Louis Malet de Graville, seigneur de Marcoussis

(XII) L'homme de pouvoir

Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------;;--- _---------------------- --------- Juillet 2010

Portraits de Louis XII et de Louis de Graville.

C. Julien

 

 

 

Nous présentons le douzième volet de la vie de Louis Malet de Graville pour évoquer son activité au sein du gouvernement royal. Nous sommes à la fin du Moyen âge, une nouvelle époque s'ouvre, au cours de laquelle le pouvoir central du roi s'affirme au détriment de la féodalité. Enfin, nous évoquerons l'hôtel de Graville qui se situait dans le Marais à Paris, signe ultime de la richesse et du pouvoir de son propriétaire.

Entré au service de Louis XI «  parquoy nostredit cousin de Montagu nous a fait remonstrer les choses dessus dictes…  », Graville occupa dans un premier temps les postes subalternes. De chambellan du roi, de simple gentilhomme de ses gardes, il arrive au commandement de la troupe, dès lors il est mêlé à des négociations délicates et siège en qualité de juge. C'était «  un personnage de second plan  » nous dit Michel Perret, mais assez intelligent pour avoir été remarqué par la Régente Anne de Beaujeu qui en fit son premier ministre (1) .

 

 

Le sire de Graville à la Cour de France

Nous savons que Louis Malet était, bien avant sa majorité, au service de Louis XI. Employé d'abord à des tâches subalternes, il eut l'intelligence de plaire et la puissance de travail pour gravir toutes les marches du pouvoir sans mécontenter le prince ombrageux. Bien que faisant partie de la petite noblesse, il avait, par les Visconti, le sang mêlé des Valois. De nombreux parents et alliés tant du côté des Graville que de celui des Montauban gravitaient dans les allées de la Cour , où il fut attaché à la fortune de son oncle maternel, Jean de Montauban, grand-amiral de France et fit ses premières armes sous son patronage. Il recueillit toute la réputation des deux familles auprès des Valois.

Le service rendu à Louis XI fut un gage incontestable pour sa fille Anne quand celle-ci fut Régente en 1483. Graville fut l'un des plus fermes appuis de cette princesse et joua un rôle essentiel dans la révolte des seigneurs français et bretons contre son pouvoir. Il fut un familier du jeune roi Charles VIII, son cousin.

Un des premiers actes du successeur de Charles VII fut une décision que Monstrelet raconte en ces termes : «  Le roy Loys, pour sa singulière voulenté, feist brusler et ardoir par tout l'Isle-de-France, toutes manières de bestes sauvages et d'oiseaux , et n'en fut nul espargné, noble ne villain, réservé (excepté) en aucunes garennes appartenons aux princes ; et disoit on communément qu'il feit ce, afin que nul ne chassast ne vollast que luy, et qu'il fût t ant plus de bestes et d'oyseaux : car toute son affection estoit à chasser et à voler » (2) .

Il n'est pas faux de dire que Louis de Graville était un intime du roi Charles VIII qu'il aurait vu naître puisqu'il était déjà au service de Louis XI en 1470. Depuis qu'il avait été appelé par la régente Anne de Beaujeu, l'amiral ne quittait plus la Cour , suivant Sa Majesté dans tous ses déplacements : nous l'avons vu le 26 octobre 1484 à Montargis, à Châtillon-sur-Loire et à Gien le 13 décembre où il siège au Conseil en profitant pour évoquer ses droits sur la seigneurie de Vendeul qui lui avait été usurpée. De Montargis le 27 du mois, où Graville contresigne des lettres patentes, la Cour arrive à Bois-Malesherbes chez l'amiral le 25 janvier 1485. Il assiste à une assemblée solennelle du Parlement de Paris le 14 février. À Evreux le 23 mars, Graville siège à côté du duc d'Orléans qui fait sa soumission.

