Louis Malet de Graville, seigneur de Marcoussis (VI) L'amiral de France |
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Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _---------------------- --------- Juin 2010
C. Julien JP. Dagnot
Cette chronique est le sixième volet de l'histoire de Louis Malet, sire de Graville, qui devint, avec la charge de Grand Amiral de France, l'un des grands officiers du royaume. À partir de 1487, une nouvelle page de la carrière militaire s'ouvre pour le seigneur de Marcoussis. En guise d'introduction, nous donnons le texte le plus souvent reproduit dans les biographies de Louis de Graville ; c'est une brève biographie avec des erreurs communément rencontrées « Louis Malet, seigneur de Graville , de Marcoussi, et de Bois-Malesherbes, gouverneur de Picardie et de Normandie, pourvu de la charge d'amiral l'an 1485. Il résigna cette dignité, l'an 1508, à son gendre Charles d'Amboise, seigneur de Chaumont-sur-Loire, lieutenant-général pour le Roi, et gouverneur de Paris, Milan, Gènes et Normandie, chevalier de l'ordre, maréchal et grand-maître de France, et neveu du célèbre cardinal Georges d'Amboise. Charles d'Amboise mourut en 1510 à Corrège en Lombardie. Après sa mort, Graville exerça de nouveau la charge d'amiral dont il s'était réservé la survivance. Il mourut le 30 octobre 1516 ».
La dignité d'amiral La dignité de grand amiral de France remonte au commencement du XIVe siècle. Une ordonnance de 1322 parle d'un amiral de la mer « admiralium maris ». Mais comme pendant longtemps la France n'avait pas de marine et était réduite à louer des vaisseaux étrangers, la charge d'amiral était peu importante. Elle devint plus importante à la fin du XVe siècle quand il s'agit des expéditions pour conquérir le royaume de Naples. L'amiral avait une juridiction absolue sur toutes les côtes du domaine royal, les flottes étaient sous ses ordres. Il nommait ses lieutenants, recevait leurs serments, pouvait seul autoriser les armements maritimes, prélevait un droit sur toutes les prises, etc. À partir du règne de Louis XI, le gouvernement surveilla l'administration maritime et soumit à l'autorisation de l'amiral tous les vaisseaux qui voulaient entrer dans les ports. Les habitants des paroisses, sujets au guet de mer, devaient être passés en revue deux fois par an par l'amiral ou son représentant. Les tribunaux du grand amiral s'appelaient amirautés et se divisaient en sièges généraux et sièges particuliers. La table de marbre siégeait à Rouen. Dans une déclaration, nous lisons : « Les gens tenant l'Amirauté de France au siège général de la table de marbre du Palais à Rouen savoir faisons que des registres du greffe dudit siège, année mil cinq cent cinq, a été extrait et collationné à la minute originale ce qui suit : déclaration du voyage du capitaine Gonneville et ses compagnons ès Indes, et remarques faites audit voyage baillées vers justice par il, capitaine et ses compagnons du Roy nostre Sire et qu'enjoint leur a été ».
