Louis Malet de Graville, seigneur de Marcoussis (V) Le capitaine |
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Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _---------------------- --------- Juin 2010 C. Julien JP. Dagnot
Nous présentons le cinquième volet de la vie de Louis Malet de Graville pour évoquer sa carrière militaire. Après avoir observé l'ascension sociale dans les allées du pouvoir du seigneur de Marcoussis, Bois-Malesherbes et autres lieux, nous abordons l'aspect de sa carrière militaire, car, en tant que digne rejeton des Malet, l'homme pouvait se vanter de faire partie de la noblesse d'épée. Si l'on voulait exprimer un jugement de valeur, on pourrait dire que Louis fut un chevalier pugnace , fidèle à la tradition de sa famille normande. Dans cette chronique, nous ne donnons qu'un aspect de la carrière militaire de Louis de Graville, celle qui l'a conduit jusqu'à l'amirauté. Toutefois, il n'est pas possible de dissocier les deux époques puisque, selon Michel Perret, l'amiral continua de percevoir ses gages de capitaine et garda cette dignité toute sa vie (1).
Les premiers émois militaires Nous n'avons que peu d'éléments pour juger de la jeunesse de l'écuyer Louis de Graville. Le seul document disponible se rapporte au corps expéditionnaire français envoyé en Angleterre en 1461 pour secourir la reine Marguerite d'Anjou attaquée par les Lancastriens. Les Graville, père et fils, firent partie du voyage et faits prisonniers par l'armée anglaise. Jean VI Malet fut retenu dix-sept ans dans les geôles londoniennes alors que Louis aurait été libéré tout de suite. Selon Le Roux de Lincy, « Fait prisonnier en 1463, le seigneur de Graville resta captif en Angleterre jusques après le mois de juin 1467 ». Cette question reste ouverte, mais il semble que Le Roux de Lincy ait fait quelques erreurs car il annonce le début de la captivité en 1463 au lieu de 1461 (2). Graville sortit du rang pour accéder au plus haut grade de l'armée royale. De chambellan du roi, initié par son oncle Jean de Montauban, de simple soldat, puis gentilhomme des gardes du roi, il arrive au commandement de la troupe. Dès lors, il suit le roi dans tous ses déplacements, il devient un familier de sa Maison. Louis XI est plein d'éloge pour son chambellan « il a une singulière confiance de sa personne et de ses sens, suffisance, loyauté et vaillance, bonne diligence et expérience et grant delligence… ». Désormais, Graville reçoit une solde de 1.200 livres tournois par an que lui paie le secrétaire royal Morelet de Museau.
Le capitaine de compagnie Nous avons appris dans la chronique précédente comment Louis de Graville embrassa la carrière militaire en étant capitaine d'une compagnie de cent gentilshommes suite aux lettres de provision données à Rouen par Louis XI le 10 juin 1475. Selon Perret, le jeune seigneur avait atteint sa majorité. Le secrétaire Le Goux indique la qualité d'écuyer moyennant 1.200 livres tournois de gages et 30 livres pour chaque lance. Dans sa Milice Françoise , le Père Daniel s'exprime ainsi : « Je puis dire qu'il n'y a guère d'ancienne maison de gentilshommes que ne trouve quelqu'un des siens enrôlés dans l'une de ces deux compagnies, titres bien plus honorables que les autres contrats et écrits ». Le Père Daniel précise « Louis XI étant à Puiseau, il se fit une nouvelle Garde de cent Gentilshommes, apellés Gentilshomme au Bec-Corbin qui ne subsiste plus, & chacun de ces Gentilshommes devoit entretenir, & avoir à sa suite deux archers, qui faisoient une garde de 300 hommes, outre la Compagnie Ecossoise ; mais depuis aiant dispensé ces cent gentilshommes de cet entretien, par des lettres patentes données à Rouen l'an 1475, il forma de ces deux cens archers une Garde particulière sous les ordres de Louis de Graville ». Telle est l'époque de l'institution de cette compagnie fixée au 11 juin 1475, date vérifiée par les registres de la Chambre des Comptes. Cette troupe se rendit célèbre dans les guerres d'Italie. La compagnie de Louis Malet fut placée sous les ordres d'un lieutenant puisque le sire de Graville ne participa pas à cette expédition en restant dans son gouvernement d'Amiens. Pour compléter la présentation des états militaires de Louis de Graville, nous donnons les conclusions du chanoine Simon Le Pippre de Noeufville dans son abrégé d'histoire des « Gardes du Corps et Gendarmerie de la Garde » publiée à Liège en 1734. « … on voit par les registres de la Chambre des Comptes que la Première Compagnie des Gardes du corps françois, fut instituée le 10 juillet 1473 en faveur de Jean de Blosset, seigneur du Plessis-Pâté ». C'est sans fondement, dit l'historien des troupes de France, que Mr. Guignard dans son Livre de l'Ecole de Mars , mettent son institution en 1475 et prétendent qu'elle fut en faveur de Louis de Graville : « si ces écrivains avoient consulté ou lû avec atention les registres, ils auroient vû