Louis Malet de Graville, seigneur de Marcoussis (XIV) L'homme providentiel |
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Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _---------------------- --------- Juin 2010 C. Julien JP. Dagnot
Cette chronique est le quatorzième volet de l'histoire de Louis Malet, sire de Graville, le plus brillant des seigneurs de Marcoussis (*). Dans cette partie, notre intention est de montrer le rôle primordial de l'amiral dans la vie politique française de la fin du XVe siècle, époque charnière de l'Histoire de France. La modernité de son action fut de pourfendre les abus des grands féodaux, suivant les leçons données par son maître Louis XI. Dans son rapport sur les thèses soutenues en janvier 1885, qu'il adresse au Ministre de l'Instruction Publique, M. le président du conseil de perfectionnement de l'École des Chartes écrit : « La place que l'amiral Louis Malet de Graville tient dans l'histoire des règnes de Louis XI, Charles VIII et Louis XII suffit pour expliquer l'étendue des recherches que M. Perret a entreprises et souvent menées exactement copiées et les analyses dont il les a fait précéder en rendent l'usage très facile. Les récits qu'il en a tirés devront être repris en sous-œuvre, si l'auteur veut nous bien faire connaître et comprendre la vie publique et la vie privée de l'amiral de Graville ».
L'amiral revient aux affaires Dès qu'il fut monté sur le trône, le 27 mai 1498, Louis XII s'employa à composer son gouvernement. Pragmatique, ceux qu'il appela étaient tous d'un mérite reconnu, et d'une capacité qui avait été éprouvée. Tel était Louis Malet, seigneur de Graville, amiral de France que sa franchise à l'égard de la guerre d'Italie qu'il blâmait avait fait négliger sous le règne précédent. Gui de Rochefort eu la charge de chancelier, Florimond Robert et fut ministre des finances, Étienne Poncher, évêque de Paris fut son conseiller diplomatique et le cardinal Georges d'Amboise fut premier ministre. Louis XII oublia ses grands torts et pardonna à ceux qui l'avaient combattu « Ce n'est pas au roi de France de venger les injures faites au duc d'Orléans ». L'avènement subit de Louis XII, quelle que fut la modération du roi, opéra naturellement une « triage » parmi les serviteurs immédiats de la royauté. Commines, Graville et les autres en furent victime. Louis Malet fut disgracié bien qu'étant le beau-père de Charles d'Amboise, amiral de France. Il revint effectivement en faveur à la suite de la chute de son cousin, le maréchal de Gié. Il recouvra son rang au Conseil. Il s'était ligué avec le cardinal d'Amboise pour faire échouer les projets militaires de Pierre de Rohan. Le règne de Louis XII fut une période mouvementée. Outre les campagnes militaires en Italie, le gouvernement fut confronté à une série de procédures : le procès du divorce de Louis XII contre sa première femme Jeanne de France, le procès criminel intenté à Pierre de Rohan, maréchal de Gié, succombant sous la disgrâce d'Anne de Bretagne et la petite procédure arbitrale relative à Anne de France. Après la réception offerte aux rois Louis XI et Charles VIII en 1462 et 1485, avec des préparatifs considérables, les Rouennais assistèrent à l'entrée du roi Louis XII dans leur ville le 28 septembre 1508, suivi de la reine le mardi 3 octobre. Les souverains furent accueillis par tout ce que comptait Rouen en personnages illustres. Parmi les princes et les seigneurs de la Cour , on aperçut Louis de Graville en tête des grands officiers royaux et des hommes d'armes. Bien qu'il ait cédé sa charge à son gendre, il eut encore les honneurs du titre de « Monseigneur le grand admiral seigneur de Graville ». En tant que seigneur de Graville, Louis Malet participa en quelque sorte à la fondation du Havre, cité qui n'a commencé que par une chapelle et par une taverne servant à abriter les marins égarés sur ce rivage mouvant. C'est Louis XII qui a eu le premier l'idée de fonder une ville sur cette terre d'argile et de silex, et ce fut François 1er qui compléta ces tentatives. Il acheta au seigneur de Graville, moyennant la somme de 60 livres , une partie de l'emplacement du Havre. Nous ignorons la date de la vente, mais après octobre 1516, ce ne pouvait être que le petit-fils de l'amiral, Louis de Vendôme, qui céda la terre. Alors que la reine Anne était en voyage, Philippe de Commynes lui adressa plusieurs lettres en juillet 1505 « Madame, tant et sy très humblement comme je puis me recommande à vostre bonne grâce ». Le chroniqueur rapporte une entrevue chez le roi « Le Roy envoye monsieur de Nevers [Engilbert de Clèves] et l'évesque de Paris [Étienne du Poncher] vers le roy de Castille, et pour ses ressors et aucunes appellacions, et cela le prent fort à ceur, en grant aprest de parolles. Monsieur l'amiral tient le Roy de près, et fit ung tel visaige quant il me vit rester en vostre chambre, à Paris, quant il m'y trouva. Le Roy, Madame, fut ung poy mal disposé… ». Dès 1504, Louis de Graville, amiral de France était très en faveur auprès de Louis XII. La quatrième ballade de Jean d'Authon sous le titre L es Trésoriers , c'est-à-dire les gens de finance, est relative à l'ordre que mit Louis XII dans les Finances en 1504, lors de la disgrâce de Pierre de Rohan, maréchal de Gyé, auquel succéda l'amiral Louis de Graville. L'auteur fait parler les financiers qui après un détail des bonnes qualités qu'ils doivent avoir, conviennent qu'ils ne les ont point eues, et qu'ils ont été cause des revers arrivés à la France en Italie.
