordonnances, et pour en outre, comme de raison, afin de dépens, déclarant que maître O. est procureur, dont acte. Signé du procureur.
Requeste verbale des demanderesses en dixmes La requête verbale des dames demanderesses en dîmes est faite avec le but « avec avenir pour voir dire qu'il sera fait enqueste sur les faits par elles alléguez ». Nous découvrirons que le contentieux porte sur quelques gerbes d'avoine, 6 ou 8 selon le compte, c'est-à-dire pour un montant en argent de quelques sols ; mais n'oublions pas que, vers 1610, le salaire journalier d'un ouvrier agricole ne permet que de vivre chichement. Bien souvent les travaux des champs sont payés à la tâche. Pour faucher et faner les prés, il est payé en argent 35 sols tournois par arpent. Un maître jardinier est payé 15 sols par jour. Le salaire annuel des domestiques de ferme sont : le premier charretier 30 lt., un berger 20 lt., un vacher 6 lt , une servante de pressoir 8 lt. Il faut remarquer que les prix des denrées s'étaient envolés considérablement au moment des guerres de Religion. La douzaine d'œufs vaut 5 sols. La livre de beurre est payée 4 sols 8 deniers à Paris. Le cent de harengs saurs est vendu 4 sols 10 deniers. Le prix marchand du sel est 32 sols le setier y compris les taxes de gabelle. Le procès a lieu dans les locaux de l'évêché de Paris où siège l'Official. Sont présents les procureurs des plaignants et plusieurs témoins qui ont fait le voyage de Gif à Paris. On voit toute cette troupe de paysans, laboureurs, manœuvriers et un berger venir dans la capitale en charrette, partant, très tôt le matin, de la vallée de l'Yvette où, en ce mois de novembre, le pays est enveloppé par les brouillards épais, froids et pénétrants. Ces gens relatant ce qu'ils savent de cette chicane, prudents de ne pas se compromettre vis-à-vis de l'abbaye dont ils sont les censitaires, mais aussi anxieux de venir déposer devant les juges. « À la requeste de maistre Pierre le Coutumier, procureur en l'Officialité de Paris et des dames abbesse, religieuses et couvent de l'abbaye de Gif, demanderesses en droits de dixmes, soit sommé et interpellé maistre Thomas Jalot, procureur de Jean Sallé, habitant de Gif, défenseur, de comparoir demain à l'audience, pour plaider la cause d'entre les parties, voir dire que les demanderesses auront acte de ce qu'elle soûtiennent et mettent en fait, pour justifier des moyens de leur demande facta et media sequentia . /1° Que ledit défendeur dit aux dixmerons des demanderesses, lorsqu'il fut question de payer la dixme des mars en l'aoust dernier passé 1618 qu'il avoit seulement dépoüillé 30 arpens de terre ensemencez en avoine, orge, ou vesse, que néanmoins la vérité est, que ledit défendeur a dépoüillé en l'aoust de ladite année 1618, 34 arpens de terre ensemencez tant en avoine, orge et vesse, la dixme desquels se paye à raison de 4 gerbes par arpent, que ledit défendeur ou les siens ont seulement payé aux demanderesses, ou à ceux qui y ont cueilly les dixmes pour elles, 130 gerbes et demie tant d'avoine que de vesse et orge sur toutes les pièces desdites terres, que ledit défendeur auroit réfuté de payer 16 gerbes et demie d'avoine, faisant partie de la dixme d'une pièce de terre ensemencée en avoine, qui étoit la dernière pièce que ledit défendeur a recueillie et serrée de toutes lesdites pièces de terre ; lesdites 16 gerbes et demie n'étant pour le payement de 30 arpens que ledit défendeur disoit avoir seulement depoüillez en mars, soit avoine, orge et vesse, disant qu'il n'en devoit pas si grande quantité, et qu'il en restoit dû davantage de l'année précédente, qu'il disoit avoir trop payez, que les dits dixmerons soûtinrent audit défendeur qu'ils n'avoient reçû l'année précédente que ce qui leur appartenoit, et plutôt moins que trop, à cause que ledit défendeur étoit coûtumier de réfuter à payer ladite dixme, et que pour l'année précédente il devoit de reste 16 gerbes et demie d'avoine, à raison desdits 30 arpens qu'il disoit avoir. 