L'abbaye Notre-Dame du Val de Gif (13)
Les intrigues des Leuville
Cette chronique, treizième partie de l'histoire de l'abbaye de Notre-Dame du Val de Gif de l'ordre de Saint-Benoît (1). Après avoir rencontré les abbesses qui ont gouverné au XVIIe siècle, nous présentons les intrigues de la maison de Leuville et ses alliés pour garder la direction du couvent par une demoiselle de la famille. En fait, les manigances trouvèrent leur paroxysme lors de la vacance du siège abbatial suite à la mort de Madeleine de Mornay-Villarceuax et de la nomination de Catherine de Morant en 1651.
C. Julien J.P Dagnot - Juin 2013
Laissons le soin à Bernard Plongeron d'introduire le thème de cette chronique. « Il y avait sept abbayes féminines dans la région parisienne, deux abbayes de Cisterciennes : Port-Royal et Maubuisson, et cinq abbayes bénédictines : Gif , Chelles, Malnoue, Jarcy et Yerres. Pour l'ensemble de ces monastères, la décadence fut consécutive aux guerres civiles du XVIe siècle. On remarque alors l'absence de stricte observance, une dépopulation significative, la ruine considérable du temporel, mais le XVIIe siècle apporte un vigoureux esprit de réforme dont Port-Royal se veut en être l'exemple. À Gif, c'est Madeleine de Montenay qui remet en exercice l'observance régulière, la sévérité du cloître et le port de l'habit noir. Sa coadjutrice Madeleine Mornay de Villarceaux fut envoyée un temps à Malnoue… » (2). Ainsi, nous nous projetons en cette période pendant laquelle la même famille a détenu le siège abbatial de Gif, les cinquante premières années du XVIIe siècle.
La maison de Mornay
Pendant plus d'un siècle la crosse de l'abbaye de Gif resta dans les mains d'une religieuse issue de la puissante maison de Mornay. Nous avons évoqué à plusieurs reprises les liens familiaux qui unissaient les abbesses avec les Mornay, plus précisément toutes avaient pour ascendant Charles de Mornay, seigneur de Villiers-le-Château , d'Ambleville et Vaux-sur-Eure et autres lieux, qui vivait sous le règne de Charles VII, marié en premières noves avec Jeanne de Trie et en secondes noces avec Anne de Vieuville. Au XVIe siècle, Les abbesses Jeanne de Blosset et sa cousine Jeanne de Karnazet étaient ses arrière petites filles.
Durant la première moitié du XVIIe siècle, nous trouvons Nicolas de Mornay , petit-fils de Charles, seigneur d'Ambleville et de Villarceaux et autres lieux, marié avec Anne Lhuillier de Boulancourt . Ce couple faisait parie de la cour des Valois, c'est dire que Nicolas et sa femme occupaient des charges de choix après du roi pour obtenir des postes pour leur famille. À cette époque, les mâles de la maison Mornay de Villarceaux ont fait carrière, pour la plupart, dans la noblesse de robe. On compte pas moins de huit filles, descendantes de Nicolas de Mornay, qui prirent le voile à l'abbaye de Gif dont trois d'entre elles devinrent abbesses de ce couvent. Toutes des familles aristocratiques, sans exception, envoyaient leur fils cadets ou leur filles cadettes prendre les habits ecclésiastiques. L'élu ou l'élue de Dieu avait la tâche de prier pour ses parents et ses ancêtres.
« Quitter le monde » comme on disait, c'est-à-dire prendre les habits coûtait cher à la famille qui devait constituer une dot lors de l'entrée au couvent, plus une rente annuelle qui pouvait se monter à plusieurs centaines de livres. D'autre part, la lutte était féroce pour obtenir la direction d'un cloître. La situation de l'abbaye Notre-Dame de Gif était particulière puisque elle était dite « de fondation royale ». Bien que le supérieur hiérarchique soit l'archevêque de Paris, secondé par ses archidiacres, la nomination de l'abbesse appartenait au roi qui donnait un décret. En dernier lieu, l'accord de la Cour de Rome était indispensable pour l'intronisation de l'abbesse ; le pape validait la nomination par un bref apostolique.
