L'abbaye Notre-Dame du Val de Gif (3) (XIV-XVe siècles)

Chronique du Vieux Marcoussy --Marcoussis--------------- _-------------------------___--septembre 2012

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C. Julien

JP. Dagnot

 

 

Dans cette chronique, troisième volet de l'histoire de l'abbaye N.-D. du Val de Gif, nous évoquons les désastres de la guerre de Cent ans en donnant les procès-verbaux de visites archidiaconales, à l'époque de Jean de Courcelles, archidiacre de Josas. Ces visites d'inspection de la paroisse de Gif ont été faites par le vicaire Jean Mouchard, délégué de l'archidiacre. Les textes, dont nous donnons la traduction, ont été édités en langue latine par l'abbé Alliot (1).

Gif était situé dans le doyenné de Châteaufort «  decanatu de Castro Forti  », lequel avec celui de Montlhéry, faisaient partie de l'archidiaconé de Josas. Gif, paroisse du diocèse de Paris, comportait deux églises de part et d'autre de l'Yvette : l'église paroissiale sous le vocable de Saint-Rémy et l'église de l'abbaye Notre-Dame du Val, de fondation royale sur la rive droite. Le pouillé de la province de Sens écrit en 1205 rapporte que l'église de Gif qui est à la collation de l'évêque «  ecclesia de Gif pertinentes ad donationem episcopi  » avec une taxe de 20 livres . Dans la liste des abbayes, prieurés et collégiales du diocèse de Paris, en 1260, nous lisons «  in decanatu de Maciaco, abbatia de Gif  », puisqu'à cette époque le siège du doyenné était à Massy. Le compte du diocèse de Paris de 1352 mentionne que le curé de Saint-Rémy de Gif «  curatus de Giffo  » paie une contribution de 13 sols 4 deniers pour une taxatio de 20 livres , alors que l'abbaye «  abbatissa de Giffo  » s'acquitte de 16 l . 13 s. 4 d. pour une assiette de 500 livres , c'est-à-dire la plus forte taxe du doyenné de Châteaufort. Dans le compte épiscopal de 1384, l'abbaye de Gif paie une procuration qui se monte à 12 livres . Le pouillé de la province de Sens de 1525 mentionne « Beneficia ecclesia parrochialis de Giffo, episcopus confert  ».

 

 

Les statuts de l'abbaye de Gif

Avant de poursuivre la chronologie, attardons-nous un moment sur les statuts de l'abbaye Notre-Dame du Val de Gif. Un document manuscrit du début du XVIIIe siècle (conservé aux ADE) introduit l'antiquité du couvent par : « Les tiltres de la fondation de l'abbaye de Nostre Dame du Val de Gif anciennement appellée de Eclisé ou Eclise de l'ordre de St Benoist et de fondation royalle ayant esté perdus il y a quelques siècles par le malheur des guerres, on n'a pû encore découvrir quelques perquisition qu'on en ait faite en quelle année elle a esté fondée ». Puis, l'auteur du mémoire essaie de justifier la fondation royale : «  Cela est confirmé tant par les anciennes armes de cette abbaye qui sont un chef de Royne avec trois fleurs de lys que par les procédures faites depuis plusieurs siècles et des tiltres dans lequels l'on dit que cette abbaye se nommoit Elisé ou elise et depuis nommée de Gif et qu'ellee st de fondation royalle et ayant à cause de sa fondation royalle toujours esté obligée à chaque changement d'abbesse de prendre une fille que le Roy donne pour y faire profession et y mourir de Cœur, ce qui ne se fit point dans touttes les autres maisons qui ne sont point de fondation royalle. Le peu de papiers quy restent dans cette abbaye et ce qu'on a recœuilly de l'histoire servent de preuve indubitable de son antiquité  », tous les auteurs s'accordent sur ce point.