2° Et de fait, lesdits dixmerons auroient offert de compter avec ledit défendeur sur le champ toutes les gerbes qui auroient été par eux reçûës, qui auroient été écrites sur les tablettes, que l'un desdits dixmerons auroit bailléez à un laboureur qui étoit là présent, pour les voir calculer, et arrêter compte avec ledit défendeur. Que lors ledit défendeur dit qu'il ne vouloit pas compter en présence dudit laboureur, disant qu'il ne sçavoit ni lire, ni écrire, nien que la vérité soit que ledit laboureur sçache fort bien lire et écrire, et soit des principaux chantres en l'église de la paroisse, et soit fort homme de bien, que lors ledit défendeur jetta son manteau par terre, et calcula sur un mémoire qu'il disoit avoir, et trouva que pour lesdits 30 arpens qu'il disoit avoir seulement depoüillez en mars, il ne devoit que 8 gerbes de reste à son compte ; mais qu'il ne les leur bailleroit pas, parce qu'il prétendoit qu'ils en avoient trop en l'année précédente, que lesdits dixmerons soûtinrent le contraire audit défendeur, et luy dirent qu'ils n'avoient reçû l'année précédente que ce qui leur en falloit, et que pour l'année précédente de 1618, il devoit encore, à raison de 30 arpens seulement, 16 gerbes et demie d'avoine. Que ledit défendeur renvoya lesdits dixmerons sans leur bailler aucune dixme desdites 16 gerbes et demie, au contraire, auroit fait emporter le tout en sa maison. Que ledit défendeur a dit auxdits dixmerons qu'il n'avoit en tout que 30 arpens de terres ensemencez en mars, soit avoine, orge et vesse, et qu'il en a dit autant depuis l'aoust à plusieurs personnes, même au faulcheurs qui les ont faulchez, et a fait compte avec lesdits faulcheurs desdits 30 arpens seulement, ainsi qu'ils ont dit à plusieurs autres personnes, que ledit défendeur est coûtumier de disputer et faire perdre autant qu'il peut lesdits droits des dixmes, essayant par tous les moyens de n'en rien payer, aux protestations accoûtumées, dont acte. Signé, P.L.Go, procureur. Fait et signifié le contenu cy-dessus, et réïtéré la sommation y mentionnée audit Maistre Gallot, procureur des parties adverses, parlant à, etc. par moy huissier en Cour d'Église, soussigné le… jour de…, etc.
Enqueste sur le pétitoire des dixmes de grains, fait en 1618. Enqueste faite par nous Nicolas, etc. prêtre, docteur, etc. official de Paris, en vertu de notre sentence du…, etc. sur les faits articulez par l'acte mentionné en ladite sentence à la requeste des dames abbesse, religieuses et couvent le l'abbaye de Gif, demanderesses en droits de dixmes contre Jean Sallé, etc. habitant dudit lieu, défendeur, à la confection de laquelle enqueste nous avons vacqué au prétoire de l'officialité, après avoir pris le serment accoûtumé des témoins cy-après nommez, en présence des procureurs des parties, et fait mettre le tout en écrit par notre greffier ordinaire, comme il ensuit. Du 18 novembre 1618 . Est comparu Marin Aury manœuvrier, demeurant au bourg de Gif, natif dudit lieu, âgé de 72 ans ou environ, lequel nous a représenté l'exploit d'assignation à luy donné le jour d'hier par… etc. huissier, après serment fait de dire vérité, qu'il a déclaré n'estre parent, allié, serviteur ny domestique des parties, lecture faite de ladite sentence de l'acte y mentionné, des faits y contenus. Dépose bien connoître ledit Sallé défendeur, pour être habitant dudit lieu de Gif, que peu auparavant l'aoust dernier, le sieur Sarrazin comme receveur et faisant les