Ainsi, de 1610 à 1654, la crosse abbatiale de Gif fut mise dans les mains du même clan, si l'on dise dire : les de Montenay, les de Mornay-Villarceaux et les Morant dont les Olivier de Leuville et de L'Aubespine jouèrent le rôle de cheville ouvrière pour la préservation de la prélature de Gif. Les quatre abbesses bénédictines furent : Madeleine de Montenay, sa cousine Madeleine I de Mornay-Villarceaux, sa nièce Madeleine II de Mornay-Villarceaux, et leur parente Catherine Morant. La première fit profession au couvent bénédictin de Saint-Sauveur d'Evreux, la dernière fit profession au monastère cistercien de Notre-Dame du Trésor, alors que les deux autres mères firent leurs classes à Notre-Dame de Gif.
Tableau généalogique montrant les alliances Mornay-Montenay.
Les enfants de Nicolas de Mornay
L'ancienne et noble famille de Mornay remontait, selon la généalogie du père Anselme, à Philippe de Mornay, de la province de Berry, l'un des conseillers de Louis le Jeune en 1151. Intéressons-nous à l'origine des dames de Gif. Leur ancêtre, Nicolas de Mornay est le fils Jacques de Mornay, seigneur d'Ambleville et d'Omerville, grand louvetier de France , et de Madeleine de Pillavoine , dame de Villarceaux, Ormeville, Chaussy et Jeufosse (fille de Guillaume de Pillavoine, écuyer, seigneur de Villarceaux et de Marie Hamelin). Il devient seigneur de Villarceaux (dans le Vexin) du chef de sa mère. Il fut un grand fonctionnaire royal, bailli et gouverneur du duché de Berry le 14 novembre 1547, chevalier de l'Ordre du Roi, gentilhomme de la Chambre du roi Henri II. Nicolas de Mornay épousa le 22 septembre 1547 à Paris, Anne Lhuillier de Boulancourt , fille d'honneur de la reine Catherine de Médicis, fille d'Eustache Luillier et de Marie Cœur, dame de Guérard-en-Brie, dont sont issus les deux branches :
• Jean de Mornay, seigneur de Villarceaux et d'Ambleville, lieutenant de la compagnie de gendarmes du duc de Retz, mort sans alliance après 1558.
• Louis de Mornay , seigneur de Villarceaux , Chaussy, Omerville, Reuilly, etc., lieutenant de 50 hommes d'armes puis capitaine de 30 lances des ordonnances du Roi par lettres du 22 janvier 1594, épousa le 27 janvier 1583, Madeleine de Grouches (morte 24 mars 1629), fille d'Henri, seigneur de Grouches et de Gribauval, etc., et de Claude de Girard.
• Antoine de Mornay , chevalier de Malte, commandeur de Saint-Étienne de Renneville, fait prisonnier par les Turcs, racheté par son frère.
• Jacques de Mornay , tué en duel au siège de Meulan.
• Jean de Mornay, seigneur d'Ambleville, Guérard-en-Brie, Reuilly et Jeufosse, conseiller au parlement de Paris, époux de Guillemette Luce.
• Marguerite de Mornay , dame de Fourges, épousa, en 1569, Jean V de Montenay , baron de Garencières et de Baudémont, seigneur d'Avrilly, Bérengeville et du Plessis, chevalier de l'Ordre du Roi, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi Henri III, guidon puis lieutenant des gendarmes du duc de Longueville, capitaine de 50 hommes d'armes de ses ordonnances le 7 avril 1587, sert loyalement les Rois Henri III puis Henri IV. Cette branche donna une abbesse et trois religieuses à l'abbye de Gif.
• Charlotte de Mornay , mariée le 6 juillet 1587 avec Emmanuel d'Anglebermer.
A la génération suivante nous trouvons les enfants de Louis de Mornay, seigneur de Villarceaux :
• Nicolas de Mornay, seigneur de Villarceaux mort à Saint-Maixent en 1616.
• Charles , seigneur d'Omerville mort aussi sans alliance.
