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L'abbaye Notre-Dame du Val de Gif (20) (1733-1789)

 

Cette chronique est le vingtième chapitre de l'histoire de l'abbaye de Notre-Dame du Val de Gif de l'ordre de Saint-Benoît (1). Il s'agit de la dernière époque avant la Révolution française, période qui a vu la fermeture et la disparition du monastère des bords de l'Yvette. Nous avons quitté le développement de cette histoire au cours de l'année 1733 lorsqu'un accident vulgaire vint porter le coup mortel à l'abbesse Éléonore de Béthune d'Orval. En descendant un escalier, elle fit une chute grave qui détermina une hydropisie et la contraignit à garder le lit. Durant toute sa maladie qui se prolongea plusieurs mois, Madame de Ségur, coadjutrice du couvent, fut pour elle d'un dévouement admirable. Elle s'installa à son chevet, coucha dans la chambre de la malade, se leva jusqu'à dix fois par nuit pour donner des secours à son abbesse. Éléonore de Béthune d'Orval mourut le 28 novembre 1733, à l'âge de 76 ans après avoir tenu la crosse de Notre-Dame de Gif pendant 47 ans.

 

C. Julien, J.P Dagnot - Novembre 2013

 

La ci-devant abbaye de Gif sur la carte d'État-major (XIXe s.)

 

 

Abbatiat de Françoise de Ségur de Ponchat

Deux jours après le décès de l'abbesse de Gif, en présence de la multitude qui se trouvait là, la Mère Feydeau, prieure claustrale, prit par la main Françoise de Ségur de Ponchat (ou Ponchapt ou Ponchac) et fit devant tous la cérémonie de son installation, comme abbesse du monastère de Gif, qu'elle gouvernait en réalité depuis 13 ans. Dans son ouvrage, l'abbé Alliot écrit : «  Si violente fut l'impression ressentie par Mme de Ségur, déjà épuisée par les veilles, les fatigues et les émotions précédentes, qu'à la fin, elle se trouva mal et tomba évanouie entre les bras de ses assistantes qui s'empressèrent de la soustraire aux regards de la foule  ».

La nouvelle abbesse était issue d'une famille de Guyenne. Dès l'an 1000, un Ségur se distingua en guerroyant contre «  Guy le Noir  » qui, pour lui résister fut aidé du comte de Périgord. En 1298, on trouve la famille scindée en deux branches, les Ségur de Francs et les Ségur de Ponchat. Daniel de Ségur fut gentilhomme de la chambre de Louis XIII et « mestre de camp ». C'est son fils Jean-Isaac, qui fit enregistrer officiellement les armoiries de Ségur de Ponchac «  Orlez de gueule, chargez depezon d'or, au premier et 3 cartié d'argent, chargé d'un lion rempan de gueule armé et lempassé au second et quatrième quartier de gueule tout uny  ».

Marie-Anne Françoise de Ségur de Ponchat est née le 24 décembre 1697, du mariage du comte Henri-Joseph de Ségur de Ponchat et de Claude-Elisabeth Binet. Son père devint, en 1693, capitaine-lieutenant de la compagnie des chevaux-légers d'Anjou ; en 1699, lieutenant-général pour le roi Louis XIV dans les provinces de Champagne et de brie ; en 1704, capitaine-gouverneur, lieutenant-général et sénéchal du pays et comté de Foix. Elle fut élevée dans les cloîtres dès sa plus tendre enfance. Presque dès le berceau, elle avait été privée «  du lait des tendresses maternelles  »; aussi tout en étant bonne, elle ne fut jamais tendre; sèche et quelque peu hautaine, son genre d'éducation, joint à ses rigides doctrines, aggrava encore les tendances de sa nature. En cette fin de l'an 1733, l 'abbaye de Gif se composait alors de quarante religieuses de chœur, une novice, deux postulantes, treize sœurs converses, vingt-deux pensionnaires, vingt domestiques ou serviteurs; en tout une centaine de personnes. On accusait un revenu annuel de 25.000 livres , chiffre d'au moins 5.000 livres inférieur à la vérité.

 

 

Un premier scandale arriva à Gif quand le frère de l'abbesse qui, étant devenu évêque de Saint-Papoul, publia un mandement pour dénoncer son acceptation de la Bulle Unigenitus . Il se cacha aux environs d'Orléans chez d'ardents Jansénistes. Puis le fugitif arriva secrètement à Gif où un domestique vendit le secret de sa présence. Aussitôt les menaces tombèrent sur la maison.