certainement par lesdits comptes de la Compagnie que c'étoit en 1473 que Jehan de Blosset, seigneur du Plessis-Pathé, en faveur de qui elle fut établie… ». En réalité les auteurs se sont mépris. Une seconde compagnie exista sous le nom de « Compagnie de Graville » qui fut créée deux ans plus tard en 1475 pour être placée sous le commandement de Louis Malet de Graville . D'ailleurs, François 1er réduisit, en 1541, la compagnie à cent archers, ce ne fut pas pour former la troisième compagnie des gardes du corps comme l'assure le Père Daniel, mais pour en faire la quatrième en faveur de Raoul de Vernon, seigneur de Montreuil-le-Bouyn. Une des prérogatives était de combattre près de la personne du monarque : c'est sous son drapeau que s'enrôlait la noblesse volontaire dans un jour de bataille. Quand à la solde, Philippe de Commynes les nomme les gentilshommes des vingt écus , somme qui à cette époque composait leurs gages. En l'an 1471, la commission, scellée du scel du Roy, fut donnée à Pierre Maudonnier pour payer les gages des gentilshommes de l'hôtel du roi. Nous trouvons en tête de liste « Loys de Graville, écuyer, seigneur de Montaigu » (3). Selon Michel Perret, citant un manuscrit de la BnF , Graville exerça jusqu'au 18 septembre 1481 l'office de capitaine. « C'est le 18 septembre 1481 qu'il fut relevé de ses fonctions de capitaine des cent gentilshommes, par la promotion de Thibault de Beaumont à ce poste. Louis de Graville fut payé jusqu'au 30 septembre et reçut 750 livres tournois ». Graville continuait à percevoir une pension. Le 12 avril 1482, il reçut 760 lt. à valoir sur sa solde de 1.200 livres tournois prélevées sur les aides de l'élection de Bernay et recueillies par le sieur Macé Bastard. La retraite de Graville semble dictée par des problèmes de santé « avec une santé précaire, il ne put soutenir les fatigues de la fonction ». Elle intervient alors qu'il avait 32-35 ans, âge très avancé pour l'époque quand on sait que Louis de La Trémoille , le brillant généralissime de l'armée royale, était âgé de 28 ans.
Les lieutenants de Graville Plusieurs gentilshommes boulonnais sont qualifiés « d'archer sous l'amiral de Graville » qui était appointé comme capitaine d'une compagnie. Alors que les Anglais occupaient Calais, Boulogne était une « ville Françoise » qui avait été ravagée et brûlée à multiples reprises pendant la guerre de Cent ans. Le 21 janvier 1485, Graville est mentionné comme capitaine de Pont-de-l'Arche. C'est la revue des 20 hommes de guerre de morte paye en garnison en cette place?, sous la conduite de Guillaume Villetain, lieutenant de Graville. Chaque homme touche « cent solz tournois par mois ». La revue est passée par Guillaume de Rouville, chevalier, seigneur de Moulineaux, oncle de Graville, du chef de Louise Malet (voir tableau ci-dessous). En l'an 1496, Guillaume Renty est archer sous le commandement de Louis de Graville. En 1509, ce sont Antoine du Mont, Bertrand Dumoulin, Jean La Pierre qui furent « archer des ordonnances sous l'amiral de Graville ». Il s'agit de Gilbert du Crocq, Nicolas de La Croix?. Simon La Folie , Jacques Framery étaient archers en 1501. Pierre Le Grand fut archer des ordonnances sous messire Jean, sieur de La Gruthuse , chevalier, en 1499, et sous l'amiral de Graville en 1501. Nous trouvons également May Heronval, archer sous Monseigneur de Graville, amiral de France, en 1495, 1501 et 1509. En 1501, Thomas Heronval était « archer sous les mesme cappitaine », Antoine du Quesnoy, archer en 1501 (4). Gilbert de La Fayette , fils du gouverneur de Boulogne, était lieutenant de la compagnie de l'amiral de Graville. Cadet d'une ambition effrénée et peu délicat sur le choix des moyens, son étrange mariage fut célébré, par un prêtre de passage, le lendemain de l'enlèvement d'Isabeau, fille du sire de Polignac dont il avait investi le château de force. La famille de La Fayette fut alliée à celle de Graville : Antoine, fils de Gilbert, gouverneur de Boulogne en 1515, chambellan et lieutenant du roi en Provence en 1529, épousa Marguerite de Rouville, fille de Guillaume de Rouville et de Louise Malet de Graville (cf. tableau). Philippe de Menou fut l'un des hommes d'armes de la garde du roi. Ce chevalier servit la compagnie de cent gentilshommes sous la charge de Louis de Graville, depuis 1475 jusqu'en 1481 ; il fut ensuite conseiller et chambellan du roi. Sous Charles VIII, Philippe de Menou garda sa charge de chambellan et eut des lettres patentes qui l'exemptaient de comparaître au ban et arrière-ban du royaume parce que le roi lui avait donné commission d'aller aux « païs d'Espaigne et de Castelloigne ». Ces lettres, datées de Montils-lez-Tours le 25 octobre 1492, furent signées par le roi, le comte de Liney, l'amiral de Graville, les sires de Grimault, de Clérieu et autres, et scellées sur simple queue du grand scel en cire jaune ( Preuve de l'Hist. de la maison de Menou , 1852).