affaires de ladite abbaye, auroit retenu le déposant pour amasser les dixmes dudit Gif, moyennant le prix et convention faite entr'eux, ensuite de quoy ledit déposant allant sur les terres ensemencées en bled et en mars, ledit Sallé auroit dit audit déposant, qu'il avoit 24 arpens de bled et 13 au plus de mars, tant au haut païs qu'au bas et suivant celuy déposant auroit pris la dixme dudit Sallé pour 24 arpens de bled, qui se paye à raison de 4 gerbes par arpent, et à l'égard des mars ledit déposant auroit reçû et recueilly sur plusieurs pièces ensemencées en mars tant orge, avoine, que vesse, la quantité de 103 gerbes et demie, de sorte que ledit Sallé devoit de reste pour lesdits 30 arpens 16 gerbes et demie d'avoine, pour lesquelles recevoir ledit déposant s'étant transporté sur une pièce d'avoine, qui étoit la dernière que ledit Sallé faisoit lier, contenant 7 arpens ou environ, il s'adressa audit Sallé, qui étoit en ladite pièce de terre, avec un autre homme nommé Vincent Tourneur, et demanda audit Sallé s'il vouloit luy payer 16 gerbes et demie d'avoine, qu'il devoit pour le reste de la dixme desdits 30 arpens de terre ensemencéz en mars, à quoy ledit Sallé fit réponse, qu'il ne luy bailleroit point, parce que l'année précédente il en avoit trop payé, sur quoy luy déposant fit réponse qu'il n'avoit pas les dixmes de l'année précédente, et qu'il devoit encore pour lesdits 30 arpens de mars 16 gerbes et demie. Sur quoy ledit Sallé dit audit déposant qu'il ne luy devoit ce qu'il disoit et que s'il vouloit ils compteroient ensemble, ce qui fut cause que luy déposant alla quérir des tablettes, où il avoit fait écrire ce qu'il avoit reçû dudit Sallé pour lesdites dixmes de l'année présente, et étant luy déposant retourné, bailla lesdites tablettes audit Tourneur, afin qu'il vît ce que luy déposant avoit reçû desdites dixmes, ce que voyant ledit Sallé, dit qu'il n'étoit besoin de bailler lesdites tablettes audit Tourneur, et qu'il ne sçavoit lire ny écrire, encore que ledit Tourneur sçache fort bien lire et écrire ; ce qui fut cause que ledit Tourneur rendit lesdites tablettes audit déposant et aussitôt ledit Sallé jetta son manteau par terre, se couchant sur ledit manteau, prenant des jetons et des papiers, et ayant calculé, dit audit déposant, qu'il sçavoit bien qu'il ne luy en falloit pas tant qu'il demandoit, qu'il ne luy en falloit plus que huit ou dix gerbes pour lesdits arpens de mars, mais qu'il ne les luy bailleroit, que luy déposant ne luy eut fait satisfaction des années précédentes ; à quoy luy déposant dit audit Sallé, en présence dudit Tourneur, qu'il n'avoit point reçû des dixmes l'année précédente plus qu'il ne luy en falloit, mais plutôt moins, et que pour cette année il luy devoit la quantité de 16 gerbes et demie d'avoine, pour le reste des dixmes desdits 30 arpens de mars. Et après avoir longtemps contesté en présence dudit Tourneur et autres, luy déposant fut contraint de s'en aller, sans remporter aucune chose, ne sçait le déposant si ledit Sallé a depoüillé plus de 30 arpens de terres ensemencées en mars ; mais sçait bien, comme il a dit cy dessus, que ledit Sallé luy a dit plusieurs fois, durent et après l'aoust, qu'il n'avoit depoüillé que 30 arpens de mars en tout, et que lorsqu'ils voulurent compter, on ne fit mention que de 30 arpens de tout mars. Sçait aussi ledit déposant que ledit Sallé est coustumier de disputer pour les droits de dixme, et essaie d'en payer le moins qu'il peut, comme il fit l'année précédente, s'assurant ledit déposant, que ledit Sallé ne paya entièrement la dixme qu'il devoit, qui est tout ce qu'il a dit sçavoir. Lecture à luy faite de sa disposition, y a persévéré et dit qu'elle contient vérité, et a signé