Une autre incertitude est la suivante. Certains auteurs prétendent, sans en apporter la preuve que : «  l'abbaye de Gif était un prieuré dépendant du monastère de Yerres  ». Cela paraît improbable d'autant que l'abbaye de Yerres fut fondée vers 1124 et que le pape Alexandre III est explicite : «… une abbesse d'Hierre et leurs sœurs dudit monastère ayant une charitable compassion de vostre pauvreté et voyant que vostre maison estoit accablée de debtes, que les batimens menaçoient d'une prochaine ruine et qu'elles ne pouvoient vous tirer de vostre indigence en vous tirant de ce lieu…  ». Nous avons vu plutôt, que «  la charité des bonnes dames de Yerres  » a failli tourner à l'annexion de Gif ; d'ailleurs n'ont-elles pas fait introduire une clause de dépendance par : « … sous cette condition, que la mort de l'abbesse arrivant, si vous ou les filles qui vous succéderont ne peuvent s'accorder à l'élection d'une d'entr'elles, elles ne puissent élire régulièrement une abbesse d'un autre monastère que celuy d'Hierre  ».

Si l'on considère le mode de prise de possession de l'abbesse de Gif, il y a lieu de distinguer plusieurs périodes : l'élection pur et simple par les moniales avec une prélature à vie suivant la règle de Saint-Benoît ; puis au début du XVIe siècle, nous trouvons «  les abbesses triennales  » comme les appelle l'abbé Alliot. Le régime des abbesses triennales a duré un peu moins de trente ans, de 1516 à 1543, pendant lesquels cinq titulaires différentes s'étaient succédées au pouvoir. La dernière période est celle des «  abbesses perpétuelles  » (bien que plusieurs d'entre elles démissionnèrent). Dissertant sur ce nouveau statut, l'abbé Alliot dit que ce fut «… un malheur. Assurément il est fort regrettable que le droit de nomination à tous les bénéfices un peu importants du royaume ait été concentré dans la main du roi, qui ne devait pas tarder à en abuser, pour imposer à beaucoup de cloîtres, des personnes dépourvues des qualités et des aptitudes requises, aussi bien que pour généraliser les humiliations et les hontes de la commende  ». Par chance, Gif ne fut jamais placé sous le régime de la commende. La décadence du monastère est due à d'autres raisons.

En ce qui concerne le statut de l'abbesse de Gif, sur proposition des conseillers royaux, notamment ceux du Grand Conseil (après 1497), elle était nommée par un arrêt ou un bref du roi, mais, avant son installation, le dossier était étudié en Cour de Rome et sa nomination entérinée par une bulle pontificale. L'évêque de Paris était le supérieur de la communauté, et gardien naturel des choses de la vie religieuse dans son diocèse. Il avait droit de procuration, c'est-à-dire que les visites d'inspection, tant du spirituel que du temporel, étaient assurées par l'archidiacre de Josas. Il va de soi que l'abbaye possédait tous les droits d'une seigneurie ecclésiastique avec le droit de censive, le droit dîmier et le droit de justice. Après le tarissement des dons et aumônes à la fin du XIIIe siècle, Louis XIV, arguant d'un certain droit de haut domaine, rendit, le 28 avril 1693, une ordonnance autorisant les abbayes, même celles qui avaient des revenus, à recevoir des dots et des pensions viagères, afin de nourrir et d'entretenir un plus grand nombre de religieuses. Gif se mit aussitôt en mesure de profiter de cette ordonnance, et par lettres patentes du 29 mars 1695, le roi autorisa l'abbaye à recevoir des dots et pensions jusqu'à concurrence de douze religieuses.

Comparons les statuts de l'abbaye de Gif avec ceux de l'abbaye des religieuses de Notre-Dame de La Saussaye, à l'origine une léproserie de fondation royale. Cette maison «  étoit exempte de la visite de l'Ordinaire, et la prieure n'avoit pas même besoin d'être confirmée de lui, ni du pape  », nous dit l'abbé Lebeuf. La prieure de ce lieu était de nomination royale et de plus, pour sa prise de possession, elle n'avait affaire ni à l'évêque de Paris, ni à l'archidiacre, c'est un conseiller du roi qui l'installait. Comme à Gif, les religieuses de La Saussaye recevaient la dîme vin du roi et de la reine.

 

Porte d'entrée de l'abbaye (dessin de L. Morize, 1871).