Au cours de l'été 1485, alors que le roi allait à Orléans, Graville eut l'honneur de recevoir le souverain à Marcoussis les 20 et 21 août. On peut imaginer le charivari dans le village où se pressaient, courtisans, militaires, gendarmes de la garde. La venue d'une telle caravane excita les religieux du couvent des Célestins qui étaient « empêchés dans leur prière au Seigneur  » et prétextant ces troubles, firent bâtir une muraille. Ce fut l'objet d'une chicane retentissante (voir «  Louis Malet de Graville, le procédurier »). Le 31 juillet 1493, Graville reçoit le roi à Malesherbes ; le souverain s'y trouva tellement bien qu'il y resta jusqu'au 7 août.

 

 

Le captif d'Agnadel

Pendant la campagne d'Italie, en 1509, Charles d'Amboise se distingua à la bataille d'Agnadel, où il commandait l'avant-garde de l'armée et enleva ensuite plusieurs places aux Vénitiens. Un Vénitien nommé Bernardin de Taillepierre, «  Bernardino Tagliapietra  », avait été fait prisonnier au cours de la bataille pendant laquelle Charles d'Amboise s'illustra particulièrement. En 1511, on retrouve le prisonnier enfermé au château de Pont-de-l'Arche en Normandie, fief de l'amiral de Graville. Un reçu pour ses frais de nourriture et d'habillement a été signé par Jean Auffroy, escuier, lieutenant de l'amiral de Graville en ce château, et est conservé dans les portefeuilles Fontanieu .

Voici la quittance : «  Jehan Auffroy, escuier, lieutenant du pont de l'Arche, de haut et puissant seigneur Loys, sire de Graville, admiral de France et capitaine dudit pont confesse avoir eu et receu de honorable homme Pierre le Blanc, commis du grenetier du grenier à sel dudit pont, la somme de 29 livres 5 sols tournois pour par ledit escuier avoir quis et trouvé la dépence de bouche de Messire Bernardin de Taillepierre, vénitien, prisonnier au chasteau du pont de l'Arche, le temps et espasse de cent dix sept jours commençant le 6 e de septembre MVCIX ledit jour comprins et finissant le dernier jour de décembre ensuivant audit an par semblable comprins qui est au prix de 5 sols tournois par jour… plus confesse avoir eu et receu la somme de 12 l .t. 10 sols pour les habillemens qui font 41 l .t. 15 sols tournois… Fait et passé devant Jehan Desbus et Jehan Godefroy, tabellions jurés le lundi 29 e jour de décembre l'an de grâce 1511  ».

Comment interpréter cette quittance ? Il semble que ce gentilhomme vénitien ait été fait prisonnier par Charles d'Amboise, le vainqueur d'Agnatel . C'est un personnage important, un chevalier qu'il a confié à son beau-père, Louis de Graville, pour le garder dans son château. Les frais seront, sans aucun doute, remboursés par une rançon substantielle, coutume commune du XVIe siècle.

En reprenant la dignité d'amiral de France, en 1511, Louis de Graville la gardera jusqu'à sa mort. Dans son Journal , Jean Barrillon dit : «  En ce temps trespassa le sire de Graville, admiral de France, et le Roy donna ledict office à messire Guillaume Gouffier, seigneur de Bonyvet, frère du sire de Boissy, maistre de France  ». Cet office d'amiral n'était devenu qu'honorifique à cause de son grand âge. En août 1513, Louis XII avait nommé Louis de Rouville pour commander «  l'armée de mer contre les Anglois  » (3).

 

 

Monseigneur l'Amiral

C'est ainsi que Louis de Graville était nommé à partir de février 1487. Exécutant les décisions du Conseil il exerçait les fonctions de ministre. Dans un premier temps il fallut s'opposer aux menées des princes du sang : le duc Jean II de Bourbon, le duc Louis d'Orléans et Charles comte d'Angoulême. Le roi était bien accompagné par la «  saige conduicte  » du maréchal de Gié et du sire de Graville qui, selon Bouchet «  avoient grosse authorité en la cour du roy sous Madame de Beaujeu . Les deux cousins gouvernaient de concert  ».