Marin. Taxé audit témoin qui a requis salaire, pour être venu exprès dudit lieu de Gif en cette ville, distant de six lieuës, rendre sa présente déposition, quatre livres. Le témoignage du berger de Gousson Est aussi comparu Pierre Bouder, berger demeurant à la ferme de Gousson, appartenante à l'abbaye de Gif, natif de Touarvay-Saint-Denys en Beausse, âgé de trente-cinq ans ou environ, lequel nous a représenté, l'exploit d'assignation à luy donné le, etc. supra. Dépose qu'il connoît le sieur Sarrazin pour être receveur, et faisant les affaires de ladite abbaye de Gif et comme aussi qu'il connoît ledit Sallé, tant durant que depuis l'aoust dernier, qu'il avoit seulement dépoüillé environ 30 arpens de terre ensemencez en mars, soit avoine, orge ou vesse, tant au haut qu'en la vallée, et encore qu'il pensoit ne les avoir pas ; comme aussi il a oüy dire Robert Levillain, qui a fauché les mars desdites terres, que ledit Sallé ne luy avoir baillé la faulche desdites mars que pour 30 arpens, et que certain jour luy déposant étant aux champs avec son troupeau, proche d'une pièce d'avoine, que ledit Sallé faisoit lier, contenant 7 arpens, ou environ, il vit que Marin Aury témoin précédent, et un nommé Philippe Bautay, qui cüeilloient des dixmes pour ledit Sarrazin, s'adressèrent audit Sallé, qui étoit proche ladite pièce de terre, avec un nommé Vincent Tourneur, laboureur, qui dépeçoit un arbre que le vent avoit abatu, et luy auroit ledit Aury demandé s'il luy vouloit bailler 16 gerbes et demie d'avoine, qu'il devoit pour le reste de la dixme de 30 arpens de mars qu'il avoit recüeilli ; à quoy ledit Sallé ayant fait réponse qu'il ne les luy bailleroit point, qu'il n'en devoit par tant, ledit Aury alla quérir des tablettes, et étant retourné, les bailla audit Tourneur pour voir ce qu'il avoit reçu, et compter avec ledit Sallé, et qu'il dit que ledit Tourneur n'en entendoit rien, et ne sçavoit lire ny écrire, encore que ledit Tourneur sçache lire et écrire, ce qui fut cause que ledit Tourneur rendit lesdites tablettes audit Aury, et au même tems ledit Sallé jettant son manteau par terre, et de mettant dessus, il calcula avec des jetons ou argent, et s'étant relevé, dit audit Aury qu'il ne devoit pas tant de dixme qu'il luy demandoit, et qu'il n'en sçavoit devoir que 8 à 10 gerbes, mais qu'il ne luy bailleroit pas qu'il ne luy tint compte de ce qu'il avoit trop reçû l'année précédente. Sur quoy ledit Aury dit audit Sallé qu'il luy devoit 16 gerbes et demie de reste de la dixme des 30 arpens de tous mars, qu'il disoit avoir recüeillis, lui deniant qu'il eût reçu trop de dixme l'année précédente ; au contraire, lui dit qu'il n'en avoit pas assez reçû, et après avoir disputé longtems ensemble, ledit Aury se retira sans rien empoter. Dit outre ledit déposant que le bruit commun est que ledit Sallé est fort mauvais dixmeur, et à tout propos discute et contredit au payement des dixmes et autres choses, qui est tout ce qu'il a dit sçavoir ; lecture à luy faite de sa disposition, et a déclaré ne sçavoir écrire ny signer, de ce enquis et interpellé ; taxé audit déposant qui a requis salaire, comme le témoin précédent, quatre livres. Est aussi comparu Philippe Bautay, manœuvrier demeurant en l'abbaye de Gif, natif de, etc. et aussi des autres témoins.
Notes (1) Pierre Decombes greffier de l'Officialité de Paris, Recueil tiré des procédures civiles faites en l'officialité de Paris (chez Nicolas Le Gras, Paris 1705). (2) M. Baulant, Prix et salaires à Paris au XVIe siècle. Sources et résultats , in: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 31e année, N. 5, 1976. pp. 954-995.
Ces sujets peuvent être reproduits " GRATUITEMENT" avec mention des auteurs et autorisation écrite |