• Pierre de Mornay-Villarceaux, seigneur de Villarceaux, Reuilly et autres leiux, colonel du régiment de Villarceaux (1620), assassiné en 1624. Il épousa le 6 avril 1616 Anne Olivier de Leuville , fille de Jean II et de Madeleine de l'Aubespine, morte en 1653.
• Antoinette de Mornay, marié par contrat de mariage du 26 septembre 1610 avec Gabriel de Clinchamp, baron de Bellegarde, bailli d'Evreux.
• Philippe , chevalier de Malte tué en duel en 1624.
• Marie , femme de Louis du Crocq seigneur du Mesnil-Terribus.
• Louise de Mornay, marié en 1600 avec Philippe d'Hargenville, seigneur d'Hargenville et Villiers-sur-Orge.
• Madeleine I de Mornay (1596-1638) abbesse de N.-D. du Val de Gif depuis 1629 jusqu'à sa mort.
• Claude , prieure puis coadjutrice de l'abbaye de Gif, mourut en 1637.
Les sœurs de Mornay de Villarceaux
Sous la prélature de Madeleine I de Mornay, vers 1633, une jeune fille, nommée Madeleine de Mornay prit le voile à Notre-Dame de Gif comme l'abbesse dont elle était la nièce. Elle était à Gif, depuis plusieurs années, avec sa sœur Charlotte de Mornay, toutes deux étaient filles de Pierre de Mornay, seigneur de Villarceaux, et de Anne Olivier de Leuville . Le père de ces deux enfants était frère de l'abbesse et cousin germain de Madeleine de Montenay, à laquelle il avait prêté d'importantes sommes d'argent pour les travaux qu'elle avait entrepris. Lâchement assassiné en 1625, Pierre de Mornay était compté au nombre des plus insignes bienfaiteurs du monastère. Toutes les religieuses s'étaient associées à la douleur de ses soeurs, en apprenant sa mort, et avaient fondé un service anniversaire en sa faveur. Quand ses deux filles entrèrent au couvent, elles y furent reçues comme des membres de la famille, et leur mère promit 2.000 livres à l'abbaye pour leurs frais de pension et de nourriture.
En 1643, Charlotte de Mornay , quitta l'abbaye et se maria quelques jours plus tard avec le Jean Rouxel, comte de Grancey. Perfidement conseillée par sa mère, la nouvelle comtesse exigea à titre de remboursement, pour une prétendue dot, constituée par Madame de L'Aubespine, sa tante, la somme de 10.000 francs que la trésorière lui versa en effet le 8 août 1643. Douze ans plus tard, en 1655, on découvrit la fraude. Madame de Laubespine de Châteauneuf, tante de l'abbesse et de sa sœur, avait embrassé la vie religieuse après son veuvage. C'était elle qui avait donné les 10.000 frs à l'abbaye en faveur de ses nièces. Lorsqu'elle découvrit le vol fait aux sœurs de Gif, elle s'en montra fort irritée ; mais malgré cela l'abbaye ne put jamais rentrer dans ses deniers et obtenir une entière satisfaction. Heureusement Madeleine de Mornay ne vivait plus quand cette vilaine action fut mise au jour; toutefois elle avait assez vécu pour apprendre la conduite dissipée de sa mère, bientôt imitée par sa soeur. « Ce fut là pour Madeleine de Villarceaux un sujet de larmes secrètes, et d'autant plus amères, qu'elle ne pouvait communiquer sa douleur à personne dans la crainte de nuire à la réputation de celles qui lui étaient si chères », nous dit l'abbé Alliot.
Parmi les personnes influentes du clan Olivier de Leuville, était Charlotte de Mornay seconde femme, en juillet 1643, de Jacques III Rouxel de Médavy, comte de Grancey, maréchal de France, chevalier de l'ordre du saint-Esprit dont sont issus douze enfants. Charlotte comptait parmi les familiers de la Cour, puisqu'elle était gouvernante des enfants de Monsieur. Elle mourut le 6 mai 1694, laissant sa charge à la comtesse de Marey, sa fille, qui en avait la survivance.
