L'abbaye Notre-Dame du Val de Gif (15)
Frère Jacques le Clerc
Dans cette chronique, quinzième volet de la série sur l'abbaye Notre-Dame du Val de Gif, nous présentons une page de l'Histoire du couvent, celle qui concerne le nommé Jacques Le Clerc, prêtre bénédictin, confesseur des moniales et bienfaiteur du monastère au XVIe siècle. Ce personnage vécut à Gif sous les prélatures successives des abbesses dites « triennales » : Antoinette Augier , Catherine de Saint-Benoît, Marguerite Gouge et Hélène Brulard, c'est-à-dire pendant la première moitié du siècle (1).
C. Julien J.P Dagnot - Juin 2013
Croquis de l'abbaye Notre-Dame du Val de Gif par Morize.
L'arrivée du frère Jacques le Clerc à Gif
Frère Jacques le Clerc, religieux bénédictin arriva à Notre-Dame de Gif à l'âge de 15 ans seulement, et dès l'année 1517, il vivait au petit prieuré, établi dans les dépendances de l'abbaye. Ce jeune moine, fils de Jean le Clerc, bailli de l'évêché de Paris, continuait à Gif ses études ecclésiastiques, sous la direction d'un sien oncle, aussi moine bénédictin, chargé avec quelques-uns de ses confrères de la direction spirituelle des religieuses. L'installation du jeune moine eut lieu quelque temps après l'introduction de la réforme à Gif ; à cette époque, deux ou trois membres de cette même famille se trouvèrent réunis à l'abbaye, où ils ramenèrent la prospérité matérielle par les larges aumônes, et les nombreuses donations qu'ils firent à la maison (2).
Jacques le Clerc ne tarde pas à être rejoint au monastère, par sa propre mère, devenue veuve, qui se fait moniale à l'abbaye, afin de pouvoir vivre non loin de ce fils tendrement aimé, tout en s'occupant soigneusement du salut de son âme. Elle a nom Françoise Louët et appartient à une famille noble, dont presque tous les membres sont prêtres ou religieux. Nièce de l'évêque de Paris, Jean Simon, elle avait épousé en 1497, Jehan le Clerc, avocat au Parlement, sorti d'une famille de magistrats, originaire de la Brie. De cette union, outre frère Jacques le Clerc, étaient nées plusieurs filles, qui toutes se tirent religieuses ; les unes au couvent de L'Ave Maria, les autres au faubourg Saint-Marceau, à Paris, où elles retrouvèrent des tantes, qui les avaient précédées dans la vie cloîtrée. Rendue à la liberté par la mort de son mari, Françoise Louët entra comme novice, à l'abbaye de Gif, dans les premiers jours de 1521 et, dès le 15 avril de la même année, elle fit dresser son testament, par les soins de Thomas du Lyet, substitut de Jehan Ruelle, tabellion à Châteaufort. La munificence de la veuve Le Clerc, fut d'un grand secours à la communauté, surtout aune époque où elle devenait chaque jour plus nombreuse ; car déjà, outre les novices et les postulantes, on y comptait plus de trente religieuses, sans parler des frères et des serviteurs.
Jacques Le Clerc ne se laisse pas vaincre en générosité par sa mère. Le 5 septembre 1521, par contrat passé devant Guy Lemaître, notaire royal et tabellion de la châtellenie de Châteaufort , il donne aux religieuses la ferme de Compans (cant. de Claye, arr. de Meaux, Seine-et-Marne), et ratifie cette donation, le 12 décembre de la même année, après sa profession, émise entre ces deux dates. Favorisée par les membres de cette famille le Clerc, l'abbaye N.-D. de Gif lui demeura reconnaissante et fidèle ; et pendant plus de 150 ans, elle accueillit et abrita sous ses cloîtres, des descendants et des alliés de ces le Clerc qui refirent sa prospérité au commencement du XVIe siècle (3).
