Louis Malet de Graville, seigneur de Marcoussis (VIII) Le diplomate |
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Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _---------------------- --------- Juin 2010 L'amiral Louis de Graville (dessin de Du Moustier. Coll. Moreau Nélaton)C. Julien JP. Dagnot
Cette chronique est la huitième partie de l'histoire de Louis Malet, sire de Graville, dans laquelle nous développons ses activités de diplomate et de médiateur. Nous avons vu à plusieurs reprises que Louis Malet avait appris son métier auprès de Louis XI qui lui permit de gravir rapidement les degrés du pouvoir. Des personnages de l'entourage du roi, comme Jean Balue, Philippe de Commynes, Robert Gaguin, le sire du Bouchage, Jean Bourré, Georges d'Amboise, Pierre de Rohan, etc., furent, plus souvent, ses interlocuteurs et collaborateurs, parfois ses ennemis.
Le conciliateur Louis de Graville était ce que le roi fut par dessus tout, lui-même : un diplomate, constamment chargé, pendant toute la durée du règne, des plus délicates missions. Il avait acquis une réputation d'homme sage à qui le Conseil du roi confiait des missions diplomatiques. Il avait fait « ses classes » avec Louis XI qui lui avait confié une mission spéciale auprès de ses cousins d'Anjou, faisant droits de l'abandon successoral de Marguerite d'Anjou, reine d'Angleterre. Nous donnons le détail plus bas. Avant de continuer, laissons nous aller à quelques considérations générales. Louis de Graville vécut à la fin de ce XVe siècle qui a vu des bouleversements considérables dans la société. C'est la fin du Moyen âge, le début de l'époque que les historiens appellent « les Temps Modernes », c'est-à-dire la Renaissance ; c'est le temps de l'imprimerie, de la découverte du Nouveau monde, du développement des techniques, des arts et de la littérature, etc. De ce point de vue Graville fut un homme avant-gardiste, un réformateur usant les pouvoirs du roi contre ceux des grands seigneurs affaiblis. Le 11 octobre 1482, le roi convoqua à Tours une assemblée de seigneurs, afin de leur lire les remontrances et instructions qu'il a rédigées à l'intention du Dauphin. Pierre de Beaujeu, accompagné du chancelier et de Graville, alla à Amboise où demeurait le futur Charles VIII. Graville eut l'honneur d'un entretien « et devisa mondit seigneur le Dauphin particulièrement à un chacun et après mesdits sieurs prirent congé et se départirent ». À la mort de Louis XI, la régente Anne de Beaujeu et ses conseillers, dont Louis de Graville, voulurent confirmer la paix de 1478. Antoine Lorédan fut désigné comme ambassadeur de la République de Venise. Les négociations durèrent près d'un an. La ratification du roi Charles VIII fut donnée le 23 septembre 1484 à Bois-Malesherbes « Boscum bonarum herbarum », propriété de l'amiral Louis de Graville, auquel assistait le duc d'Orléans, les comtes de Clermont, de Vendôme, de Dunois, le maréchal de Gyé et de nombreux autres seigneurs et officiers royaux. Suite à la reddition de Nantes, Alain d'Albret avait reçu la promesse qu'il recevrait 25.000 livres de rente assises en Bretagne. Après bien des disputes le roi fut contraint de signer une transaction à Vienne en août 1494 où le sire d'Albret se contentait de 6.000 livres de rente avec les seigneuries de Gaure et Fleurance. Le Parlement de Paris aussi bien que la Chambre des Comptes refusèrent la validité du traité. Après de multiples appels, réquisitions, comparutions, contredits et plaidoiries, le sire d'Albret demanda d'en référer au Conseil du roi. Charles VIII délégua le nouveau chancelier, Guy de Rochefort et l'amiral de Graville auprès de la Chambre des Comptes pour essayer de fléchir les résolutions arrêtées. Ces ambassadeurs se heurtèrent à l'obstination raisonnée des gens des Comptes. Alain d'Albret refusa la rente de 12.000 livres que proposait le Conseil en compensation. On laissa " dormir le procès " jusqu'en 1498 date de la mort du roi.