La marine à la fin du XVe siècle Rappelons tout d'abord quelques faits. En 1453, la France réussit à sortir du long conflit qui l'a opposée pendant cent ans aux Anglais. Le roi Charles VII reconstitue les finances et dote le pays d'une solide marine de guerre, qui expulse définitivement les Anglais en 1457. Seul Calais est occupé. Le règne de Louis XI n'est guère calme, perturbé par des guerres civiles et des différends avec les grands féodaux. Ouverte à la fois sur les ports de la Mer du Nord et sur l'Atlantique, la Normandie jouit d'une situation particulièrement propice au commerce. Un auteur anonyme dit « Louis de Graville , profitant de ses hautes fonctions et de ses relations avec les navigateurs, s'était formé une sorte de ménagerie de bêtes et d'oiseaux, ... ». Nous ignorons le lieu où se trouvait ce zoo. Pendant tout le Moyen Âge, les marins de l'embouchure de la Seine habitaient plusieurs villages : Le Havre-de-Grâce, l'Eure et le Chef-de-Caux. Au milieu du XIIIe siècle, la population comptait 200 chefs de famille, soit 1.000 habitants, sans compter les pauvres. Au XIVe siècle, on comptait 767 masures sur un territoire de 24 acres. Comme chaque masure comprenait quatre habitations, on comprend la forte densité de la population maritime du Havre-de-Grâce et du village de l'Eure. C'est durant ce siècle qu'il faut placer la décadence dues à des causes multiples : la peste noire, les incursions anglaises, mais aussi les destructions de la mer qui envahissait 80 à 100 salines par année (1). Le Havre-de-Grâce était devenu un port d'échouage, sans quais ni écluses, les mariniers étant réduit à se diriger à l'aide de perches, fournies par le fermier du seigneur de Graville , moyennant un droit de 4 deniers par tonneau de jauge. Les navires étaient aussi assujettis à d'autres redevances, toujours au seigneur de Graville ; onze maquereaux pour cent et quelques bûches de bois par centaine transportée. Les pêcheurs devaient aussi payer 5 sols, quand ils faisaient sécher leurs filets sur le rivage. Les paroisses voisines d'Ingouville, Octeville, Harfleur étaient dans la même situation. Certains historiens ont prétendu qu'en 855, une flotte normande séjourna dans la crique de Graville « Fossa Guiraldi ». Le Havre eut du reste longtemps une existence précaire qui ne lui permettait guère longues pensées et vastes desseins. C'était une pauvre station de pêcheurs, appartenant au sire de Graville , souvent dévastée par les "males marrées" .
Les nefs du Moyen Âge (enluminure, BnF).
L'amiral de Bourbon Louis de Graville succéda, en quelque sorte à son oncle Jean de Montauban, même si l'on trouve l'amiral de Bourbon entre deux. Louis, bâtard de Bourbon, comte de Roussillon, fils naturel du duc Charles 1er de Bourbon et d'Auvergne qu'il eut avec Jeanne de Bournan. Louis de Bourbon fut amiral pendant vingt ans de 1466 à janvier 1487. Il « estoit admiral de France, capitaine de cent lances, capitaine de Honnefleur et Graville en Normandie et avoit d'autres grands biens du roy. Il avoit esté homme de bien et s'estoit fort employé au fait des guerres du temps du roy Louis XI ». Louis possédait en Loudunais la seigneurie du Coudray-Montpensier. Il avait épousé, en 1465, Jehanne de France, fille naturelle de Louis XI et sa maîtresse Félize Regnard (2) . En janvier 1463, la flotte sous les ordres du grand amiral Louis de Bourbon et de l'amiral Coulom, de son vrai nom Guillaume de Casenove, comprenait les nefs : la Trésorière , la Bourbonnaise , la Magdeleine , la Jehannette , la Brunette et enfin la barquete Raoul-Péan , convenablement avitaillées et garnies de francs-archers pour combattre les navires anglais de l'amiral Warwick. Pendant le conflit en Flandre (1479-1482) les courses de l'amiral Coulom et de quelques autres marins normands pour affamer la province décidèrent Maximilien à accepter une trêve. Le bâtard de Bourbon mourut le 19 janvier 1487.
Nomination d'un nouvel amiral La mort de Bourbon avait excité toutes les convoitises car, outre le prestige de la dignité, les gages étaient substantiels, 10.000 livres tournois par an. Tous les princes et les seigneurs de la haute noblesse intriguèrent pour obtenir ce poste qui disaient-ils « ne pouvait leur échapper ». La faveur des Beaujeu contribua beaucoup à la fortune de Graville. Les dates de deux quittances données par Louis de Graville permettent d'encadrer celle de la provision de la charge d'amiral : dans sa quittance du 24 janvier, Jean Lallemant, commis aux finances reconnaît avoir reçu de Denis Duval, grenetier de Dieppe, 300 l.t. partie de 3.000 l.t. ordonnées à Louis, seigneur de Graville, « chambellan et conseiller du roy » pour sa pension de 1487. Le 31 janvier il donne une quittance sur ses gages d'Amiral qui s'élèvent à 2.000 l.t. par an. Graville a donc été nommé amiral entre le 24 et le 31 janvier 1487 par le roi Charles VIII . Quelle est la raison de ce choix ? Le titulaire de la charge d'amiral devenait inévitablement un homme influent à la table du Conseil. Anne de Beaujeu refusa de l'attribuer à un prince, mais bien au contraire avait besoin que le titulaire soit un antagoniste aux princes. Graville fut le challenger. Pour Michel Perret « il fallait qu'il fût un homme de paille et ne le parût pas ; or personne dans l'entourage de Madame ne remplissait ces conditions mieux que Graville… ». Il appartenait d'ailleurs à une province maritime, où se trouvait l'arsenal royal « le clos des galées ».