Ce n'est pas par hasard si les hommes d'armes de Louis de Graville étaient issus du Nord de la France , quand on sait que « Monsieur l'amiral » fut toujours attaché à ce territoire, et notamment la Picardie et l'Artois, qu'il avait appris à apprécier du temps de Louis XI.
Les campagnes militaires Au début de sa carrière militaire, Louis Malet se distingua en Artois auprès de Louis XI (5). Absent à cause de l'instruction du procès du duc de Nemours, il rejoint le roi à Arras en juillet 1477 où il en profita pour se faire remettre les biens confisqués de Jacques d'Armagnac. Le 3 octobre, il est inspecté à Villeneuve-lès-Beauvais par le sire du Bouchage, ministre de la guerre, puis l'année suivante à Arras, le 14 avril. Il pris part au siège de Condé en mai. Le 11 juillet une trêve est signée avec Maximilien de Habsbourg qui abandonne la Picardie , l'Artois et la Bourgogne à Louis XI. Graville cumula les charges militaires. La plus ancienne montre reçue en son nom comme capitaine d'Honfleur est du 13 décembre 1488. Il avait été nommé capitaine de Saint-Malo comme le prouve une montre de la garnison du 10 juin 1489. Le 10 juillet de la même année, il était capitaine de Dieppe où 38 hommes « de morte-paye » gardaient le château. Le 5 novembre 1483, Messire Nicolle Chevalier et les clercs de Messire Etienne Petit, reçoivent 4 livres 2 sols 6 deniers tournois, pour avoir fait les mandemens nécessaires touchant la restitution du corps et des biens de Messire Olivier le Dain, prisonnier ès mains du sire de Graville. En1494, des montres sont reçues à Péronne : la première est celle des hommes d'armes et archers qui sont sous la charge et conduite de Messire Loys de Graville, amiral de France, sa personney comprise . En 1498, une sentence du prévôt de la Ferté-Milon , est rendue pour Louis de Graville et de la Ferté , amiral de France. En 1500, le rôle de la montre faite en la ville de Pont-de-1'Arche des gens de guerre tenant garnison dans ladite ville. Quittance donnée par Louis sire de Graville, amiral de France et capitaine de Pont-de-l'Arche. À la même époque, le paiement des frais d'un voyage entrepris par Georges de Clère, en la compagnie de l'évêque de Castres, vers le roi à Blois, pour se plaindre des entreprises de M. de Graville, amiral de France. Dans le recueil de documents inédits concernant la Picardie par de Beauvillé, nous lisons « Le 22 juin 1496, roolle de la montre de soixante hommes d'armes et de cent-vingt archers, en garnison à Péronne sous les ordres de Louis de Graville, amiral de France, dressé par Waleran de Sains, seigneur de Marigny, bailli de Senlis, commissaire en cette partie de par messieurs les maréchaux de France ».