Les Olivier de Leuville
La famille Olivier est d'origine roturière native de Bourgneuf en Aunis. Jacques 1er Olivier partit à Paris en 1466 pour chercher un emploi parmi les gens de robe. Il épousa Jeanne, fille d'Étienne de Noviant, procureur du Roi, qui lui apporte la terre de Leuville (Essonne) et devint lui-même procureur du Roi. Anobli par cette charge il porta le nom d'Olivier de Leuville (3). Son fils Jacques II Olivier devient premier président au parlement en 1517 ; marié avec Geneviève Tulleu, il décède le 20 novembre 1519. Leur fils François Olivier de Leuville (né à Paris 1487, mort à Amboise en 1560) devint le célèbre chancelier de France sous le règne du roi Henri II de 1545 à 1560.
Généalogie simplifiée de la maison Olivier de Leuville.
Son fils Jean 1er donna deux branches à la maison de Leuville : par Jean II la branche aînée qui s'éteignit en 1684 ; la seigneurie de Leuville fut érigée en marquisat, par lettres du mois de juin 1650, enregistrées le 9 juillet suivant, en faveur de Louis Olivier seigneur de Leuville, baron de La Rivière et du Hommet, lieutenant général des armées du roi Louis XIV. Louis Olivier de Leuville mourut le 5 août 1663.
La branche aînée s'étant éteinte en 1684 sans postérité par la mort de Charles fils de Louis et de la marquise Marie de Morand, le marquisat de Leuville échut à la branche cadette issue de Françoise Olivier mariée avec Pierre Dubois de Fiennes. Louis du Bois de Fiennes, marquis de Givri, fils de Françoise Olivier tante de Louis Olivier, et de Pierre du Bois, seigneur de Fontaines-Morant, hérita du marquisat de Leuville, dont le titre fut renouvelé par lettres du mois de mai 1700, enregistrées le 25 juin suivant, en faveur de son fils Louis Thomas, qui prit le nom d'Olivier de Leuville. Louis Dubois, marquis de Givri, avait obtenu en 1663, que la baronnie de Vandenesse en Nivernais, fut unie aux seigneuries de Givri, Norri, Poligni et Autri, et érigées en marquisat.
La marquise de Leuville
Louis Olivier, baron de La Rivière, seigneur puis, marquis de Leuville par lettres patentes de 1650, était né en 1601 et mourut le 5 août 1663. Il avait épousé, le 2 octobre 1636, Anne Morant, fille de Thomas Morant, trésorier de l'épargne. Le marquis, ancien soldat des guerres de Louis XII, s'était battu sur le Tarn et sur la Meuse ; même il avait laissé dans ses campagnes une partie de ses doigts et il en avait rapporté une balafre à la joue. Retiré du métier des armes, il vivait à la Cour où « il n'y avoit pas un plus honneste homme, ny plus généralement aimé. Aussi ny en avoit-il point de plus aimant. Et il ne cessa d'aimer, que quand il cessa de vivre ». Le vieux gentilhomme avait jadis mérité « les titres de discret et de fidèle amant ».
La marquise de Leuville , née en 1619, morte le 9 septembre 1698, Olympe comme la nomme me Père le Moyne, avait brillé dans le monde par sa grâce et son esprit. Nulle part, la poésie ne trouva un plus aimable accueil que dans la famille Olivier de Leuville. La marquise n'oubliait pas ses intérêts ; un factum de 1677 fut rédigé pour madame de Montauglan contre la dame marquise de Leuville et le nommé Sainte-Foy, au sujet d'une prétendue créance de Sainte-Foy sur la succession de Thomas Morant du Mesnil-Garnier.
Anne de Morant était très influente à la Cour où elle était connue sous le nom de marquise de Leuville dont sont issus Charles Olivier, mort sans enfants le 4 novembre 1671 laissant Marguerite de Laigue, sa veuve, la seconde marquise de Leuville et Marie-Anne Olivier qui fut mariée à Antoine Ruzé, marquis d'Effiat, de Longjumeau et Chilly. Les autres membres de la fratrie des Olivier de Leuville embrassèrent la carrière ecclésiastique : Charles abbé de Saint-Quentin-lès-Beauvais, Claude chevalier de Malte, Marie religieuse à Farmoustier, Madelène religieuse à la Madeleine près Orléans, Gasparde religieuse au Pont-aux-Dames, Elizabeth religieuse à Farmoustier, et Susanne aussi religieuse.