Un acte de piraterie Alors qu'il n'était pas encore « Amyral », mais préludait à cette fonction, Louis de Graville fut mêlé, en 1485, à une crise franco-vénitienne. Quatre galères vénitiennes parties fin avril pour les Flandres furent attaquées le 20 août à la hauteur du cap Vincent par six navires portant pavillon français et commandées par le corsaire Colon qui sortit vainqueur de ce combat naval. Les Vénitiens furent libérés alors que les navires et les marchandises furent confisqués. La République, exigeant la restitution des biens volés, eut satisfaction dans un premier temps mais Graville s'y opposa « jà les mariniers en ont leurs pars et qu'ils ont vendues et transportées ainsy qu'il ont voulu et sont les trois quarts desdits mariniers tous estrangers et sur lesquels il n'y a aucune rescousse ». Rendre le butin serait abandonner l'effort de reconstruction de la marine française. Il donna des sauf-conduits aux marins. La crise s'installa quand, en novembre 1485, un agent vénitien nommé Rosetti arrivé à Honfleur pour « la délivrance desdites galaires et biens » fut tué au cours d'une émeute dans la « haulte rue ». Le 18 décembre Graville contresigna un mandement de mettre sous séquestre les galères de Venise et de faire une enquête sur l'homicide. Dans un premier temps Graville protégea ses marins et plus spécialement le corsaire et conduisit une commission d'indemnisation de la Seigneurie. Une somme de 30.000 ducats fut accordée sur les 200.000 demandés alors que les Vénitiens se lamentaient « lors du pillage des galères, les ponts ont été détériorés, au point que les débris qui subsistent ne peuvent plus servir ; quant aux carcasses des navires, laissées à l'abandon et sans soin, elles ne sont bonnes qu'à brûler… ». Grâce à Graville, l'homme des solutions pacifiques et de la conciliation, une entente s'installa (3). Cet acte de piraterie des galères vénitiennes eut un tardif épilogue en août 1493, quand Charles VIII promulgua une ordonnance réglant la compétence de l'amiral en matière de piraterie et portant en substance que « les jugements de l'amiral et ses autres actes interlocatoires pour faits de piraterie, seront quant à la restitution des biens, exécutoires nonobstant appels, à charge pour les marchands qui ont obtenu ces jugements de fournir caution ».
L'escadre de l'Atlantique L'escadre basée à Rouen était composée de La Loyse , vaisseau amiral jaugeant 790 tonneaux, la Nef de Rouen et autres vaisseaux de haut bord. Le 10 août 1489, à Rouen, Jean de Broc, seigneur de la Ville-au-Fourrier, présida au marché des fournitures « pour mettre dans la grande nef de M. l'amiral de Graville ». En 1515, l'armement et l'entretien du vaisseau amiral coûtaient un écu par an et par tonneau. Dans un glossaire nautique d'Augustin Jal, nous lisons : « … sur la recepte de lannée prouchaine dernier terme, par Loys, seigneur de Graville, admiral de France depuis lannée 1485, pour le parfaict de quatre mil deux cens livres tournois, faisant partie de la somme de 23.175 livres , en quoy ledit seigneur lui est demeuré tenu de reste du service et noligement de ses deux nefs, l'une nommée La Pensée , et l'autre nommée le Lyon, par luy entretenues à ses despens, armées… ». Un manuscrit du trésor des chartes donne des informations identiques « messire Louis de Graville, amiral de France, de ses deux nefs, l'une nommée la Pensée , l'autre le Lyon, qu'il avait entretenues a ses dépens, pendant 19 mois, au recouvrement du royaume de Sicile ». On sait que cet amiral concourut à la défense du Mont-Saint-Michel.
Galère vénitienne du XVIe siècle (gravure).