L'amiral et la duchesse Le Roux de Lincy, l'un des biographes d'Anne de Bretagne donne de nombreux détails sur les relations entre la reine et l'amiral de Graville (1). Par sa part, Michel Perret rapporte la déconvenue de Louis de Graville, à peine six mois après le mariage de la petite duchesse avec Charles VIII. Le 5 juillet 1492, une ligue se forme, conduite par la reine, le duc d'Orléans et les Beaujeu contre Louis de Graville avec la bénédiction de Georges d'Amboise, archevêque de Narbonne. Ils se liguent contre tous ceux qui « pourroient par cy après porter paroles et faire entreprises et pratiques de nous mettre en defiance et soupçon, malveillance et malcontentement les uns contre les autres », l'adversaire est nommément cité «… et entre autre le seigneur de Graville, admiral de France, par luy ou autres ». L'amiral se défendit en restant près du roi « sachant d'expérience à la Cour , plus que partout ailleurs, les absents ont tort ». Ce fut, pour lui, l'occasion de défendre ses compatriotes, les Normands. Au début de l'été 1505, la reine Anne a perdu momentanément son emprise sur son faible mari, le roi Louis XII. Elle voit échouer le projet de mariage autrichien formé depuis quatre ans pour sa fille, avec l'aide du seul cardinal d'Amboise, contre la France entière [Il s'agissait de Charles de Luxembourg, futur Charles-Quint]. Le roi est malade, il fait son testament et s'efforce de réconcilier Anne et sa rivale, Louise de Savoie. Le 12 juin, démoralisée, Anne prétexte une dévotion et part pour son duché. Pendant quatre mois, elle est tenue au courant des intrigues de la Cour. La scène est remplie par l'amiral de Graville rentré en grâce après un effacement de sept années. Jean d'Auton nous dit : « L'amiral, par l'avis du roy, fut envoyé quérir pour assister au Conseil, comme celuy qui estoit ancien, sage et clairvoyant, et qui moult sçavoit ». Dès 1504, Louis de Graville, amiral de France, recouvra les faveurs du roi, il devint le conseiller le plus écouté de Louis XII. Dans une lettre adressée en juillet 1505 à la reine Anne par Philippe de Comines, nous lisons « Le Roy envoye Monsieur de Nevers [Engilbert de Clèves] et l'évesque de Paris [Etienne Poncher] vers le roy de Castille, et pour ses ressors et aucunes appellacions, et cela le prent fort à ceur… Monsieur l'amiral tient le Roy de près, et fit ung tel visaige quant il me vit rester en vostre chambre, à Paris, quant il m'y trouva ». Jacques de Beaune-Semblançay, correspondant d'Anne écrivait : « L'amiral est icy, qui est au lever, et à toute heure ne bouge de l'oreille du roy, et a beau loisir de parler. Il n'y a personne qui luy donne empeschement ». Dans la lettre du 24 juillet : « L'amiral est soir et matin en l'oreille du roy, et vouldroit desguiser beaucoup de choses », puis le 10 août : « L'amiral fait du piz qui peult... Il ne cesse de solliciter le roy pour le mareschal de Gyé, et à ce dernier voyage d'Amboise, a esté trouvé à Amboise parlant avecques Lespinace plus d'une heure, et incontinent le fist entrer en la garderobbe du roy, et là le fist parler longtemps audit seigneur ». L'informateur de la reine devient plus critique « L'amiral et toute sa bande, dont le mareschal en est le principal… ». Le maréchal de Gyé étant accusé d'avoir touché 100.000 ducats en Italie, Graville, après la liquidation de Naples, imagine de mettre en cause les généraux