La guerre de réunion de la Bretagne Depuis Louis XI, la question bretonne n'avait pas trouvé de solution. En mars 1488, Charles VIII étant à Paris cita les ducs d'Orléans et de Bretagne devant le Parlement de Paris comme coupables de lèse-majesté. Le 8 du mois, une armée de 10.000 Français, auxquels s'ajoutèrent bientôt 5.000 Suisses sous les ordres de Louis de La Trémoille. L 'amiral de Graville assurait le recrutement et les approvisionnements. Le roi leva un nouvel impôt en Normandie, tandis que le duc de Bretagne fit voter un fouage de 6 livres par feu (6). Louis Malet était conseiller de Charles VIII lors de l'expédition de Bretagne. La perte de Vannes avait consterné la Cour , le roi, les Beaujeu, l'amiral de Graville, pressaient La Trémoille d'entrer en campagne, et de dégager le vicomte de Rohan. L'organisation de l'armée n'était pas achevée et les places conquises en 1487 furent perdues. Pour porter aide au duc de Bretagne, François II, contre le roi de France Charles VIII, une expédition fut organisée, au printemps de 1488, par les Anglais commandés par le sire Edouard Wydeville, seigneur de Scalles et capitaine de l'île de Wright. Le plus clair résultat de cette expédition fut l'anéantissement complet, à la journée de Saint-Aubin-du-Cormier, de la troupe amenée en Bretagne par l'imprudent et téméraire sire de Scalles qui voulait s'illustrer aux yeux du roi Henri VII. Bien que les relations entre la France et l'Angleterre soient déclarées « pacifiques » à cette époque, la question bretonne devenait un sujet de conflit suite à la volonté de rattacher le duché à la couronne de France (7). Une première lettre est adressée de Nantes, à la date du 25 mai, par André d'Espinay, archevêque de Bordeaux, cousin et procureur de l'amiral de Graville, et par le sieur Morvilliers à Louis II de La Trémoille , le généralissime de l'armée française, pour l'informer de l'arrivée du corps expéditionnaire anglais. L'amiral de Graville fait allusion aux mêmes évènements dans sa lettre du 29 du même mois, adressée à La Trémoille « Je vous envoye cy dedans enclos une lectre qui ma esté escripte de Harfleu, et croy bien que Monsieur de Scalles soit passé, mais il n'a pas amené grant nombre de gens quand et luy, ainsi que lesdites lettres vous pourrez veoir… ». Le débarquement des Anglais eut lieu à Saint-Malo certainement avant le 25 mai. Une embuscade fut dressée par le vicomte d'Aunay, gouverneur de Dol afin d'arrêter la progression des hommes d'armes de la Perfide Albion. Dans une lettre écrite d'Angers à La Trémoille à la date du 31 mai, l'amiral de Graville raconte la chose « … Tout à ceste heure le vicomte d'Aunay a escript une lectre au Roy par laquelle il luy faict sçavoir que jeudi derenier, il fut adverty que Monsieur de Squalles et les Anglais qui estoient descendus à Saint-Malo, estoient arrivez à Dinan ; et partit tout incontinent, et mena envignon six vingt hommes d'armes, et y estoient méritain [vers minuit], et misdrent deux ou troys embusches devant jour, et envoyèrent trente chevaulx courre devant la ville ; et tous mes Angloys saillirent à vau de route sur lesdicts trente chevaulx, et les chassèrent bien demye lieue jusques dedans leur embusche, où ils estoient le nombre dessusdit. Pour conclusion, ils les ont deffaiz et en ont emmené des prisonniers 114, et sur la place en est demouré de mors douze vingt et plus… ». Immédiatement, le roi d'Angleterre, Henri VII Tudor, envoya une lettre à « Très hault, très excellent, très puissant prince nostre très chier et très amé cousin le roy Charles de France… », désavouant son capitaine pour avoir débarquer en Bretagne. Il va sans dire que l'hypocrisie faisait partie du jeu diplomatique « entre les chers cousins ». Les pourparlers diplomatiques devinrent complexes quand on parla du mariage d'Anne et d'Isabeau, les filles du duc François II, héritières de Bretagne. Le vicomte Jean de Rohan, qui réclamait le duché du chef de sa femme fille du duc François 1er proposait de marier ses fils. La régente et Pierre de Bourbon s'étaient engagés à marier Charles VIII avec Anne. En octobre 1489, l'amiral de Graville avec une flotte de vingt-cinq navires chassa Bizien de Kérousy.
