Louis Malet de Graville, seigneur de Marcoussis (VII) Le ministre pragmatique |
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Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _---------------------- --------- Juin 2010 C. Julien JP. Dagnot
Nous présentons le septième volet de la vie de Louis Malet de Graville relatant ses fonctions ministérielles. Après avoir décrit ses fonctions de conseiller et chambellan du roi, puis la carrière militaire, nous abordons son action en tant que ministre dont on peut juger ses décisions du qualificatif de « pragmatiques », servant le pouvoir royal en toutes occasions. À la mort de Louis XI, commence la seconde partie de la vie de Louis de Graville. En prenant sa naissance en 1446, il avait alors trente-sept ans et était parvenu à la maturité de l'homme d'État ; un riche et brillant avenir s'ouvrait devant lui.
Le serviteur zélé À propos d'Ymbert de Batarnay, sire du Bouchage, conseiller et chambellan de Louis XI, Jean Quicherat applique le proverbe populaire « tel maître, tel valet ». Son application en économie domestique est aussi vérifiée dans la politique et dans l'histoire. Nous pouvons également le souligner pour Louis Malet de Graville, chambellan et collègue de du Bouchage, son aîné. Le caractère du souverain, ses goûts, ses qualités intellectuelles et morales, et aussi ses défauts, se devinent facilement dans ceux du seigneur de Marcoussis. C'est bien pour cette raison qu'il devint le premier ministre d'Anne de Beaujeu, digne fille aînée du roi, et même du pragmatique Louis XII qui, après des hésitations, en fit son collaborateur. Parmi, les personnages de l'entourage du roi, « les chambellans , les maîtres d'hôtel sont gens de qualité » citons : Louis de Hallwin, seigneur de Piennes, fils de Jeanne de La Trémoille , qui fut nommé à l'office de capitaine de Montlhéry le 14 mars 1480 ; Jean de Bruges, chambellan nommé en 1479, à qui Louis XI fit épouser Renée de Bueil fille de Jeanne de Valois demi-sœur du roi ; Pierre de Rouquebertin, gouverneur du Roussillon et de Cerdagne ; Guillaume de La Marck , dit le sanglier d'Ardenne , un des chambellans qui fit soulever les Liégeois contre Charles le Téméraire. Jacques d'Espinay, évêque de Saint-Malo était ambassadeur de Louis XI en Espagne. Ce prélat était le frère de Richard d'Espinay, l'oncle de Louis de Graville. Au Plessis-lès-Tours, Louis XI était en compagnie du sire de Commynes, son médecin Coittier, le capitaine des gardes et les chambellans de service, Olivier le Daim et Tristan l'Hermite (1).
Le rattachement du duché d'Anjou En 1473, le « bon roi René 1er d'Anjou », roi titulaire de Sicile, comte de Provence et duc d'Anjou, de Lorraine et de Calabre, etc., perd son petit-fils Nicolas d'Anjou, duc de Lorraine après la mort de son fils aîné Jean II, duc de Lorraine en 1470 et Jean III, le frère aîné de Nicolas en 1471. Il rédige, le 22 juillet 1474, son troisième testament pour instituer pour héritier universel Charles du Maine, duc de Calabre. À cette nouvelle, Louis XI fait une saisie féodale et installe son administration dans les duchés de Bar et d'Anjou, réclamant l'exécution des accords faits avec Marguerite d'Anjou et son père lors de sa captivité dans les geôles de Lancastriens. Charles V du Maine succède à René 1er en 1480 mais ne jouit pas longtemps de cette opulente succession ; il mourut sans postérité l'année suivante après avoir institué Louis XI son héritier universel. Ainsi l'auteur du Poème à la louange de la dame de Beaujeu a raison de dire : « Trestout est mis dessous le mabre » pour évoquer l'extinction de la maison d'Anjou « La grant maison de Cecille, humaine n'a ne fils ne fille ».