des finances. Le receveur général d'Outreseine , le trésorier des menus plaisirs, le trésorier de France, le contrôleur général des guerres étaient coupables « selon le cry du public…de la perte de Naples ». Selon de Beaune, dans sa lettre du 14 août, Graville devient « le réformateur de tous les gens des finances de France ; il veult faire ung monde tout nouveau et chasser tous les bons serviteurs : ce n'est pas sans nous espargner, entre nous, généraultx. J'espère que le bon droit sera pour nous, et pour luy, que sera trouvé meschant ». Le 20 août, de Beaune apprend que l'amiral a « fait dresser quelques articles pour le vouloir faire interroger ». Le général des finances du Languedoc prétend que Graville et Gyé veulent défaire tous pour demeurer entre eux « et faire ce qu'ilz vouldront ». Puis, il fait allusion à l'antipathie de l'amiral pour les expéditions d'outremont « nous avons faict du service de noz personnes et noz biens, à l'eure qu'il est allé faire la cane en sa maison ». La reine prend parti pour Jacques de Beaune qui lui dit « Ousté les deux, je croy que je n'ay guère d'ennemiz ». À la fin d'août Graville est à Paris pour prendre possession du gouvernement. Le 28 de ce mois, le Parlement délibère « de le bien recevoir… ». Louis de Graville cherche à brouiller le cardinal d'Amboise avec la reine : « À ung matin, ledit amiral vint à Mgr le légat et luy dist telles parolles : vous ne savez pas, que direz-vous d'ung propos que la royne tenoit l'autre jour en pleine table, comment elle n'eust empiesse pansé que M. le légat eus testé tel, et qu'elle le pansoit son serviteur autrement que n'est ? ». Le roi est décidé de faire la guerre à l'Espagne car il fallait rompre la promesse de mariage de la princesse Claude. Graville y pousse parce que d'après Commynes « s'il y avoit brouillis…, son amiraulté en vaudroit 20.000 francs davantage… » (2). Les financiers tirent vengeance de l'amiral de Graville. En mai 1506, il est sommé par le général des comptes de Bretagne de justifier l'emploi de 9.900 l .t. à lui confiées dès 1492. Parmi les princes et les grands officiers qui résidèrent à Rouen le 28 septembre 1508 lors de l'entrée du roi Louis XII, nous trouvons « Item des gens de nostre sire le roy et des premiers qui entrèrent dedans fut Monseigneur le grant admiral seigneur de Graville, lequel estoit vestu en velour noir et ung collier de l'ordre en son col accompaigné de quatre paiges vestus en velour noirsemblablement ». Il est vrai qu'au commencement de l'année 1508, il s'était démis de cette charge en faveur de son gendre, Charles II d'Amboise qui s'est trouvé à l'entrée de la reine avec la qualité de grand maître de France. Louis XII, suivi de la reine Anne et de la cour, partit le 25 octobre après être demeuré vingt-cinq jours.
Manuscrit de l'entrée du très chrétien roy de France, Loys douzième de ce nom faicte en la ville de Rouen le xxviii jour de septembre mil cinq cens et huyt.
Alors qu'il était âgé de 76 ans, Louis de Graville continue d'augmenter son patrimoine. En 1514, Jacques de Dreux, seigneur de Morainville et Morennes, vicomte de Beaussart, Berville et autres lieux, homme d'armes du duc de Guyenne en 1472, grenetier du grenier à sel de Dieppe en 1480, vendit la seigneurie de Beaussart à Louis de Graville, amiral de France.
Jan Standonck par J.-B. Guyard et Desiderius Erasme par Holbein le jeune.
