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L'abbaye Notre-Dame du Val de Gif (12)

Les échanges épistolaires

 

Cette chronique est le douzième volet de l'histoire de l'abbaye de Notre-Dame du Val de Gif. Pour situer cette chronique, précisons qu'elle concerne les relations épistolaires de la mère supérieure de Port-Royal des Champs, la célèbre Marie-Angélique Arnault, sœur du Grand Arnault, théologien du Jansénisme, et les abbesses de Notre-Dame du Val de Gif pour les années 1651 à 1654. Les relations privilégiées de mère Angélique avec la jeune abbesse, Catherine Morant, se terminèrent avec la démission de cette dernière. L'abbé Antoine Singlin fut également un personnage essentiel dans l'histoire des relations entre Gif et Port-Royal. Il fut le directeur spirituel de nombreux personnages de son temps et s'intéressa au couvent des bords de l'Yvette.

 

C. Julien J.P Dagnot - Juin 2013

Généalogie simplifiée de la famille Morand d'après La Chesnaye-Desbois (1).

 

 

Les liens de Gif s'étaient resserrés avec Port-Royal grâce à Mme d'Aumont, dont la sœur Mme de Saint-Maur de Cheverny [souvent écrit Chiverni ou Ciberny], était religieuse à Gif. À la mort de Mme de Villarceaux en 1651, sa famille voulut conserver le siège abbatial, et fit nommer abbesse une jeune fille de vingt et un ans, Catherine Morant (1627-1705) parente par alliance de la défunte mère. Sans expérience… Elle entretint également des relations avec la mère Angélique Arnault, abbesse de Port-Royal des Champs où l'abbé Singlin tenait une place importante. Gagnée par la mère Angélique, l'abbesse de Gif se démit de son abbaye, en 1654, pour entrer comme simple religieuse à Port-Royal.

 

 

Le projet de démission de l'abbesse

Au début du mois d'octobre 1653, il semble que la démission de l'abbesse de Gif soit en bonne voie. Dans sa lettre DLXXXIV, à Madame la marquise d'Aumont, la mère Angélique parle du voyage que cette dame avait fait à Port-Royal des Champs pour y être plus dans la retraite, et sur les bonnes dispositions de Mademoiselle de Monglat, nièce de la marquise. Cette jeune fille prit le voile pour devenir quelques années plu tard, abbesse du couvent Notre-Dame du Val de Gif où elle établit parfaitement la Réforme. «  Nous sommes en grande amitié, et dans une si parfaite confiance, la petite sœur de Monglat et moi, qu'elle veut que je la mène à confesse et dire ses péchés en ma présence…  ». Victoire de Clermont de Monglat était pensionnaire à Port-Royal, considérée comme une fille de grande espérance. Elle entra au noviciat, mais les ordres du roi l'ayant fait sortir de Port-Royal en 1661, elle entra à Gif.

Dans la lettre du 3 janvier 1654, mère Angélique souhaite à Madame de Morant, abbesse de Gif, la continuation des grâces de Dieu, et lui parle de la persécution qui s'exerce contre elle (lettre DCI). «  Peut-être ne savez-vous pas, ma chère Mère, que l'on excite une persécution contre nous. N'en soyez point en peine, mais priez Dieu qu'il nous fasse la grâce de nous conduire selon sa sainte volonté ; pourvu que nous lui suivions, nous serons trop heureux, quoi qu'il puisse arriver, puisqu'en cela seul consiste notre bonheur. Je suis toute à vous, ma chère Mère. M. Singlin ne vous oublie point : il est un peu mal de sa santé, dont il n'a nul soin  ».

Le 6 janvier 1654, trois jours après, une autre lettre informe Madame de Morant abbesse de Gif, sur la mort d'une religieuse de Port-Royal, et la félicite sur une action de fermeté de sa part (lettre DCIII). «  J'ai eu beaucoup de peine… Nous avons fait une grande perte, d'une personne qui étoit toute aimable et très utile [sœur Marie-Antoinnette de Blond mourut le 6 janvier]. Je vous supplie très humblement, ma chère Mère, de lui faire la charité de lui accorder vos prières et celles de votre communauté Je suis extrêmement aise de ce que vous avez commencé à parler ferme, en y joignant la charité et la compassion, qu'il faut toujours avoir et conserver, mais sans se relâcher. Priez Dieu avant que de parler à vos sœurs…  ».