Le roi, habile tacticien, divisa ses cousins en convoquant René à Lyon et en envoyant Graville à Châtellerault pour négocier avec Charles du Maine. Étant à Châtellerault le 6 mai 1476, agissant pour le roi « et ad ce commis et député de par luy », Louis de Graville passe un traité avec le duc de Calabre et comte du Maine « Pour obvier aux differens, discors, procès et guerres qui se pourroient estre… ». Le contentieux porte sur le duché d'Anjou, le comté de Beaufort et plusieurs villes du Poitou. Il est accordé que le duché d'Anjou comprenant les châtellenies d'Angers, Saumur et Baugé avec celle de Loudun et la terre de La Menitré seront réunies à la Couronne pour constituer le duché d'Anjou et l'autre partie, le comté de Beaufort, les châteaux de Mirebeau, Sablé et La Roche-sur -Yon seront au comte du Maine « pour iceulx joir par luy et ses hoirs, en propriété ». Le titre de comte d'Anjou réclamé par Charles le lui est refusé. En examinant la généalogie de la maison d'Anjou-Maine (ci-dessous), on observe que Pierre de Rohan, maréchal de Gié, cousin de Louis de Graville, était marié à la petite fille du comte du Maine. On comprendra que le maréchal avait un double intérêt, militaire et patrimonial, de combattre en Italie pour conquérir le royaume de Naples.
Une fois l'accord entériné par l'héritier présomptif, tout le monde voyage jusqu'à Lyon où la convention finale est ratifiée par le roi, le 14 mai 1476. Peu après il donna au duc de Calabre sa ratification « pour le droit par luy prétendu et choses dessus dictes tant en propriété de présent que comme héritier présomptif du roi de Cecille ». Pour ce succès diplomatique, le 20 août 1476, Graville reçoit du roi, par donation, les reliefs, lods et vente et droits seigneuriaux provenant de la vente par adjudication de la seigneurie de Redeval relevant du roi en sa châtellenie des Andelys. En septembre 1484, Graville reçut la mission pour convaincre son parent René II de Lorraine de ne pas entrer dans la coalition du duc d'Orléans. Le Lorrain recouvra le duché de Bar avec une pension de 36.000 livres . Jeanne d'Harcourt et Louis de Graville étaient cousins issus de germains de leur ancêtre Visconti. Commynes qui n'aimait pas Graville est un peu méprisant à ce sujet en disant « il étoit ung chambellan appelé le seigneur de Graville qui en ce temps eut grant règne… ». Œuvrant pour le roi mais aussi pour ses propres intérêts, Graville obtint, en novembre 1484, l'amortissement des terres des Célestins de Marcoussis. Charles VIII avait hérité les droits sur la maison d'Anjou de son père. Ainsi, le duché d'Anjou, de Bar, le comté de Provence, et le royaume de Naples étaient susceptibles d'appartenir au domaine royal français. Les mémoires de Philippe de Commynes donnent les développements survenus en l'an 1484 : le duc René II de Lorraine, par sa mère Yolande petit-fils du roi René d'Anjou et de Sicile vint demander « la duché de Bar et la comté de Provence que le roy Charles tenoit ». Commynes nous explique également « comment il faillit à entrer au royaume de Naples qu'il prétendait comme le Roy et quel droit y avoient tous deux ».