Le cardinal Fleury, qui poursuivait les jansénistes, envoya de Paris des exprès à l'abbaye (2). Mme de Ségur fut menacée d'exil, et le couvent de suppression immédiate. Le comte de Ségur, père des deux coupables, fut mandé chez le cardinal-ministre et sévèrement admonesté sur la conduite de ses enfants. Mais il prit la chose de haut et sur le ton de la dignité offensée. Répliquant sèchement à Fleury, qui craignait toujours un peu les grands seigneurs, il défendit énergiquement les accusés, et dit que «  le seul crime de ses enfants, était de s'être donnés réciproquement des témoignages d'affection fraternelle, demanda avec hauteur depuis quand il était défendu en France à une sœur d'aimer et d'aider son frère dans le malheur  ». Le ministre, visiblement embarrassé, se tut, mais il en ressentit une vive animation contre l'abbesse et sa maison. Presque aussitôt, il chargea l'archevêque de Paris de faire une sérieuse enquête au monastère. Monseigneur de Vintimille tenait à ne pas se brouiller avec les Ségur, et voulait éviter de se mettre une pénible exécution sur les bras. C'est pourquoi, en octobre 1736, il chargea Dom Lataste, religieux bénédictin, prieur des Blancs-Manteaux, d'aller à l'abbaye, et de signifier à l'abbesse, après une visite canonique en règle, les volontés du cardinal-ministre, qui n'allaient à rien moins qu'à la suppression de la communauté, par l'interdiction d'y recevoir désormais des novices.

Arrivé le 11 octobre, l'inspection de Dom Lataste fut minutieuse. Il se fit rendre un compte détaillé de l'état du monastère sous tous les rapports, matériels, spirituels et moraux. Il demanda le nom de toutes les personnes qui vivaient, tant au cloître que dans les dépendances du couvent. Il s'enquit même du nom de ceux et de celles qui visitaient le plus fréquemment les religieuses. De là un document précieux pour l'histoire de l'abbaye dans la première moitié du XVIIIe siècle. Après avoir tout vu, tout examiné, pendant les deux jours qu'il passa à l'abbaye, Dom Lataste se montra fort satisfait. Il rédigea un rapport très favorable, constata la bonne situation de la maison, la pauvreté des cellules, la hauteur et la solidité des murs de clôture, et termina par ces paroles que nous citons textuellement. « Nous avons reconnu que la régularité est observée dans la dite communauté, que les religieuses y vivent dans un esprit de paix, de charité et d'obéissance, que les offices de jour et de nuit s'y font avec exactitude, et que la clôture y est rigoureusement gardée ».

Loin d'être convaincu le cardinal-ministre ordonna à Monseigneur de Vintimille l'ordre d'aller en personne visiter l'abbaye, et celui-ci, bien qu'à regret, dut le promettre et obéir. Ce fut le 26 octobre au matin que l'archevêque de Paris arriva au monastère avec toute une suite d'ecclésiastiques, montés dans trois voitures. Le bruit se répandit, comme à l'aide d'une traînée de poudre, qu'on venait enlever les soeurs de l'abbaye, ainsi qu'on l'avait fait vingt-cinq ans auparavant, pour celles de Port-Royal. En un instant, on vit sortir de tous les sentiers des bois et accourir au monastère, des paysans animés de sentiments divers, mais nullement bienveillants. Les uns semblaient mus par la simple curiosité, mais les autres en plus grand nombre, armés de bâtons et l'air menaçant, voulaient s'opposer par la force au départ des religieuses. Tout rentra dans l'ordre après l'intervention des domestiques venus parlementer. L'abbesse résista aux ordres du prélat pour se défaire des livres suspects, mais accepta un confesseur en la personne de M. Desté, curé de Gomest-le-Châtel.

 

La ci-devant abbaye de Gif sur le cadastre napoléonien (1809).

 

Néanmoins, l'archevêque imposa le départ du prêtre Cillart, ancien confesseur de la maison en 1730 ; il évoqua l'expédition d'une lettre de cachet, et Cillart dut quitter le couvent avant le cortège épiscopal. Enfin une dernière mesure la plus douloureuse de toutes, puisqu'elle sonnait un demi-siècle à l'avance le glas funèbre de la communauté, fut signifiée à Madame de Ségur. On avait arrêté dans les conseils du gouvernement, et l'archevêque l'avait appris du cardinal-ministre, que défense était faite à l'abbaye de recevoir des novices et de les recruter. L'abbesse se récria devant cette mesure arbitraire, tyrannique, anti-canonique; et l'infortuné prélat qui la lui signifiait gémit avec elle de cette rigueur. Fleury avait même demandé la suppression pure et simple de l'abbaye de Gif, au pape Clément XII, qui n'avait pas voulu l'accorder. Madame de Ségur ne se soumit sans doute qu'imparfaitement, car dans le nécrologe nous lisons à la date du 14 mars 1740, le décès de Louise Catherine de Chaulnes de Bures, novice de chœur, décédée au monastère à l'âge de trente ans.