En 1485, Graville participa à la réforme de l'organisation intérieure du royaume. Il assista à la rédaction de la plupart des ordonnances de pure administration : octrois de foires, lettres patentes d'impositions, réforme des habits, privilèges des examinateurs de la prévôté de Paris, etc. C'est aussi l'époque où Graville préluda des fonctions d'amiral (voir la chronique spécifique). Ses talents de conciliation et d'administrateur s'exercèrent lors de la crise franco-vénitienne après l'acte de piraterie de la marine française.

Alors que les Vénitiens avaient été dédommagés sur l'initiative de Louis Malet, une ligue plus dangereuse se constitua avec les Flamands et Maximilien de Habsbourg, lequel écrivant au roi, lui demande de ne plus écouter les avis des Beaujeu «  non plus que ceux des sieurs d'Esquerdes et de Graville, de ne donner à ces dangereux conseillers ni autorité ni crédit  ». La réponse de l'amiral fut cinglante et tança l'attitude du duc disant «  qu'il n' avoit point trouvé que les Allemans eussent jamais subjugué les François, ny mis ou donné ordre et police en leurs affaires…  ». Graville a toujours continué la politique du feu roi, animé d'un ardent patriotisme , sentiment bien rare chez les hommes du XVe siècle.

À la tête de l'État, Graville eut à lutter contre un autre adversaire, le connétable Jean II de Bourbon beau-frère de la Régente Anne. Une conférence fut organisée à Beauvais en septembre 1486, Graville y travailla à défaire les alliances du duc avec les Bretons et les Allemands. Le connétable de Bourbon est courroucé contre Graville pour ne pas l'avoir consulter pour la direction de la guerre. La période qui s'ouvre, de 1487 à la majorité du roi, sera celle de la nomination à l'amirauté, celle du premier ministre de la régente, celle du siège de plein droit au Conseil du roi, etc.

 

Louis Malet, seigneur de Graville, amiral de France (1487), d'après une gravure du XVIe siècle de la collection des Amiraux de France (BnF, cabinet des estampes).

 

Désormais Graville dirige la politique de la France avec la guerre de Bretagne. De nombreuses lettres témoignent de cette activité : au sieur du Bouchage, au maréchal de Gié, à Louis de La Trémoille.

Graville sut déjouer les pièges de ses adversaires. Ainsi :
• au début de 1487, il fallut résoudre les démêlés entre le duc Charles 1er de Savoie et le marquis Louis II de Saluces à propos des devoirs seigneuriaux de foy et hommage. Le marquis reconnaissait le roi comme son suzerain, ignorant le duc. Graville donna raison au duc de Savoie en dédommageant grandement le marquis.
•  en février, Graville accompagna le roi dans la campagne de Guyenne pour réduire le sire de Lescun.
• en av
ril, il avait envoyé son cousin André d'Espinay, archevêque de Bordeaux pour signer le traité de Châteaubriand avec les Bretons.

Perret évoque les «  comptes de ménage de l'amiral  ». Graville se montre avide à deux occasions. Étant à Niort, il oblige Duplessis à lui céder à prix coûtant des tapisseries que celui-ci venait d'acheter. Ayant acheté deux pipes de vin de la récolte de Jean Bourré, il fait des difficultés pour payer.

 

 

Le gentil seigneur

Monsieur Lancelot publia, en 1733, le Poème fait à la louange de la dame de Beaujeu, sœur de Charles VIII dont l'auteur du XVe siècle est inconnu. Anne de Beaujeu est «  louée icy par nostre auteur de son intelligence dans ses affaires domestiques comme dans celles de l'Etat  ». Voici le passage qui concerne le seigneur de Marcoussis :

Se gentil seigneur de Graville
Elle l'a très bien fait régner,
Combien qu'il soit bien fort abille,

Si a il grant peur de verser,
Et qu'il luy faille desmanger
Sa succession dehans Carville,
Par trop sarrer, on pert l'anguille.