 

 

L'abbaye de Gif à la fin du XIIIe siècle

Revenons un moment sur le temporel de l'abbaye à la fin du XIIIe siècle, époque florissante s'il en est. Après la réinstallation des sœurs dans leur couvent tout neuf à Gif, la donation de la ferme d'Invilliers, les lettres d'amortissement et d'affranchissement de toutes charges du roi Louis VII « … tout le revenu temporel de ladite abbaye a formé icelle, de tout estoit de l'ancienne fondation de ladite abbaye et étoit admorty par lettres dudit admortissement mis et produit par le roi Loys en ladite année 1138…  », les premières possessions de l'abbaye furent le moulin acquis en 1201, les dîmes des villages voisins données par l'évêque de Paris dont celles de Montdétour en 1205. Un chanoine de Notre-Dame de Paris, nommé Hugues, donna aux religieuses en pur don le domaine qu'il possédait à Saint-Aubin composé de sa ferme avec tous ses droits.

Les religieuses de Gif recevaient la dixième partie du vin qui entrait dans Paris pour la provision du roi et de la reine. Saint-Louis ajouta à cela, la dîme du vin qui était à Vincennes pour l'hôtel de la reine. En 1268, le parlement de Paris dut régler les aumônes pour les «  empêcher de dégénérer en désordre et abus  ».

C'est de cette époque en effet que datent les donations de Gousson, du Cormier, des biens de Toussus, de Villiers-le-Bâcle, de Chilly. En quelques années les possessions de l'abbaye s'accrurent d'une manière si considérable, qu'avant la fin du XIIIe siècle, l'abbaye du Val de Gif était rangée au nombre des grands propriétaires du royaume. Nous la voyons posséder des prés, des vignes, des terres, des rentes, des censives, des dîmes, des droits fiscaux de toute nature et de toute sorte, sur une longue ligne s'étendant depuis Châtillon et Bagneux près Paris, jusqu'à Chevreuse et Limours, en sorte qu'il était peu de bourgades, dans la vallée de l'Yvette, où les religieuses n'eussent alors quelques biens fonds, ou du moins quelques deniers à percevoir. Encore l'extension de leur domaine n'était-elle point circonscrite dans la vallée où elles étaient assises, puisque nous leur trouvons des possessions à Marcoussis, à Linas, à Cheptainville, et jusqu'au bourg de Saint-Yon.

Le temporel augmenta également grâce aux dots des nouvelles moniales, comme par exemple Aalés et Pétronille, les deux filles de Roger de Ville d'Avray. Du consentement de sa femme Isabelle, ce seigneur fit don, au mois de mai 1218, de toutes les dîmes qu'il possédait à Saclay avec la clause restrictive de l'usufruit des dîmes au profit des filles. C'est au cours de ce siècle que les religieuses de Gif entrèrent en conflit avec les frères Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem du prieuré de Saclay auxquelles l'abbesse Béatrix avait fait des aumônes. La querelle s'envenima pendant plusieurs prélatures. Une transaction ambiguë intervint au mois de juin de l'année 1285, entre l'abbesse Isabelle de Saint-Aubin et frère Jean de Villiers de l'Isle-Adam, qui exerçait la charge de Grand prieur de France, avant de devenir général de son ordre: les religieuses abandonnaient aux Hospitaliers tous les droits qu'elles possédaient à Saclay et recevaient en échange une rente annuelle de onze setiers de grain.

Aucun document ne mentionne la population du monastère à la fin du XIIIe siècle ; toutefois l'abbé Alliot s'avance en ces termes : «  … si nous en jugeons par l'importance des bâtiments, et par les revenus qui se consommaient au couvent, en peut présumer que la communauté se composait d'au moins cinquante à soixante bénédictines , sans parler des serviteurs et des familiers de l'abbaye ». Bien avant la fin du XIIIe siècle, une nouvelle mère nommée Elisabeth tenait la crosse abbatiale de Gif. Une nouvelle période difficile s'ouvrait au couvent avec toutes les embûches liées aux évènements du XIVe siècle.

 

 

L'abbaye au XIVe siècle

En 1384, le compte du diocèse de Paris fait apparaître que l'abbaye de Gif est dans l'impossibilité de la payer. Pierre d'Orgemont était encouragé par le pape à reprendre les visites, le compte de la procuration est transmis aux collecteurs pontificaux. Il fait réclamer par son commis Jacques de Nivelle, la somme annuelle afférente à ce droit, qu'il n'exerce jamais par lui-même. La bienveillance dont Pierre d'Orgemont évêque de 1384 à 1409 entoure Jeanne d'Aunoy, profite à son abbaye, qui ne paye que trois visites au lieu de quatre, dont elle est redevable. Mais Nicolas d'Orgemont, frère ou neveu du prélat et archidiacre de Josas, qui perçoit lui aussi un droit de visite, ne connaît point ces tempéraments. Bien qu'il soit réputé le plus riche clerc du royaume, il charge son commis Yves Lengala, de se faire solder intégralement les deux procurations que lui doit la communauté. C'étaient là des abus, d'autant plus regrettables qu'ils faisaient fermer les yeux sur d'autres abus plus graves encore, lesquels n'allaient à rien moins qu'à la destruction et à la ruine totale des cloîtres.