Dans la lettre adressée à M. de Rothelin, Charles VIII parle de l'organisation d'une « grosse armée de mer et paiement des 4 ou 5.000 hommes qu'il y fault » afin de secourir le royaume de Naples et « les gens de bien qui y sont demourez ne pevent estre secouruz… ». Le souverain précise « J'ay escript à messieurs l'admiral et mareschal de Gyé recouvrer six barches en Bretaigne, des meilleures et mieulx equippes qu'on y trouver, pour aller querir la Loyse, et l'acompaigner jusques à Marseille, et me servir es cest affaire. Je ne fays point de doubte qu'ilz ne le facent, car ils entendent assez qu'il est besoing, et que ce seroit grant perte de perdre ladicte Loyse » (4). En fait le roi demande le secours de la marine car il écrit « Pour ce que vous aurez à besongner de navires, retenez tout le navire marchant et autres qui arrivera ès portz et hasvres de Prouvence pour mon service, et par especial ceulx que congnoistrez qui seront pour emploier et servir en cette armée de mer ». « Monsieur le cardinal m'a escript qu'il seroit bon, pour promptement raffraichir Gaiette, en attendant le grant secours, envoyer deux navires legiers aux bandieres de Savoye, tirans la voye de l'isle de Cicille, et que de nuyct elles calassent au port dudict Gayette. Cest advis me semble très bon ; si vous voyez et congnoissez qu'il soit executable, faictes le, car je vouldroye et desire que ladicte place de Gayette soit secourue et aidée en toutes facons ». S'étant résolument opposé à l'expédition en Italie, Louis de Graville laissait, au printemps 1494, le commandement de la flotte au duc d'Orléans. L'amiral devenait le conseil de la jeune reine, Anne de Bretagne. La flotte, composée de soixante-dix-sept bâtiments de guerre sous les ordres de Louis d'Orléans fut envoyée à Gênes, avec l'ordre de combattre celle du roi de Naples. Dans les instructions données le 4 mai 1494 au grand écuyer, Pierre d'Urfé, qui allait à Gênes avec Jean de la Primauldaye mettre la flotte en état, on trouvait encore l'ordre « de préparer la galéace et une gallée pour la personne du Roy, se besoing est ». Le combat naval devant Gênes où se trouvaient quarante-quatre galères de la flotte napolitaine dura sept heures
L'expédition navale à Brest Bien que défaits à Saint-Aubin-du-Cormier, les Anglais continuaient à vouloir occuper la Bretagne. Bizien de Kérousy avec la flotte bretonne occupa la rade de Brest et assiégea la ville gardée par 1.200 Français sous les ordres de Guillaume Carreau. Au début de septembre 1490, l'amiral de Graville avec une flotte de 25 navires chassa Bizien de Kérousy. L'amiral avait réquisitionné des navires de charge sur les côtes normandes, c'étaient : la Marie de Cherbourg , capitaine Guyon de la Haye, seigneur de Vauvile, la Madeleine de Cherbourg , même capitaine, la barque la Germaine , capitaine Pierre de Tersan, la Madeleine , capitaine Jean Yvain, la Madeleine de Dieppe , la Catherine de Dieppe , la Julienne , la Rose , le Courtault et la Nef d'Adien de Lospital, lieutenant de la compagnie de M. de Torcy. Sur ces vaisseaux on chargea « arbalestes, traict, fil de botte, cire gommée, artillerie, pouldres, plomb pour faire les plombées, musles pour lesdites plombées, plomb en platine, cuir de beuf pour les pertuis, lances à feu, fallotz et gresses, troys cens livres de plomb ». Pour escorter ce convoi on arma la Loyse, navire amiral . Après l'intervention navale de Brest, l'escadre se trouva « le long de la couste d'Angleterre pour essaier à revanche l'oultraige fait par les Engloys à bruller la Hogue et autres villaiges au duchié de Normandie ». Profitant de ce qu'il se trouvait sur les côtes pour accompagner, en novembre 1491, sur sa grant nef la Loyse avec plusieurs autres navires normands, Louis de Graville sollicita « les commissaires et paiement des gens de guerre qui sont audict Brest » pour le dernier quartier de l'année. Il avait fait avec le roi un forfait pour ces voyages et leurs préparatifs. Le 22 février les généraux des provinces payaient, à cet effet, 5.506 l.t. 11 s. 7 d.t. à Graville qui en donna quittance le 10 mai. La menace d'Henri VII continuait à planer et dès le 31 mars 1491, avec l'accord de Graville, Jean Dubois, valet de chambre du roi, est nommé contrôleur et surveillant des navires équipés à Honfleur et des gens de pied qu'on y embarquera pour repousser les attaques anglaises. Un telle activité coûta fort cher ; Graville reçut une somme de 22.500 l.t. pour « equipper et advitailler certain nombre de navires tant de Normandie que de Saint-Malo et fournir de vituailles le brigantin et deux carevelles ». Les armements continuaient en juillet à Honfleur, comme nous l'apprend un mandement, donné aux Montils le 2 juillet 1491, de rembourser à Graville 3.256 l.t. 15 s. 5 d.t. pour le reste de l'armement de la flotte. Les équipages étaient complétés le 26 juillet par Antoine Cauwart, vice-amiral.