Le commentaire de M. Lancelot est le suivant : «  Louis Malet joua un fort grand rolle pendant toute cette Régence. Si la parenté devenoit un motif de liaison entre les princes et les seigneurs, le sire de Graville auroit dû estre dans les intérests du duc d'Orléans dont il avoit l'honneur d'estre cousin, estant tous deux petit-fils d'une Visconti ; mais il s'attacha particulièrement à la dame de Beaujeu, de laquelle il estoit le principal Conseil. C'est ainsi qu'en parlent Comines, Guillaume de Jaligny, et tous les autres historiens du temps. Il perdit son crédit à mesure que celuy de sa protectrice diminua ; ainsi vers la fin de 1488, ou au commencement de 1489, temps auquel il faut fixer l'époque de notre poème, il devoit avoir grand peur de verser : les courtisans ennemis de la dame de Beaujeu et amis des princes travailloient fortement à la détruire dans l'esprit du Roy ; ce prince commençoit à les écouter. Jeanne de Harcourt, comtesse de Tancarville, estant morte au château de Montreuil-Bellay le 7 novembre 1488, sans postérité , sa succession, qui appartenoit de droit au comte de Dunois, son cousin germain, estant très-considérable, cela fit naître l'envie à beaucoup de gens de s'en emparer, ou du moins de la partager. Il y a apparence que le sire de Graville fut l'un des prétendants ; je ne vois cependant pas le droit qu'il y pouvoit avoir : la réflexion de nostre auteur paroit vouloir faire entendre que sa prétention n'estoit pas fort juste : Par trop sarrer, on pert l'anguille  ».

Jeanne de Harcourt était la fille de Guillaume, comte de Tancarville et de Yolande de Laval. Elle épousa, en 1471, le duc de Lorraine, René II. Il est vrai que Louis de Graville n'était pas parent de Jeanne, qui était une lointaine cousine de Marie Malet, femme de Girard de Harcourt, tante de l'amiral . Jean de Harcourt, baron de Bonnétable et Jacques son frère, les cousins germains de Louis Malet de Graville, avaient un ancêtre commun en la personne de Jean V d'Harcourt, marié à Blanche de Ponthieu. Ce Jean V était le bisaïeul des deux frères et le trisaïeul de la dite Jeanne de Harcourt.

 

 

Le conseiller d'Anne de Beaujeu

En 1489, à l'époque où le prestige des anciens politiques commençait à s'effacer devant le crédit, chaque jour grandissant, des jeunes amis du roi, où Anne de Beaujeu s'éloignait de la cour, où l'on faisait sentir au sire de Graville que l'on pourrait se passer de lui, le maréchal de Gié, son cousin, se trouve partout et préside aux mesures de pacification des marches de Bretagne.

En 1491, éprise de romans, insensible aux bienfaits d'une paix laborieusement acquise, la jeune cour trouvait la paix insupportable. Elle rêvait de joutes et d'expéditions lointaines et romanesques. Deux courants s'affrontaient au sein du Conseil du roi, les «  enragés  » pour passer les Alpes pour conquérir Milan et Naples et les anciens conseillers du roi Louis XI, amis de la paix, représentés au conseil par le maréchal de Gié et l'amiral de Graville. Ce dernier dont on devine le sang-froid, ne goûtait guère la résurrection imprévue des vieilles idées chevaleresques. Graville fut envoyé en Normandie, Commines était condamné, les d'Amboise disgraciés, Louis d'Orléans, prisonnier… Pendant la guerre d'Italie, le gouvernement fut «  confié à Monsieur et Madame de Bourbon  » avec l'appui des membres qui n'avaient pas suivi le roi ; Louis d'Amboise, Louis de Graville et autres furent convoqués à Moulins où ils reprirent du service au sein de la régence.

En cette année, le 28 juin 1491, Graville appose encore sa signature au bas des lettres de grâce de Charles VIII accordées au duc d'Orléans. Cette fois il est en compagnie de son cousin Pierre de Rohan «  les sires de Gié, mareschal, de Graville, amyral, …  ». Dans un élan de générosité le jeune roi partit pour Bourges ouvrir lui-même la porte du cachot du duc d'Orléans ne tardant pas à prendre un ascendant sur l'esprit de Charles VIII qui excluait celui de sa sœur «  madame de Bourbon  ». Les conseils de Graville ne sont plus écoutés. Anne de Beaujeu se cantonna donc de plus en plus à Moulins attendant qu'on vînt lui demander des conseils dont le gouvernement avait besoins. Louis de Graville la suivit et écrivit plusieurs lettres de cette cité.