La marquise avait l'appui de la reine-mère Anne d'Autriche qui fut très généreuse avec les dames de Gif en leur accordant de nombreux privilèges et aumônes. En 1651, la reine fit signer, au roi son fils, le brevet de nomination de Catherine de Morant , mais les bulles de la Cour de Rome tardèrent à cause de divers papiers administratifs dont permission de transfert de l'ordre de Citeaux à celui de Saint-Benoît et la dispense d'âge. Cela coûta une somme assez considérable de 1.500 livres payée par la marquise de Leuville « dont l'activité ne se donna de repos qu'après qu'elle eut atteint son but ».
Immédiatement après l'installation de sa sœur, la marquise de Leuville lui envoie sa fille, Anne-Marie, dite Fanchon , encore une très jeune enfant (née en 1638) pour faire son éducation dans le cloître de Gif. L'abbé Alliot y voit même les pensées ambitieuses de la marquise avec « un dessein de la voir un jour succéder à sa tante ». L'abbé Alliot marque à son sujet « Sa sœur, la marquise de Leuville se donna beaucoup de mouvement pour obtenir cette nomination qu'elle regardait avec raison comme un insigne honneur pour sa famille, et aussi comme une situation avantageuse pour sa sœur ».
Toutefois, les évènements qui suivent ne sont pas favorables aux Leuville. La nouvelle abbesse rencontre les pires difficultés : les troubles de la guerre de la Fronde qui oblige les religieuses de partir de Gif pour se réfugier à Paris au Val-de-Grâce, les mauvaises relations avec la prieure Françoise de Courtilz et de nombreuses moniales. Catherine de Morant se tourne vers les sœurs de Port-Royal des Champs de l'ordre de Cisteaux, son ancienne famille monastique et se lia d'amitié avec la Mère Marie-Angélique Arnault. Les relations entre les deux abbesses effrayaient les supérieurs de Gif à cause des idées jansénistes propagées à Port-Royal. Finalement, après de nombreuses conversations avec Mère Angélique, Catherine de Morant donna sa démission.
Dès que la marquise de Leuville fut instruite du projet formé par l'abbesse de Gif, elle mit toute son énergie pour le faire avorter. N'y pouvant réussis, elle voulut au moins qu'elle démissionnât en faveur de sa jeune sœur, âgée de 17 ans seulement, et novice à l'abbaye normande de Notre-Dame du Trésor. Ce stratagème ayant échoué, madame de Leuville ne s'arrêta pas à cette combinaison. Elle osa l'impossible. Elle imagina obtenir une démission en faveur d'une de ses parentes, une certaine Marguerite Olivier qui était, alors, novice à Gif ou bien même donner la crosse d'abbesse à sa jeune fille âgée de 13 ans. La marquise oubliait les conseils donnés à l'abbesse démissionnaire par la mère Angélique qui dénonçait les « arrangements dictés par la cupidité ». Finalement, la prieure de Gif, Françoise de Courtilz, qui avait manqué la précédente nomination, obtint le siège abbatial.
Laissons l'abbé Alliot poursuivre les démêlés entre les Leuville et Françoise de Courtilz, supérieure de l'abbaye de Gif « Comme c'était à prévoir, elle a des difficulté avec le marquis et la marquise de Leuville aussitôt après son installation. Ceux-ci réclament une somme assez ronde au couvent, d'où ils s'empressent de retirer leur fille. La prudente abbesse, en habile normande, fait secrètement consulter à Paris, pour savoir si les sommes réclamées par les Leuville sont réellement dues. Elles sont basées disent ceux-ci, sur ce qu'ils ont dépensé pour leur sœur ; mais les reçus qu'ils produisent ont été fournis par des notaires apostoliques trop complaisants. La consultation n'est pas favorable à la marquise qui écrit des lettres aigres-douces à Gif. Les chiffres ont été considérablement enflés, et comme d'ailleurs Mme de Leuville doit encore au couvent la pension de sa fille, on ne peut se mettre d'accord : de là un procès dont nous ignorons l'issue ».