Le premier ministre de la Régente Dès le trépas de Louis XI, le 30 août 1483, Anne, la fille aînée du roi, et son mari Pierre de Beaujeu se transportèrent à Amboise. Graville les rejoignit sans retard. Le 8 septembre, des lettres patentes l'instituaient « concierge du bois de Vincennes » en remplacement d'Oliver le Daim (2). Cette conciergerie consistait en la gestion et l'entretien du domaine de Vincennes, bois et château compris. Sans tarder, Graville prit possession de ce poste. Le 14 juin 1492, un bail est passé pour neuf ans par noble Jehan de Bailly, maître d'hôtel de Loys, seigneur de Graville, amiral de France, capitaine et concierge du bois de Vincennes, à Marion, veuve Escarbot et son gendre de « l'hostel et de la ferme de la conciergerie moyennant deux muys et demy de grain.. .». En 1501, il était encore concierge et capitaine de Vincennes. Le 3 décembre, la Chambre des Comptes s'entendait avec l'amiral « sur ce qu'il y a à faire pour obvier aux ravages que faisaient les lapins dans le parc » ; le roi pensait qu'on pourrait en prendre et vendre un certain nombre et consacrer le produit de cette vente aux réparations dont le château avait besoin. Anne de Beaujeu, « une femme de tête » sut contenir la révolte des féodaux et parachève l'expansion territoriale, aidée par les anciens conseillers de son père. Graville devint l'homme le plus écouté par Anne de Beaujeu. « Madame Anne peuplait le Conseil de ses partisans » car elle devait lutter contre les princes du sang et notamment le duc d'Orléans qui clamait qu'on l'avait déposséder du gouvernement de régence. Des États généraux réunissant pour le première fois les trois ordres, furent convoqués à Tours le 15 janvier 1484. Graville n'était pas député, mais fut l'un des négociateurs officieux « un des chevau-légers de Madame » et s'employa à promouvoir la politique de la Régente. Louis de Graville est arrivé au fait du pouvoir puisque sa pension est considérablement augmentée en recevant 3.000 livres tournois. Nous pouvons dire que Louis de Graville fut le premier ministre de Charles VIII pendant toute la période 1481-1494 ; il réside constamment à la Cour. Le 23 septembre 1484, il reçoit le roi, chez lui à Bois-Malesherbes. Le roi vient plusieurs fois loger à Marcoussis comme le montre les enluminures du Terrier de Marcoussis . Il fut chargé de négocier avec l'oncle du roi, le duc Jean II de Bourbon marie de Jeanne de France, fille de Charles VII. Désormais, attaché au roi, Graville ne le quittera pour ainsi dire plus jusqu'à son départ pour l'Italie. Suite aux décisions des États généraux de 1484, le conseil du roi était composé de tous les princes du sang, d'un certain nombre de ministres de Louis XI et de douze députés des États généraux choisis par le Roi et les princes. Ce conseil devait donner son avis sur tous les actes de la Couronne. « Ceux qui gouvernoient ledit Roy estoient le duc et la duchesse de Bourbon, et un chambellan, appelé le seigneur de Graville, et autres chambellans, qui en ce temps eurent grand règne » nous dit Commynes qui, par le ton employé, semble ne pas aimé Louis de Graville. Ce qui était vrai.
Le ministre de Charles VIII Vers 1486, Charles VIII décora Louis Malet, sire de Graville « chambellan du roi, capitaine de cent hommes d'armes de sa Maison », de l'Ordre royal de Saint-Michel et du Saint-Esprit institué le 1er août 1469 à Amboise par Louis XI. Le dimanche 10 juin 1487, Louis de Graville annonçait en ces termes à Bourré la venue du roi Charles VIII pour le soir même, et celle des ambassadeurs de Hongrie pour le lendemain « Mons. Du Plessis je me recommande à vous tant que je puis. J'ay receu vostre lettre par laquelle vous plaignez de ce que je vous deiz que nous ne iryons point au Plessis et que tout incontinent Jehan vous a mandé que sy ferions. Il est vérité que vous ne feustes pas à deux lieues d'icy qu'ilz ne changèrent de propos. Et pour abréger le roy y sera au jourduy au giste et sera besoing que vous faciez du mieulx que vous pourres, car l'ambassade sera demain chez vous à disner. Au regard de la tapisserye à la vérité la breche que j'ay faicte y est bien grande. Rabillez la le mieulx que vous pourres pour l'onneur des Hongres et vous aydez de la tapisserye qui est en ma chambre et en la garde robbe, car quant j'y vouldrois coucher pour ma santé sy la feroys je oster et quand je suis chez moy jamais je ne couche en chambre tapissée car la challeur mest contraire de nuyt. Mons. Du Plessis je ne vous escript plus pour ceste heure si non que je vous di adieu a qui je pri qu'il vous doint tout ce que plus désirez. Escript à Châteaugontier ce dimanche matin. Le tout vostre. Loys de Graville ». Le roi arriva au Plessis quelques heures après cette lettre, accompagné de sa sœur, la régente Anne de Beaujeu. Rien n'était prêt. La maîtresse de maison était allée à Angers « voir l'ambassade de Hongrie qui y étoit arrivée le vendredy précédan ». Selon un chroniqueur contemporain, le château du Plessis-Bourré servit encore plus d'une fois de demeure à des personnages célèbres : « l'amiral de Graville et Etienne de Vesc y avaient leur chambre, le maréchal de Gié y venait fréquemment » (4). Dans ses chroniques Jean d'Auton mentionne (tome 2, chap. XXV) « Comment messire Louis de Graville, amiral de France, qui de ce règne avoit été hors de cour, fut par le roi mandé et mis en grande autorité, et comment aucuns trésoriers et autres furent pris et punis pour avoir pillé l'argent du roi ». Reprenant sa place au sein du Conseil, Graville s'allia avec Georges d'Amboise. La chute du maréchal de Gié fut précipité par la préparation d'une refonte complète de l'organisation militaire, qui lui donnait une armée nationale et lui permettait de se passer des Suisses, à qui on payait, outre la solde, une pension de 48.000 livres tournois. La réforme échoua à cause de la jalousie de Louis de Graville et du cardinal d'Amboise. Le remplacement des gens d'armes pouvait toucher Graville.