Dans son « Nouvel Abrégé de l'Histoire de France » , le président Hénault nous dit : «  L'année 1494 voit le départ du roi pour l'Italie, de Vesc et Guillaume Briçonnet, dit le cardinal de Saint-Malo, frère du chancelier, furent les principaux moteurs de cette entreprise, dont l'amiral de Graville n'étoit pas d'avis, et qui avoit pour fondement les droits de la maison d'Anjou cédés à Louis XI  ». D'après un récit du sire de Thevray, une lettre relatant la bataille de Fornoue fut adressée de Moulins le 13 juillet 1495 par l'amiral de Graville au sire du Bouchage. Nous en donnons la teneur qui présente l'état d'esprit à propos des expéditions militaires en Italie.

«  Monsieur du Bouchage, mon amy, je me recommande à vous tant comme je puis. J'ai receu la lettre que vous m'avez escripte par Chesnay en ceste ville de Molins, dont je vous mercye cent mille foiz. Et au regard de ce que vous me pryez par vostre lettre que je vous face savoir des nouvelles du Roy, je les vous escriproye voullentiers bonnes, s'il m'estoit possible. Touteffoiz je suis tousjours en mes premieres doubtes et n'en seray jamais assceur que je ne le voye du retour en son royauime. Dieu par sa grace le veulle bientost ramener !

Au jour d'ui monsieur de Bourbon a eu lettres de monseigneur d'Orleans escriptes de monseigneur de Thevray, qui est avecques le Roy et mect en sesdites lettres que, le VIe jour de ce moys, le Roy, estant entre Fournoue et le Bourg Saint Denis, les Venissyens le sont venuz assaillir par trois costez. Touteffoiz le marquis de Mantoue qui est cappitaine general desdits Venissyens, avecques trois mille hommes et environ six cens hommes d'armes, donna en la bataille ou estoit le Roy, la ou il fut tres bien recueilly. Car les gens du Roy le rebouterent en son camp tres rudement. Et dit l'en que ledit marquis de Mantoue y a bien perdu trois cens hommes d'armes et mil hommes de pyé. Et du costé du Roy s'y est perdu quelque nombre des gentilzhommes de sa maison, et aussi des archiers de son corps, qui mors, qui prins, environ cinquante ou soixante. Entre lesquelz y a esté pris le bastard Mathieu qui a esté mené oudit camp desdits Vennissyens et autres dont l'engne scet les noms. Et, ce fait, le lendemain sont entrez en parlement. Dieu veulle qu'il en puisse saillir quelque bonne chose, car je vous assceure que j'en suis en grant doubte.

Au regard de mondit seigneur d'Orleans, il est encores dedans la ville de Novarre et le tiennent tres de court ceulx qui sont devant lui, car ilz sont plus puissans deux fois qu'il n'est. Et la sepmaine passée, a deux ou trois escarmouches, ilz lui en ont amenez ses gens batant jusques dedans ses portes, la ou a esté pris monsieur de Saixonnage, Parisot, Le Roy Pepin et le bastard Charles, tres bien bleciez. Je ne vous escripray point plus avant de ses nouvelles, car olz sont ennuyeuses, et n'en fectes pas grant bruyt, pour ce que je ne veul pas estre porteur de telles nouvelles.

Je m'en voys en Picardye, et, sy la ou ailleurs je vous prie fere quelque plaisir, je le feray de ben cueur. Je vous advertiray tousjours de ce qu'il me sourvendra. Et icy endroit vous dy a Dieu, monsieur du Bouchage, mon amy, à qui je prie qu'il vous doint tout ce que plus desirez. Escript a Moulins le XIIIe jour de juillet.

Votre compaignon et amy. L. de Graville  ».

