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L'abbaye Notre-Dame du Val de Gif (19) (1686-1733)

 

Cette chronique est le dix-neuvième volet de l'histoire de l'abbaye de Notre-Dame du Val de Gif de l'ordre de Saint-Benoît (1). Dans la présente, nous évoquons la prélature d' Éléonore de Béthune d'Orval qui reçut la crosse abbatiale après la démission de la mère Anne Victoire de Clermont de Monglat. Elle resta 47 ans à la tête du couvent, battant le record de durée sur le siège abbatial. .

 

C. Julien, J.P Dagnot - Novembre 2013

 

 

 

Une abbesse de haute extraction

En succédant à Anne Victoire de Clermont de Monglat, Anne Éléonore Marie de Béthune d'Orval (1657-1733) devient la quarante-sixième abbesse de N.-D. du Val de Gif. Fille de François de Béthune, comte puis duc d'Orval (1598-1678) et d'Anne de Harville (†1716), elle était issue des maisons les plus brillantes du siècle.

Du côté paternel, nous trouvons la maison ducale de Béthune . Les chevaliers de Béthune appartiennent à l'une des plus anciennes familles de France prenant le nom de la cité artésienne au Xe siècle avec Robert de Béthune , premier du nom, surnommé " Faiseux " apparenté aux comtes de Flandres au service desquels nous les trouvons comme avoués d'Arras, régents du comté, ambassadeur, etc. Le personnage le plus célèbre de la maison de Béthune est Maximilien 1er, duc de Sully, baron de Rosny, vicomte de Meaux, etc., qui fut ministre et le plus fidèle compagnon du roi Henri IV  ; il est le fils de François 1er, partisan protestant du prince de Condé . En remontant trois générations, nous trouvons une certaine Jeanne Jouvenel des Ursins ( †1544 ), femme d'Alpin de Béthune, grand-tante à la quatrième génération de l'abbesse de Gif. La grand-mère Rachel de Cochefilet de Vaucelas (1562-1659), fille de Jacques, seigneur de Vaucelas et de Marie Arbaleste, veuve en premières noces de François Hurault ( mort en 1590 à Orléans, de ses blessures sous la Ligue) seigneur de Venille, Chateaupers et La Brosse, maître des requêtes , se maria en secondes noces avec Maximilien duc de Sully en 1592, dont sont issus :
• François de Béthune, comte puis duc d'Orval, pair de France, grand-écuyer de la reine Anne d'Autriche, marié en première noces en décembre 1620 à Jacqueline de Caumont et en secondes noces à Anne de Harville. Chevalier des ordres du roi, François de Béthune se signala en 1621, à la défense de Montauban pour le parti huguenot et donna en diverses occasions des marques de son courage. Il fut fait maréchal de camp des armées du roi l'an 1624, mestre de camp du régiment de Picardie en 1625, puis en 1627, premier écuyer de la reine Anne d'Autriche. Il eut le brevet de duc en 1652 et mourut le 7 juillet 1678, âgé de 80 ans.
• Marguerite de Béthune, femme d'Henri II de Rohan, chef de guerre des rébellions huguenotes contre le pouvoir royal catholique,
• Louise de Béthune , épouse Alexandre de Lévis-Mirepoix.

Du côté maternel, la maison de Harville remonte à un nommé Guillaume, fauconnier de Louis de France, frère du roi Charles VI, son fils Guillaume II dit Testine, tué à Azincourt avait épousé Jeanne Le Brun, dame de Palaiseau. Puis, nous trouvons Claude de Harville ( †1636) , conseiller d'Etat, capitaine de 50 hommes d'armes, gouverneur de Calais et Compiègne, gentilhomme de la Chambre et chevalier des Ordres du roi , v ice-amiral de France, époux de Catherine Jouvenel des Ursins (†1643). Leur fils Antoine, fut élevé au rang de marquis de Palaiseau le 3 août 1577, seigneur de Courtabeuf, baron de Mainville et gouverneur de Calais. Il avait épousé en secondes noces Anne de Harville ( †1716) fille d' Antoine de Harville, fils de Claude de Harville, seigneur de Palaiseau, baron de Nainville, gouverneur de Compiègne ( †1636) et de Catherine Jouvenel des Ursins (†1643).