La cité maritime d'Honfleur Cette cité était le port d'attache de la flotte de l'amiral. Louis de Graville succéda à l'amiral de Bourbon au poste de gouverneur d'Honfleur. Il venait à peine d'être investi de cette dignité, quand, au cours de l'année 1487, le roi Charles VIII traversa la Normandie et s'arrêta, quelques jours, à Honfleur. Grâce à l'amiral, la navigation à Honfleur est dans un état de prospérité et de gloire. Parmi les navigateurs au service de Louis de Graville, le port d'Honfleur put en compter deux qui étaient ses enfants : c'étaient Binot-Paulmier appelé aussi Gonneville et Jean Denis. Le premier parti pour les Indes, perdu en mer, termina son voyage au Brésil au cours des années 1503-1504. Par contre Jean Denis voyagea en Atlantique nord et aborda la côte de Terre-Neuve. Depuis le voyage de Colomb, l'Amérique retenait toute l'attention et la ville d'Honfleur, renommée pour l'excellence de ses pilotes, prenait le plus vif intérêt aux explorations maritimes. « Honfleur fut alors pour nos marins, ce que fut Lisbonne, ce que fut Séville pour les conquistadores, le port d'où l'on cherchait à gagner les Indes par l'Orient et l'Occident », dit La Roncière. L'échevin Simon du Solier avait la garde d'un manuscrit de Marco Polo que s'étaient procuré les pilotes du port, et l'amiral Louis Malet de Graville, gouverneur de la ville en fit faire une copie. À la fin du XVe siècle, on ouvrit une fabrique de biscuit de mer à Honfleur pour ravitailler nombre de navires de guerre. Le biscuit de mer « façon de Honfleur », galette ronde ou carrée avec de la farine de froment, a été très recherché pour les approvisionnements de la flotte. Antoine de Conflans a signalé le pain biscuit de Honfleur dans son Traité concernant le navigaige . En 1513, on en approvisionnait la nef le Lion , la nef amirale la Louise et la flotte réunie par Louis Malet de Graville les années suivantes. Sur les quais du port d'Honfleur, il fallait entendre les injures proférées par les « loups de mer » des équipages rivaux, voire les rixes avec les Anglais. En 1484, c'est un archer de la compagnie de l'amiral-gouverneur, Louis de Graville, et trois compagnons anglais qui vident une querelle le coutelas au poing. En date du 20 avril 1513, l'amiral de Graville donna un sauf-conduit aux habitants d'Aurigny pour voyager en basse Normandie.