Le gouverneur de Picardie Louis de Graville reçut la charge de gouverneur de Normandie et de Picardie par les lettres patentes du 20 août 1494. À Amiens il remplaçait d'Esquerdes qui venait de mourir. La position était primordiale pour la politique extérieure de la France à cause de« de la proximité frontalière ». Ainsi, les nouveaux favoris, qui avaient conseillé l'expédition d'Italie au roi, étaient du voyage, et ceux qui s'y étaient opposés, les anciens conseillers d'Anne de Beaujeu restaient pour garder le royaume et continuer la politique de la Régente. À la veille de la rentrée de 1494, un attentat inouï est commis près des confins du bailliage sur la personne d'un conseiller et son clerc, exécuteurs d'un arrêt du Parlement, Cet incident, qui lui apporte un nouveau témoignage du désordre régnant dans le ressort, fournit à la Cour l'occasion d'une rappel sévère de leurs devoirs au bailli Arthur de Longueval et au prévôt de Montdidier qui n'ont su ni prévenir, ni réprimer, et d'une correspondance intéressante avec l'amiral Louis Malet, seigneur de Graville, lieutenant général de la province, auquel il lui faut bien recourir, devant l'abstention ou l'impuissance des pouvoirs responsables. Il ne s'agit de rien moins que d'une enquête sur l'administration de la justice dans le pays et les véritables causes du mal, au nombre desquelles l'amiral signale les difficultés et longueurs de la conduite à Paris des condamnés ayant fait appel devant la Cour. On remarque que le bailli, bien qu'assez vivement réprimandé, ne semble s'être ému qu'après un an passé, le jour où il se sentit menacé dans la possession de son office. Trois lettres de la Cour à l'amiral de France, lieutenant général du Roi en Picardie, sont adressées, le 9 novembre 1494, au bailli d'Amiens et au gouverneur de Péronne, Montdidier et Roye, au sujet des violences faites au conseiller Tristan de Fontaines, exécuteur d'un arrêt de Parlement, et à son clerc. L'attentat eut lieu à Formeries, du bailliage d'Amiens « pour exécuter certain arrest donné au prouffit de demoiselle Anthoinette d'Estouteville à l'encontre de messire Charles de Sainte-Maure, conte de Neesle, quatre ou cinq hommes et maulvais garsons que on dit estre serviteurs du sieur du Quesnoy sont violentement entrés en la chambre où il besongnoit au fait de sadite commission et illec ont grandement battu et navré Noel de Thiville son clerc… ». L'incident est un meurtre « … au moien desdites batures et navreures, il est allé de vie à trépas … ». Voulant retourner à Paris le conseiller est de nouveau attaqué par « trois hommes qui avoient logé au village de Bretueil en l'ostelerie de l'Ange, prindrent ledit de Fontaines et son aultre serviteur assez près du village de Waregnies, les menèrent dans un bois, desrobèrent et pillèrent leur argent, robes et bagues qu'ils avoient, les lièrent et attachèrent chascun à ung arbre… ». La lettre du 20 décembre est donnée par les gens du Parlement à « très honoré seigneur » Monsieur l'amiral de France en réponse à sa lettre du 5 