Jean V Malet de Graville, seigneur de Marcoussis

(II) Le grand-maître des arbalétriers

Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _------------------------------- Avril 2010

C. Julien

JP. Dagnot

 

 

Cette chronique est la seconde partie de l'histoire de Jean V Malet de Graville, seigneur de Marcoussis, personnage qui vécut au XVe siècle. Précédemment, nous avons évoqué les ancêtres et les premières armes. Le présent texte est orienté sur la carrière militaire de ce chevalier entré, dès son jeune âge, au service du dauphin monté sur le trône le 21 octobre 1422 sous le nom de Charles VII.

Pour revenir à l'identité et la qualité de Jean V Malet de Graville, l'ouvrage de M. de Saint-Allais, intitulé De l'Ancienne France , donne la série chronologique des grands maîtres des arbalétriers: le vingtième grand maître est Jean Malet «  seigneur de Graville, mort en 1449  ». Cet office avait été créé par Saint-Louis. C'était le commandant en chef de l'infanterie française jusqu'au XVIe siècle. Le grand maître des arbalétriers avait sous ses ordres non seulement l'infanterie, mais les charpentiers, maîtres d'engins, fossiers, etc., en un mot tout ce qui, dans les armées modernes, serait désigné sous les noms de génie et d'artillerie. C'était lui qui plaçait les sentinelles ou, comme on disait alors, les escoutes , recevait du roi le mot d'ordre, et, en cas de prise d'une ville ou château-fort, il avait toutes les machines de guerre qui s'y trouvaient.

Ainsi Jean de Graville était colonel général de l'infanterie. Il occupait un office méprisé par les nobles qui, de tout temps, combattaient dans la cavalerie. L'immense mépris dont les hommes d'armes couvraient la piétraille fut à l'origine de la situation déplorable qui coûta à la France les plus sanglantes défaites, les plus cruelles humiliations (1) .

Avant d'évoquer la carrière civile de Jean V Malet, nous donnons quelques faits militaires remarquables du seigneur de Marcoussis. Fidèle au roi de France, ce gentilhomme normand avait été le dernier à quitter sa province après la prise de Pont-de-l'Arche. «  Et après se rendi le Pont au roy Henry qui fut grant desconfort à tout le pays car c'estoit une des clez de l'eau de Saine  », dit un contemporain.

 

 

La guerre franco-anglaise

Depuis 1422, le dauphin Charles était monté sur le trône. Après les sanglantes défaites, Charles VII se trouvait dans une bien mauvaise position. Par la rencontre de plusieurs personnages dont sa belle-mère Yolande d'Aragon, le destin changea en sa faveur. Par son mariage avec le duc d'Anjou, cette princesse possédait les provinces du Maine, d'Anjou. Ne supportant pas les intrusions des Anglais sur ses terres, cette femme de fort caractère joua un rôle non négligeable dans le Conseil du roi.

Dans un premier temps, l'armée franco-écossaise commandée par John Stuart et Jean II d'Alençon fut défaite à Verneuil au mois d'août 1424 bien qu'étant numériquement supérieure. Le propre père de Jean Malet y perdit la vie avec plusieurs autres membres de cette famille. En septembre 1427, les Anglais avaient mis le siège devant Montargis. Sous commandement du connétable de Richemont, les capitaines Dunois, La Hire, Poton de Saintrailles, Graville, Gaucourt furent à la tête de quinze cents lances et d'un corps assez nombreux de gens de pied. Arrivé, le 2 septembre au matin, Jean V Malet défendit vigoureusement la place, en se distinguant sous les murs de cette ville et en contribuant, par sa valeur, à la conserver à Charles VII, en forçant les Anglais d'en lever le siège. Millon de Montherlant a décrit la victoire française en ces termes : «  …à la vue de leurs sauveurs, les Montargois se précipitent hors de leurs remparts et chargent furieusement l'ennemi ; pris entre deux feux, celui-ci se débande, se presse en tumulte sur le pont qui reliait le corps de Warwick à celui de Suffolk, lorsque, ce pont se rompant ; des soldats furent noyés en grand nombre. Warwick et Suffolk, après avoir, au prix de grands efforts, rallié leurs gens, se retirèrent d'abord sur Château-Landon et Nemours, puis gagnèrent Paris. Plus de quinze cents Anglais avaient été tués, et six cents faits prisonniers  » (2).

 

 

Le siège de Meulan par Monstrelet

Revenons un moment sur un évènement militaire survenu au début de l'an 1423 : le siège devant le pont Meulan qui fut défendu par Jean de Graville. Tandis que la guerre civile mettait en feu le royaume, cet évènement militaire fut d'une grande importance pour Marcoussis puisque la seigneurie fut confisquée par le duc de Bedford pour punir son seigneur d'avoir participer au combat contre les troupes anglaises.