Qu'était-il arrivé à l'abbaye de Gif ?

Ni plus ni moins, les évènements qui provoquèrent la décadence des maisons religieuses au XIVe siècle : la crise frumentaire de 1320, le tarissement des dons et aumônes, la peste noire, la guerre de Cent ans, le pillage du Hurepoix par les Anglais et l'insécurité du pays à partir de 1360. Bien que Jeanne de Seyne, abbesse de 1332 à 1350, augmenta encore le temporel de l'abbaye au début de sa prélature, son gouvernement se termina par les jours sombres dans lesquels le monastère allait entrer. Vers 1355, Jeanne de Saint-Mars gouverne une communauté en pleine décadence, le couvent est devenu désert et désolé , nous dit l'abbé Alliot. Le terrible fléau de la peste dite «  noire  » de 1342- 43 a décimé plus du tiers de la population française et le nombre de religieuses à Gif a considérablement diminué pour atteindre 4 à 5 sœurs en l'an 1383.

Au temps de Jeanne de Saint-Mars, l'abbaye eut plusieurs procès contre des particuliers et contre différentes communautés des environs. L'un d'eux se plaida devant la justice de Montlhéry ; les débats durèrent près de vingt-cinq ans. Ce différend fut une cause de ruine pour la communauté, et de tracas pour les malheureuses abbesses qui se succédèrent pendant ce temps là. Entrepris contre deux chevaliers, Philippe et Pierre de Tanlay, seigneurs de Saint-Yon, qui refusaient de payer aux moniales une certaine quantité de vin, que celles-ci prétendaient avoir le droit de lever sur leurs terres.

Mais plus graves furent les évènements après le désastre de Poitiers (1356), où le roi Jean fut fait prisonnier : la guerre atteignit le Hurepoix qui fut ravagé par différents partis. Les archers du prince de Galles viennent occuper Bures. Les Navarrais, alliés des Anglais, ravagèrent la Beauce en 1357, pillèrent Etampes, Châtres, Montlhéry et Milly. Ils enlèvent un laboureur de Gif contre rançon. Une Grande compagnie menée par Foulques de Laval détruit Saint-Arnoult-en-Yvelines. Edouard d'Angleterre attaqua encore Châtres en 1360 où l'incendie de l'église Saint-Clément coûta la vie à près de 1.200 habitants, puis les Anglais occupèrent Montlhéry la même année, incendiant la basse ville, et en furent chassés l'année suivante. L'abbaye de Gif ne fut pas épargnée, car les monastères étaient réputés pour conserver toutes sortes de victuailles qui attiraient la soldatesque : blé, vin, légumes, viandes salées, volailles et même le fourrage et l'avoine pour les chevaux.

Après Ysène de Voisins (1362) et Béatrix d'Argenteuil (1370), Alips de Damiette reçu la crosse abbatiale de Notre-Dame du Val de Gif en 1382. Maintenant, le couvent est dépeuplé et le temporel amoindri, la règle de Saint-Benoît n'est plus observée. L'archidiacre de Josas, dans une visite qu'il fit à l'abbaye, témoin de l'abaissement dans lequel était tombée la vie monastique, usa des pouvoirs dont il était armé et déposa l'abbesse. On était au cours de l'année 1383 et, Alips de Damiette avait porté la crosse environ deux ou trois ans. En 1384, des bandes armées sévissaient dans la vallée de l'Yvette. Le couvent de Gif faillit être soumis à une perquisition. Des gens d'armes, ayant appris que le couvent avait du vin, résolurent de s'en emparer. Par prudence, l'abbesse fit porter tout le vin de la cave sur des chariots pour le mettre en sûreté à Paris, rue saint-Jacques.