courant. Louis de Graville est remercié pour « le bon vouloir que vous avez à vous emploier pour le bien de justice … ». Faisant remarquer les « voies de fait qui se y commettent chascun jour om pais de Picardie », les conseillers proposent « de pugnir et corriger les faultes et abus que trouverons y avoir esté faitz… » et demandent la comparution des assassins pour prononcer la peine de mort. En 1494, Louis Malet de Graville, de Montaigu et de Marcoussy, amiral de France, fait à cette époque et non en 1498 comme le dit par erreur le père Daire (I, 511) son entrée officielle dans la ville d'Amiens. L'amiral de France à présent lieutenant du roy ès marches de Picardy en l'absence de Monsieur le comte de Ligny estant en l'armée au voyage de Naples vient en ceste ville « ilz (MMrs) yront faire luy en son hostel faire la révérence comme il appartient et au surplus que on luy présentera de par mesdits sieurs pour la première fois 24 kannes de vin et quant aux autres fois ilz aront advis combien ilz en donneront ». Janvier, biographe de la famille Clabault qui a donné des édiles amiénois, dit « Je ne trouve cependant pour cet objet aux registres aux comtes que l'emploi de deux demies kannes ». En cette fin de XVe siècle, Antoine Clabault est maire d'Amiens. Pendant que le roi Charles VIII guerroyait en Italie, Louis de Graville assurait sa charge de gouverneur de la Picardie à Amiens. Dans une lettre donnée de San-Germano le 13 février 1495, à l'amiral par Charles VIII, celui-ci s'en remet à lui du soin de surveiller les menées de Maximilien de Habsbourg « Monsieur l'amiral, jay receu vos lectres du XXVIIIe jour de janvier, escrptes à Amyens…. Je vous mercie de ce que m'en avez adverty. J'ay bien fiance que vous donnerez si bon ordre à tout au quartier là où vous estes… ». Le roi se plaint que ses lettres ont été interceptées « … il faut dire que les postes ont esté destroussés en chemyn, et pour ce faicters vous en enquerir et le faictes savoir à mon frère de Bourbon ». Dans sa lettre du 26 novembre 1495, le bailli Arthur de Longueval s'adresse au Parlement pour justifier des diligences par lui faites dans la présente affaire. « Messeigneurs, je vous supplye humblement de avoir mes affaires pour recommandez, car je sçay bien qu'il en y a qui ont demandé mon office qui me vouldroient bien courir sus… ». Il est évident que la confusion règne au bailliage d'Amiens. Les abus sont dénoncés à la cour par Raoul de Lannoy, chevalier, et Jean de Saint-Deliz, avocat dans la lettre du 19 janvier 1495. Tous deux sont compétiteurs non déclarés à l'office d'Antoine de Longueval. L'intervention de l'amiral de Graville et l'abus des appels au Parlement, qui énerve la justice criminelle, viennent là surtout pour la forme. Les deux compères dénoncent « de grans et exécrables cas, comme homicide de gens, guet appensé et propos délibéré, sédicions, ravissemens de femmes, violemens de filles, sacrilèges et autres innumérables cas… » (5).
Sentences morales et politiques. Les armes de Malet de Graville (v. 1490-1500).