 

 

Les racontars insensés

Suite au départ de l'abbé Trénard, chapelain du couvent, un prêtre irlandais nommé Patrice Garahen vint habiter le monastère où il se concilia les sympathies de la communauté. Au même temps, une femme nommée Noël fut admise au couvent comme tourière. Elle s'y fit bientôt remarquer par les exagérations de sa piété mais devint suspecte à l'abbesse qui la renvoya. Mécontente d'avoir reçu son congé, elle se plaça en qualité de domestique chez le curé de Gif, qui était mal avec l'abbaye. Excité par les bavardages de cette femme, qui vilipendait journellement les religieuses, le curé dressa un mémoire, et un procès fut bientôt intenté aux bénédictines. M. Robinet, grand vicaire de l'archevêque, se trouva impliqué dans l'affaire, et fut accusé par les moniales d'avoir suscité la femme Noël, comme espion d'abord, et ensuite comme faux témoin. La procédure, commencée à Paris, se poursuivit chez les Lazaristes à Versailles. Le cardinal Fleury qui n'avait pas désarmé après la visite de l'archevêque, y prit part. L'ancienne tourière accusa les religieuses de crimes imaginaires. Le chapelain Garahen vint à son tour et fit chorus avec la servante «  tous deux avaient machiné cette affaire, sous l'inspiration du curé  ». Au dire de ces singuliers accusateurs, l'abbesse de Gif et ses filles étaient des iconoclastes, ennemies de la Sainte Vierge et des Saints ; elles violaient la clôture ; recevaient des prêtres dominicains qu'elles introduisaient dans le couvent par des ouvertures faites aux murs, et même par des souterrains, pour se confesser pendant la nuit. Il semble que ces racontars insensés avaient été méchamment semés dans le pays, et avaient soulevé contre les religieuses les imaginations d'un peuple mobile, qui naguère voulait les défendre, et qui maintenant les injuriait en les menaçant (3). L'abbesse, avertie de tout ce qui s'était passé, écrivit au cardinal de Fleury pour se justifier de ces burlesques accusations.

La tempête s'apaisa peu à peu, et procura même au monastère une paix relative grâce à un certain M. du Luc, ami des religieuses en même temps que de l'archevêque de Paris. L'abbesse travailla aussi à l'embellissement de l'église abbatiale. Par son ordre, deux belles grilles en fer forgé et admirablement ouvragées furent placées à l'entrée du chœur, et séparèrent plus complètement les religieuses des fidèles, qui occupaient la nef.

L'état, dressé en février 1746, donne 33 moniales ayant des pensions, 10 religieuses de voile blanc ou novices, plus de 14 converses, et au moins 10 ou 12 religieuses qui n'avaient pas de pensions, ce qui porte le chiffre total des vêtues à 70 environ, pour lesquelles on accuse un revenu annuel de 25.000 livres . Le mémoire manuscrit révèle plusieurs détails intéressants. En dehors de ses produits, l'abbaye était contrainte d'acheter des oeufs, du beurre et des légumes pour la somme de 3.000 livres . Il fallait en outre à ce couvent, entouré de taillis qui lui appartenaient, pour 1.600 lt. de bois de chauffage. Les frais de médecin, chirurgien et pharmacien s'élevaient à 500 lt. Les ports de lettres sont inscrits pour 462 lt. La viande 3.000 lt. le poisson 400 lt. À cette même date on recevait encore 3.000 lt. d'aumônes.

 

 

Les nouvelles difficultés

Les difficultés recommencèrent sous le pontificat de Monseigneur de Beaumont successeur de M. de Vintimille sur le siège archiépiscopal de Paris. On lui dit, que le monastère était un repaire de jansénistes; c'est pourquoi il résolut de sévir. Le père Siméon, le confesseur des religieuses, fut interdit. L'archevêque voulait faire davantage encore; mais on lui représenta que la maison était condamnée et qu'il n'avait plus qu'à la laisser mourir. À ces graves difficultés vinrent se joindre des embarras et des disputes avec les seigneurs de Mitry, Compans, Thieux, qui tous faisaient refaire leurs registres terriers, et cherchaient à augmenter la quantité de terres et de vassaux de leur dépendance. Comme l'abbaye possédait des biens-fonds dans ces quartiers là, elle ne savait auquel entendre parmi tous ces compétiteurs, qui n'étaient pas tous et toujours de bonne foi. De plus, les fermiers se transformaient souvent en hommes d'affaires, et sous prétexte d'éclairer les difficultés et de défendre les intérêts des religieuses, ils se faisaient donner des procurations, actionnaient les parties et engendraient un inextricable galimatias.