Les libéralités de Jacques le Clerc
Catherine de Saint- Benoît recueillit la succession d'Antoinette Augier en 1523. Pour nourrir une communauté qui croissait en nombre de jour en jour, il fallait des ressources. L'abbesse eut la consolation d'en voir arriver de différents côtés. En 1528, frère Jacques le Clerc est devenu prêtre, et sa mère, qui est maintenant la sœur Françoise Louët, n'ont point épuisé d'un seul coup la source de leurs largesses envers l'abbaye. Tous deux font à la maison, moyennant certaines charges temporaires, l'abandon total de leurs biens. De ce chef, les religieuses deviennent propriétaires d'une ferme à Puyseux-en-France (cant. et arr. de Pontoise, Val d'Oise), d'un agrandissement considérable pour celle de Compans-léz-Mitry, de rentes à prendre au village de Varron en France (hameau détruit sans doute et qui n'a pu être identifié), de quelques arpents de vigne, à Montmartre, et d'une somme de 2.000 lt., avec laquelle on fit des agrandissements et des réparations urgentes à l'abbaye.
L'inventaire des titres de 1630 marque la présence de plusieurs lettres relatives « Audit lieu de Puyseux est assiz une maison, lieux et héritaiges qui sont tenus et possédez par lesdites dames tant en fief que roture et ont droit de champart tant audit Puyseux qu'à Chastenay en France, des tiltres contenant laquelle terre et ses appartenances et dépendances en ce qui en a esté reconnu sont inventoriées ».
« La deuxième pièce est une lettre en parchemin passée soubz le scel de Chasteaufort de laquelle appert frère Jacques Le Clerc, religieux nourri en ladite abbaye de Gif, accorde, donne, cedde par donation yrrévocable entre vifs auxdites dames abbesse religieuses et couvent acceptant à laquelle de ladite abbaye tout et chacune les fiefs, seigneuryes, terres et revenus des biens immeubles qui luy appartiennent … estre chargéz et redevable de payer cent livres au roy… ledit contrat en datte du 5 septembre 1520 ».
« La troysième lettre est un aultre contrat passé en datte du 20 décembre 1520, qui est un acte de ratiffication par ledit Le Clerc religieux procureur en ladite abbaye ».
Inventaire des titres de 1630.
« La quatrième pièce est un autre contrat passé soubz ledit scel de Chasteaufort par devant Desou commis de Jean Rullet tabellion, est un eschange faict entre lesdites dames d'une part, et Jehan Demoisiaux sieur et seigneur de Maisons-sur-Seyne, damoiselle Françoyse Le Clerc sa femme, noble homme messire Jean Le Clerc conseiller du roy, lieutenant général au bailliage de Meaulx seigneur de Quines d'autre part, par laquelle lesdites dames religieuses avoient ceddé comme porté audit tiltre d'eschange, et promis garantir par leur faicts de promesse que la sœur Françoyse de Louet l'une des sœurs religieuses audit de Marseillet Le Clerc, tout le droit part et portion que auxdites dames religieuses competeoit et appartenoit des terre et seigneurye dudit Quincy, la maison de Villeon, Sorsuoy et autres lieux ensemble des rentes, le tout aplain déclaré par ledit contrat. Et pareillement le douaire soit préfix ou constinué de ladite Louet, le tout appartenant auxdites religieuses auroit esté la susdite donation et profession de ladite Louet. Et pour en contre eschange ledit sieur de Marseillet Le Clerc avoit céddé et transporté audit tiltre d'eschange auxdites religieuses les deux parts dont la troysième faisoint le tout d'une maison, lieux, terres, préz, cour et rente assiz et perceptible à Puyseux et Chastenay-en-France et ensemble les deux parties de la ferme de Compans et les deux parties de 72 livres parisis de rente prise au villaige de Baron et deubs par les enffants et héritiers Guillaume Petit et tout droit avoient en ung moullin au villaige de Byèvre… lesquels droits, partie et portion et rente sur ledit moullin à cause de messire Adam Le Clerc et damoiselle de Chastillon père et mère desdits messire Jean et damoiselle Le Clerc… ledit contrat en datte du 6 septembre 1526, signé dudit Rullet ».