Le réformateur obstiné Au cours de la seconde moitié du XVe siècle, de grandes réformes furent envisagées, tant du point de vue de l'administration laïque et dans l'organisation de l'Église. Il fallait effacer toutes les mauvaises habitudes prises pendant la guerre de Cent ans. Les clercs réguliers aussi bien que les réguliers furent concernés. Les réformateurs trouvèrent un appui irremplaçable de la part des grands officiers de la couronne ; Louis de Graville fut l'un d'eux en soutenant la réforme monastique. Il connaissait bien les problèmes de l'Église puisqu'il avait fait des études poussées à l'Université de Paris où il fut écolier du Collège de Montaigu (3). Il resta l'ami de ses nombreux condisciples qu'il rencontra sur les bancs de la faculté de philosophie : Jacques d'Aubusson, le grand maître de Rhodes, Nicole de Hacqueville, Jean Standonck, Jean Raulin, Jean Emery, etc. Dès juillet 1498, quelques mois après son arrivée sur le trône de France, Louis XII eut des difficultés avec l'Université de Paris en restreignant les privilèges. Par le déclaration du 31 août, il fut dit que « nul ne jouïroit du privilège de scholarité, qu'il n'eût résidé en l'Université dont il prétend être suppôt, six mois entiers avant la date des lettres testimoniales qu'il doit obtenir du recteur » (4). L'affaire fut plaidée contradictoirement le 29 novembre devant le Parlement, mais la faveur de l'Université était si grande qu'aucun jugement ne fut rendu. Les ministres du roi intervinrent : le chancelier Gui de Rochefort, l'évêque d'Albi Louis d'Amboise chargé de faire enregistrer l'ordonnance du roi, Louis de Graville pour pacifier l'affaire des privilèges et bien d'autres (5). Mais c'est après l'an 1500 que Louis de Graville s'engagea dans la voie de la réforme. Le roi Louis XII, son parent, lui en confia le soin en le nommant gouverneur de Paris en 1505. Graville appuient les réformateurs et fondent des maisons comme celle des Cordeliers dans sa seigneurie de Malesherbes. L'amiral fut généreux avec le collège de sa jeunesse. S'étant lié d'amitié avec Johannes Standonck , le principal du Collège de Montaigu (6), il participa à promouvoir l'hébergement et la création de bourses d'études pour les étudiants pauvres, en organisant le collège comme une congrégation monastique. Standonck était devenu le confesseur de Louis Malet de Graville et fut un proche collaborateur de Jean de Rély, confesseur du roi Charles VIII. Alors qu'il avait pris parti contre Louis XII qui répudiait Jeanne de France pour Anne de Bretagne, Standonck s'attira les foudres du roi par la liberté de ses propos. Il fut forcé de s'exiler en Flandre où il créa trois autres maisons à Valenciennes, Malines et Louvain, sur le modèle du Collège Montagu qui devint chef du réseau des « Domus pauperum Standonck », les écoles pour pauvres de Standonck. À la fin du XVe siècle, le nombre de résidents de collège de Montaigu augmenta considérablement grâce à deux legs : l'une par l'amiral de Graville le 16 avril 1494, l'autre par Jean de Pontville, vicomte de Rochechouart le 25 février 1496. En vertu de ces donations, la population estudiantine est fixée à 86 individus composant la communauté des pauvres « communitas pauperum ». Le collège abritait aussi des étudiants riches payant leur scolarité « scholares divites ». À suivre…
Notes (*) Ce n'est pas être nostalgique que de regretter de voir le nom de Louis de Graville oublié, voire même complètement occulté de Marcoussis. Ce ne serait pas faire injure à la République que d'honorer l'un des grands ministres qui a fait la France au XVe siècle. (1) Le Roux de Lincy, Vie de la reine Anne de Bretagne, femme des rois de France (Curmer, Paris, 1860). (2) Sous Louis XI, l'amiral de Bourbon recevait 4.000 l .t. pour ses gages ordinaires et une indemnité annuelle de 6.000 l .t. « pour que son office estoit de nulle valeur à cause de la paix avec les Anglois ». (3) Le collège de Montaigu dépendait du chapitre cathédral de Notre-Dame. (4) Les étudiants ne pouvaient jouir de leurs privilèges que durant le temps nécessaire pour achever leur cours d'études : quatre ans pour les artiens, sept pour les juristes, huit pour les médecins et quatorze pour les théologiens. (5) Jean-Baptiste Louis Crévier, Histoire de l'Université de Paris, depuis son origine jusqu'en 1789 , volume 5 (chez Desaint et Saillant, Paris, 1761). (6) Né à Malines en août 1443, formé à Gouda en Hollande, Jean Standonck s'inscrivit à l'Université de Louvain le 27 novembre 1467 et poursuit ses études à l'abbaye Sainte-Geneviève à Paris. Talentueux, il est obtient son grade de maître ès arts en 1476. En 1483, il a été nommé principal du Collège de Montaigu, une institution détestée par Erasme et Rabelais qui l'appelait le Collège de la Pouillerie . Il devient docteur de la Faculté de théologie de Paris le 21 juin 1490.
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