Le 8 janvier 1654, lettre DCVI écrite de Port-Royal de Paris, à Madame de Morant abbesse de Gif. Elle est remerciée de sa charité à l'occasion du décès d'une sœur de Port-Royal «  qui est parvenue par la miséricorde de Dieu à la fin de ses désirs  » . Et la mère Angélique lui parle de l'aller voir en retournant à Port-Royal des Champs. «  J'ai dit à M. Singlin ce que vous désirez [abandonner la crosse], il y satisfera le plutôt qu'il pourra. Cependant assurez-vous qu'il prie pour vous. Nous nous en retournerons la semaine prochaine, je vous supplie de considérer s'il est à propos que nous ayons l'honneur de vous voir, et si cela ne fera point de peine à quelques-unes de vos religieuses. car il faut bien se garder de scandaliser les petits, et sacrifier plutôt toutes nos satisfactions. L'avantage qu'il y auroit est que cette visite cacheroit M. Singlin… Je suis toute à vous ».

La lettre du 31 janvier 1654 (DCXIV) est une recommandation sur le dessein que l'abbesse de Gif avait de se démettre «  Vous me faites pitié, ma chère Mère, dans vos combats, et néanmoins je porte envie au courage que Dieu vous donne. Vous lui en avez une obligation infinie… Vous devez tenir votre affaire plus secrète que jamais, vous y auriez beaucoup de peine. Le principal, c'est de la recommander beaucoup à Dieu qui seul la peut faire réussir…  ».

 

 

 

La religieuse des Annonciades de Boulogne

1er décembre 1653, Madame de Morant abbesse de Gif reçoit une lettre au sujet de ses affaires et de la sœur Angélique-Magdeleine, religieuse des Annonciades de Boulogne (lettre DXCV) pour être acceptée à Gif. «  J'ai reçu, ma très chère Mère, une lettre de sœur Angélique-Magdeleine qui commence à espérer que M. son évêque aura enfin pitié d'elle, et lui donnera son obédience. Elle me prie de vous supplier très humblement de lui continuer votre bonne volonté ; ce qui n'est pas nécessaire puisque vous la prévenez par votre charité. Sitôt que j'aurai nouvelle qu'elle aura obtenu son obédience, je ne manquerai pas de vous en donner avis…  ». Puis la Mère Angélique marque : «  Le retour de la Cour donnera lieu de solliciter votre affaire plus promptement, une de vos alliées nous a écrit que quelques-uns de vos proches lui avoient fait état des plaintes de vous, au sujet de Madame votre sœur, qui veut sortir…  ».

Le 16 janvier 1654, l'abbesse de Port-Royal des Champs écrit à la sœur Angélique-Magdeleine Annonciade de Boulogne, sa protégée, sur son transport à Saint-Eutrope de Chanteloup (lettre DCIX). «  J'ai appris, ma chère Sœur, que Monseigneur votre évêque s'est ravivé et qu'il ne vous donnera point votre obédience pour Gif, mais pour Saint-Eutrope où M. de Saint-Nicolas vous fera recevoir. Je vous avoue que cela m'a fort surprise, mais il faut adorer avec soumission la divine Providence… Soumettez-vous humblement à cet ordre, sans vous troubler. Il y a dans cette maison une très bonne et sage supérieure, et nous pourrons avoir de là de vos nouvelles aussi bien qu'à Gif… Assurez Mademoiselle votre mère de mon affection, et que je suis sa très humble servante… Je suis, etc.  ».

Du 15 mars 1654, lettre DCXXVI, à Madame de Morant abbesse de Gif. Sur son affaire, et sur une fille qu'elle désirait que cette abbesse reçût chez elle. La difficulté semble venir de la communauté de Gif qui doit décider en l'assemblée capitulaire. «  Nous avons bien recommandé votre affaire à nos sœurs sans la nommer. Elles prient beaucoup Dieu, et moi avec elles, afin qu'il la fasse réussir pour sa gloire et votre salut. Après que vous avez fait tout ce que vous avez pu envers les créatures, demeurez en paix ne faisant autre chose que d'offrir à Dieu les désirs qu'il vous a donnés par sa miséricorde, le suppliant de vous en donner l'effet… Je ne manquerai pas de supplier M. Singlin, lorsque je le verrai, de se souvenir de la religieuse de Boulogne. Cependant si vos sœurs se contentoient de la pension de ma sœur Flavie, avec quelque petite somme, l'affaire seroit bien plus facile, et nous quitterons très volontiers cette pension. Mais je prévois qu'elles diront que la fille est jeune et ma sœur Flavie vieille. Je vous supplie, ma chère Mère, de leur en faire la proposition, et vous verrez ce qu'elles diront… Dans une très sincère affection entièrement votre  ».