Mêmes difficultés aux portes du monastère. La maison de «  l'Image Saint-Jean à Gif » acquise dans des conditions particulières, était l'objet des revendications les plus vives et les plus acrimonieuses de la part des héritiers du vendeur. Malgré deux ou trois sentences obtenues par l'abbaye, un sieur Héricourt en appelait toujours, et poursuivait sans cesse les religieuses, qui se défendaient mal d'ailleurs. Madame de Ségur, tout entière à ses idées mystiques, abandonnait un peu cette partie de l'administration à la prieure et à la dépositaire; mais elle n'en souffrait pas moins de ces contestations qu'elle avait en horreur. C'est au milieu de ces difficultés que l'abbesse de Gif tomba malade, au début de l'année 1749. Elle rendit son dernier soupir le samedi 22 novembre 1749, elle n'avait pas encore 52 ans.

 

 

Nécrologe de Madame de Ségur

Le Nécrologe des plus célèbres défenseurs et confesseurs de la vérité du XVIIIe siècle , publié en 1760 dans Mémoires du Temps , réserve un chapitre à Madame de Ségur, abbesse de Gif. Le décès est déclaré être du 22 octobre 1749 (un mois avant la date donnée par l'abbé Alliot). Voici le texte intégral (6).

« Madame Marie-Anne-Basile de Ségur de Ponchat, abbesse de Gif, fille de M. le Marquis de Ségur, et sœur de M. l'évêque de Saint-Papoul, naquit le 24 décembre 1697. On la mit dès l'âge de sept ans à l'abbaye de Notre-Dame-du-Val de Gif pour y être élevée dans la piété. On vit paroître en elle dès sa plus tendre jeunesse d'heureuses dispositions, qui cultivées avec soin en firent un excellent sujet. Sa piété, sa douceur, sa charité, son éloignement de la vanité, son application à tous ses devoirs parurent dans un tel degré dès l'âge d'onze ans, qu'on la jugea alors digne de faire sa première communion. Après avoir passé quelque temps à l'abbaye de Jouarre, elle revint à Gif, où son goût décidé pour l'état religieux la fit entrer au noviciat, et elle fit profession en 1716. Son mérite la fit choisir pour coadjutrice de Madame d'Orval, abbesse de Gif, le 29 novembre 1719, mais ce ne fut sans beaucoup de résistance de sa part. Placée maîtresse des novices, elle fit un bien infini par son zèle et son talent pour instruire : ses conférences étoient solides et touchantes. M. le cardinal de Noailles étant mort, M. de Vintimille son successeur fit un grand changement dans ce monastère. M. d'Eaubonne qui en étoit supérieur fut remercié, et M. de Mornat, confesseur de la maison, fut interdit. Madame de Ségur sçut par son zèle et par sa prudence réparer toutes ces pertes. Elle étoit encore occupée d'un autre objet qui lui étoit infiniment sensible ; c'étoit la chute de son frère, qui devint évêque de Saint-Papoul, par son zèle amer et ses procédés fanatiques au sujet de la Bulle. Elle employa pour obtenir sur lui la miséricorde de Dieu ses ardentes prières et ses larmes, et elle y intéressa celles des évêques de Sénez et de Montpellier. Dieu l'exauça, et elle eut la consolidation de le voir converti. Madame d'Orval étant morte en 1733, elle exerça les fonctions d'abbesse sans avoir reçu la bénédiction ordinaire, parce qu'elle ne voulut point signer le Formulaire. Elle conduisit sa communauté avec bien de la sagesse, et elle sçut s'attirer le respect et la confiance de ses Filles. Sa charité étoit immense, et ses aumônes étoient abondantes. Son amour pour la pauvreté et la simplicité, ses mortifications et sa pénitence, sa ferveur dans la prière, son attrait pour le silence et la solitude, son exactitude pour le clôture, et son attachement sincère à la Vérité, furent les belles qualités qu'on remarqua en elle. M. de Vintimille ne perdoit pas de vue ce monastère, qui lui étoit suspect. Il envoya donc le fameux Dom la Taste préparer les voies à la visite qu'il devoit y faire le 16 octobre 1735. Le chapelain fut chassé, et les confesseurs interdits ; ce qui causa un grand embarras, auquel Madame de Ségur sçut remédier par sa prudence. C'est elle qui introduisit dans sa communauté l'usage du nouveau Bréviaire de Paris ; c'est elle aussi qui trouva moyen de réparer et orner le chœur et l'église. Cette digne abbesse étant tombée malade fit alors paroître toute sa piétié. Elle fit généreusement son sacrifice, reçut les Sacremens avec une grande foi, rendit un nouveau témoignage à la Vérité, et fit avant que de mourir une exhortation admirable à ses Filles. Elle s'endormit au Seigneur le 22 octobre 1749, âgée de près de 52 ans. Depuis la mort de la respectable abbesse, sa place n'a pas été remplie jusqu'à présent. Il seroit fâcheux qu'une maison aussi édifiante périsse, faute de sujets ». La mère Marie-Anne-Basile de Ségur de Ponchat fut la dernière abbesse en titre du couvent de Gif.