Le marieur Plusieurs fois, nous avons évoqué les capacités de médiation de Louis de Graville. Au cours de ses fonctions gouvernementales, l'amiral fut « un marieur ». Il fut très impliqué dans les projets matrimoniaux d'Anne de Bretagne. Nous avons parlé à maintes reprises des alliances prestigieuses qu'il fit faire à ses filles aînées, mariages non dénués d'intérêts politiques pour le père. Le contrat de mariage entre Louise de Graville et Jacques de Vendôme contient des clauses particulières, en faveur de l'amiral de Graville. Le seigneur de Marcoussis eut des activités diplomatiques importantes dans le domaine des épousailles, car la politique européenne au Moyen âge était ponctuée par l'alliance des maisons princières. De par sa position privilégiée au sein du Conseil du roi, Graville a fait et défait plus d'un mariage. C'était, pour lui, une manière de modeler l'Europe selon les préceptes de son ancien maître, le roi Louis XI. En tant que premier ministre d'Anne de Beaujeu, Louis de Graville joua un rôle non négligeable dans le mariage du jeune roi Charles VIII avec Anne de Bretagne. Cette princesse avait été promise à plusieurs princes. Parmi ses fiancés, il y eut le prince de Galles, Maximilien de Habsbourg, Alain d'Albret, Louis d'Orléans, Jean de Chalon (1). Évoquons un instant l'un de ces prétendants, en la personne d'Alain, sire d'Albret « quoyqu'âgé de 45 ans, couperosé et chargé d'enfans d'un premier mariage, n'épargnoit rien pour parvenir à épouser Anne de Bretagne, qui n'avoit que douze ans. Ses intrigues, son argent, les secours qu'il envoyoit luy avoient procuré un parti assez puissant dans le pays », mais tous les compétiteurs disparurent, « si-tost que Charles VIII se présenta… ». Graville ne fut pas étranger à toutes ces manœuvres. Après la défaite de Saint-Aubin-du-Cormier, les négociateurs du traité du Verger imposèrent une clause d'alliance de la duchesse. Le 6 décembre 1491, Anne de Bretagne épousait officiellement Charles VIII au château de Langeais. À la fin de l'été 1496, Graville eut un grand intérêt par une alliance entre les maisons d'Espagne et d'Autriche. Jeanne la Folle se rendait en Flandre par mer, pour épouser Philippe le Beau, et l'archiduchesse Marguerite, ancienne fiancée de Charles VIII, s'embarqua sur la même escadre pour aller se marier avec le prince des Asturies. « Graville, sçachant bien qu'elle ne pouvait passer par terre, insista qu'on eust à luy boucher le passage de la mer avec une autre flotte ». Il fallait 20.000 écus pour que le roi d'Angleterre « presteroit trente voiles trois mois durant pour ce sujet ». Toutes ces entreprises entraînèrent de grosses dépenses, un emprunt de 100.000 écus fut levé. Le 22 septembre 1504, Graville fut appelé à remplacer le maréchal de Gié dans le maniement des finances. Il fut l'un des principaux négociateurs qui signèrent le traité de Blois qui donnait Claude de France en mariage à Charles d'Autriche (le futur Charles Quint). Les fiançailles furent annulées par les États généraux de 1506 au profit du comte d'Angoulême (futur François 1er). Graville joua un grand rôle lorsque Charles d'Alençon disputa à Charles de Bourbon, fils de Gilbert de Montpensier, la main de Suzanne, l'unique héritière des Beaujeu. L'amiral craignait que le duc d'Alençon devienne aussi puissant et redoutable qu'autrefois le duc de Bourgogne. Louis XII écouta les arguments de Graville, et le 10 mai 1505, Suzanne épousait Charles de Montpensier, le futur connétable. Louis d'Orléans, héritier présomptif de la Couronne monte sur le trône sous le nom de Louis XII, à l'âge de 36 ans, en succédant à son beau-frère et cousin, le 7 avril 1498, et est sacré, le 27 mai, en la cathédrale de Reims. Aussitôt, le roi s'empresse de répudier sa femme Jeanne de France, fille cadette de Louis XI. Le mariage est annulé pour « non-consommation » par le pape Alexandre VI. Il épouse en secondes noces Anne de Bretagne le 8 janvier 1499 à Nantes. Perret dit que Graville ne participa pas au divorce, nous en sommes moins certain car l'homme était doué pour les questions de droit canon. Graville était à Blois le 19 octobre 1505 et souscrivait au contrat de mariage de Germaine de Foix avec Ferdinand le Catholique. Petite-fille de Charles d'Orléans et nièce du roi Louis XII, Germaine était également une cousine de Graville du chef des Visconti. Alors qu'il était proche du tombeau, Louis de Graville intervint encore une fois dans un mariage royal, celui de Louis XII, veuf d'Anne de Bretagne, avec la jeune Marie d'Angleterre. Le 11 octobre 1514, Graville fut du nombre des seigneurs qui allèrent recevoir la future reine, quand elle débarqua en Picardie. Par contre, Graville manqua irrémédiablement le mariage d'Anne sa fille cadette chérie qui fut enlevée par Pierre de Balsac, le neveu de Madame de Graville. Cette histoire romanesque pour les amoureux, mais tragique pour l'amiral, sera contée en son temps dans une prochaine chronique.