Fin mars 1654, Madame de Morant abbesse de Gif reçoit une lettre au sujet de la sœur Annonciade de Boulogne (lettre DCXXVIII). « J'ai reçu votre lettre avec celle qu'il vous a plu d'écrire à M. l'évêque de Boulogne. Il ne faut pas encore parler à vos sœurs, il faut attendre que l'on ait la permission de M. de Boulogne. S'il ne la donne pas cela seroit inutile, et s'il la donne je vous en avertirai aussitôt, et la sœur Angélique-Magdeleine n'ira point chez vous que quand vous l'ordonnerez. Je n'ai gardé de vous surprendre…. Depuis dix ans cette fille cherche vraiment Dieu, et s'éloigne de ses parents qui l'aiment avec excès. Et tout son désir est d'être dans la séparation du monde, pauvre et étrangère en une maison réglée. Quand il faudra parler à vos sœurs j'ose me promettre que M. de Saint-Nicolas aura encore assez de bonté pour leur témoigner qu'il aura de la joie qu'elles fassent charité à cette fille…  ».

Le 20 avril 1654, la Mère Angélique écrit à Madame de Morant, abbesse de Gif, sur une lettre de Monseigneur l'évêque de Boulogne contre Port-Royal au sujet de la sœur de l'Annonciades (lettre DCXXXIX). Il est évident que l'évêque est un papiste convaincu et prend le parti anti-janséniste. «  Il est vrai que la lettre de M. l'évêque de Boulogne m'a touchée, non pour notre égard, car elle ne m'apprend rien de nouveau, et je suis si accoutumée à chose semblable, que cela me devient insensible : il n'y a que les vérités qui touchent. Notre Seigneur Jésus-Christ sera lui qui nous jugera définitivement pour l'éternité… Vous pouvez, ma très chère Mère, me consoler dans la seule peine que j'ai de cette lettre, en recevant cette pauvre fille de laquelle je vous ai déjà répondu…  ». La mère Angélique vante les qualités de sœur Angélique-Magdeleine «  sa vraie bonté et docilité, je vous en reponds…, vous et votre communauté en serez satisfaite, et enfin su le contraire arrive, on vous en déchargera quand il vous plaira…  » pour éviter de la conduire à Paris «  au Refuge où elle auroit une grande répugnance  ».

 

 

L'affaire de la démission

Le 27 mars 1654, dans sa lettre à Madame de Morant abbesse de Gif, la Mère Angélique l'entretient sur l'affaire de sa démission (lettre DCXXX). Elle concède à son amie que son « affaire va à une grande langueur … » et lui parle de sa mauvaise santé. «  Il est vrai que votre affaire va à une grande langueur, et si elle étoit en d'autre main, je craindrois qu'on ne la sollicitât négligemment, mais je n'ose penser cela, sachant la diligence de ceux qui s'en mêlent. Je crois que vous ne manquez pas de presser autant que vous pouvez, et votre mauvaise santé vous en est un sujet particulier, soit pour ne pas manquer avant l'accomplissement de la bonne œuvre que vous avez commencée, soit pour pouvoir recouvrir la santé, par le repos que vous désirez tant…  » ; puis, elle lui parle du désir qu'elle avait de voir M. Singlin. «  Je ferai tout mon possible pour vous procurer la visite de M. Singlin que vous désirez, la semaine prochaine, bien qu'il y ait long-tems que nous ne l'avons eu nous-mêmes que des momens, et qu'il ait beaucoup de besoin ici, mais s'il est possible, nous vous préfèrerons à tous…  ».