De même dans la boite de la ferme de Compans-en-France on trouve plusieurs lettres. « Audit Compans est scitué une ferme consistant en 60 arpents de terre ou environ, laquelle faict partye des biens immeubles donnez à ladicte abbaye par ledit frère Jacques Le Clerc et sœur Françoyse Louet sa mère par le contract de donation et d'eschange cy devant inventoriez soubz deux pièces ». « La première lettre est coppie collationnée en son original par Boullay commis du tabellion de Chasteaufort d'ung contract passé pardevant Paguyse et son confrère, notaires au Chastelet de Paris, par lequel appert le frère Jacques Le Clerc fondé de procuration desdites dames religieuses et couvent du 28 may 1530 énoncé, signé Marguerite Gouge abbesse, avoit baillé, ceddé et transporté à tiltre de rente à Anthoine Bridault laisné laboureur demeurant audit Compans et Antoinette Rousseau sa femme, ladite maison, lieux et terre assiz audit Compans à plain déclaré en nombre, tenant et aboutissant et revenu de 12 solz parisis de rente à prendre sur lesdits (…) par le contract faict moyennant 80 livres tournoys de rente de bail d'héritaiges rachaptable à la somme de 2.000 livres tournoys selon que plus au long cy-contenu par ledit contract en datte du 19 juing 1535 énoncé, signé Nicolas et son confrère. Au doz d'iceluy est une quittance de la somme de 1.000 livres tournoys ledit rachapt son prix de la moitié de la rente, icelle quittance du 17 septembre 1535 ».
« Item, douze pièces attachées ensemble faisant mention d'une rente de 4 livres 10 solz deubz à ladite abbaye perceptible sur plusieurs héritaiges sciz au terrouer de Baron énoncé par aultrement de ladite pièce. Les 4 livres 10 solz font partie des biens donnez à l'abbaye par frère Jacques Le Clerc le 5 septembre 1521. Mais enfin de la XIe pièce qui est une missive soubz scripte Canel adressée à la dame prieure qui estoit lors audit Gif receu le 1er janvier 1572. Le procès verbal receu par Carré commis du tabellion de Chasteaufort par laquelle Madame de Carnazet lors abbesse plus religieuses avecq la permission de Monsieur l'évesque de Paris de l'eschange avecq messire Jacques Caret demeurant à (…) lesdits 4 livres 10 solz de rente deubz sur lesdits héritaiges de Baron, en contre eschange de troys arpents et demy sciz parc Frileuse du costé de Gousson ».
De plus les moniales de Gif achetèrent la ferme de la Gombarderie (hameau détruit sans doute, et qui n'a pu être identifié), qui ne demeura pas longtemps aux mains des religieuses. On acquit enfin quelques arpents de terre pour accroître la ferme de Gousson. Ces nouvelles donations le Clerc, les rapports qui s'ensuivirent nécessairement avec les fermiers et les hommes d'affaires, coïncidant avec l'arrivée à Gif de religieuses venues de Chelles, et presque toutes originaires de la Brie, créèrent à la communauté d'assez nombreuses relations dans une contrée, où elle était auparavant inconnue, et dont elle se trouvait séparée par une trop grande distance.