La crise vénitienne Louis de Graville détestait les Vénitiens. Nous ignorons la raison, mais doutons qu'il suivait l'opinion de son « maître ès diplomatie », nous voulons désigner Louis XI. Les Vénitiens ne s'étaient pas toujours montrés bien disposés pour la France. Graville ne les aimait pas, nous dit Michel Perret. Dans une lettre datée de 1488, de l'amiral, on lit que « les Vénitiens sont hérétiques et ennemis du Roy ». N'y aurait-il pas dans cette détestation, l'horreur des marchands et de l'argent facile ? S'il en était ainsi, la contraction ne gênait pas l'amiral qui s'est enrichi facilement en étant au gouvernement. Nous avons déjà évoqué la crise franco-vénitienne qui apparut lors du pillage des galères de la Seigneurie en juin 1486. Graville fut chargé de conduire une commission de conciliation afin d'étudier les conditions de dédommagements de Venise. Il fut un habile négociateur, ramenant les exigences de la délégation vénitienne conduite par Zorzi de 200.000 ducats à 30.000. Pour Michel Perret, cet incident a eu une grande importance dans la carrière de Graville, ayant résolu un différend maritime, il s'était désigné « à la nomination comme amiral ». Bien qu'il n'aimât pas les Vénitiens, Louis de Graville fut dans l'obligation de composer avec la plus grande puissance maritime de la Méditerranée. Etant à Paris du 22 février au 9 avril 1491, il assistait à la réception que le roi faisait aux « ambassadeurs de la seigneurie ».
L'amiral et la politique italienne Nous aborderons à plusieurs reprises la question de l'expédition italienne. Laissons Commynes nous expliquer les sentiments de Louis de Graville « Depuis le commencement de l'an 1496 que jà le Roy estoit deçà les monts… Ceulx qui avoient plus de crédit à l'entour de luy estoient tant divisez que plus ne pouvoient. Les uns vouloient que l'entreprise d'Italie continuast, c'estoient le cardinal et le sénéchal, voyans leur profit et authorité en la continuant. D'autre costé estoit l'amiral qui avoit eu toute l'authorité avec le jeune Roy, avant ce voyage ». Commynes qui détestait Graville force aussi le trait de ce côté « Cestuy-là vouloit que ces entreprises demeurassent de tous poincts, et y voyoit son profit au moyen de retourner à sa première authorité et les autres à la perdre… ». Bref, Graville participait à la bataille d'influence au sein du gouvernement, « des faucons et des colombes ». En sauvant la reine Marguerite d'Anjou, fille de René 1er, des mains des Lancastriens, Louis XI, qui avait payé une rançon de 50.000 écus pour sa libération en lui faisant signer un traité dans lequel les possessions de la maison d'Anjou reviendraient à la France. René 1er, roi de Sicile, duc de Lorraine, de Bar, d'Anjou et de Calabre, comte de Provence, etc. est devenu le seigneur le plus doté et le plus riche ; il meurt en 1480 et a comme successeur, son frère Charles V du Maine. Celui-ci ne jouit pas longtemps de cette opulente succession ; il meurt sans postérité l'année suivante après avoir institué son cousin, le roi Louis XI, son héritier universel. Désormais, le roi de France ne cessera de revendiquer ses droits sur le royaume de Naples (2). De cette manière le roi pouvait faire valoir ses prétentions sur le royaume de Naples. La diplomatie française, par le traité de paix signé le 9 janvier 1478, avait créé un bonne intelligence entre la France et Venise ; le gouvernement français trouvait des avantages politiques, le gouvernement vénitien surtout des avantages pécuniaires. Désormais, les rois de France jouaient un rôle considérable « au-delà des monts » en devenant un souverain médiateur dans la péninsule. L'amiral de Graville jouissait d'un grand crédit chez les Italiens. Au