Sous le règne de Charles V, le calme revient et l'économie des villages la vallée de l'Yvette repart pour un temps. C'est ce qu'on peut déduire de l'inventaire de 1630 qui évoque un compte écrit sur un parchemin de peau de porc, à propos des amortissement au proffit desdictes religieuses «  de messire Jehan Reddé, prebtre curé de l'église de Leudeville, au nom et comme recepveur et procureur des dames abbesse religieuses et couvent de l'église Nostre Dame du Val de Gif, de toutes les receptes et despences et mises par luy faictes depuis le lundy segond jour du moys de may, l'an 1384 inclus jusques au jeudy onzième jour de fébvrier 1388 inclus contenant 24 rolles ». Malgré un contrôle sévère du temporel, on cite souvent le cas des fermiers de Gousson déguerpissant nuitamment en emportant tout «  car son si povres et n'avoient aulcunes choses sur quoy icelles religieuses peussent recouvrer  ». Même les officiers du roi de France oublient de verser la dotation royale au couvent de Gif. C'est à dire que les finances sont modestes : sous l'abbatiat de Jeanne d'Aunoy, le revenu annuel en nature, céréales, bétail, vin se monte à 125 livres et 70 livres en espèces, montant des cens et droitures.

 

 

En 1384, l'abbesse Jehane d'Aulnoy occupe le cloître de Gif avec trois moniales : Alips de Damiette, Agnès la Houssarde et Jehanne la Douce. Le chapelain et le prêtre Jehan Réddé, le procureur des dames demeurent au monastère. Nous trouvons également les domestiques au nombre de cinq dont les valets Yvonnet Front et Pierre le Lou et le vacher Perrin Bonnet, et plusieurs manœuvriers et journaliers ; aussi Jehanne la gouvernante de la Mère supérieure et Luquette la chambrière. Le laboureur Colin le Fournier vit à l'abbaye avec sa femme.

 

 

Les chartes du XIVe siècle

En 1326, le roi Charles IV le Bel reconnaît le droit qui avait été donné à l'abbaye de Gif par les rois, ses prédécesseurs, sur la moitié de la dîme du vin consommé par le roi dans son hôtel, à Paris. Cette donation fut aussi confirmée, en 1380, par le roi Charles VI lors de son avènement sur le trône.

Le 2 juillet 1361, fut conclue une transaction entre l'abbesse de Gif, Jeanne Annette, et les religieuses d'une part, et les chanoines de Saint-Benoist de Paris d'autre part, au sujet d'une rente de huit livres due aux religieuses sur une maison de la rue Saint-Jacques, située dans la censive des chanoines, et du droit que les mêmes religieuses avaient de conserver, dans cette maison, leur habitation et demeure dans une chambre d'en haut, une cuisine et une étable pour toutes les fois qu'elles viendraient à Paris pour y vaquer à leurs affaires. Pour continuer à jouir paisiblement de ces deux droits, elles abandonnèrent aux chanoines cent sous parisis de rente annuelle et perpétuelle, à prendre sur les doits et redevances qu'elles percevaient à Fontenay, près Bagneux, Saint-Harbland et Chastillon . Jean évêque de Paris approuva cette transaction. Trois sceaux sont attachés au parchemin : l'un en cire brune de forme ogivale représentant une abbesse debout, sous un dais ogival, tenant de la main droite une crosse tournée en dedans, et soutenant de la main gauche un livre appuyé contre sa poitrine avec la légende « S…IOHNE DEI GRATIA….. ISE CO. V.. T..RE ». Le second de l'évêque de Paris, le troisième en cire verte, portant les armes de l'abbaye, un chef de reine et trois fleurs de lis.

 

 

La visite des archidiacres de Josas

Ainsi, l'évêque de Paris était le patron de l'église paroissiale et avait la collation de la cure ; il avait aussi la procuration du monastère et avait droit de visite de l'église abbatiale et des bâtiments conventuels. Curés et paroissiens étaient traités avec une certaine rigueur ; parfois des conflits eurent lieu, comme la violente querelle entre Jean Mouchard et l'abbesse de Gif à qui on reprochait de négliger les réparations de son couvent. Généralement, les visites de la paroisse et du couvent étaient effectuées le même jour avec la présence de plusieurs ecclésiastiques qui avaient le rôle de juge et d'assesseurs. On peut imaginer la caravane du vicaire voyageant à cheval, accompagné de son secrétaire, de deux domestiques, d'un ou deux prêtres, et toute cette cavalerie parcourant à la hâte les petites villes et les bourgades du Josas, où son passage est un objet de curiosité et parfois d'épouvante pour les paisibles habitants des campagnes.