 

 

Le gouvernement de la prieure

Le gouvernement du couvent de Gif passa dans les mains de la plus ancienne religieuse de la maison, Louise Elisabeth Henriette Feydeau , prieure claustrale depuis de longues années. Fille de Pierre Feydeau, chevalier, seigneur de Courcelles, elle avait été élevée dans l'école enfantine du monastère, dont elle devenait la supérieure; y avait fait profession en 1700 et en était devenue prieure en 1721, sous Madame d'Orval. «  Ses yeux n'avaient jamais contemplé d'autre horizon que celui de l'étroite vallée, où l'Yvette serpente au milieu des prairies verdoyantes entre deux coteaux boisés  » nous dit l'abbé Alliot. Âgée de 72 ans, chargée d'embonpoint, l'esprit déjà affaibli par la fatigue et les années, elle était dans l'impossibilité absolue de gouverner une maison aussi populeuse que l'était encore l'abbaye, et dans des circonstances aussi difficiles. Elle s'adjoignit, ou plutôt les circonstances placèrent près d'elle, pour la seconder, la Mère Jeanne Marie de Walles , dépositaire du couvent. Comme Madame de Feydeau, celle-ci était fille de la contrée. Issue d'une famille qui depuis le XIVe siècle avait occupé successivement les trois châteaux du Grand Ménil, du Petit Launay et de Montjay, dans la paroisse de Bures, les de Walles s'étaient alliés à toutes les puissantes maisons de la vallée, notamment avec les de Coubertin, dont la dépositaire était petite-fille par sa mère. Entrée au cloître en même temps que sa soeur Jeanne Madeleine, la mère de Walles avait été l'enfant de prédilection de Madame de Ségur, qui lui avait légué toutes ses pensées, et dont elle allait se faire l'historien. Fine, remuante, perspicace, la dépositaire était, au physique, petite maigrette, avait le visage long et en pointe : tout l'extérieur et tout l'esprit d'une sectaire. Elle était âgée de 47 ans, lorsque les circonstances la mirent en évidence; et sans le fanatisme janséniste, dont, elle était l'incarnation vivante, elle eut été très capable défaire une excellente supérieure de l'abbaye.

À cette époque, l'abbaye abritait deux ou trois prêtres, anciens solitaires de Port-Royal tel le père Vassier de Saint-Romain. On avait recours de temps en temps aux ecclésiastiques du dehors. Fizes, curé de Saint-Aubin, Charrier, curé de Bures, et Dété, curé de Saint-Clair, remplirent tour à tour la première et la plus délicate des deux fonctions : celle de confesseur.

Tous ces ecclésiastiques, de morale rigide comme leurs pénitentes, ne les tourmentaient point relativement à leurs croyances jansénistes. Quant au curé de la paroisse, il n'y fallait pas songer, il était dans sa destinée, comme dans celle de ses prédécesseurs, d'être presque toujours mal avec les religieuses, ses voisines et ses paroissiennes. Enfin un prêtre, nommé Claude Gandier, remplit à partir de 1750, les fonctions de chapelain durant trois ou quatre ans, et fut remplacé par Nicolas le Vavasseur.

Aux épreuves de la perte d'une douzaine de sœurs, se joignaient les embarras ordinaires touchant les biens temporels. Le 5 septembre 1747, la communauté avait vendu la ferme de Compans, à un sieur Lallemant de Nantouillet, contre un titre de 2.000 livres de rente sur l'Hôtel-de-Ville de Paris. N'ayant eu l'autorisation de l'archevêque, le contrat fut rompu et la ferme resta la propriété du couvent. Mêmes difficultés et de plus graves encore, en 1754, avec un sieur Cailleau, chirurgien et cabaretier à Gif, qui voulait jouir, malgré les religieuses, de la maison de l'Image Saint-Jean et des terres qui en dépendaient, parce que son beau-père, Laurent Larché, avait précédemment passé bail de ces terres. C'est alors que les intérêts du couvent furent confiés à M. Dudéré de Graville, personnage très intelligent et fort dévoué.