Le voyage de Gonneville Suite à une visite à Lisbonne où il avait appris la valeur des épices achetées à Cochin, le capitaine Binot Paulmier de Gonneville, avec quelques hardis compagnons, équipa un petit navire de 120 tonneaux, baptisé l'espoir, qui mit à la voile le 24 juin 1503. Toutefois, il ne put doubler le cap de Bonne-espérance et ne visita que le rio San-Francisco do Sul et Bahia, c'est-à-dire le Brésil, et à son retour fut attaqué près de Jersey par le corsaire de Plymouth, Edward Blount, puis, le 7 mai 1505, par le Breton Maurice Fortin. Gonneville jeta l'espoir à la côte ; trente et un survivants purent gagner Honfleur le 20 mai. Le voyage de Gonnevile au Brésil fut récemment narré par Leyla Perrone-Moisés (5). Nous engageons le lecteur à consulter cet ouvrage. Avant de revenir en Europe, les Français décident de laisser une marque de passage. Le jour de « Pasques de l'an 1504 » se déroule la « dévore cérémonie » au cours de laquelle les marins plantent une croix en bois peint « sur un tertre à vue de la mer ». Sur la croix on inscrit un « distique numéral latin » indiquant la date de l évènement. L'inscription porte le nom du pape Alexandre VI, celui du roi Louis XII et celui de l'amiral de France, Louis Malet de Graville. Voici comment furent composée les deux vers de l'inscription : Hic sacra Palmarius posuit Gonivilla Binotus Grex socius pariter neustraque progenies. [Ce monument a été ici consacré par Binot Paulmier de Gonneville, en compagnie à la fois de la population indigène et de la génération normande]. Il y a de compte fait, dans les deux vers, un M, trois C, trois L, un X, sept V et neuf I ; soit 1000+300+150+10+35+9 = 1504 la date de cette expédition (6).
L'amiral sous le règne de Charles VIII Dans sa publications de 1776, l'historiographe de la maison de Bourbon, Joseph Désormeaux, narrant les évènements survenus sous le règne de Charles VIII, expliqua l'ascension de Louis de Graville auprès d' Anne de Beaujeu, duchesse de Bourbon du chef de Pierre, son mari. Puis sa chute, victime de la jalousie incommensurable des princes du sang. Il faut donc voir deux périodes de la fortune de Louis Malet de Graville pendant le règne de Charles VIII. Durant la régence, l'admiral de Graville et La Trimouille, comme aussy le mareschal de Gié, bon serviteur du Roy, mais mauvais Breton, furent les trois plus employez, tous personnages de grant sens. La Trimouille, grant capitaine, Graville ennemy du duc d'Orléans pour quelques picques particulières, de sorte qu'il s'opposa toujours à sa délivrance. Lorsque Charles VIII approcha l'âge de vingt ans, le crédit de Graville diminua, et ses advis qui dissuadoient la guerre d'Italie, le rendirent tout-à-fait odieux. [Année 1491] « Cette princesse avoit honoré de toute sa confiance, Louis Malet seigneur de Graville, pendant qu'elle gouvernoit l'État ; Graville l'avoit servie dans les conseils, comme La Tremoille et Desquerdes à la tête des armées : ce Seigneur adroit sut bien profiter de sa faveur, qu'il avoit emporté la charge d'Amiral de France, sur tous les Grands du royaume, et même sur des Seigneurs du Sang qui la sollicitoient : il acquit de si grands biens et les administra avec tant d'ordre, qu'il devint le plus riche particulier du royaume. On sait que le cardinal de Richelieu, dont l'opulence et le faste excitèrent tant d'envie et de haine, fit imprimer le testament de l'amiral de Graville, pour faire voir que la fortune de ce gentilhomme qui avoit joué un rôle bien inférieur à celui qu'il représentoit, effaçoit la sienne ; au surplus les vertus de Graville égaloient ses talens : Charles VIII avoit cru faire le choix le plus digne en le mettant à la tête de l'administration ».