La disgrâce de l'amiral Selon Saint-Gelais, au cours de l'été 1491, Graville était toujours « le plus fort du Conseil », mais sa position devint délicate. Né le 30 juin 1470, ayant atteint sa majorité, Charles VIII était sur le point de gouverner seul. Sentant la fin prochaine de la régence, seul Graville hésitait à abandonner les Beaujeu, « les principaux auteurs de sa fortune, les promoteurs de la politique dont il avait été le plus actif serviteur », nous dit Perret. Leur rester fidèle, c'était encourir une disgrâce certaine. Il lui fallait acquérir le soutien des Orléanistes qu'il avait combattu depuis sept ans. La fortune éclatante de ce courtisan excita la jalousie de tous les autres ; la duchesse de Bourbon ne put voir sans un secret dépit, son ancienne créature lui succéder dans le maniement des affaires : le désir effréné de la domination qui avait fait naître entre le duc d'Orléans et elle, de si sanglants débats, les réconcilia. Le duc de Bourbon, malgré sa modération, la Reine même accoutumée aux affaires dès sa plus tendre jeunesse, se joignirent à eux, pour renverser la fortune d'un seigneur dont le crédit éclipsait celui de la famille royale; « ils formèrent sur la foi des sermens les plus terribles, une confédération dont le service du Roi étoit le prétexte, et l'abaissement de Graville le motif ». Charles VIII n'eut pas la noble fermeté de soutenir le sage qui le guidait ; qu'arriva-t-il ! Comme il ne pouvait se passer de favoris et qu'il n'en voulait pas prendre dans sa famille, il abandonna le gouvernement de l'Etat à Étienne de Vesc, autrefois son valet-de-chambre, et à Guillaume Briçonnet qui avait vieilli dans les emplois de la finance. Louis de Graville perdit-il les faveurs du roi ? Rien n'est moins sur en cette matière. Toutefois, il est certain qu'après un mois de discussions au Conseil pour décider de la conquête du royaume de Naples, Graville quitta la cour et se réfugia à Marcoussis, car « nous voyons que la bonne volonté de l'amiral, n'est pas approuvée à nouveau », écrit Francesco della Casa, ambassadeur d'Italie, dans sa lettre daté de Tours du 19 novembre 1493. Louis de Graville était dans son château le 24 décembre, il était rentré à Marcoussis, d'où il invitait Jean Bourré et le trésorier de Rennes à se transporter à Paris en toute diligence. « Il s'étonnait des difficultés qu'ils avaient rencontrées pour contracter un emprunt au nom du roi… », nous dit Perret. Tout en ayant l'air de se retirer des affaires, il continuait à les surveiller de près. L'État paya bien cher cette révolution du ministère. « Graville s'étoit opposé à l'expédition de Naples avec la même fermeté que le duc de Bourbon ; il eût réussi sans doute à défiller les yeux fascinés de son jeune maître : mais les nouveaux favoris crurent ne pouvoir conserver leur crédit qu'en flattant ses passions ; eux seuls creusèrent l'abîme qui engloutit les armées et les trésors de la Nation. Ils n'entretenoient Charles VIII que de la gloire qui l'attendoit en Italie; ils attachoient même leur grandeur particulière au succès de cette expédition téméraire : le valet-de-chambre Estienne de Vesc aspiroit à un duché dans le royaume de Naples ; Briçonnet, veuf alors, soupiroit après un chapeau de cardinal. Le Roi prit des engagemens secrets à l'insu de son Conseil, avec le prince de San-Severino banni de Naples ; il n'eut pour témoins de son imprudence, que les deux ministres qui n'avoient pas honte de sacrifier ainsi les véritables intérêts de l'État à leur ambition particulière ». Après l'expédition de Naples, Graville fut remboursé de 23.175 livres pour « nolage et entretènement de deux vaisseaux ». Nous connaissons les développements de l'expédition d'Italie, dont le résultat fut la faillite du trésor et les défaites militaires. Le duc de Bourbon appuyait ses remontrances mais « Charles VIII s'opiniâtra sans sa résolution, malgré l'amiral de Graville, qui, quoique déchu de la haute faveur, conservoit encore la considération attachée au génie… ». L'expédition d'Italie fut la cause de la disgrâce de Louis de Graville. Il avait pris le parti de la paix et s'opposa aux « va-t'en guerre » du Conseil. Pour obtenir la délivrance du duc d'Orléans, le cardinal Georges d'Amboise s'adressa directement à l'amiral « en proposant un traité de mariage de son neveu monseigneur de Chaumont avec la fille dudit amiral… ». Le mariage fut conclu (cf. la chronique « Les filles de l'amiral de Graville »), la communauté d'intérêts créa des sympathies politiques avec le parti orléaniste. « On ne trouve rien de bien précis là-dessus dans les autres historiens » nous dit Lancelot dans ses notes du Poème de Louange sur la Dame de Beaujeu. Dans deux vers du sonnet LXI, le versificateur anonyme, fait clairement allusion à la perte d'autorité de l'amiral de Graville en parlant des déboires de son cousin, le cardinal de Bordeaux : « Depuis qu'on defrocha Graville, Il a perdu tout son estille ». Dans ce même poème, louant les qualités de la Régente , l'auteur avait déjà fait allusion aux mésaventures de Louis de Graville au moment où il réclamait la succession de la comtesse de Tancarville : « Par trop farrer, on pert l'anguille ».