 

 

Selon le célèbre généalogiste Louis Moreri (2), parmi les enfants nés du premier lit de Françoise de Béthune d'Orval et Jacqueline de Caumont, sont :
• Philippe vicomte de Meaux, mort en août 1682 laissant de Genviève de Mié, dame de Guespré, une fille unique, nommée Marie-Anne-Angélique de Béthune, religieuse à Port-Royal,
• Françoise,
• Anne-Léonore-Marie de Béthune, religieuse en l'abbaye du Pont-aux-Dames.
Puis du second lit avec Anne de Harville :
• Louis de Béthune, Armand, abbé de Sananques et de Poultières.
• Armand II, chevalier de Malte .
• Anne-Léonore de Béthune, religieuse à Beaulieu, morte en 1706.
L'auteur ne parle pas de l'abbesse de Gif, il pourrait y avoir confusion pour Anne-(É)léonore qui fut bien religieuse à Beaulieu, puis à Saint-Pierre de Reims et abbesse de Gif et une erreur sur la date de la mort 1733 au lieu de 1706.

Regardons brièvement les parentés et les alliances de la maison de Béthune d'Orval au travers des tableaux joints. Ainsi, nous trouvons les puissantes maisons de Laubespine, des Olivier de Leuville, des Hurault de Cheverny et des Clermont de Monglat. Il faut dire que toutes ne sont pas des inconnues pour l'abbaye de Gif puisque nous croisons Monsieur de Châteauneuf, garde des sceaux de Louis XIII, la marquise de Leuville, dame d'honneur de la reine-mère, madame de Vaucelas [ Élisabeth de Laubespine-Chasteauneuf ], dame d'atours de la reine Anne d'Autriche (3) , Philippe Hurault de Cheverny, comte de Limours, garde des sceaux d'Henri III, le grand-maître de la garde-robe du roi en la personne de François de Clermont de Montglat ; les Hurault n'étant liés qu'au travers du premier mariage de Rachel de Cochefilet de Vaucelas.

Anne Éléonore de Béthune d'Orval abbesse de Notre-Dame du Val-de-Gif, fut élevée dans l'abbaye de Royallieu de l'étroite observance de Citeaux, près de Compiègne, où elle fut placée à l'âge de trois ans. Elle y prit le goût de la vie religieuse, prit l'habit à quinze ans et embrassa la profession au cours de sa seizième année (4). La jeune religieuse savait les langues anciennes, qu'elle traduisait avec aisance. Sa tante ayant dû quitter Royallieu pour se rendre dans une autre abbaye, voulut emmener sa nièce avec elle. Celle-ci n'y voulut jamais consentir; elle s'était donnée de tout coeur au couvent ou s'était écoulée son enfance, et désirait y mourir. Mais après le départ de sa tante, elle paya cher sa décision. Elle devint l'objet d'une jalousie et d'une haine sans trêve ni merci. Huit ou dix ans de persécutions quotidiennes usèrent ses forces et sa patience, elle sortit de Royallieu, et s'en alla près de sa demi-sœur, Marguerite Angélique, à l'abbaye de Saint-Pierre de Reims, où elle passa quatorze ans.

C'est à Reims que l'abbesse de Gif découvrit sœur Éléonore de Béthune , instruite du mérite de celle-ci, elle forma le projet de se faire remplacer par cette savante soeur. Louis XIV ayant approuvé ses intentions Éléonore de Béthune reçut le brevet royal le 15 août 1686. Encore une fois, on peut voir la main de l'influente marquise de Leuville dans cette affaire. Elle ne voulut pas venir à Gif sans avoir ses bulles de Rome, qui se firent attendre plus de six mois encore. Enfin le 28 février 1687, elle put prendre possession de sa charge; elle avait vingt-neuf ans.

Madame de Clermont de Monglat rentra dans le silence et l'obéissance en restant à Gif. Quelques mois plus tard, elle occupa la place de prieure suite à la démission de la mère de Champ-Huon de la Saulaye. Chose rare, la bonne entente ne cessa de régner entre l'ancienne et la nouvelle abbesse, durant les quinze ans qu'elles passèrent ainsi près l'une de l'autre.

Madame de Bethune était grande, forte, d'un port noble et distingué. Les traits de sa figure avaient une régularité parfaite; le bandeau qui cachait son front, et le voile qui flottait sur son visage, ne dissimulaient qu'imparfaitement la douceur de son regard et la gracieuseté de son sourire. Sa parole était pleine et affable, son abord aimable et engageant. L'aisance avec laquelle elle portait la coule bénédictine, aux plis flottants, donnait à toute sa personne, je ne sais quel air séduisant, qui lui conquérait immédiatement toutes les sympathies. Ses vertus et ses talents la rendirent le modèle de ses compagnes. Dans les moments de son loisir, l'abbesse de Gif composa plusieurs ouvrages religieux : Réflexions sur les Évangiles , Idée de la perfection chrétienne et religieuse, pour une retraite de dix jours , Règlemens de l'abbaye de Gif, avec des réflexions , La vie de Madame de Clermont-Monglat (cf. chronique N°8 précédente).