La journée de Saint-Aubin-du-Cormier Une des pages de l'épisode de notre histoire nationale qui a rattaché à l'unité française une de nos plus chères provinces à été écrite sur le champ de bataille de Saint-Aubin-du-Cormier. Nous voulons parler du prolongement de la guerre de Cent ans entre la France et l'Angleterre sur le sol breton sous le prétexte de porter aide au duc de Bretagne contre le roi de France Charles VIII. La bataille de Saint-Aubin-du-Cormier qui eut lieu le lundi 28 juillet 1488 mettait en présence les troupes françaises menées par Louis II de La Trémoille contre celles du duc François II menées par Jean IV de Rieux et ses alliés le roi d'Angleterre, le roi de Castille, et le duc Louis d'Orléans. La défaite de ces derniers clôt la « guerre folle », conflit féodal des princes révoltés contre la puissance royale, défendue par la régente Anne de Beaujeu pour son frère mineur Charles VIII (8). Face aux 11.000 hommes de l'armée du roi de France possédant l'artillerie la plus puissante d'Europe, celle du duc de Bretagne était composée de 10.000 hommes dont l'ost breton, 2.500 arbalétriers béarnais, 1.000 Aragonais, 800 lansquenets allemands, 300 archers anglais, des Castillans et les gentilshommes accompagnant le duc d'Orléans. Louis II de La Trémoille , grand vainqueur à Saint-Aubin-du-Cormier, capture le prince d'Orange et Louis d'Orléans, futur Louis XII. Depuis, le ressentiment régna entre ce prince et les membres du gouvernement dont l'amiral Louis de Graville faisait partie. Voici quelques vers du beau poème de Percy Stone qui en donna une admirable description : …Ils rompirent, hélas ! Les lances bretonnes, Revenons aux développements politiques, précédant cet évènement, relatifs à l'amiral de Graville. Dans sa lettre à la date du 25 mai adressée à Louis de la Trémoille , généralissime de l'armée française, André d'Espinay, archevêque de Bordeaux, cousin germain de l'Amiral, avait signalé l'arrivée d'un petit corps expéditionnaire anglais en Bretagne « L'on dict icy pour vray que Monsieur d'Albret est à Quimper Corentin, et Monsieur de Squalles à Saint-Malo. Dieu mercy, ils ne sont poinct sy fort accompaignez… ». Le 29 du même mois, étant à Angers, l'amiral de Graville envoya une autre lettre à La Trémoille « Je vous envoye cy dedans enclos une lectre qui ma esté escripte de Harfleu, et croy bien que Monsieur de Scalles soit passé, mais il n'a pas amené grant nombre de gens quand et luy, ainsi que par lesdictes lettres vous pourrez veoir… ». En tant qu'amiral il avait son réseau d'informateurs et contrôlait tous les ports de Normandie, utilisant, même, sa famille. Une embuscade fut tendue par les français à Dinan. Voici comment dans une lettre écrite d'Angers à La Trémoille à la date du 31 mai, Louis de Graville raconte la chose : « …Tout à ceste heure le vicomte d'Aunay a escript une lectre au Roy par laquelle il luy faict sçavoir que jeudi derenier, il fut adverty que Monsieur de Squalles et les Anglais qui estoient descenduz à Saint-Malo, estoient arrivez à Dinan ; et partir tout incontinent, et mena envignon six vingt hommes d'armes, et y estoient méritain (9) , et misdrent deux ou troys embusches devant jour, et envoyèrent trente chevaulx courre devant la ville ; et tous mes Angloys saillirent à vau de route sur lesdicts trente chevaulx, et les chassèrent bien demye lieue jusques dedans leur embusche, où ils estoient le nombre dessusdit. Pour conclusion, ils les ont deffaiz et en ont emmené des prisonniers 114, et sur la place en est demouré de mùors douze vingt et plus… ». semble être en double en italique
L'amiral et les expéditions d'Italie En quête d'aventures nouvelles et pour assouvir leurs rêves chimériques trois rois valoisiens tentèrent l'aventure italienne. Résumons brièvement la première guerre d'Italie sous le règne de Charles VIII. Alors que le pays vivait dans une paix retrouvée, le roi, plusieurs de ses conseillers et la chevalerie française, en prétextant le faire-valoir des droits acquis par Louis XI sur le royaume de Naples, décidèrent de conquérir la péninsule. Tout commence le 25 janvier 1494 quand le roi, à la tête de 30.000 hommes fait une entrée triomphante à Naples, en costume d'empereur byzantin (10) . L'année suivante, face à la Ligue de Venise , les Français décident de quitter l'Italie, mais sont forcés de livrer bataille à Fornoue le 6 juillet 1495. Contre les 35.000 hommes de la Ligue , les 9.000 Français remportèrent une victoire stratégique devant la tactique italienne. Revenons au développement avec l'action de Louis de Graville. Dès son émancipation, Charles VIII rendit sa liberté à son beau-frère et cousin, le duc Louis d'Orléans, qui avait été fait prisonnier à la bataille de Saint-Aubin du Cormier. Admis au Conseil du roi, le prince rêvait l'agrandissement de ses possessions italiennes ; son goût concordait avec le penchant du jeune roi. Deux conseillers intimes poussaient Charles dans cette voie : Etienne de Vesc, son ancien valet de chambre et devenu président de la Chambre des Comptes de Paris et Guillaume Briçonnet, évêque de Saint-Malo. Ces deux hommes étaient opposés aux vieux politiques de la cour de Louis XI, affidés du conseil de « Madame de Beaujeu », tels que l'amiral de Graville, le maréchal d'Esquerdes et Philippe de Commynes. Tous les trois imbus de la politique de Louis XI, disaient « que, quant à guerroyer, il eût été préférable de s'agrandir aux dépens des restes du duché de Bourgogne » (11).