Les services de frère Jacques
En 1529, âgée de 33 ans, Marguerite Gouge devient abbesse de Gif (4). Elle trouva pour l'aider un puissant secours dans ce frère Jacques le Clerc. Prêtre, il donne maintenant tous ses soins à ce couvent, dans lequel il vit depuis l'âge de 15 ans, où il a grandi, qu'il a doté de tous ses biens, et qu'il regarde comme sa maison. Formé par sa mère, tout jeune religieux qu'il est, il fait preuve d'une maturité précoce, sait toutes les affaires de la communauté, en défend les intérêts, et s'en fait presque l'historien. Selon l'abbé Alliot, il nous a en effet laissé un petit volume complètement inédit, écrit à la prière, sous l'inspiration et sur l'ordre de Françoise Loüet. C'est un manuscrit fort précieux pour l'histoire de l'abbaye durant cette période. Il se présente sous la forme d'un inventaire de tout ce qui regarde le temporel. Nous y lisons que l'enclos du monastère comprenait 13 arpents, dont 3 étaient consacrés aux sœurs, environ un demi aux frères ou religieux; le reste était en culture, pour la récolte du chanvre, du lin, et des légumes nécessaires à la communauté.
D'après frère le Clerc, les revenus de l'abbaye ne lui permettent pas de nourrir plus de six religieuses, et voilà qu'elles sont plus de trente! Aussi veut-il que chaque moniale, au jour de sa profession, assure à la maison, par elle ou par sa famille, un revenu annuel de vingt-cinq livres tournois : « ce qui est bien peu car une religieuse dépense annuellement au moins 50 lt., tant en pain, viande et médecin, habillement, chandelle, bois et autre chose », écrit le gestionnaire. Cette énumération fait voir que « malgré la réforme, l'abstinence de viande n'était pas perpétuelle chez nos religieuses, et que leurs cellules étaient déjà chauffées ».
Jacques le Clerc révèle, au milieu de ses chiffres, que l'esprit du monde, chassé de l'abbaye par la réforme, y faisait sournoisement sa rentrée. Toutes les fois qu'une jeune religieuse entrait au cloître, ou y faisait profession, il y avait joie et contentement dans la famille monastique. Ce plaisir se traduisait par un repas un peu plus somptueux, offert aux membres de la communauté, par les parents de la jeune novice ; on prolongeait aussi la récréation, pour fêter la nouvelle arrivée. Rien là de très répréhensible. Mais sur cette pente l'abus est proche du légitime usage. La limite qui les séparait était-elle déjà franchie en 1534 ?
Heureusement frère Jacques le Clerc, dont les écrits révèlent un vigilant économe, doublé d'un moraliste rigide, est là. Il exige qu'à l'occasion des réceptions, les statuts soient fidèlement observés, « comme de non réquérir bancquetz, joyeusettés mondaines, tout ainsy comme il est contenu aux status, au chapitre de la réception des novices ».
L'affaire des dîmes de Gif
Bientôt l'attention du fidèle et sagace bénédictin fut attirée d'un autre côté. On se souvient que l'abbaye possédait des dîmes dans toute l'étendue de la paroisse de Gif, et principalement dans la prairie de Coupières. Ces dîmes étaient contiguës à celles de la cure; la ligne de démarcation des droits du curé et de ceux des religieuses était assez flottante pour entretenir un conflit perpétuel à l'état latent entre les deux propriétaires. Déjà en 1530, le couvent avait eu des difficultés à ce sujet, avec Jean Chambon, curé de Gif . Comme celui-ci était d'humeur pacifique et conciliante, la chose se traita en douceur.
Mais en 1532, la cure étant passée aux mains de Jean Frédeval , le nouveau titulaire ne ressemblait en rien à son prédécesseur. Arrogant, brutal et despote, il avait vécu dans l'intimité la plus grande avec le nouvel évêque de Paris, Jean du Bellay, et surtout avec son frère, René du Bellay, abbé commendataire de Saint-Meen. Celui-ci gouvernait le diocèse, en qualité de vicaire général, pendant les longues et fréquentes absences du pontife, chargé dans ce temps-là de fonctions diplomatiques à Rome et en Angleterre. Entre Jean Frédeval et les frères du Bellay, la situation était telle, que Jacques le Clerc , procureur des religieuses bataille dur pour anéantir les prétentions du curé n'hésitant pas à dire que « le curé de Gif était le domestique de l'évêque ».