L'auteur des Mémoires pour servir à l'Histoire de Port-Royal (t. II, Utrecht, 1742) narre les relations entre l'abbesse de Port-Royal et celle de Montmartre. Invitant la mère Angélique à visiter son couvent, cette dernière lui dit «  qu'elle vouloit qu'elle vît ses nièces, Mesdemoiselles de Béthune qui étoient avec elle. Et de fait elle les envoya à Port-Royal peu de tems après, et témoigna qu'elle désiroit fort que la Mère Angélique leur parlât, croyant qu'elle leur pourroit beaucoup servir. Elle souhaita aussi fort que la Mère Angélique se trouvât (en 1654) à la profession de Mademoiselle de Béthune l'aînée, mais cela ne se put faire pour diverses raisons…  ». Il semble que les demoiselles de Béthune soient les filles du comte Hippolyte de Béthune . Plus loin, l'auteur remarque que «  les religieuses venaient à Port-Royal par bandes de Montmartre, de Chelles, de Gif, de Malnoue, de Montargis… On y vit entr'autres Madame de Chevreuse, abbesse de Pont-aux-Dames, Madame de Vaucelas, abbesse de Reaulieu, Madame de La Trimouille, abbesse de Jouarre, ci-devant du Lys, Madame de Béthune, abbesse de Montmartre. Toutes ces abbesses aussi-bien que les simples religieuses s'en retournoient toujours fort satisfaites ; la plupart touchées et édifiées…  ».

 

 

L'alliance des Hurault de Cheverny et des Béthune d'Orval par les deux mariages de Rachel de Cochefilet de Vaucelas.

 

Les parentés des Béthune d'Orval avec de Laubespine et Olivier de Leuville.

 

 

Le droit de haut domaine

À la fin du XVIIe siècle, on vit de nombreux procès que suscitait la question des dots et des pensions, consenties aux religieuses, par des familles heureuses de donner leurs filles à la vie des cloîtres. À entendre les avocats de parents infidèles à leurs engagements, les contrats de dots et de pensions viagères, signés quelques jours avant la profession de la jeune novice, étaient simoniaques ; on arguait «  l'achat d'une chose sainte, savoir, la profession religieuse à prix d'argent  », ce qui constituait un pacte simoniaque au premier chef. Pour contrer ces accusations, le couvent de Gif faisait dresser le contrat de pension que le lendemain de la profession, ou plus exactement, on le datait du lendemain, bien qu'il fût arrêté et signé quelques jours auparavant, le tout afin d'échapper à cette terrible accusation de simonie.

C'est pourquoi Louis XIV, arguant d'un certain droit de haut domaine, rendit, le 28 avril 1693, une ordonnance autorisant les abbayes, même celles qui avaient des revenus, à recevoir des dots et des pensions viagères, afin de nourrir et d'entretenir un plus grand nombre de religieuses. Il suffisait pour cela que ces monastères s'adressassent à l'Ordinaire du lieu où était situé le couvent, et lui présentassent un état de leur situation, établissant le besoin dans lequel ils étaient d'avoir des pensions. Le prélat, après enquête favorable, écrivait un rapport au roi, qui permettait à la communauté de recevoir un nombre plus ou moins grand de religieuses dotées ou pensionnées. Gif se mit aussitôt en mesure de profiter de cette ordonnance, et par lettres patentes du 29 mars 1695 , le roi autorisa l'abbaye à recevoir des dots et pensions jusqu'à concurrence de douze religieuses. La lettre du roi nous apprend que ce fut l'abbé de Talmont, théologal de Paris qui vint à Gif se faire rendre un compte fidèle des revenus et de charges de la maison. Depuis celte époque ce compte devint obligatoire pour nos moniales. On voit par là que le Jansénisme de l'abbaye ne devait être ni bruyant, ni agressif, puisque le monarque donnait à celle-ci des marques de sa faveur, pendant, qu'il poursuivait sans pitié les doctrines à Port-Royal et ailleurs.