Portraits du général Louis de La Trémoille et du maréchal de Gié.
Le projet de conquête de Naples fut discuté dans une grand Conseil tenu à Plessis-les-Tours. « Le seigneur de Graville amiral de France, remontra avec beaucoup de force les difficultés de l'entreprise ». Dès lors, bien qu'étant un militaire de haut rang, Louis de Graville s'opposa à la guerre. Sagesse, clairvoyance ou lâcheté ? L'avenir lui donna raison. Tandis que le roi et son armée se livraient aux plaisirs à Naples et « jouissoient des charmes du printemps », les ennemis du roi se déclarèrent. La preuve est donnée dans une lettre adressée par le roi à l'amiral de Graville, à la date du 13 février 1495. « Monsieur l'amiral, j'ay receu vos lettres du XXVIIIe jour de janvier, escriptes à Amyens, touchant l'assemblée des gens de guerre que fait le roy des Romains au quartier là où il est, et vous me dictes que l'on ne sçait encores au vray de son intencion. Je me donne merveilles de ce qu'il fait la dicte assemblée, vu les bonnes parolles qu'il m'a fait porter par ses ambassadeurs qui sont icy avec moy. Toutesfois je vous mercie de ce que m'en avez adverty. J'ay bien fiance que vous donnerez si bon ordre à tout au quartier là où vous estes, que, avec l'ayde de mes bons visiteurs et nobles hommes du pays, estans par delà, il ne se fera rien à mon désavantage. Vous pouvez vous adresser pour les choses qui vous seront nécessaires au général des finances Gaillard auquel j'ay escrpt qu'il face ce que vous luy ordonnerez, et je sçais bien qu'il ne vous laissera avoir faulte de rien. De ce qu'il vous surviendra, faictes moy savoir des nouvelles à toute diligence. Vous m'avez escript d'autres lectres de la dicte assemblée, lesquelles je n'ay point eues. Il faut dire que les postes ont été détriussés en chemyn , et pour ce faictes vous en enquerir et le faictes sçavoir à mon frère de Bourbon ». Puis parlant d'un fait d'armes le roi écrit « Je vous assure Monsieur l'Amiral, que je ne veiz jamais ung si bel esbat ni si hardiement assaillir et défendre que je veiz là ». Parlant de ses conquêtes en Puille et Abbruzzes « la Poille et de Prusse », il termine par « Et au demourant escrpvez moy souvent ce quil sourviendra par delà, et adieu Monsieur l'Amiral ». Charles d'Egmont, fils d'Adolphe et Catherine de Bourbon, était le neveu de la régente Anne de Beaujeu. Après avoir été emprisonné par les Français, le duc fut libéré en 1492. En 1506, voulant reprendre son duché, il fut aidé par le roi Louis XII « le roy Loys voulant donner ayde et secours au duc de Gueldres contre la maison de Bourgogne envoia de rechef Mr. de Sedan avec 500 hommes d'armes et 4.000 hommes de pied dont estoit chef René d'Anglure … ». Parmi les compagnies engagées dans cette expédition, nous avons «… et estoit le capitaine des gens de cheval Messire Robert de La Marche , avoit avecq luy…Monsieur de La Faiette , lieutenant de Mr. l'Admiral de Graville, cent hommes d'armes… ». L'armée vint mettre le siège devant Tillemont pendant lequel « piétons François voyant qu'il falloit aller à l'assault, se commencèrent à mutiner pour leur payement, Mr de Sedan et le sieur de Corby vindrent donner dedans eulx tellement que à grands coups d'espée les fisrent aller à l'assault… ». La ville fut prise et pillée. Le roi envoya le général Louis de La Trémoille , son lieutenant-général en Italie avec toute son armée. On fit marcher la gendarmerie « qui estoit de douze cent hommes d'armes, assçavoir la bande de Messire de La Trimouille , cent hommes d'armes, …, la bande de Mr l'Admiral Graville, la bande de Mr La Fayette , et plusieurs autres compaignies nouvelles que nous ne sçaurions nommer ». Lors de cette expédition, il y avait onze mille « lansquenets que menoient le jeune Advantureux et Monsieur de Jamets, son frère… ». Puis, l'auteur des mémoires précise « Qui menoit l'artillerie de France estoit Monsieur de La Fayette , parent de