Brisée par les ans Mme Feydeau s'acheminait à grands pas vers la tombe. Elle mourut en effet le 28 mars 1758, à l'âge de 81 ans, et fut enterrée le lendemain par Nicolas le Vavasseur. En mourant, elle laissa la maison affaiblie sous tous les rapports. De 80 personnes environ qui la composaient encore en 1719, elle en avait perdu en neuf ans plus de 40.

 

 

Jeanne Marie de Walles dépositaire

Sans élection, sans nomination, par le seul fait qu'elle était dépositaire, Jeanne de Walles se trouva chargée du gouvernement de la communauté après la mort de Mme Feydeau. Elle était alors âgée de 56 ans, et en avait passé 50 dans le monastère, soit comme pensionnaire, soit comme religieuse. On ne voit plus à l'abbaye qu'une trentaine de moniales au moment où la Mère de Walles devint supérieure. En ce temps, N.-D. du Val de Gif est un refuge de septuagénaires. De 1760 à 1770, quinze religieuses de chœur sans compter les converses sont portées au tombeau. Ce sont les Mères Sevin de Miramion, Leau. Davy, Dupont, Mauny de Percey, le Bigre, de la Cour, Menard, le Blond, de Walles, sœur de la dépositaire, et quelques autres; si bien que ne voit plus en 1771 qu'une douzaine de moniales à l'abbaye. On voit disparaître tour à tour les prêtres : Joseph Audibert, Pougnet de Beaumont et Jean Arnou, ancien curé de Fontenay-lès-Bris. Ainsi l'abbaye se vide peu à peu et par des causes diverses.

La longue agonie du vieux couvent apparaissait malgré les nombreux protecteurs. Menacées chaque jour de disparaître, les moniales s'imaginent chaque matin voir arriver les exécuteurs pour les expulser. En 1773, elles reçurent la visite des commissaires royaux qui firent l'inventaire des biens, meubles et immeubles de l'abbaye. Elles crurent cette fois que l'heure de la dispersion avait sonné. C'est pourquoi elles donnèrent à chacune de leurs domestiques l'humble mobilier de sa chambrette, à savoir : la couchette, les matelas, l'escabeau ou la chaise, et quelques ustensiles de ménage. Mais défendues par leur caducité même, le décret de suppression ne vint point encore. En 1779, nouvelle alerte. Les sœurs maintiennent la donation en meuble et en linge de 1773, y ajoutent 200 livres de rente viagère pour chacune des servantes, au nombre de quatorze, dont plusieurs ne devaient pas vivre assez pour recueillir ce bienfait.

Un sieur Martin Manuel vint s'installer à l'abbaye en 1778, avec le titre de receveur, et prit en main la gestion des biens, qui tous étaient loués, même l'enclos du monastère. Il refit une partie du livre censier, dressa force mémoires, alla, au nom des religieuses, rendre foi et hommage au château de Limours, à Madame la comtesse de Brionne. La mère de Walles avait assez vécu pour voir la ruine morale et matérielle du vieux cloître où elle avait passé toute sa vie. Le 10 décembre 1779, elle mourut à l'âge de 78 ans, après 59 de profession religieuse. Sa dépouille mortelle fut ensevelie dans le cloître près de celle de ses sœurs dans la vie bénédictine.

 

 

Les derniers actes de gestion

Dans la lettre à Monsieur Merault, seigneur de Gif en son château de Gif du 16 septembre 1755 , la mère Françoise de Tourville , demande l'avis de Merault sur la chicane du sieur Olivier au sujet des problèmes rencontrés sur les moulins de l'Yvette dans la paroisse de Gif. «  Je n'ay apris que depuis deux jours, Monsieur, l'accident arrivé à Madame Merault. Mon dessein estoit toujours d'envoyer aujourd'hui savoir des nouvelles de l'état de sa santé, et vous faire, Monsieur, tous nos compliments sur un évènement qui ne peut que vous être fort sensible, et auquel nous prenons part comme à tout ce qui vous intéresse  ».

La déclaration de foy et hommage du 1er may 1778 de l'abbaie de Gif est faite à Monsieur Debonnaire, touchant le moulin de Gif ; « Pardevant Barthélemy, Guillaume Cornillet avocat en Parlement, notaire du Roy résident à Chevreuse soussigné furent présentes dames Jeanne Marie Dewaller dépositaire, Catherine de Villiey de Tourville, tourière, Julie Louise Le Juge de Bouzouville, portière et Catherine Petit sacristaine, religieuses professes du monastère de l'abbaye royalle de Notre-Dame du Val de Gif ordre de Saint-Benoist assemblées au son de la cloche en la manière accoutumée au grand parloir et grille de Saint-Joseph lieu ordinaire où elles traitent de leurs affaires temporelles. Lesquelles ont reconnu et confessé tenir à titre de cens et rente portant lods et vente deffaut saisine et amende suivant la coutume de Paris de Messire Pierre Charles Debonnaire, chevalier seigneur de Gif , Moulons, Le Plaissis, Orgemont et autres lieux, vicomte hérédital de Châteaufort, conseiller du Roy en ses conseils et son procureur général au grand conseil, les biens et héritages cy après déclarés.