Le 11 avril 1654, l'annonce de la bonne réussite de l'affaire de la démission est faite «  J'ai reçu avec la même joie que vous, la nouvelle de l'accomplissement de vos désirs, prenant autant d'intérêt à tout ce qui vous touche que pour moi-même…  ». Enfin la prieure de Gif qui venait d'obtenir du brevet royal, allait devenir abbesse de Notre-Dame du Val (lettre DCXXXVII). Madame de Morant sollicite un prêt de 200 livres à la Mère Angélique «  …ne les ayant pas ni presque rien ; mais nous vous les ferons donner à Paris, le jour que vous marquerez  ». Puis, l'avenir de Françoise de Courtilz qui venait d'obtenir son brevet et attendait encore les bulles, est évoqué «  Nous prions Dieu qu'il fortifie la Mère Prieure et qu'il la console dans la vue de cette vérité : qu'elle doit vraiment être servante des servantes de Dieu, et qu'étant vraiment appelée de lui par le mouvement de la grâce qu'il vous a faite, il la prorègera et la soutiendra sous ce joug…  ».

La lettre postée le 24 avril 1654 (lettre DCXL), renseigne sur les intrigues du clan Olivier de Leuville. «  Je craignois et tenois pour tout assuré que si votre affaire passoit par la voie ordinaire du Cardinal [Mazarin] elle seroit sue et rompue par Madame votre tante [la marquise de Leuville] , et vous voyez comme le Seigneur a tout conduit : ce qui doit augmenter votre foi et votre confiance en Dieu qui conduira de même le reste de vos désirs, s'ils viennent de lui et s'ils sont pour votre salut. Assurez-vous ma très chère Mère, que j'y contribuerai en tout ce qui me sera possible, et autant que Dieu m'en fera la grâce… ». Puis, la mère Angélique parle de la sœur Angélique-Magdeleine de l'Annonciade que les sœurs de Gif hésite à accueillir «  Je m'assure que s'il y en a chez vous qui répugnent à la réception, elles seront obligées de la souffrir de bon cœur quand elles la connoîtront. Je suis bien aise que M. le curé de Saint-Nicolas veuille bien qu'elle demeure ici, jusqu'à ce que Madame votre sœur soit partie. Car c'eût été une grande peine de la mener à Paris, pour la ramener après chez vous ; et il est fort à propos comme vous avez sagement jugé, que s'il y a quelque petite difficulté à cette réception, elle ne la voie pas  ».

Dans une longue lettre datée du 28 avril 1654 (lettre DCXLI) à Françoise de Courtilz, la Mère prieure de Gif, qui vient d'être nommée abbesse, la mère Angélique passe en revue tous les devoirs d'une bonne supérieure et termine par ce mot de saint Bernard «  mon secret est pour moi  ». À l'âge de 48 ans, il ne semble pas que la mère prieure de Gif, qui avait tenu les rênes de l'abbaye pendant si longtemps, ait besoin de tels conseils. Bien que la mère Angélique termine par «  Je suis toute à vous, ma très chère Mère. Je vous supplie de la croire, et de prier Dieu pour moi comme je fais de tout mon cœur pour vous  », n'empêche que le ton de la lettre est très doctrinal en prenant comme prétexte qu'elle avait elle-même «  porté dix-neuf ans cette croix  » en faisant plusieurs fautes. Quelques flatteries sont glissées parfois « … vous avez un grand avantage, ma très chère Mère, que je n'avois pas, c'est que vous entrez dans cette charge par une véritable et sainte vocation. Je sais bien que cela n'empêchera pas que vous n'y souffriez beaucoup de peines, mais comme elles vous sont imposées de Dieu, vous devez espérer que son infinie bonté portera le joug avec vous, et qu'ainsi il vous sera plus léger…  » et encore « … vous avez une véritable vocation, ou personne ne l'aura jamais, la Providence divine s'y voyant si manifestement  ». L'abbesse de Gif a-t-elle besoin de conseils ? tels que : «  Une abbesse se regarde comme la véritable servante de toutes ses religieuses, comme elle l'est véritablement, et les doit servir réellement avec toutes sortes d'affectation, de sollicitude et de peine  ». Puis tombent les coups bas, en toute franchise, dit-elle : «  j'appréhende que votre crainte excessive ne vienne d'un peu de paresse  », ou bien «  je crois que vous souffrez dans votre cœur, plutôt d'orgueil que d'humilité  ».