Alors que les archidiacres n'avaient pas, sauf coutume contrainte, juridiction sur les abbayes, les prieurés, exempts des visites décanales, étaient sujets à celles de l'évêque et de l'archidiacre, ce qui était d'autant plus normal que beaucoup étaient des prieurés-cures, comme par exemple à Longpont. Le cas de l'abbaye de Gif est autre, en tant que de fondation royale, l'abbesse recevait son brevet du roi qui déléguait son droit de visite à l'évêque de Paris.

Notons enfin que le secrétaire du vicaire de l'archidiacre de Josas a commis une erreur dans deux procès-verbaux en donnant un autre vocable à l'église de Gif : Saint-Jean et Saint-Maurice. Ces deux saints n'ont pas été le patron de la paroisse, mais bien saint Rémy. D'ailleurs ce texte n°405 a dû être inscrit ici par erreur, car un autre procès-verbal de la visite faite à Gif, pour la même saison, se trouve plus bas, n° 416.

 

 

La guerre de Cent ans continue

La première moitié du XVe siècle, l'abbaye de Gif eut à subir «  les derniers outrages  », nous dit l'abbé Alliot, où «  de malheureuses religieuses sans protection, seules dans un cloître isolé, à portée d'un repaire de brigands. À tout instant, elles pouvaient devenir l'objet d'un coup de main, et victimes de cruels assassins  ». Dans un mémoire du XVe siècle, on peut lire : «  La dite abbaye a été longtemps en ruine, sans édifices, sans église, et sans religieuses. Ses titres pendant ce temps-là ont été perdus, dérobés et brûlés  ». Cette situation est également décrite vers 1460 par les procès-verbaux des visites de l'archidiacre de Josas. La destruction du trésor contenant les titres de l'abbaye fut très dommageable quand il fallut reconstruire et recouvrer le temporel du monastère. Sans aucun doute, des seigneurs voisins profitèrent de cette situation en usurpant quelques biens dont on ne pouvait justifier la possession.

Reprenons l'ouvrage de l'abbé Alliot : « … de 1423 à 1452, c'est-à-dire durant une période de vingt cinq à trente ans, nous n'avons pas un seul document touchant le monastère. C'est le silence et la nuit la plus complète. C'est aussi l'époque où les Anglais avec leurs alliés Bourguignons étaient maîtres de Paris et de tout le pays d'alentour. Le roi ne pouvait plus siéger dans sa capitale et alla gouverner à Bourges ; les gentilshommes avaient quitté leurs manoirs pour courir aux batailles ; comment les religieuses n'eussent-elles pas abandonné leur cloître ? et comment leur faire un crime d'avoir cherché ailleurs un refuge contre la brutalité du soldat, et la rapacité des gens de guerre ?  ».

En 1452, l 'abbaye en ruine abrite néanmoins quelques moniales, dont Marguerite la Picarde est l'abbesse. Son nom seul est connu. De son administration, du temps où elle fut élevée à la dignité abbatiale, des années pendant lesquelles elle exerça cette charge, il est impossible de rien dire, puisque les titres manquent absolument. En 1455, une nouvelle «  jeune et active  » abbesse fut nommée en la personne de Jehanne de Rauville qui dirigea l'abbaye jusqu'en 1460, mettant toute son énergie à relever le temporel détruit de son abbaye. De ce fait, elle traita avec ses voisins et notamment les chevaliers de l'ordre de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, les éternels contradicteurs de l'abbaye, car ils étaient ses débiteurs pour leur prieuré de Saclay. Des transactions à l'amiable eurent lieu, en 1456, avec le frère Renaud Gorre, commandeur de l'ordre à Paris, au sujet des dîmes et des redevances seigneuriales de Saclay. Le commandeur paya 9 lt. pour toutes les dîmes et redevances arriérées, y compris les frais de procès.