Monsieur l'Admiral Graville, lequel estoit homme sage et de bon entendement, comme cy-après sera déclaré… ». Les relations entre Louis XII et l'amiral de Graville ont toujours été froides voire détestables. Dans les mémoires de Philippe de Commines, nous lisons « Durant le règne de Charles VIII, l'Admiral de Graville et La Trimouille , aussi-bien que le maréchal de Gié, de la maison de Rohan, bon serviteur du Roy, mais mauvais Breton, furent les plus emploez, personnages de grand sens ; La Trimouille , grand capitaine ; Graville ennemi du duc d'Orléans, pour quelques piques particulières ; de sorte qu'il s'opposa toujours à sa délivrance. Lorsque Charles VIII approcha de l'âge de 20 ans, le crédit de Graville diminua et ses avis, qui dissuadoient la guerre d'Italie, le rendirent tout-à-fait odieux ». Il faut que le lecteur sache l'inimitié extrême entre Graville et Commynes. Une question s'impose : pour quelle raison l'amiral, un des plus officiers supérieurs, avec le connétable et la maréchal, était-il hostile aux guerres d'Italie. Certains ont prétendu qu'il avait des intérêts personnels qui ne correspondaient pas avec les expéditions lointaines. La réponse peut-être autre. En 1494, Graville avait 42 ans au moins et sans doute était-il vexé de ne pouvoir participer aux combats à cause de son âge. En effet, la guerre était une affaire pour les jeunes et intrépides chevaliers. Le généralissime n'avait que 28 ans, le roi était âgé de 24 ans.
Le gendre de Monsieur Louis de Graville n'eut que deux fils morts jeunes ; il reporta toute son affection sur ses deux gendres Jacques de Vendôme, époux de Louise et Charles II d'Amboise, époux de Jeanne. Ce gentilhomme, issu d'une famille prestigieuse, était seigneur, par sa famille, de Chaumont-sur-Loire, Meillant, Vendreuvre, Sagonne-en-Bourbonnais, baron de Charenton et de Revel. Les dignités pleuvaient sur la tête de Charles d'Amboise. Deux éminents parrains poussèrent sa carrière : son beau-père l'amiral et son oncle le cardinal d'Amboise, premier ministre. Jacques de Vendôme, vidame de Charles fut également pourvu de charges militaires. En 1497, le roi créa une nouvelle compagnie de gardes-françaises archers du corps dont il fit capitaine Jacques de Vendôme. Brièvement, notons que Charles II d'Amboise obtint, à l'âge de 20 ans, le gouvernement de Paris, le 3 février 1493 et figure parmi les pensionnaires du roi pour 800 livres par an, et en 1494, à l'époque de l'expédition de Naples, il commande une compagnie de trente lances. En août 1499, « il n'était plus débutant », nous dit Jean d'Auton. « Le sire d'Aulbigny, qui l'un des chiefz de l'armée étoit…ne pouhoit à cheval monter, ne suyvre l'ost,… et la prya Charles d'Amboise, grand maistre de France, que durant sa maladye du faiz de la guerre le voulsist descharger ; ce que vouluntiers voulut faire, voyant la charge plus honorable que pondeureuse ». Charles d'Amboise fut nommé grand maistre de France dès l'avènement de Louis XII. En 1499, il n'était donc plus un débutant et fut créé grand maître de France par le roi?. En 1504, il se constitua une compagnie de 100 lances et occupa la capitainerie de Dieppe. Le nouveau siècle est le temps des malheurs pour Louis de Graville. Après la mort prématuré de ses deux fils Louis et Joachim, il perd sa femme, Marie de Balsac décédée au château de Marcoussis le 23 mars 1503. Vieillissant et de santé précaire, Louis de Graville arrive à l'âge 70 ans quand il décide de transmettre la charge de Grand amiral de France à son gendre préféré, tout en gardant sa dignité et sa pension. Ses gages se montaient à 10.000 livres tournois payées le 27 février de chaque année. Charles d'Amboise devient amiral en 1508. Parti en Italie avec l'armée royale, il partageait, au soir du 14 mai 1509, le triomphe d'Agnadel avec Louis XII ; au mois de février 1510, il venait d'hériter des grands biens du cardinal, quand il mourut de maladie à Corregio, en Lombardie, le 11 février 1511, n'étant âgé que de trente-huit ans. Nous reviendrons sur la biographie du personnage dans la chronique spécifique aux filles de Louis Malet. À suivre…