Catherine de Morant quitta Gif et s'en alla au couvent de Malnoue avec une pension confortable. Protégeant les intérêts de sa belle-sœur, le marquis de Leuville écrivit plusieurs lettres de récrimination, en vain, puisque l'abbaye servait toujours régulièrement la pension.
Le marquis de Châteauneuf
Les Leuville étaient alliés à la famille de L'Aubespine. C'est Jean II Olivier, baron de Leuville, qui avait été marié à Madeleine de L'Aubespine, fille de Guillaume de L'Aubespine, conseiller au Parlement et de Marie de La Châtre. Madeleine était la sœur de « hault et puissant seigneur » Charles de L'Aubespine , qui joua un grand rôle à la cour de Louis XIII et pendant la minorité de Louis XIV, étant devenu garde des sceaux, il participa au gouvernement du cardinal de Mazarin. Comme son père, Charles de L'Aubespine, fit carrière dans la diplomatie.
Né le 22 février 1580, mort le 17 septembre 1653 au château de Leuville, Charles de L'Aubespine, chevalier, était marquis de Châteauneuf-sur-Cher, commandeur et chancelier des ordres du roi, conseiller d'Etat, gouverneur de Touraine. Il fut d'abord conseiller au Parlement de Paris en 1603, ambassadeur extraordinaire en Hollande en 1609, puis à Bruxelles où il négocia en 1617 le retour des princes. Il alla en ambassade à Venise, puis en Angleterre en 1629 et en 1630. À son retour il reçut les sceaux de la main du roi Louis XIII mais devenu suspect au cardinal de Richelieu, il rendit les sceaux en février 1622, fut arrêté et emprisonné au château d'Angoulême où il demeura jusqu'en 1643. Après la mort de Richelieu, Ayant la confiance de la reine Anne d'Autriche, il redevient garde des sceaux pour la seconde fois le 2 mars 1650, charge qu'il passa au président Molé en février 1651. Ainsi la marquise de Leuville et son oncle, dit « Châteauneuf » étaient des intimes de la reine-mère régente du royaume et l'on comprend qu'ils jouaient un grand rôle dans la nomination des abbesses de Gif.
Un mémorialiste a précisé : « Monsieur de Châteauneuf tenait alors la première place dans le Conseil, et qu'il était inséparablement attaché à madame de Chevreuse ». Madame de Chevreuse exerce une forte influence sur la reine et n'oublie pas son ancien amant Châteauneuf. De son nom, Marie de Rohan-Montbazon (1600-1679), devenue veuve du duc Albert de Luynes, avait épousé Claude de Lorraine, duc de Chevreuse. Elle joua un rôle important pendant la Fronde et dans les complots contre Richelieu et Mazarin. La duchesse fut une protectrice de l'abbaye de Gif.
Les dames de Mornay, abbesses de Gif
La mère Madeleine de Montenay avait fait venir près d'elle sa nièce, nommée comme sa tante Madeleine de Montenay qui était fille d'Antoine de Montenay, baron de Baudémont, conseiller au Parlement de Rouen et d'Anne Le Doux. En partant fonder le couvent de Pont-de-l'Arche la mère supérieure de Gif emmena deux de ses filles : sœur Marthe Cousin et sa Madeleine de Montenay, sa nièce, qui devint prieure du nouveau monastère
Vers 1620, une jeune fille nommée Madeleine de Mornay, nièce de l'abbesse, prit le voile à Gif où sa sœur Charlotte était religieuse. Elles étaient toutes deux filles de Pierre de Mornay Villarceaux et de Anne Olivier de Leuville. Le père de ces deux enfants était frère de l'abbesse Madeleine I de Mornay et cousin germain de Madeleine de Montenay. Le couple Mornay-Leuville avait de grosses créances au couvent de Gif dont l'abbesse avait emprunté d'importantes sommes d'argent pour relever les bâtiments conventuels et remettre les terres en culture.