 

 

Les moniales sous la prélature de Madame de Béthune

Nous trouvons le nom des religieuses professes de Gif dans les actes notariés du temporel du couvent. Dans l'acte de rétrocession du bail du moulin de l'Abbaye du 30 juin 1723 fait par la veuve Le Brun à son fils Jacques Le Brun nous trouvons le nom des sœurs du couvent de Gif à la date du 20 octobre 1725, «  Pardevant Louis Deniset, principal notaire et tabellion des villes, baillage de Chevreuse soussigné furent présentes dames Marie Éléonore de Béthune d'Orval, abesse, Marie Anne Françoise de Pouchat de Ségur coadjutrice, sœurs Louise Feydeau prieure, Marie Thérèse de Miramion souprieure, Françoise Pasquier, Marguerite de Vallon de Couvrelle, Louise de Beaulieu, et Anne Antoinette Fréret dépositaire, toutes religieuses professes de l'abbaye royale…assemblées en leur parloir de Saint-Joseph lieu ordinaire pour délibérer de leurs affaires, d'une part,….

Huit ans plus tard, l'un des derniers actes de l'abbatiat d'Éléonore Marie de Béthune d'Orval est un bail du moulin de l'Abbaye et de 14 arpents de prez et terre labourable passé pour trois, six, neuf années depuis la saint Martin d'hyver 1732 jusqu'à pareil jour 1741 moyennant 600 livres tournois en argent et la mouture franche du grain nécessaire à l'abbaye à Jacques Le Brun et Marguerite Péchot, sa femme. «  Pardevant Louis Deniset, notaire gardenotte et garde scel de Sa Majesté, receu au Châtelet de Paris, résidant en cette ville de Chevreuse soussigné, furent présents dames Éléonore Marie de Béthune d'Orval, abesse, Marianne de Ségur de Puchat coadjutrice, sœurs Louise Feydeau prieure, Marie Claude Sevin de Miramion sous-prieure, Marguerite de Vallon, Louise Beaulieu, Marie Françoise de Brulart, Marie de Champlaye, Bénédictine de Verne, Jeanne Grassot, Anne Jeanne de Villebois des Nariant, Antoinette Angélique Beaulieu de Pizene, Marie Félix, Marguerite Beaulieu de Pizene, Marguerite de Gauville, Louise Cherier, Louise Brière, Anne Louise Hequin, Marie La Bigre, Anne Vallot Anne Antoinette Fréret dépositaire, Marie Burel, Maris Agnès de La Cour, Marie Dany, Marguerite Baudin, Antoinette de La Cour, Antoinette Thérèse Fréret, Catherine Meiguain, Lazarre Mony de Percey, Simone Mony de Percey, Jeanne Elisabeth Devallier, Claude Le Blanc, Marianne Leau, Françoise Le Bigre, Jeanne Marie de Valles, Catherine de Tourville, Catherine Le Juge, Louise Jullie Le Juge,et Marie Thérèse de Chaulière, toutes religieuse professe de l'abbaye royale de Notre-Dame du Val de Gif capitulairement assemblées… ont baillé et délaissé à titre de loyer fermage et prix d'argent pour 3, 6 ou 9 années au choix des preneurs… à Jacques Le Brun et Marguerite Péchot sa femme…  ».

Dans l'acte du bail établi le 15 octobre 1740, il semble que le siège abbatial de Gif soit vacant ; la mère Louise Feydeau prieure est la sœur en charge des affaires temporelles. Les lettres de Gabriel Gérosme de Bullion, conseiller du roi, prévôt de la ville et vicomté de Paris font savoir que pardevant Nicolas Eslore, notaire «  Furent présentes sœurs Louise Feydeau prieure, Marie Thérèse Sevin de Miramion sous-prieure, Louise de Beaulieu, Marie Françoise de Champclair, Jeanne Grassot, Anne Jeanne de Villebois de Mareuil, Antoinette Angélique Beaulac, Marie Felix, Jeanne Marguerite Beaulac, Louise Chérier, Louise Brière, Louise Hecquen, Marie Elisabeth Le Bigre, Marie Anne Vallot, Marie Durel, Marie Davy, Marie de La Cour, Antoinette Fréret, Catherine Françoise Mianas, Marie Suzanne de Mauny de Percey, Bonne Simone de Mauny de Percey, Jeanne Elisabeth de Vallet, Anne Claude Leblond, Marie Anne Leau, Marie Françoise Le Bigre, Catherine Françoise de Tourville, Marie Catherine Lejuge de Bouzonville, Louise Julie Lejuge de Bouzonville, Marie Thérèse de Chantint, Catherine Petit, et Jeanne Marie de Valles secrétaire. Toutes religieuses professes de ladite abbaye et capitulairement assemblées au son de la cloche en la manière ordinaire en leur parloir de Saint-Joseph, lieu ordinaire où elles traitent de leurs affaires temporelles  ».