Les lettres données par la prévôté et vicomté de Paris se rapportent au bail du moulin et dépendances fait à Jacques Pescheux et Marguerite Machelard , sa femme, demeurant au moulin de Gif , la première année commençant à la Saint-Martin 1762 . «  Pardevant Guillaume Corniller, notaire royal reçu au Châtelet de Paris, résidant à Chevreuse, furent présentes sœurs Renée Burel, Marie Antoinette de La Cour, Françoise Meignan, Marie Lazare de Mony de Percey, Elisabeth Jeanne Desvalles, Anne Claude Leblond, Marie Françoise Le Bigre, Jeanne Marie Desvalles dépositaire, Catherine Françoise Detourville, Marie Catherine Le Juge de Bouzonville, Louise Le Juge de Bouzonville, Marie Elisabeth de Chaulier, et Catherine Petit, touttes religieuses professes…  ».

Le bail du moulin et dépendances fait à la veuve Jacques Pecheux, Marguerite Machelard , la première année commencera le 11 novembre 1771. « À tous ceux qui ces présentes lettres verront Gabriel Henry Bernard, chevalier, seigneur de Boulainvilliers, et Passy et autres lieux, prévôt de la ville, prévôté et vicomté de Paris, et conservateur des privilèges royaux de la ditte ville, salut. Sçavoir faisons que pardevant Bathelémy Guillaume Corniller, notaire du Roy reçu au Châtelet de Paris, résident an la ville de Chevreuse et principal notaire du bailliage dudit Chevreuse et de Gif et dépendances soussigné. Furent présentes R.R. dame Jeanne Marie de Walles dépositaire, Catherine Françoise de Villier de Tourville, Marie Catherine Le Juge de Bouzonville, Louise Julie Le Juge de Bouzonville, Marie Thérèse de Chaumel et Catherine Petit, touttes religieuses professes de l'abbaïe royalle de Notre Dame Duval de Gif, ordre de Saint Benoist, diocèse de Paris, le siège abbatial vacant , capitulairement assemblées au son de la cloche en la manière ordinaire en leur parloir de Saint-Joseph où elles délibèrent de leurs affaires temporelles. Lesquelles ont, par ces présentes, donnés à ferme et prix d'argent pour neuf années entières…..

Le bail à ferme du moulin de l'abbaye à Gif par le séquestre de l'abbaye royale de Notre-Dame de Gif aux sieur et dame Pescheux, le 29 mai 1788 par devant Maître Mony, notaire, à commencer à la Saint-Martin 1789. Par arrêt du conseil d'Etat en date du 16 mai 1783, les biens de l'abbaye furent mis sous séquestre. « Le Roi étant informé qu'il ne reste plus qu'une seule religieuse dans l'abbaye de Gif, diocèse de Paris, et que la conventualité n'y peut plus subsister faute de sujets; Sa Majesté a jugé à propos de prendre des précautions pour la conservation des biens de la dite abbaye, jusqu'à ce qu'elle ait fait connaître définitivement ses intentions relativement à la dite abbaye; à quoi voulant pourvoir, oui le rapport. Le roi étant en son conseil a commis et commet le sieur Grisart, bourgeois de Paris, pour régir les biens et recevoir les revenus de la dite abbaye de Gif, sous la conduite et inspection du sieur archevêque de Paris, et ce, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné par sa Majesté ».

Ce bail mérite d'être cité en son entier puisqu'il est le dernier avant la totale disparition du couvent de Gif, vendu comme Bien national le 29 janvier 1791. «  À tous ceux qui ces présentes lettres verront Gabriel Henry Bernard, chevalier, marquis de Boulainvilliers, seigneur de Passy-lès-Paris et autres lieux, prévôt de la ville, prévôté et vicomté de Paris salut. Savoir faisons que pardevant maître Jacques Michel Mony et son confrère, conseillers du Roy, notaires au Châtelet de Paris soussignés est comparu maître Jean Grisart, avocat en Parlement demeurant à Paris, cour de l'archevêché, paroisse Sainte Marine en la cité, économe séquestre des biens et revenus de l'abbaye royale de Notre-Dame de Gif, diocèse de Paris en vertu de l'arrêt du Conseil d'Etat du Roy du 16 mai 1783  ».