 

 

L'hôtel parisien de Graville

Louis de Graville avaient de nombreuses résidences qu'il occupait quand il n'était ni en voyage, ni auprès du roi aux Montils-les-Tours, Amboise ou Blois. Il aimait vivre à Bois-Malesherbes, son refuge pendant les temps difficiles. Pour être au rang des princes, il possédait un hôtel particulier à Paris. À la fin de sa vie, il vécut à Marcoussis, près des moines Célestins, dans le château de Jean de Montagu, qu'il transforma.

Le prévôt de Paris, Hugues Aubriot, possédait un hôtel dans le quartier Saint-Pol car le roi désirait voir son officier demeurer le plus près possible de son palais et lui avait octroyé dans ce but une somme de 1.500 francs or. L'ensemble de la propriété, «  l'hostel du Prévôt  » s'étendait sur un vaste quadrilatère délimité par la rue de Jouy (actuelle rue Charlemagne), rue Percée (actuelle rue du Prévôt) jusqu'aux murs de l'enceinte de Philippe Auguste, dans la censive des autorités ecclésiastiques. Il renfermait plusieurs lots, tantôt séparés, tantôt réunis.

Cette demeure surnommée «  hôtel de Marmousets  » du fait de la présence de deux statues sculptée sur la façade. Après la condamnation d'Aubriot pour hérésie, l'hôtel passa dans les mains de Guy de la Trémoille , seigneur de Sully, qui le vendit au chancelier Pierre de Giac. La maison fut aliénée à Louis d'Orléans le 16 décembre 1397 et devint «  l'hôtel du Porc-Épic  » qui fut cédé par échange au duc de Berry. Ce seigneur en fit présent à Jean de Montagu, seigneur de Marcoussis. C'est dans cette maison que fut offert, le 22 septembre 1409, le grand festin où participèrent plus de 1.800 convives.

Donné à Guillaume de Bavière, l'hôtel devint ensuite la propriété des ducs de Bourgogne, puis en 1440, passa aux mains du connétable Arthur de Richemont (4) . L'hôtel du prévôt fut occupé par les d'Estouteville qui, de père en fils, occupèrent pendant cinquante ans (de 1454 à 1509) la prévôté de Paris, l'habitèrent. Robert d'Estouteville acquit cette demeure en 1454. À la mort de son fils Jacques en 1509, la maison reviendra à Louis Malet de Graville arrière-petit-fils du malheureux Montagu, était rentré en possession de l'hôtel de son bisaïeul. Les constructions qui subsistent ont été édifiées de 1509 à 1516. L'amiral de Graville, très en faveur auprès de Louis XII, le morcela en plusieurs hôtel : hôtel de la Barre , hôtel de Graville , et hôtel de Jassaud. La moitié environ, occupée par les jardins et touchant à l'enceinte de Philippe-Auguste, est aujourd'hui représentée par la grande cour du lycée Charlemagne et les bâtiments qui l'entourent ; l'autre moitié, par la première cour du passage Charlemagne, du côté de la rue du même nom, et les maisons formant angle sur la rue de Fourcy.

Dans les comptes de messire Jacques d'Estouteville, prévôt de Paris en 1510, nous lisons «  recepte de Louis de Graville, admiral… au lieu de Messire Jehan de Montagu, pour les antiens murs de la ville de Paris qui souloient estre en la rue St. Anthoine et la tour qui est au long de la tour du jardin sur laport par où lon va de lhostel de mon dit sieur en leglise de St. Paul… ». L'information est tronquée car les prix manquent dans cet article.

C'est dans cette première cour du passage Charlemagne que se dérobent les restes curieux de la jolie résidence que l'amiral, dans tout l'éclat de sa faveur, fit élever. Les restes ? Sans doute : au mois de mai 1891, on a détruit, en effet, toute la partie en bordure de la rue Charlemagne, qui offrait en façade, sur la cour intérieure, un rare et excellent spécimen architectural de la fin de la Renaissance. Il ne subsiste plus que le corps de logis intermédiaire, mélancolique sur cette cour autrefois si jolie, encore si curieuse, où, maintes fois, l'artiste, l'historien, revivant le passé, sont allés s'inspirer et évoquer les scènes d'autrefois, à l'ombre de cette merveille à l'état d'ensemble.