Fort de son intimité avec les membres de la famille épiscopale; plus souvent à Paris et dans les antichambres de l'évêché qu'à Gif, où il était suppléé par deux vicaires, Frédeval, à peine en possession de la cure, entra en lutte ouverte et violente avec l'abbaye. Soutenu par René du Bellay, et aidé par Martin du Bellay, capitaine de gens d'armes, autre frère des deux prélats, il s'opposa par la force à ce que les religieuses levassent leurs dîmes. Laissons Jacques le Clerc nous conter lui-même, dans la langue du XVIe siècle, un épisode de cette lutte. « En l'an mil cinq cens trente quatre, levasmes seulement vingt-cinq jarbes de bled, parce que fusmes empeschiés par maistre Jean Frédeval, curé de Gif, ou par maistre René du Bellay, abbé commendataire de Saint-Main, conseiller en la court de parlement à Paris, et frère de levesque de Paris ; lequel de Saint-Meen, vicaire général dudit evesque son frère, en faisoit son propre fait; parce que ledit Frédeval, curé, estoit des domestiques de son frère levesque de Paris, et envoya ceste dit an, Mil Vc trente quatre, plusieurs gendarmes sur grands chevaulx de lances, seellés de selles d'armes, et bien embastonnez, que l'on disait estre au capitaine Martin, son frère, qui firent plusieurs oultraiges, comme de tuer notre jument, qui estoit une très bonne beste et valait bien dix escus, et navré [blessé] à playe et sang notre procureur et serviteurs, sans ce que leurs fissent aucune résistence, et ne s'en doubtoient point, mais estoient allés pour cueillir nos dites dismes, en guardant notre possession ».
Non content de ce premier exploit, René de Bellay envoya aussitôt après à l'abbaye, une seconde troupe de gens d'armes à pied. L'abbé Alliot commente ces évènements par « … ceux-ci jetèrent la terreur dans le couvent, mirent en fuite les religieuses apeurées et y commirent de nombreux dégâts. Ceux qui se livraient à de tels excès, se trompaient de siècle; ils eussent dû venir cent ans plus tôt, quand les capitaines de cabochiens et d'écorcheurs dévastaient les campagnes, rançonnaient les voyageurs, pillaient les églises et détruisaient les monastères ». Sous le règne de François 1er, ces expéditions ne pouvaient demeurer tout à fait impunies. Aussi l'abbesse en appela-t-elle au Parlement, qui, après des lenteurs commit le prévôt de Châteaufort pour instruire l'affaire. Ce magistrat se saisit d'un certain Guillaume Fossart, vulgaire comparse, ayant joué un rôle actif dans ces scènes de brigandage, il le jeta en prison et ajourna le curé et ses deux vicaires à comparaître dans trois jours.
René du Bellay, malgré son crédit, fut-il effrayé de la tournure que prenait la chose? Peut-être : car il fit aussitôt mander le prévôt de Châteaufort, et promit entière et complète satisfaction. Frère Jacques le Clerc commente en ces termes : « Pourquoy nous nous désistâmes, cognoissant la grande force et puissance, qui povoit avoir, tant en justice comme au bras séculier, et aussy attendu que son dit frère est notre prélat, et a grand crédit envers le roy, et est des principaulx de son conseil, mesme depuis huit jours en ça, le roy lui a baillé le bonnet de cardinal, que le pape luy avoit envoyé ». Prudentes et circonspectes, les religieuses ne se plaignirent même pas à l'évêque, leur protecteur naturel, de la conduite de ses frères à leur endroit. Cette charitable réserve ne désarma pas la sourde opposition du curé de Gif, non plus que celle du vindicatif René du Bellay, qui continua de les haïr, de les vexer de mille manières, et de leur infliger « aultres plusieurs molestes, comme de faire suspendre et excommunier le béat père confesseur de la dite abbaye, et aullres de noz gens, les molestant, tant en court séculière comme ecclésiastique; et nous coustat tout plain d'argent ».