 

 

La prélature de Madame de Béthune

La prélature d'Anne-Éléonore de Béthune d'Orval fut l'âge d'or de N.-D. de Gif. L'abbesse sut s'attacher la haute protection du roi et l'amitié de Monseigneur de Noailles, archevêque de Paris. Pour l'abbé Alliot, le couvent abrite «  quatre-vingts religieuses environ, tant de choeur que converses unies là dans la paix et l'union  ». La vie est dure et réglée : elles sont jansénistes , et elles sacrifient la miséricorde à la justice ; mais leur erreur, qu'une saine doctrine ne peut que condamner, trouve au moins son excuse dans les vertus dont elles font preuve. La bonne renommée de l'abbaye ne tarda pas à s'étendre au loin. On y accourait de toutes parts. Dans les deux années 1701 et 1702, l'abbesse de Gif reçut la profession de onze jeunes moniales, et donna l'habit religieux à beaucoup d'autres. Parmi les recrues envoyées par l'archevêque de paris, furent les demoiselles de Ségur, et particulièrement Marie Anne Françoise de Ségur de Ponchat, future coadjutrice, puis abbesse de Gif.

L'abbé Alliot insiste par « … i l y a du jansénisme, il est vrai, dans le ciel du monastère, mais si mesuré, si tempéré, grâce à la sagesse et à la prudence de Madame d'Orval, qu'il n'est ni militant, ni dogmatique. Ambroise Morna lui-même, confesseur des religieuses et janséniste avéré, instruit sans doute par ses épreuves et ses malheurs, s'est assagi et dissimule avec soin ses tendances et ses doctrines rigoristes  ».

Au cours d'une visite, le cardinal de Noailles proposa Françoise de Ségur, âgée de 21 ans comme coadjutrice de Gif. Après avoir souscrit, avec quelques difficultés à la fameuse Bulle Unigenitus et au Formulaire , elle fut nommée coadjutrice avec future succession, elle prit possession de sa charge le 27 décembre 1719, et à cette occasion l'abbé d'Orsanne, archidiacre délégué par le cardinal, vint présider la cérémonie religieuse, qui précéda l'installation.

Peu après sa promotion, l'abbesse de Gif la plaça à la tète du noviciat, qui devint dès lors un nid de Jansénistes intransigeantes, aussi bien par la direction que leur donna Madame de Ségur, que par celle qu'elles reçurent d'Ambroise Morna, du père d'Albizzi, et de Messieurs Martelli et Bazin, tous fort attachés à la secte. Les calamités de la fin de règne du roi Soleil se firent aussi sentir à Gif. Avec le rude hiver de 1709 et les mauvaises récoltes, le couvent assiégée par deux cents pauvres demandant l'aumône, pour ne pas mourir de faim. Le malheur frappa également l'abbaye lors de la peste de 1712. Les bonnes relations qui existaient entre l'abbaye et le père Burnouf , curé de Gif, ne s'étaient pas maintenues avec son successeur, nommé Daragon . En 1717, on enterra clans le cimetière du couvent, une certaine Françoise Rayot, tourière de son état. À cette occasion, le curé de Gif protesta contre ce qu'il nommait l'empiétement des chapelains, qui, disait-il, n'avaient le droit que d'enterrer les recluses du cloître, et nullement les serviteurs, pensionnaires et autres personnes du dehors.

 

Porte d'entrée de l'abbaye de Gif (dessin de Morize, 1879).

 

Le souci des intérêts temporels s'ajoutait aussi parfois à ces grandes épreuves. La communauté fut contrainte au commencement du XVIIIe siècle de reprendre la culture directe des fermes de Gousson, de Damiette, de Saint-Aubin ainsi que l'exploitation des prés et des bois. Cette vaste entreprise nécessita un nombre considérable d'employés, qui causèrent souvent à l'abbesse de terribles préoccupations. Il est vrai que Madame d'Orval s'était déchargée d'une partie de l'administration temporelle. Le procureur Odoard Marchand passait maintenant une partie des baux, pour lesquels on était précédemment contraint de venir à l'abbaye. Cette délégation eut lieu principalement pour les biens situés au nord de Paris: ceux de Mitry, Compans, Thieux et la Villette-aux-Aunes. Le même pouvoir fut accordé au successeur de Marchand, qui était presque un personnage et répondait au nom très aristocratique de Jacques de la Folie de Bligny .