C'est alors que pleuvent les conseils comme pour une novice dans la gouvernance d'un couvent «  Or, ma très chère Mère, il faut faire taire tous ces bruits par cette vérité : qu'il n'y a point d'humilité que dans la vraie obéissance et soumission à Dieu, et de même point d'assurance de notre salut qu'en accomplissant sa sainte volonté … Rejetez toutes pensées, toutes répugnances, et toutes craintes, ce sont tous amusements de l'esprit malin pour vous empêcher de vous préparer à recevoir la croix… Humiliez-vous devant Dieu, avec soumission, avec paix et avec une confiance de vraie enfant vers son très bon Père… ».

«  Surtout, ne parlez point de votre peine par décharge, sinon à ceux qui vous y peuvent fortifier, et encore sobrement ; car cela ne fait que vous affaiblir, et c'est chercher une vaine satisfaction, outre qu'il y peut avoir une secrète vanité et crainte qu'on ne croit que nous sommes bien aises d'être abbesse, si nous témoignons notre répugnance, et toutes ces petites tricheries éloignent de nous la grâce de Dieu… Souffrez votre douleur en secret… ».

Le 2 mai 1654, la Mère prieure de Gif, nommée abbesse, reçoit une lettre de la Mère Angélique qui lui donne divers avis. «  Il n'y a rien de plus redoutable que la charge dangereuse et pénible, et qu'à moins que d'y être engagée par une vraie vocation, c'est une témérité et une folie que d'y entrer et d'y demeurer ; mais quand Dieu parle, il faut obéir et le suivre jusques dans les périls… Je vous supplie aussi de ne point regarder pour vous décourager certains esprits mal faits. Enfin c'est un petit troupeau que Dieu vous donne à conduire : ce n'est pas à vous à en considérer les conditions, mais à le recevoir humblement tel qu'il est…  ».

Plusieurs lettres, datées de mai 1654, sont adressées Catherine Morant sur divers sujets. Elle est encouragée dans ses bonnes dispositions. Alors qu'elle vit ses derniers instants comme abbesse de Gif, la mère Angélique lui parle sur ce qu'elle avait encore à souffrir dans l'exercice de sa charge, etc. (lettre DCXLIII). le 3 mai 1654, la lettre DCXLIV, envoyée à Madame de Morant abbesse de Gif marque divers sujets. « Nous avons lu avec grande satisfaction, ma très chère Mère, le récit qu'il vous a plu nous faire de la rencontre du père V. Pour ce qui vous regarde, nous l'avons communiqué à M. Singlin qui en a été aussi bien content. Vous avez fait deux affaires importantes pour le bien de votre maison… Nous n'avons pas manqué de prier Dieu pour votre élection. C'est un grand bien que M. de Saint-Nicolas vous ait visitées, cela a prévenu les esprits. Je crois que M. de C. vous y peut beaucoup servir, mais prenez toujours le sujet de votre peu de santé et de la crainte de manquer à votre maison, à quoi on aura bien plus d'égard qu'à la peine de votre esprit ».

En mai 1654, une lettre écrite de Port-Royal de Paris, est adressée à Madame de Morant abbesse de Gif qui l'encourage dans ses bonnes dispositions. «… je suis bien aise que la pauvre sœur de Sainte-Ursule se soit réduite ; il n'y a qu'à tenir ferme dans ce qu'on est obligé et quand ce n'est pas par passion ni mépris que l'on fâche les personne, mais pour s'acquitter de ce qu'on doit, et qu'avec cela on leur témoigne que l'on a de la charité pour elles, elles sont obligées de revenir. Au contraire les condescendances dont on use par mollesse, les rendent à la fin insupportables, comme les enfans qui, si on ne leur résiste, se portent à se précipiter à la fin, faute de raison. La propre volonté est aussi déraisonnable que l'enfance. Je suis toute à vous  » (lettre DCXLVI).

Une autre lettre datée de mai 1654 (lettre DCXLVII), à Madame de Morant abbesse de Gif. Sur ce qu'elle avait encore à souffrir dans l'exercice de sa charge, etc. «  J'ai bien remercié Dieu de la grâce qu'il vous a faite de vous comporter envers le Père dont vous m'avez parlé, avec tant de force. Cela étoit si nécessaire que je crois que vous ne pouviez rien faire de plus avantageux pour le bien de votre maison, où ces personnes sont d'autant plus nuisibles que sous le voile de la piété, ils détournent les âmes de leur devoir, et de la dépendance à laquelle Dieu les oblige, écoutant les plaintes de l'amour propre, etc. Vous en avez de trop grandes expériences, et si on avoit donné de bons conseils, dans l'esprit de la charité et de la régularité, vous n'auriez pas le déplaisir de voir la personne Madame votre soeur pour qui vous avez tant d'affection, au pitoyable état où elle est, dans qu'elle le croit, étant trompée par ce père…  ».