À la mort de Madeleine I de Mornay-Villarceaux, les sœurs élirent à l'unanimité Françoise de Courtilz, la prieure claustrale de Gif, mais par des démarches faites conjointement par des moniales et des séculiers amis du couvent, le roi désigna Madeleine de Mornay-Villarceaux, IIe du nom, nièce de la défunte. Encore une fois, le clan Mornay-Leuville avait fait joué son réseau d'influence pour conserver le couvent Notre-Dame de Gif au profit de la fille d'Anne Olivier de Leuville, âgée seulement de 21 ans.
Après la mort de Madeleine II de Mornay, l'abbaye faillit sortir de la famille de Leuville. Alors que la mère prieure, Françoise de Courtilz, qui, en fait, gouvernait le cloître depuis de nombreuses années avait été élue par les moniales, mais encore une fois les Leuville imposèrent leur candidate. Louis Olivier, marquis de Leuville, frère de madame Anne de Mornay-Leuville alla chercher sa belle-sœur Catherine Morant, fille de Thomas Morant, baron du Mesnil-Garnier, grand trésorier de France (1621), maître des requêtes, conseiller au grand conseil et de Jeanne Cauchon. La nouvelle abbesse qu'on fit sortir du couvent de Notre-Dame du trésor en Normandie n'était âgée que de 21 ans. Selon l'abbé Alliot, Anne Morant sœur de Catherine « la marquise de Leuville se donna beaucoup de mouvement pour obtenir cette nomination qu'elle regardait avec raison comme un insigne honneur pour sa famille, et aussi comme une situation avantageuse pour sa sœur ». Mais, il ne faut pas oublier les intérêts pécuniaires des Leuville qui possédaient toujours des créances à Gif. Bien que la « remuante marquise » fit toutes sortes de démarches et d'intrigues, l'affaire exigea un peu de temps pour obtenir le décret du roi et les bulles pontificales. De plus, en 1651, nous sommes en pleine guerre civile de la Fronde.
L'influence des Leuville
L'influence de la maison de Leuville fut grande à la Cour. Par ses alliances et relations de parenté proche la marquise de Leuville défendit les intérêts de la famille avec une énergie considérable. Nous rencontrons divers personnages de la Cour : Grancey, Villarceaux, L'Aubespine, etc.
Un personnage important pour Gif fut Pierre de Mornay, seigneur de Villarceaux, gentilhomme du Vexin français, beau-frère de la marquise de Leuville. Le père de la nouvelle abbesse Madeleine I de Mornay était colonel du régiment de Navarre, conseiller d'État, qu'une mort prématurée empêcha de parvenir à de plus hautes distinctions. Il mourut, en effet, assassiné, dès l'année 1624, après avoir épousé Anne Olivier de Leuville, fille de Jean de Leuville et de Madeleine d'Aubespine dont il eut un enfant : Madeleine religieuse et abbesse de Gif,
Quant à sa femme, Anne de Leuville s'il faut en croire Tallement des Réaux, c'était « une grande joueuse qui avait de l'esprit, mais médiocrement de cervelle ». Heureusement pour sa mémoire, nous avons dans Loret un juge plus indulgent et ne tarit point sur ses lumières, sa charité, sa piété, sa bienfaisance, sa douceur, etc. Louis de Leuville, frère de la maréchale, lieutenant général des armées du roi, mort en 1663, fit ériger la terre de Leuville en marquisat. Il avait été nommé, en 1651, député de l'ordre de la noblesse aux états généraux, pour la ville, vicomté et prévôté de Paris. C'est à propos de sa veuve, Anne de Morant, que madame de Sévigné disait en 1671 : « Voilà deux bonnes veuves à marier, Mme de Senneterre et Mme de Leuville. L'une est plus riche que l'autre, mais l'autre est plus jolie que l'une ».