Le ministre de Louis XII Louis de Graville comme son « maître », le roi Louis XII, n'était pas un homme rancunier et a su effacer ses vieilles chicanes avec le duc d'Orléans. Monté sur le trône le 7 avril 1498, le roi épouse Anne de Bretagne le 8 janvier 1499 à Nantes. Le gouvernement fut formé avec les ministres qui avaient servi le défunt roi sous la direction de Georges d'Amboise, archevêque de Rouen. Tous avaient vieilli dans les affaires sous Louis XI ; c'étaient l'évêque d'Albi Louis d'Amboise, frère aîné de Georges, le maréchal de Gié, le chancelier de Rochefort, le sire Du Bouchage et l'amiral Louis de Graville. Le roi conserva La Trémoille dans ses honneurs et dignités, le priant « de lui être aussi loyal qu'à son prédécesseur ». Perret conclut que l'amiral de Graville ne fut jamais entré en disgrâce mais servit toujours « avec brio » le pouvoir royal. Pour la suite de cette aventure, le lecteur est invité à consulter la chronique " Louis de Malet Graville, l'homme providentiel " À suivre…
Notes (1) W.H. Louyrette, Louis XI et le Plessis-lès-Tours (F. Chevrier, éditeur, Tours, 1841). Alors qu'il n'était que Dauphin, Louis XI s'est pris d'amitié pour Louis Malet, son proche parent et cousin. D'ailleurs, il recruta ses serviteurs parmi la petite noblesse de province pour leur vivacité d'esprit mais aussi pour leur goût prononcé pour la chasse. Grand chasseur lui-même le roi appréciait le talent cynégétique de Louis de Graville. Il reconnaît dans Graville une passion héréditaire pour la chasse « les predecesseurs de nostre amé et féal cousin ont aymé et exercé la chasse de toutes bestes de tout temps… ». On se souvient que, depuis avril 1472, Graville élevait une lévrière pour le roi au manoir de Chanteloup. En mars 1480, les lettres patentes lui accordent le droit de chasse dans toutes les forêts du domaine royal « … toutes et chascunes forestz, buissons, bois de deffens ou non … ». (2) Anobli par Louis XI, Olivier le Daim était gentilhomme de la chambre du roi. Il est mis incarcéré au cours de l'automne 1483 et accusé de différents crimes : vols, meurtres, emprisonnements arbitraires, etc. Il fut pendu au gibet de Montfaucon le 21 mai 1484. (3) Les revendications des princes français comportaient les droits sur le royaume de Naples mais aussi ceux sur le duché de Milan réclamés par le duc d'Orléans, à cause de Valentine Visconti, son ancêtre. (4) Le château du Plessis-Bourré (Maine-et-Loire arr. Angers, cant. Tiercé, comm. Écueillé) est une demeure féodale construite par Jean Bourré, grand argentier et confident de Louis XI. Sans doute enrichi par son importante charge de grand argentier et principal confident du roi Louis XI, Jean Bourré fait l'acquisition du domaine du Plessis-le-Vent en 1462. Sur cet ancien manoir, il fait construire dès 1468 le château actuel. Cinq années suffisent pour l'achèvement de ce chef d'œuvre. Jamais modifié depuis, nous l'admirons encore tel que son constructeur l'a conçu, il y a plus de 500 ans (5) E. Maugis, Documents inédits concernant la ville et le siège du bailliage d'Amiens , tome II (Yvert et Tellier, Amiens, 1914).
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