 

Marie-Angélique Arnault, abbesse de Port-Royal des Champs et son amie la reine de Pologne.

 

 

La retraite à Port-Royal

La lettre du 21 juillet 1654 est destinée à Madame de Morant, ancienne abbesse de Gif, sur la retraite qu'elle voulait faire à Port-Royal (lettre DCLVIII). «  Je crois, ma très chère Mère, que vous ferez bien d'attendre que vous ayez votre permission après laquelle vous verrez ce qu'il vous plaira de faire. Mais je crois qu'il ne serait pas bien de sortir, avant l'exécution de cette affaire. J'espère que vous verrez M. Singlin : il sera bientôt ici. Je lui ferai voir vos lettres, et vous prendrez son avis. Cependant, ma chère Mère, demeurez en paix, vous offrant à Dieu pour le changement que vous méditez. Quoique j'estime que Dieu vous assistera beaucoup, puisque vous le prenez pour l'amour de lui et qu'en cela il vous fait la grâce de donner en vous démettant un très bon exemple dans l'Eglise, où il permet que l'ambition de commander soit si grande ; néanmoins il se pourra faire que vous souffrirez des tentations, Dieu le permettant ainsi pour éprouver votre foi. C'est pourquoi il fut, ma très chère Mère, vous préparer en invoquant beaucoup la divine miséricorde, sans laquelle nous ne pouvons espérer que misères. Si votre santé est visiblement mauvaise, il ne sera que bon de la prendre pour prétexte de votre sortie. Mais ayez un peu de patience, pour ne rien gâter ; aussi bien je crois que vous ne ferez point faire la prise de possession, qu'au retour de M. le curé de S. Nicolas, qui ne sera pas plutôt que celui de M. Singlin. Je suis, etc . ».

Dans sa lettre du 2 août 1654 (DCLX), à la reine de Pologne, la mère Angélique rapporte la prise d'habit et la profession de plusieurs filles à Port-Royal, et la retraite de l'ancienne abbesse de Gif, etc. «  Madame. Un de nos Hermites m'ayant donné l'extrait d'une lettre d'un grand saint…. Nous donnâmes hier l'habit à une de nos pensionnaires [sœur Magdeleine de Sainte-Agathe Choart de Buzanval, nièce de l'évêque de Beauvais], qui est céans depuis neuf ans parce que nous ne le donnons qu'à dix-neuf ans, afin qu'elles le reçoivent avec plus de jugement… Nous avons reçu depuis deux jours une religieuse qui n'a que vingt-six ans, et pour qui ses parens, qui sont Monsieur de Leuville et Madame de Senèse, avaient obtenu l'abbaye de Gif il y a trois ans, quoique les religieuses eussent élu une bonne fille de leur maison et que la reine leur eût promis de l'accepter. Mais le crédit l'emporta pour cette jeune religieuse, que Dieu a tellement touchée qu'elle a résigné sans le su de ses parents à celle qui avait été élue, laquelle en a pensé mourir de douleur, et deux jours après qu'elle a eu pris possession, la déposée est venue avec nous, avec un grand désir d'être le dernière et d'y commencer un noviciat. J'avoue Votre Majesté que çà été pour moi une grande joie de voir qu'en ce temps, où l'ambition règne si horriblement même dans les Religions, et qu'il se fait tous les jours des maisons exprès pour contenter des filles qui veulent être supérieures, d'en voir, dis-je, une si jeune quitter pour l'amour de Dieu, et pour suivre Notre Seigneur Jésus-Christ qui s'est fait le dernier des hommes pour guérir notre orgueil … ».

À suivre…

 

 

Notes

(1) Jacqueline-Marie Arnault, Lettres de la révérende mère Marie Angélique Arnauld, abbesse et réformatrice de Port-Royal , t. II (publié à Utrecht, 1742).

(2) M. P. Faugère, Lettres de la mère Agnès Arnault, abbesse de Port-Royal , t. I (chez Benjamin Duprat, Paris, 1858).