Ce qui a survécu vaut cependant une visite. L'ogive n'y paraît plus qu'une seule fois, très timidement, en faut d'une tourelle à six pans qui sert de cage à un escalier à vis, tout en pierre, et qu'il faut remarquer ; de même, aussi, les curieuses cariatides en gaines, les fenêtres des combles, et, çà et là, de charmants détails.

En 1560, François de Vendôme lègue à son oncle, le grand écuyer, son hôtel de la rue Saint-Antoine, appelé l'hôtel de Graville. Cet hôtel lui venait de sa grand-mère Louise de Graville. Dans ce contrat l'immeuble est ainsi décrit : « Un hostel, court, jardin, lounges, édifices, drois, etc. , séant à Paris en la rue de Jouy, et dont la maistre-entrée d'icelui hostel est sur ladicte rue de Jouy, et aiant issue en la rue Saint-Antoine, tenant d'une part aux anciens murs de la Ville , aboutissant par derrière aux maisons et héritages de Guillaume d'Orgement, des hoirs feu Pierre de Montigny, jadis notaire du Roy nostre sire oudit Chastellet de Paris, et à l'ostel de la Nef qui est en ladicte rue Saint-Anthoine, et qui en icelle rue le coing de la dicte rue Percée, ès censive des religieux de Thiron et de Saint-Eloy ».

Le 10 juin 1533, une assemblée de la ville de Paris est réunie pour donner ordre pour la garde de l'ambassadeur d'Angleterre et sa famille. «  Et parce que le jour que ledict ambassadeur arriva en ladicte ville où sondict logis de Savary, rue du Roy de Sicille, qui luy avoit esté ordonné, avoit eu la grand rue Sainct-Antoine, prochaine dudict logis, le seoir, environ l'heure de neuf heures, une assemblée de gens mal vivans qui voulloient invahir et prandre de force la maison du seigneur de Traves, logé au logis de Graville, estant devant et à l'oppositte de l'hostel des Tournelles, ainsi que le commung bruit estoit, estans en nombre jusques à quarante ou cinquante personnes armez et embastonnez…  ».

À suivre…

 

 

Notes

*Rappelons que par abus de langage, nous succombons, comme la plupart des auteurs, à appeler Louis Malet de Graville par «  amiral  » ou «  amiral de Graville  » bien qu'il ne reçut la dignité qu'en janvier 1487.

(1) P.-M. Perret, Notice biographique sur Louis Malet de Graville, amiral de France (A. Picard, Paris, 1889) gr. in-8° de LI-270 p.

(2) «  à voler  », à chasser au vol.

(3) Louis de Rouville était en parenté avec l'amiral de Graville puisqu'il était son cousin germain, fils de Louise Malet et de Guillaume de Rouville.

(4) Guillaume IV de Bavière, comte de Hainaut, succéda à son père d'Albert 1er de Bavière, comte de Hainaut, de Hollande et de Zélande. Son frère, Jean de Bavière, dit Jean sans Pitié (1373-1425) fut prince-évêque de Liège. Du chef de leur sœur, Marguerite de Bavière, ils étaient beaux-frères de Jean-sans-Peur, duc de Bourgogne. La mort de Guillaume IV de Bavière est survenue le 31 mai 1417. Il était cousin germain de la reine Isabeau de Bavière et de Louis de Bavière, seigneur de Marcoussis. C'est dans cette fratrie que l'on détecte l'erreur des historiens qui écrivent : «  Le duc Louis de Bavière, frère de la reine, posséda Marcoussis jusqu'en l'année 1417 qu'il mourut sans enfants de son second mariage, pour lequel il lui était hipotéqué  ». Louis de Bavière, dit le Barbu, décéda le 1er mai 1447 au château de Burghausen. La date de 1417 concerne son cousin Guillaume.

 

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