cours de l'année 1492, le comte Charles Barbiano, envoyé à Paris par Ludovic le More, remis à Louis de Graville une lettre du duc de Bari où celui-ci le remerciait de ses bons offices tant pour le duc de Milan Galéas que pour lui-même. Il connaissait les bonnes dispositions que l'amiral avait pour son parent, le duc de Milan, et il était heureux de voir que ses sentiments s'étendrent à son endroit. « A monsignore l'armiraglio havemo doppia obligatione : l'una del amore dimonstrato dov e bisognato verso le cose nostra, l'altra che spontaneamente e per studio di vera bonta habii usato questi tremini verso noi, quale el conte ce ha declarato. ..», c'est-à-dire Monseigneur l'amiral a montré une double qualité : celle de la démonstration de l'amour des choses que nous lui sommes redevables, d'autre part , de façon spontanée la manifestation de la vraie bonté qu'il a utilisées sans trembler pour nous , que le comte nous a déclaré… ». La haute idée qu'on se faisait à l'étranger de son crédit devait encourager l'amiral à ne rien épargner pour le conserver.
Le médiateur des Célestins de Marcoussis Bien que l'amiral de Graville ait toujours été généreux avec les Célestins de Marcoussis, il avait été autorisé à amortir des terres dépendant de Marcoussis, des chicanes éclatèrent à propos de droits seigneuriaux. Le 27 juin 1504, étant à Chambord, Louis XII mandait aux prieur et religieux des Célestins de Marcoussis de remettre à Jean Robert et Guillaume Abernate l'argent, les billets de banque et les papiers de l'Écossais Job Abernate, en son vivant serviteur de l'amiral de Graville. Voici cette lettre, dans la forme et l'esprit de l'époque « De par le Roy. Chers et bien amez. Nous avons esté advertiz que avez en voz mains certain argent avec plusieurs cedulles et enseignemens qui furent à feu Job Abernate, escossoys, en son vivant serviteur de nostre cousin, le seigneur de Graville, admiral de France, et combien qu'il vous soit deuement apparu par le double du testament fait par ledit deffunct que Jehan, Robert et Guillaume Abernate, ses cousins, archiers de nostre garde, sont ses héritiers, neantmoins avez fait difficulté leur faire delivrance desdits biens, dont nous donnons merveilles. A ceste cause et que voullons et entendons lesdits biens, cedulles et enseignemens leur estre baillez et delivrez comme à ses vraiz héritiers, nous vous mandons et enjoingnons très expressement que incontinent ces lettres veues, vous baillez et mettez ès mains desdits Jehan, Robert et Guillaume Abernate ou de celui d'eulx qui presentement s'en va devers vous par delà pour ceste cause tous et chascuns lesdits biens, cedulles et enseignemens sans en riens retenir, ainsi que plus au long nous escripvons à nostre dit cousin, l'admiral, lequel croyez de ce qu'il vous en dira. Et gardez bien d'y faire faulte. Donné è Chambort le XXVIIe jour de Juing. Loys ». Les religieux ne se hâtaient pas de rendre une succession qui leur était échue, peut-être par un testament irrégulier, et le 9 juillet, du Bois-Malesherbes, Graville rappelait au prieur les ordres du roi : depuis trois semaines, leur dit-il, la lettre que leur a adressé le roi à ce sujet est aux mains d'un gentilhomme malade à Orléans : « de nouveau le Roy m'en escript assez aigrement » ; il les engage donc à « depescher l'affaire ». Voici la lettre de Graville au prieur du couvent des Célestins de Marcoussis : « Monseigneur le prieur, je me recommande à vous tant comme je puis. Le Roy m'a escript unes lettres depuis trois jours touchant l'argent de Job Abernaty que vous avez qui estoit mon serviteur, de quoy, je vous ay autresfoiz parlé, et, comme je vous dy, quant je vous en parlay derrenierement, il n'est