Charlotte de Mornay était la fille de Pierre de Mornay, seigneur de Villarceaux et d'Anne Olivier de Leuville, gouvernante de Mademoiselle, duchesse de Lorraine , fille de Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII. Avec un aussi nombreuse famille, on compte six abbesses, deux chevaliers de Malte et un abbé, aumônier de Philippe d'Orléans frère unique de Louis XIV. Charlotte de Mornay de Villarceaux, née vers 1624, morte au Palais-Royal le 6 mai 1694, est connue sous le nom de Madame la maréchal de Grancey pour avoir épousé, le 25 juillet 1643 Jacques Rouxel, comte de Grancey et de Médavy (7 juillet 1603-20 nov. 1680), veuf en premières noces de Catherine de Monchy, dite Mademoiselle d'Hocquincourt, sœur du marquis Charles d'Hocquincourt, maréchal de France. De ce mariage sont issus douze enfants. Le comte de Grancey suivit le métier des armes en se distinguant au service de Louis XIII, en Piémont (1629), en Flandres et en Lorraine et en Alsace pendant la guerre de Trente ans. Louis XIII lui donne le gouvernement de Montbéliard (1636) et de Graveline (1644). Lieutenant général du royaume en 1644, il devint maréchal de France en janvier 1651. Il était chevalier de l'Ordre du Saint-Esprit (1662).
Un personnage plus connu fut le frère aîné de la maréchale, Louis de Mornay , marquis de Villarceaux, seigneur de Chaussy et d'Omerville, baron de Guérard, du Leuil, des Essards et de Reuilly, successivement capitaine-lieutenant des chevau-légers du Dauphin et du duc d'Orléans, capitaine des gendarmes de ce dernier, et de la meute des chiens du roi, courants pour la chasse au lièvre, aux années 1662-1664. Madame de Maintenon, grande amie des Mornay, se plaisait à passer les étés dans leur intimité, soit à Villarceaux, soit à Montchevreuil.
La lettre à la reine de Pologne
Le 2 août 1654, Mère Angélique Arnault, abbesse de Port-Royal des Champs écrit à la reine de Pologne sur la prise d'habit et la profession de plusieurs filles à Port-Royal, sur la retraite de l'ancienne abbesse de Gif, etc. (lettre DCLX). « Madame. Un de nos Hermites m'ayant donné l'extrait d'une lettre d'un grand saint…. Nous donnâmes hier l'habit à une de nos pensionnaires [sœur Magdeleine de Sainte-Agathe Choart de Buzanval, nièce de l'évêque de Beauvais], qui est céans depuis neuf ans parce que nous ne le donnons qu'à dix-neuf ans, afin qu'elles le reçoivent avec plus de jugement… Nous avons reçu depuis deux jours une religieuse qui n'a que vingt-six ans, et pour qui ses parens, qui sont Monsieur de Leuville et Madame de Senèse, avaient obtenu l'abbaye de Gif il y a trois ans, quoique les religieuses eussent élu une bonne fille de leur maison et que la reine leur eût promis de l'accepter. Mais le crédit l'emporta pour cette jeune religieuse, que Dieu a tellement touchée qu'elle a résigné sans le su de ses parents à celle qui avait été élue, laquelle en a pensé mourir de douleur, et deux jours après qu'elle a eu pris possession, la déposée est venue avec nous, avec un grand désir d'être la dernière et d'y commencer un noviciat ». Encore une fois nous trouvons la main des Leuville essayant de garder l'abbaye de Gif dans leur maison.
À suivre…
Notes
(1) Dans un dictionnaire du XVIIIe siècle, nous lisons : « L'abbaye est sous l'invocation de la Vierge. Elle est bâtie sur la pente douce d'un coteau qui regarde le septentrion, à une légère distance de la rivière d'Ivette. Les sources y sont communes. Une partie du revenu que nos rois accordèrent à cette maison vers le tems de son établissement, fut la dîmes du vin du Roi ; le Parlement régla en 1268, la manière dont cette maison et celle de la Saussaye recevroient ce droit ».
(2) Bernard Plongeron, Luce Pietr, Le Diocèse de Paris , vol. 1 (Beauchesne, Paris, 1987).
(3) Les Olivier de Leuville portaient d'azur à 6 besants d'or 3.2.1 au chef d'argent chargé d'un lion naissant de sable, armé et lampassé de gueules, écartelé d'or à trois bandes de gueules, celle du milieu chargée de trois étoiles ou molettes d'argent.