L'amiral sous le règne de Louis XII Dans ses chroniques Jean d'Auton mentionne (tome 2, chap. XXV) « comment messire Louis de Graville , amiral de France, qui de ce règne avoit été hors de cour, fut par le roi mandé et mis en grande autorité, et comment aucuns trésoriers et autres furent pris et punis pour avoir pillé l'argent du roi ». Le 16 novembre 1500, l'amiral de Graville donnait quittance d'un acompte de 1.500 l.t. sur les 12.000 livres que lui devait le feu roi pour l'achat « de deux navires nommés la Pensée et le Lyon avec l'appareil et provision estans dedans ». Le 2 août il reconnaissait avoir reçu 6.000 l.t. À partir de ce jour, Louis de Graville avait constitué une flotte assez considérable pour le qualifier de « père de la marine française, la Royale ». Alors que la reine Anne était en voyage, Philippe de Commynes lui adressa plusieurs lettres en juillet 1505 « Madame, tant et sy très humblement comme je puis me recommande à vostre bonne grâce ». Le chroniqueur rapporte une entrevue chez le roi « Le Roy envoye monsieur de Nevers [Engilbert de Clèves] et l'évesque de Paris [Étienne du Poncher] vers le roy de Castille, et pour ses ressors et aucunes appellacions, et cela le prent fort à ceur, en grant aprest de parolles. Monsieur l'amiral tient le Roy de près, et fit ung tel visaige quant il me vit rester en vostre chambre, à Paris, quant il m'y trouva. Le Roy, Madame, fut ung poy mal disposé… ». Dès 1504, Louis de Graville, amiral de France était très en faveur auprès de Louis XII. La quatrième Ballade de Jean d'Authon sous le titre Les Trésoriers , c'est-à-dire les gens de finance, est relative à l'ordre que mit Louis XII dans les Finances en 1504, lors de la disgrâce de Pierre de Rohan, maréchal de Gyé, auquel succéda l'amiral Louis de Graville. L'auteur fait parler les financiers qui après un détail des bonnes qualités qu'ils doivent avoir, conviennent qu'ils ne les ont point eues, et qu'ils ont été cause des revers arrivés à la France en Italie.
La résignation Sous Louis XII, Louis de Graville conserva ses charges et la capitainerie d'un certain nombre de places, Dieppe, Honfleur, Pont-de-l'Arche,..., il recevait 10.000 livres de pension, y compris sa charge d'amiral ( Compte de 1499, Portefeuilles Fontanieu ). Éloigné du pouvoir, il ne retrouva quelque faveur qu'après la disgrâce du maréchal de Gié, son cousin germain, qu'il contribua à faire tomber du pouvoir et dont il fut néanmoins l'un des deux exécuteurs testamentaires peu de temps après. À l'age de 70 ans, le 24 septembre 1508, Louis de Graville se défit de sa charge d'amiral en faveur de Charles, sire de Chaumont, son gendre, le mari de sa fille Jeanne de Graville (7). Le Catalogue des généraux de France donne une biographie succincte du personnage. « Charles d'Amboise IIe du nom, seigneur de Chaumont, de Sagonne, de Milan et de Charenton, chevalier de l'ordre du roi, gouverneur de la ville de Paris et du duché de Milan, de la seigneurie de Gênes et de la province de Normandie, grand maître de France, lieutenant général du roi en Lombardie, nommé maréchal de France le 1er mars 1506, amiral de France en 1509 ( ?), reprit Gênes, contribua à la victoire d'Agnadel, en 1509 et mourut en 1511. Il était fils de Charles d'Amboise, conseiller chambellan du roi Louis XI, gouverneur de Langres, comte de Brienne, et de Catherine de Chauvigny. Il épousa Jeanne de Malet-Graville, dont un fils Georges d'Amboise tué à la bataille de Pavie à l'âge de 22 ans non marié. Il est connu sous le nom de maréchal de Chaumont ». Charles d'Amboise fut nommé amiral de France par les lettres patentes de Louis XI données le 24 septembre 1508 sur la demande de Louis de Graville qui « a ocroyé de grace especial l'office d'admiral ». Par sa délibération du 2 janvier 1509, le Parlement de Paris enregistra les lettres. Il lui est permis de « bailler seuretez et sauf conduitz et généralement de faire tous autres actes et expédicions qui appartiennent audit office d'admiral… » (8). Une condition exprès est mentionnée : Graville pourra continuer à porter « le nom et le tiltre dudit office d'admiral » avec les prérogatives, gages et droits attachés à l'office. C'est à cause de cette clause qui permettra à Graville de recouvrer son office d'amiral de France à la disparition