point de besoing que faciez faire longue poursuite aux héritiers dudit Job et que vous le depeschez de sorte qu'il ne retourne plus au Roy pour ce, car il en pourroit venir inconvenient. Le dit sieur vous en escript des lettres, mais le gentil homme qui les portoit a esté trois sepmaines malade à Orléans. Le Roy m'en escript assez aigrement, et ne vous envoie point la lettre par ce que ledit sieur m'escript d'autres matieres : mais je vous prie encore une foiz, que vous y besongnez si bien que ledit sieur n'ait cause d'en estre mal content. L'en dit que vous avez les cedulles des bancquiers, et que ledit Job vous les bailla, quant, et l'argent. Si vous ne dictes tout ce que vous avez à ses archers de la garde qui vont devers vous, et que le Roy en soit adverty par autre moien, je vous asseure que ledit sieur n'en seroit pas content. Et à Dieu, monseigneur le prieur qu'il vous doint tout ce que vous desirez. Escript au Bois-Mallesherbes le IXe jour de Juillet. Le tout vostre, Loys de Graville ».
Le négociateur de la Régente Sous la régence d'Anne de Beaujeu, Graville fut tout à la fois : amiral, membre du Conseil, capitaine, diplomatique, ministre de la guerre et des finances et exerça les fonction de premier ministre. Dans les premiers temps, la Régente affronta la révolte des princes, appelée « la guerre folle ». Graville s'employa à empêcher la coalition de grossir de nouveaux adhérents. C'est ainsi qu'il regagna le duc de Lorraine qui était un peu son parent (voir le tableau). Le 30 septembre 1484, à Bar, René de Vaudémont s'engagea « de prendre le parti du jeune roi Charles VIII et de l'en tenir envers et contre tous ». Le traité établi par Graville restituait le duché de Bar et on constituait au Lorrain une pension de 36.000 livres . Quand il est question du maintien du droit féodal, Louis de Graville se conduit en grand seigneur. Ainsi, en 1487, il donna raison au duc de Savoie qui réclamait que les devoirs de foi et hommage du marquis Louis de Saluces qui ne reconnaissait que le roi. Graville est sévère avec le sire du Bouchage qui tergiversait « Vous avez fait merveilleusement bonne dilligence, mais en esté grant faulte d'avoir oblyé vos lettres ». En cette fin d'année 1487, au milieu des préoccupations politiques, Graville semble avoir négligé les devoirs de sa charge d'amiral ; il vaque à ces dernières fonctions, étant, le 27 décembre, à Honfleur pour rencontrer Richard le Paulmier, son « procureur et controlleur à Honnefleu et à la coste d'environ sur le fait de nostredit office pendant un an ». Tout en suivant un idéal, servir son pays et le voir s'agrandir territorialement, Louis de Graville est réaliste. Ayant reçu les ambassadeurs de Bretagne, il leur accorde l'armistice qu'ils sollicitent. La trêve dure du 19 mai au 12 juillet 1488, négociée par André d'Espinay, archevêque de Bordeaux, cousin germain de l'amiral « Ce n'est que ung amusement de ceste tresve, c'est la vraye vérité et ne fault point que vous faciez de doulte du contraire », écrit-il.
Après avoir rejoint le roi à Niort le 26 mars 1490, Graville ne quitte plus le roi Charles VIII, pendant la plus grande partie de l'année voyageant de concert dans le royaume. Nous le trouvons au Plessis-du-Parc, à Tours, à Fontainebleau, à Amboise, à Montliz-les-Tours et à Angers en septembre. En octobre, Graville quitte la Cour pour se rendre à Rouen dans le but de remontrer « à la convention et assemblée des gens des troys estats tenus en nostre ville de Rouen ès moys d'octobre et novembre, la nécessité de lui laisser prendre, choisir et eslire oudit pays de Normandie le nombre de deux mil hommes de pié bons combatans pour résister aux dampnables entreprinse des Angloys ».