Meulan était une ville stratégique : elle contrôlait toutes communications par eau entre Paris et la Normandie, le pont sur la Seine assurait le passage entre la Beauce, le Vexin et au-delà, la Picardie (3). En 1423, les Anglais chassé du Vendômois par les troupes françaises et écossaises furentt obligées de se retirer en Normandie. Tandis que Jacques d'Harcourt poursuivait sa course victorieuse en Ponthieu, les Anglais ravagèrent la Beauce recouvrèrent Orsay et arrivèrent devant Meulan.

Jean Malet participa à l'élan patriotique contre la dynastie étrangère. N'ayant pas voulu se soumettre à Henri V, il avait renoncé à ses fiefs normands et soutenait le jeune roi Charles VII. Il arriva devant Meulan avec une troupe de 500 hommes résolus. Surprenant la garnison endormie ils s'emparèrent de la place sans coup férir. Dans son histoire de Charles VII, Lelaboureur dit «  Le 14 janvier audit an, ceulx de Meullent désirant estre Daulphinois se rendirent au seigneur de Graville…  ». Le drapeau français flottait sur la citadelle «  Regi Regnoque fidelissima !  ». Le sire de Graville et les siens, secondés par la bourgeoisie qui avait pris les armes et s'était réfugiée dans la forteresse.

La chronique d'Enguerran de Monstrelet raconte les évènements survenus à Meulan de la manière suivante : « Comment les capitaines du roy Charles s'assemblèrent en grant nombre pour lever le siège de Meulan, et comment le duc de Bethfort traicta à ceulx dudit pont  ». Le parti français du roi Charles VII s'était renforcé pour combattre les Anglais. En la fin du mois de février une armée était placée sous «  la conduicte du conte d'Aumale, du conte de Bosqueaulx, escossois, du viconte de Narbonne, de Tanegui du Chastel, breton, et plusieurs autres capitaines, à tout six mille combatans ou environ,lesquelz ilz menèrent et conduirent jusques à six lieues près dudit Meulan, et eulx venus audit lieu ilz ordonnèrent leurs batailles  ». Mais des dissensions les paralysèrent et les Anglais : « férirent entre eulx quant ilz apperceurent qu'ilz s'en aloient ainsi en desroy . Laquelle chose venue à la congnoissance des assiégez de Meulan, leur fut moult desplaisant, quant ilz virent qu'on leur failloit d'envoyer secours au jour qu'on leur avoit promis . Dont, par courroux et desespoir gectèrent la bannière du roy Charles qu'ilz avoient mise sur leur porte, du hault en bas, et puis montèrent plusieurs gentilzhommes à la veue des assiégans, et là despescèrent et dessirèrent leurs croix et enseignes qu'ilz portoient du roy Charles dessusdit, en despitant à haulte voix ceulx de là qu'il leur avoit envoyez, comme faulx parjures. Et brief après commencèrent à parlementer avec les gens dudit conte de Bethfort, et sur ce furent gens esleuz des deux parties pour traicter. C'est assavoir, du costé de Bethfort qui se disoit régent, le conte de Salsebery, messire Jehan Faclot, messire Pierre de Fontenay, messire Jehan de Poulligny, seigneur de La Motte, Richart de Wideville, Nicolas Bourdec, grant bouteiller de Normandie, et Pierre le Verrad. Et de la partie des assiégez furent commis, messire Jehan de Grasville , sire Loys Martel, messire Adam de Croisines, chevaliers, Jehan d'Estainbourg, Jehan de Mirot, Roger de Boissie, Oudin de Boissie et Jehan Marle, escuiers. Lesquelz commis et traicteurs des deux parties dessusdictes convindrent ensemble par plusieurs fois, et en fin furent d'accord par la forme et manière cy-après déclairée  ».

Le traité de capitulation de Meulan portant neuf articles fut signé le 1er mars 1423. «  Premièrement, tous les assiégez devant diz rendront et délivreront ledit pont et la forteresse en la main de monseigneur le régent ou de ses commis et depputez, ainsi reparée, fortiffiée et garnie de canons, pouldres et arbalestres et autres habillemens de guerre comme elle est en présent, sans à icelle faire fraulde, mal engin, ne décepcion, et sans faire ausdiz habillemens de guerre et autres choses deffensables pour ladicte forteresse, aucun gast, fraction, ou aucune empirance de vivres ou autres choses pour corps humain. Laquelle forteresse et pont, ilz rendront dedans demain tierce, qui sera le second jour de ce présent mois de mars  ». Les assiégés étaient libres sauf les gens de guerre «  coulpables de la mort de feu Jehan, le duc de Bourgongne derrenièrement trespassé, et Gallois, IIlois et Escoçois, se aucuns en y a. Et excepté avec ce, Jehan Dourdas, ung nommé Savary, servant de Bernabant, Olivier de Lannoy, et les canonniers, et ceulx qui furent en la première embusche, qui entrèrent premièrement audit pont, lesquelz demourront en la voulenté de monseigneur le régent  ».