Les tracasseries suscitées aux pauvres religieuses ne cessèrent qu'après l'éloignement de René du Bellay, qui s'en alla bientôt gouverner l'évêché du Mans, dont il fut pourvu en 1535. Jean Frédeval, privé de cet appui, parut se calmer et s'assagir, car en 1541, toujours en possession de la cure de Gif, il vivait dans une paix relative avec l'abbaye. Il était d'ailleurs demeuré en bonnes relations avec l'évêque de Paris, puisqu'il le suivit dans plusieurs de ses voyages, particulièrement dans celui de Rome, où il chemina de compagnie avec le célèbre et trop fameux Rabelais, que Jean du Bellay s'était attaché et honorait d'une amitié, « qui ne laisse pas de surprendre un peu de la part d'un cardinal de la sainte église » dit l'abbé Alliot.
L'action du confesseur
En 1535, frère Jacques le Clerc note les libéralités de la famille Boucher lors de la prise d'habit de novice par sœur Madeleine Boucher . L'oncle de celle-ci procura au couvent une riche offrande et servit de protecteur et au besoin de défenseur au cloître. Grâce au haut patronage du roi François 1er, à la régularité de la tenue des comptes par Jacques le Clerc et à la sagacité de Thomas du Lyet, gestionnaire des affaires extérieures, une sorte de prospérité commence à régner à l'abbaye, et remplace l'extrême pénurie de la fin du XVe siècle.
Frère le Clerc intervient dans une foule de procès, suscités de tous côtés pour recouvrer l'ancien domaine temporel. Ici, ce sont les héritiers de Gassot Roze, acquéreur de la ferme de Saint-Aubin, qu'il faut mettre à la raison. Là, il s'agit de réduire Jean Bardelin, curé de Châtillon, qui s'oppose à la levée sur sa paroisse, des plus anciennes dîmes de l'abbaye. Les droits du couvent devaient cependant être bien évidents dans ce dernier cas, car une transaction avait été passée en 1533, entre Bardelin et Marguerite Gouge ; or celle-ci avait eu en sa faveur tout le conseil épiscopal, y compris René du Bellay lui-même. Malgré cet appui, le traité était bientôt devenu lettre morte pour le curé de Châtillon.
Ailleurs, il faut aplanir des difficultés relatives aux taxes prélevées sur la communauté, par l'archidiacre de Josas, et qui ne semblent pas suffisamment justifiées au pointilleux Jacques le Clerc. Le confesseur-comptable de la communauté est encore appelé lors du grand procès avec les fils et héritiers de Nicolas de la Suze, meuniers au moulin de l'Etang. Ceux-ci refusent opiniâtrement de payera la communauté les redevances qu'ont acquittées leurs prédécesseurs depuis un siècle, et même leur propre père. C'est dans le même temps et par les mêmes procédés qu'on rétablit les droits des religieuses sur les dîmes de Saclay. Enfin, il recherche les bonnes grâces du roi, pour obtenir des privilèges, des exemptions d'impôts, dont jouissent d'autres maisons religieuses.
Le directeur spirituel
Tout annonce une communauté régulière, fervente et bien disciplinée, qui, à partir de 1536, vit sous la direction spirituelle de frère Jacques le Clerc, devenu confesseur et directeur de ses soeurs en religion . Beaucoup de vocations se manifestent, et les novices, recrutées dans les rangs de la bourgeoisie parlementaire et de la petite noblesse viennent en grand nombre frapper à sa porte de N.D. du Val. On leur impose à toutes, l'obligation de fournir vingt-cinq livres de pension annuelle, et un petit trousseau avec quelques meubles pour leur cellule.
Voici à titre de renseignement curieux, et dans la langue si peu châtiée de frère Jacques le Clerc, le petit trousseau que devait fournir chaque novice à son entrée au couvent. L'auteur l'a intitulé : « Mémoire de l'habillement ».
La chambrette ou celle de dortouer, garnie d'une basse couche, oratoire et petite scabelle, le tout de menuiserie.