Le garant de la paix Au cours des années 1492-1493, Louis de Graville s'employa à neutraliser l'action des Anglais et des Allemands en Flandres et en Bourgogne. Henri VIII se présentant devant Boulogne pour l'assiéger fut contraint de renouveler à Etaples, le 5 nombre 1492, la trêve marchande de Pecquigny. L'amiral de Graville figure parmi les garants de la paix ; il devait la faire observer sur les côtes et dans les ports français. En même temps, Maximilien de Habsbourg entama des pourparlers et demanda un sauf-conduit pour adresser une ambassade à Charles VIII. C'est ce dont Graville informe Duplessis-Bourré dans sa lettre datée de Milly-en-Gâtinais le 22 novembre. Louis de Graville avait le dédain tenace pour les « gens d'Outre-Rhin »s et plus spécialement à l'endroit de Maximilien qui avait été fiancé à la duchesse Anne de Bretagne ; il estimait suffisant de renvoyer Marguerite d'Autriche à son père, sans céder la Franche-Comté et l'Artois (3). « Les François usèrent de grosses et hauteines parolles… le sire de Graville, lors admiral de France, dit assez aigrement à aulcun des gens du roy des Romains : entre bons Bourguignons vous ne cessés jamais de nous estaler et menasser… Si le roy mon maistre vouloit croire mon conseil, il ne vous rendroit jamais fille ne fillette, ville ne villette ». Malgré les conseils de Louis de Graville, la paix fut signée à Senlis le 5 mai 1493. Il fut désigné comme « conservateur pour la mer de la part du roy ». Selon un ambassadeur italien, Graville « n'épargne aucun effort pour faire obstacle à la paix ». Il rentre en conflit avec le prince d'Orange, neveu du duc François II de Bretagne, « principal négociateur de la paix ». Le vice-amiral pour la Guyenne devient l'un des plus grands ennemis de Louis de Graville. L'amiral était fâché de voir plus d'un quart de siècle de politique étrangère s'évaporer pour « les fumées et gloires d'Italie ». En 1495, Graville lutte contre les menées de Maximilien et des princes allemands qui veulent reprendre la Bourgogne ; il envoie le sire du Bouchage en Allemagne pour une ambassade « Monsieur du Boschaige est passé et s'en va aprez le roy des Romains en Allemaigne, je vous asseure qu'il me semble que la commission lui est très dangereuse ». À suivre…
Notes (1) Jean de Chalon-Arlay, prince d'Orange était le fils de Guillaume VII et de Catherine de Bretagne, sœur du duc François II. Jean de Chalon était le cousin germain d'Anne de Bretagne, donc héritier présomptif du duché après celle-ci. Dans une lettre adressée au duc de Milan par son ambassadeur, ce dernier écrit à propos de la paix de Senlis « le prince d'Orange est l'un des grands ennemis de l'amiral, celui-ci souffrait de voir le prince acquérir une très grande gloire… ». (2) La seconde maison d'Anjou est issue de Louis 1er, deuxième fils du roi Jean II le Bon. René 1er d'Anjou, son petit-fils, était devenu chef de cette maison à la mort de son frère aîné Louis III en 1434. Ayant épousé Isabelle 1ère de Lorraine, il devient consort de ce duché en 1431, puis héritier du royaume de Naples en 1435 par le testament de Jeanne II, reine de Naples. A sa mort (1480) seules ses deux filles Marguerite et Yolande luis survivait, son fils Jean II et ses petit-fils Jean III et Nicolas étant morts avant lui. Seul, son neveu Charles V duc du Maine était son héritier naturel. (3) Pour justifier l'accaparement des provinces bourguignonnes, Louis XI avait fiancé son fils unique à Marguerite d'Autriche, fille de Maximilien 1er de Habsbourg (le roi des Romains) et de Marie de Bourgogne. Âgée de trois ans, la fillette avait conduite à Amboise pour être élevée en « fille de France ». Pour des raisons de politique Marguerite est renvoyée en décembre 1491 pour laisser la place à Anne de Bretagne.
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