 

 

Séquestre et suppression de l'abbaye

La mère Françoise de Villicy de Tourville s'établit dépositaire, et fut réputée supérieure des ruines au milieu desquelles elle vivait avec une seule compagne et une douzaine de domestiques. Elle reçut en 1781 le syndic du diocèse de Paris, auquel elle délivra un état du temporel et des dépenses de sa maison. Elle y accuse encore un revenu annuel de 14.000 livres , consommé tout entier pour les besoins de la société.

Au mois de janvier 1783, la mère Louise Julie Le Juge de Bouzonville vint à mourir. C'était la dernière compagne de Françoise de Tourville. Elle la fit enterrer dans la chapelle, malgré la loi qui prohibait les sépultures dans les églises. À la suite de cet événement, on pressa la dernière survivante de se retirer dans quelque maison religieuse, où elle pourrait recevoir des soins et vivre plus conformément à son état.

Alors le pouvoir royal se décida à mettre fin à une situation qui, aux yeux de beaucoup, avait trop duré. Par arrêt du Conseil d'Etat en date du 16 mai 1783, les biens de l'abbaye furent mis sous séquestre. « Le Roi étant informé qu'il ne reste plus qu'une seule religieuse dans l'abbaye de Gif, diocèse de Paris, et que la conventualité n'y peut plus subsister faute de sujets; Sa Majesté a jugé à propos de prendre des précautions pour la conservation des biens de la dite abbaye, jusqu'à ce qu'elle ait fait connaître définitivement ses intentions relativement à la dite abbaye; à quoi voulant pourvoir, Ouï le rapport, le roi étant en son conseil a commis et commet le sieur Grisart, bourgeois de Paris, pour régir les biens et recevoir les revenus de la dite abbaye de Gif, sous la conduite et inspection du Seigneur Archevêque de Paris, et ce, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné par sa Majesté ».

Enfin sollicité de toutes parts, Pie VI par une bulle de 1786 prononça la suppression du titre abbatial de Gif, et la réunion de sa mense à celle de Sainte-Geneviève de Chaillot, abbaye de l'ordre de Saint-Augustin. Françoise de Tourville jugea que sa situation n'était plus possible, elle se laissa conduire au prieuré de la Madeleine de Trainel, situé rue de Charonne à Paris.

Le 13 juillet 1790, les citoyens Breton, maire, et Ferré, procureur de la commune de Gif, par ordre du district de Versailles, se transportèrent à la ci-devant abbaye, où Manuel les reçut « avec les démonstrations du plus profond respect ». Ils venaient procéder à l'inventaire des objets mobiliers et immobiliers saisis par la nation. Comme beaucoup d'autres monastères, celui de Gif fut déclaré Bien National. Le premier acquéreur avait nom Jean-Baptiste Jeanty, marchand épicier, avenue de Saint-Cloud, à Versailles. Il devint propriétaire de « tous les bâtiments composant la clôture intérieure de l'abbaye de Gif, avec un clos fermé de murs, le tout contenant 24 arpents ». Il acheta en même temps la ferme avec ses dépendances, d'une contenance de 128 arpents et paya le tout 112.000 frs en assignats. La vente eut lieu le 20 janvier 1791.

À suivre…

 

 

Notes

(1) Abbé J.-M. Alliot, Histoire de l'abbaye et des religieuses bénédictines de N.-D. du Val de Gif (chez A. Picard, Paris, 1892).

(2) André Hercule de Fleury (né à Lodève en 1653, mort à Paris en 1743) devint évêque de Fréjus, à l'âge de 45 ans. Adhérant à la politique religieuse de Louis XIV, il se prononce contre les Jansénistes et plaît ainsi au roi. Il fut précepteur du jeune Louis XV. En 1726, il renverse le duc de Bourbon, premier ministre de Louis XV, et prend ses fonctions. Ordonné cardinal, il gouverne la France jusqu'à sa mort, sans véritable opposition, attentif à disgracier les ministres trop ambitieux que sa longévité désespère.

(3) C'est la première fois que nous voyons apparaître, dans l'histoire, ces sottes inventions de souterrains monastiques, qui ont fait depuis une si prodigieuse fortune dans les romans et les contes populaires.

(4) J.-M. Walles, mère Sainte-Perpétue, Vie de Madame Marie-Anne-Françoise de Ségur de Ponchat, abbesse de Gif (Bibl. municipale de Versailles, N°CGM 1503).

(5) M. de Hedouville, Monseigneur de Ségur, sa vie, son action (1820-1881) (Nouvelles Editions Latines).

(6) Nécrologe des plus célèbres défenseurs et confesseurs de la vérité du XVIIIe siècle (1760).