 

 

La tempête janséniste

Au cours de l'année 1729, Monseigneur de Vintimille succéda au cardinal de Noailles et ne tarda pas à être mis courant de la situation de l'abbaye. Le zèle intempestif de Madame de Ségur pour le Jansénisme ; l'esprit sectaire de toutes les personnes du monastère ouvertement connu ; la bruyante sympathie que les Nouvelles ecclésiastiques , journal du parti, accordaient aux religieuses, tout contribua à les compromettre et à les perdre. Dès la fin de 1729, l 'abbé d'Eaubonne envoyé comme visiteur à Gif n'eut pas de peine à se rendre compte des opinions qui y régnaient. Un prêtre attaché à la paroisse de Saint-Leu à Paris et nommé Baudoin vint tous les deux mois seulement confesser les moniales; mais en 1732, Baudoin fut interdit à son tour. Le couvent se trouva sans confesseur. On fit appel aux Dominicains du couvent de Saint-Jacques à Paris ; parmi eux plusieurs appelants de la Bulle Unigenitus remplirent en cachette cette délicate mission.

Dès lors, la Mère supérieure ne connut plus guère de jours heureux et tranquilles. En même temps qu'elle était mal avec l'archevêque pour des questions de doctrine, elle était aux prises avec le nouveau curé de Gif, nommé Maltor , pour des questions d'intérêts, et la perception de certains droits sur des terres de la paroisse. Ces taquineries empoisonnèrent les dernières années de sa vie et se prolongèrent même au delà de sa mort. Elle eut de gros ennuis avec le duc de Bourbon à qui elle devait rendre aveu et dénombrement pour les terres que l'abbaye possédait à Mitry. Lors de l'aveu de 1726, les officiers du duc se sont aperçus que les religieuses de Gif avaient peu à peu augmenté leurs droits au détriment du duc. De là une série de contestations et un procès. Grâce à l'habileté de Madame d'Orval le tout finit par une transaction.

Les vocations elles-mêmes se faisaient rares : la sévérité outrée de Françoise de Ségur et la désapprobation épiscopale éloignaient de l'abbaye les jeunes filles qui y affluaient naguère, et tarissaient la source des vocations naissantes. Dans les trois dernières années de sa vie, Madame d'Orval ne reçut qu'une seule profession : celle de Marie de Chaulnes de Bures.

Au cours de l'année 1733, un accident vulgaire vint porter le coup mortel à Madame d'Orval. En descendant un escalier, elle fit une chute grave qui détermina une hydropisie et la contraignit à garder le lit. Durant toute sa maladie qui se prolongea plusieurs mois, Madame de Ségur fut pour elle d'un dévouement admirable. Elle s'installa à son chevet, coucha dans la chambre de la malade, se leva jusqu'à dix fois par nuit pour donner des secours à son abbesse. Éléonore de Béthune d'Orval mourut le 28 novembre 1733, à l'âge de 76 ans après avoir tenu la crosse de Notre-Dame de Gif pendant 47 ans.

À suivre…

 

 

Notes

(1) Abbé J.-M. Alliot, Histoire de l'abbaye et des religieuses bénédictines de N.-D. du Val de Gif (chez A. Picard, Paris, 1892).

(2) Louis Moreri, Le Grand Dictionnaire Historique ou le Mélange Curieux de l'Histoire Sacrée et profane , t. II (Le Marcier, Paris, 1732).

(3) Madame de Vaucelas était proche de son frère Monsieur de Châteauneuf. Lors de sa disgrâce, le garde des sceaux écrivit le 23 mars 1643 à Chavigny, où il le remercie de l'assistance qu'il a prêtée à sa sœur pour tenter de «  le sortir de la rude et misérable condition où il est détenu depuis dix ans, dedans un âge fort avancé, et plein des maladies qui le travaillent continuellement  ». Il ne fut élargi que dans les premiers jours de la régence.

(4) L'abbé Alliot se méprend quand il écrit que «  l'une de ses tantes, Madame de Vaucelas était abbesse à Royallieu  », puisque c'est Gabrielle de Laubespine (1586-1662), sœur de madame de Vaucelas, qui fut abbesse de Royallieu ( Arthur Bazin, Les abbesses du prieuré de Saint-Louis de Royallieu (Impr. Poutrel, Compiègne, 1898).