 

 

L'abbatiat de Jeanne de Rauville

Le 20 mai 1456, Jeanne de Rauville signe, avec Jean Eschevin, proviseur du collège Mignon à Paris, Nicolas de Villetain, seigneur de Gif, Pierre de la Suze, prieur de Saint-Clair de Gometz, et Jeanne Hémarde, abbesse du Val-Profond à Bièvre, un bail concernant le moulin de l'Étang (cf. la chronique sur le moulin à eau de l'Étang ). Tous ces personnages possédaient l'immeuble en commun et s'appliquaient avec plus de bonne volonté que de succès à en relever les ruines. Jean Guignard, Tiennette sa femme, et leur fille Marion, nouveaux locataires, s'engageaient à remettre en état le dit moulin, à condition d'en jouir leur vie durant, et moyennant une redevance assez élevée consentie à chacun des propriétaires. Ce contrat, trop onéreux pour le meunier et sa famille, ne tint pas longtemps, et le moulin passa bientôt en d'autres mains.

La tache administrative de l'abbesse fut considérable car il fallait dresser un nouveau terrier sans les titres anciens qui avaient été perdus. Devant les tabellions et officiers de justice de la châtellenie de Châteaufort, on convoqua les paysans et les censitaires de Gif et des environs pour, par témoignage oral, reconstituer l'état des héritages. La tâche fut rude car de nombreux terrains n'étaient pas bornés, beaucoup disparurent au profit de seigneurs voisins. La visite du représentant de l'évêque de Paris, le vicaire Jean Mouchard, le jeudi 18 mai 1458 décrit parfaitement l'abbaye à cette époque : «  Die jovis sequenti, visitavimus abbatiam de Giffo in honore de Marie Virginis fundatam, in presentia sororis Johanne de Rauville abbatisse, et aliorum habitentium ville assistentium, et invenimus ecclesiam appertam, in qua nulla erant sacramenta, et erat valde ruinosa quasi destructa, occasione guerraram preteritarum, preter mediam partem ecclesie vel circiter, quam dicta abbatissa fecit de novo cooperici. Injunximus eidem abbatisse dictam suam ecclesiam claudi citius quam poterit, eo quod carobat valvis, sub pena emende. Item monuimus dictam abbatissam, ut amodo dieat horas suas canonicus, in dicta ecclesia prout tenetur, et quod faciat celebrari missam ibidem, ad minus diebus dominicis et festis solemnibus, quod promisit adimplere. Item fecimus eam momeri ad personam suam, ut ipsa solveret procurationes per ipsam domini archidiacono debitas, pro visitationibus prece dentibus ; que quidem promisit satisfacere infra mensum prope venturum » . (Voir la traduction plus loin). L 'église est ouverte à tous les vents ; elle est en ruine, et les guerres passées l'ont presque entièrement détruite, à l'exception d'une petite partie, que l'abbesse vient de faire couvrir et de réparer tout nouvellement… Aussitôt le visiteur fait une série d'ordonnances pour obliger l'abbesse à faire clore la chapelle le plus promptement possible, à y replacer le Saint Sacrement et les autres choses nécessaires au culte, à réciter immédiatement et sans délai l'office canonial, auquel la communauté était tenue de par sa fondation, à faire dire la messe au moins le dimanche et les jours de fêtes solennelles. Par la même visite, le vicaire n'oublie pas les intérêts de la hiérarchie en évoquant la dette de l'abbaye auprès de l'archidiacre de toutes les procurations arriérées, ce que l'abbesse obéissante promet de s'acquitter dans le délai d'un mois.

Jeanne de Rauville ne resta pas longtemps sur le siège abbatial de Gif. Elle quitta l'abbaye dans les derniers mois de l'année 1460, pour aller gouverner le couvent des bénédictines d'Yerres, «  auquel elle était attachée par des liens très étroits, qui remontaient peut-être jusqu'à sa profession religieuse  ». Après y avoir porté la crosse près de trente ans, elle y mourut le 22 décembre 1488. Marguerite d'Orouër la remplaça à Gif.

La guerre de Cent ans terminée, la population de Gif était tombée à 80 habitants (16 paroissiens ou feux ou familles) alors qu'elle avait été peu avant la guerre de 500 habitants (100 paroissiens) ; c'est dire les ravages de tout le Hurepoix, pendant près de quarante ans, pendant les règnes de Charles VI et Charles VII. On ne compte plus les ruines ; même les églises et couvents n'ont pas été épargnés. L'abbaye des bénédictines de Notre-Dame du Val de Gif, isolée dans les bois de la rive droite de l'Yvette, est complètement en ruine ; seule l'abbesse y demeure pour garder ce qui reste à sauver. Cette situation dramatique, voire même apocalyptique, restera dans les mémoires des religieuses, dès lors que des menaces de guerre reviendront ; ce fut le cas pendant les guerres civiles du XVIe siècle «  dites guerres de Religion  » et celle de la Fronde. À chaque fois les sœurs s'enfuirent pour se réfugier à Paris.