Notes *Rappelons que par abus de langage, nous succombons, comme la plupart des auteurs, à nommer Louis Malet de Graville par « amiral » ou « amiral de Graville » bien qu'il ne reçut la dignité qu'en janvier 1487. (1) P.-M. Perret, Notice biographique sur Louis Malet de Graville, amiral de France (A. Picard, Paris, 1889) gr. in-8° de LI-270 p. (2) Le Roux de Lincy, Vie de la reine Anne de Bretagne, femme des rois de France (Curmer, Paris, 1860). (3) C. de Crespy le Prince, Chroniques sur les Cours de France (chez Roux et Cassanet, Paris, 1843) p. 323. (4) L.-E. de La Gorgue-Rosny , Etat ancien du Boulonnais (Impr. Le Roy, Boulogne, 1873). (5) Au lendemain de la mort de Charles le Téméraire le 5 janvier 1477, Louis XI entreprit de reconquérir les provinces du Nord et guerroya en Artois et en Flandre. (6) L'auteur de la « Réunion de la Bretagne à la France » précise que le fouage rapporta une somme de « 220.000 livres bretonnes, valant environ 280.000 livres tournois ». Ce qui donne une population bretonne de 36.600 feux ou environ 183.000 âmes. (7) La Bretagne dont Charles VIII menaçait l'indépendance, avait été de tout temps la fidèle alliée de l'Angleterre, et les Anglais ne voyaient pas d'un bon œil que la France cherchât à la subjuguer. François II envoya une ambassade à Londres afin de réclamer l'intervention d'Henri VII Tudor. Nous savons que le contentieux se termina, en décembre 1491, par le mariage de Charles VIII avec la duchesse Anne de Bretagne. (8) Après la tenue des Etats généraux de 1484, les grands seigneurs féodaux se révoltèrent contre le pouvoir central tenu par Anne de Beaujeu et son mari le duc Pierre de Bourbon. Le duc François II de Bretagne désirait plus d'autonomie pour le Duché, tentait de préserver son pouvoir. Cherchant des appuis extérieurs, il fit de multiples promesses d'alliance matrimoniale de sa fille Anne, héritière du duché : d'abord avec Maximilien d'Autriche, puis le vieux barbon Alain d'Albret, le roi d'Angleterre, et de nouveau à Maximilien d'Autriche. Après la défaite, le traité fixa le mariage d'Anne avec le roi Charles VIII qui fut célébré en décembre 1491. (9) Vers minuit. (10) Pour de plus amples informations le lecteur pourra consulter : Histoire des Guerres d'Italie en 3 volumes, traduction de F. Guichardin (chez Paul Vaillant, Londres, 1738). Un résumé est accessible sur le site www.herodote.net. (11) Étienne de Vesc (1447-1501), seigneur de Savigny-sur-Orge, issu d'une famille du Bas-Dauphiné, est l'un de ceux qui forma les yeux de Louis XI. Grand officier de la Couronne , il entre au Conseil de Régence, et devient président de la Chambre des Comptes en 1489. Il est mort à Naples pendant la campagne d'Italie de Louis XII. Guillaume Briçonnet , d'origine narbonnaise (1445-1514), seigneur du Plessis-Rideau, est un officier royal hors du commun ; puis un ecclésiastique français, surnommé le cardinal de Saint-Malo . Nous le trouvons dans divers postes : général des finances, surintendant, chancelier de France, etc. Après la mort de sa femme, il occupe plusieurs sièges épiscopaux : Saint-Malo, Toulon, Nîmes, et devient archevêque de Narnone, de Reims (1497), puis créé cardinal (1495) par le pape Alexandre VI. Briçonnet fut un homme de caractère trempé qui n'hésita pas à s'opposer violemment au pape Jules II. Briçonnet et de Vesc dirigèrent le conseil privé du roi. Philippe de Crèvecœur, seigneur d'Esquerdes (1418-1494), est un brillant militaire qui se distingua à la bataille de Montlhéry et ramena l'Artois à la Couronne. Il devient maréchal de France en 1486. Proche de Louis de Graville, il est nommé lieutenant général des armées en Picardie.
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