Item. — Un matelas de boure, traversin et oreiller de plume, avec une mante de castalonne et ung laudier pour couverture.
Item. — Ung bonnet blanc, ung chandellier, ung benestier, ung pot de chambre.
Item. — Cinquante aulnes de toille, moitié lin, moitié chanvre, pour luy faire ses couvrechiefz, voilles, guimpes, bandes, béguins, surplis, mouchoirs et aultres choses nécessaires tant le jour que la nuit.
Item. — Vingt aulnes de blanchet, pour faire les robes et habillement, tant diver que desté, draps pour coucher ou dortouer, chemises et chausses.
Item. — Trois douzaines de peaux de aigneaux de greffe, et huit moutons blancz,pour faire une robe, à vestir à matines enyver, et faire ung plisson.
Item. — Deux nappes pour le refectouair, et demye douzaine de serviettes ; une choppine à vin, ung pot à eau, une tasse, uue escuelle creuse, une platte, une socière, uue sallière, le tout destaing.
Item. — Ung breviére eu deux parties, ung collectère, un processionnal, ung heure de Notre-Dame.
Item. — Pour le luminaire de l'église, fault au jour de la vesture : ung cierge de sire blanche, de la pesanteur de trois livres, ou selon la dévotion; et pour la profession, fault : deux torches, quattre petits cierges de demye livre la piesse, pour mettre sus la grande grille, pour la révérence du sacrement qui y est, et ung plus gros pour mettre devant la fille pendant la solemnité.
Item. — Pour lenfermerie, quand la fille est malade, une grande couche close, de menuiserie, garnie de lit, traversin et oreiller de plumes, drap de toille et couverture, et ung petit bassin destain ou darrain, pour sa nécessité quand l'on a mal au coeur.
Item. — S'il plaît aux parents, ung gobelet et cuillière d'argent.
Mort de Jacques le Clerc
Ce fut sous la prélature d'Hélène Brulard, vers 1540, que la communauté perdit sœur Françoise Louët, « tour à tour modèle des épouses et des mères chrétiennes, sainte veuve, humble et fervente religieuse, insigne bienfaitrice de la maison qui garda sa dépouille mortelle ». Elle avait sans doute été précédée de quelques mois dans la tombe, par frère Jacques le Clerc, son fils car le nom de ce dernier ne se lit plus dans aucun titre après 1539. Ces deux âmes, qui s'étaient pour ainsi dire ensevelies vivantes entre les murs d'un cloître, afin de demeurer plus étroitement unies, furent donc à peine séparées par la mort.
Leur décès déchaîna contre l'abbaye la colère et les revendications de Radegonde Tudert, veuve d'un poitevin, et nièce de Françoise Louët. Elle réclamait tout l'héritage de sa tante, et en particulier la ferme des Gressetz. Ses menaces, ses poursuites suscitèrent tant d'ennuis aux religieuses, que malgré la protection du roi, elles tentèrent plusieurs accommodements et vendirent dans la suite une terre objet de tant de contestations, dont la propriété leur était cependant bien légitimement acquise.
À suivre…
Notes
(1) Nous avions brièvement ébauché l'action de ce prêtre dans la chronique « L'abbaye Notre-Dame du Val de Gif (5) de 1523 à 1571 ».
(2) Le texte de cette chronique est largement inspiré par l'ouvrage de l'abbé J.M. Alliot, Histoire de l'Abbaye et des religieuses Bénédictines de N.-D. du Val de Gif (Libr. Alphonse Picard, Paris, 1892).
(3) L'abbesse Antoinette Augier fut élue trois fois de suite, comme le permettait la règle de Poncher. Elle garda la crosse de Gif pendant neuf ans de 1517 à 1523.
(4) Avec elle la maison est redevenue dès 1533 fort importante, puisqu'on y compte, en dehors des postulantes et des novices, 33 religieuses, 3 religieux, 10 domestiques, sans parler des petites pensionnaires et de quelques dames qui vivent dans des bâtiments attenant au cloître.