 

 

 

Les visites de l'abbaye de Gif (1459-1460)

Continuons la narration du vicaire envoyé par l'archidiacre de Josas, chargé de l'inspection et de la recette de la procuration «  visitavimus abbatiam de Giffo  ». L'arrivée du prélat assisté de plusieurs curés des environs attire les curieux, qui pour cette fois sont autorisés à entrer dans le cloître. « Ce jour de jeudi 18 mai 1458, nous visitâmes l'abbaye de Gif fondée sous l'invocation de la sainte Vierge Marie, en présence de la sœur Jeanne de Rauville, abbesse et les autres habitants du village qui ont assistés à cette visite. Nous trouvâmes l'église ouverte à tous vents dans laquelle il n'y aucun sacrement et l'église est quasiment détruite tant il y a de ruines causées par les guerres précédentes ; il en est de même de la moitié des bâtiments environnants que ladite abbesse fait à nouveau couvrir entièrement. Il est ordonné à ladite abbesse de faire fermer le plus promptement possible et faire clore son église qui est privée de ses battants de porte, sous peine d'amende. De même, dorénavant, les religieuses de cette abbaye sont tenues de respecter les heures canoniques dans cette dite église et de faire célébrer la messe dans ce lieu, qu'elles promettent d'accomplir les dimanches et les jours de fêtes solennelles. De même le visiteur réclame le montant de la procuration, ainsi que les sommes dues à l'archidiacre pour les visites précédentes ; il lui est répondu que cette dette lui sera payée personnellement dans le mois à venir ».

Le 17 juillet 1460, après avoir visité l'église paroissiale et le prieuré de Chevreuse et l'église paroissiale de Gif, Jean Mouchard arrive à l'abbaye, accompagné des curés de Gif et d'Orsay (2). « Nous visitâmes l'église et l'abbaye Sainte Marie de Gif, en présence de dame Jeannette de Rauville, religieuse abbesse de ce lieu « domine Johannete de Rauville, religiose abbatisse ejusdel loci  », en compagnie du curé de Gif et du curé d'Orsay. La mère abbesse s'est appliquée à obéir aux prescriptions de l'année passées et à relever les ruines qui l'entouraient. Nous trouvâmes toutes choses en bon et suffisant état ; toutefois le Saint Sacrement n'était pas encore replacé dans la chapelle entièrement restaurée cependant . L'église est disposée d'une manière satisfaisante. Le seigneur visiteur épiscopal donne une ordonnance à ladite abbesse afin que celle-ci fasse dresser un inventaire complet des biens de son abbaye et d'en faire état à la curie de Paris avant la fête de l'Assomption de cette même année, sous peine d'amende ». L'année suivante, le vicaire rencontrera la nouvelle abbesse en la personne de dame Marguerite d'Orouër (3).

À suivre…

 

 

Notes

(1) abbé J.M. Alliot, Visites archidiaconales de Josas (chez A. Picard, Paris, 1902).

(2) Le curé de Gif est Dom Guillaume de Voisins «  domino Guillelmo de Vicinis  », le curé d'Orsay s'appelle Dom Jean Giffart «  domino Johanne Giffard presbitero curato de Orseyo  » que l'on retrouve de nombreuses fois accompagnant le vicaire archidiaconal.

(3) Jeanne de Rauville porta la crosse de l'abbaye Yerres pendant près de trente ans, elle y mourut le 22 décembre 1488. L 'obituaire d'Yerres fait d'elle un singulier éloge. Il la loue des beaux procès qu'elle sut faire à un grand nombre de ses sœurs en religion, notamment à une abbaye de Senlis. Par sa part l'abbé Alliot fait ce commentaire singulier : «  Cet esprit, tout à fait normand, explique sa conduite à l'égard de Gif, que l'obituaire ne nomme pas, parce que Yerres finit par être débouté de ses prétentions sur la nomination de l'abbesse de Gif…  ».

 

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