de son gendre. Ruse ou prémonition de la part de Louis ? Nul ne peut le dire, mais on pourrait le penser. Il semble que ce ne soit pas le cas, puisque la coutume de garder les titre et dignité était usée dans l'armée. Graville continua à percevoir sa pension de Grand amiral. Jean d'Auton a fait un grand éloge de Charles d'Amboise, né vers 1473, qui épousa en 1491 Jeanne Malet de Graville, fille de l'amiral. Dès le 3 février 1493, il obtint le gouvernement de Paris ; mais, en 1496, on le lui fit résigner en faveur du sire de Clérieu, et le roi luis assigna à ce sujet une somme de 1.000 livres. Dès 1493, il figure parmi les pensionnaires du roi pour 800 livres par an, et en 1494, à l'époque de l'expédition de Naples, il commande une compagnie de trente lances. En 1499, il n'était donc plus un débutant. Louis XII, dès son avènement, le créa grand maître de France. Cette dignité est corroborée par une quittance du 25 janvier 1500. En 1504, il hérita de 30 lances, sur les 40 que commandait P. de Choiseul, sire de Lanque, et se constitua une compagnie de 100 lances. Il était en outre capitaine de Dieppe. Les dignités, du reste, pleuvaient sur sa tête ; son oncle, le cardinal d'Amboise, en quittant le Milanais, l'y laissa avec le titre de lieutenant général du roi, titre qu'il garda jusqu'à sa mort. « Mort le prit un peu bien tôt », écrit le chroniqueur Jean d'Authon. Charles II d'Amboise mourut à Correggio en Lombardie le 11 février 1511, à l'âge de 38 ans. Son corps fut ramené en France et fut inhumé en la chapelle Saint-Jean des Cordeliers à Amboise. Bien que très âgé, il avait 73 ans selon le Père Anselme, Louis de Graville reprit la charge d'amiral de France qu'il garda jusqu'à sa mort. À suivre…
Notes (1) Il faut y voir l'assaut continuel de la mer sur les terres de l'embouchure du fleuve. Non pas du au réchauffement climatique (comme la mode le veut de nos jours), mais à l'affaissement des terres de la baie de Seine, minées par les flots. Le Chef-de-Caux, véritable ville d'Ys, fut engloutie en partie lors du désastre de 1369. (2) En parlant de Louis XI, Brantôme disait qu'il « changeait de femme comme de bonnet de nuit ». Félize Regnard fut une de ses maîtresses. Originaire d'une famille noble de Dié, elle avait épousé le fils d'un notaire de Grenoble que Louis, alors dauphin, nomma châtelain de Beaumont, par lettres du 30 novembre 1447. De ses relations avec elle, le roi eut deux filles, Jeanne qu'il légitima en 1466 et qu'il maria à Louis, bâtard de Bourbon, amiral de France, et Marie, à qui il fit épouser, en 1467, Aimar de Poitiers et qu'il autorisa à porter les armes de France avec la bande des bâtards. (3) La Seigneurie était le nom donné à la République de Venise dans les actes diplomatiques. Le corsaire Colon est aussi nommé par Coulom ou Colombo . (4) La barche était une espèce de navire inférieur à la nef, et dont la forme nous est inconnue. « Le seul document où j'aie vu mentionné des barches ne nous apprend qu'une chose, c'est qu'il y avait des navires de cette espèce, forts, grands et bien armés pour la guerre », nous dit Mademoiselle Dupont qui donna les Mémoires de Philippe de Commynes . Le vaisseau amiral existait encore vers 1515 ou i1516; car Antoine de Conflans en fait mention dans son Traité sur les fais de la marine et navigaiges ( Ann. marit., page 39). « Aussy y a autres grans navires pour faire la guerre, comme la Loyse, la Nef de Rouen, et autres grosses barches pour faire la guerre, et, Dieu aydant, y en aura de plus grandes ou semblables à La Charente ». (5) L. Perrone-Moisés, Le voyage de Gonneville (1503-1505) et la découverte de la Normandie par les Indiens (Éditions Chandeigne, Paris, 1995). (6) V.A. Malte-Brun, Annales des voyages , tome III (Challamel, Paris 1869) p. 45 (7) La famille d'Amboise donna plusieurs personnages illustres au XVe siècle. Dix-sept enfants sont nés de l'union de Pierre d'Amboise et d'Anne de Bueil. Charles 1er, père de l'amiral d'Amboise eut cinq frères qui furent des dignitaires de l'Eglise dont le cardinal Georges d'Amboise , premier ministre de Louis XII et Emery d'Amboise , grand-maître de l'Ordre de Malte. (8) Correspondance Historique et Archéologique (Libr. Fontemoing, Paris, 1901).
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