Monstrelet continue son récit en disant «  Après que tout le contenu de ce présent traicté fut acompli en la manière dessusdicte, à cause de ce furent rendus en la main dudit régent les forteresses de Marcoussy, de Montlehery et plusieurs autres estans lors en l'obéissance des dessusditz assiégez. Lesquelz furent trouvez au jour de ladicte reddicion en nombre de cent gentilzhommes et deux cens autres combatans, dont les plusieurs firent le serement cy dessus devisé, et jurèrent de estre bons et loyaulx envers ledit régent. Et mesmement leur promist et jura, ledit seigneur de Graville. Et furent menez à Rouen prisonniers, jusques au plain acomplissement de tout le traicté. Et fut certiffié par ledit de Graville aux commis du régent, que le roy Charles estoit en vie, quant il se partit de lui derrenièrement pour venir à Meulan, mais il avoit esté blessé en la ville de La Rochelle d'une maison qui estoit cheute, où il tenoit son conseil, dont cy-dessus est fait mention  ».

 

 

Le siège de Meulan par la chronique anglaise

Le texte publié en 1879 par Jehan de Wavrin, dans le «  Recueil des croniques et anchiennes istories de la Grant Bretaigne , à présent nommé Engleterre  », met en perspective les rudes combats de la guerre de Cent ans (4). Quand il s'agit du chapitre « Comment le duc de Bethford, régent de France, mist le siège devant le pont de Meulem  » , le document écrit dans un merveilleux vieux français donne ceci: «  En 1423, le duc de Bethfort, sachant la prinse du pont de Meulem par les Francois, en grante haste et dilligence un grant amas amas de gens darmes et de trait, tant d'Anglois comme de Picars et Bourguignons, Northmans et tous autres que pour lors il peult avoir, bien garny de vivres et de tous habillemens necessaires a assiegemens de villes et forteresses ; si furent chariotz chargiés et attelez, puis se mist le régent auz champs en moult belle ordonnance, comme cellui qui bien estoit uzagie et aprins de guerre. Tant chevaulcha ledit régent atout son ost que il parvint devant la ville de Meulem, où il mist et posa son siège dun lez et de lautre de la rivière ; puis fist dreschier contre les portes et murailles pluiseurs engiens pour les comfondre et abbattre, continuant dilligamment en toutes choses graveuses auz asségiés, lesquelz se voians ainsi estre enclos, et que le jour du secours a eulz promis par le nouveau roy Charles, duquel ilz tenoient la querelle, et que de nul coste navoient plus quelque esperance davoir ayde; il leur vint a très grant desplaisance, mais pour ceste heure ne le peurent amender, si leur couvint souffrir….  ».

Puis, un secours arriva «  Les daulphinois de la garnison de Marcousi, environ deux cens hommes d'armes avec leur capittaine appelé Mynon, allèrent par nuit secrètement prendre le pont de Meulent, où ilz firent moult de maulx…  ».

Finalement, comme il a été dit précédemment, les Anglais enlevèrent la place de Meulan, le pont et le château qui leur assurait la libre circulation sur la Seine. Dans le chapitre suivant intitulé «  Comment pluiseurs forteresses furent rendîtes en la main du duc de Bethfort, régent, par le moyen du traitie cy-dessus declaré  », nous apprenons les clauses du traité de reddition. Il s'agit de punir le sire de Graville tout en lui laissant la vie sauve : «  Assez tost aprez ycelluy traitie fait et acorde par la manière y avez cy dessus, furent rendues selon les convenences dycelluy les forteresses qui sensuivent, cest à scavoir, Marcoursy, Monthéry, Estampes et autres estans lors en lobeissance du roy Charles , lesqueles tenoient en son nom les assegiés dedens Meulem, quy au jour de la rendition furent trouvez en nombre cent gentilz hommes et deux cens autres combatans, dont les pluiseurs firent serment et jurerent estre bons et loyaulz doresenavant au roy d'Angleterre et a monseigneur le régent, mesmes jura le sire de Graville…  ».

 

Prise de Montereau par les archers et arbalétriers de Jean de Graville.

 

Une quittance fut donnée le 4 novembre 1424 par «  Robert Cotes, escuier nagaires maistre des ordonnances pour treshault, puissant et excellent prince monseigneur le régent le royaume de France la somme de six vingts escus d'or d'une part, et la somme de deux cents vingt livres tournois d'autre part, mises, converties et employées es ordonnances de mon dit seigneur le régent, tant au siège qui fut devant le pont de Meulant, comme pour le siège de Crotay…  ». Les Anglais payaient bien leurs mercenaires !!

Enfin, il est intéressant de donner la page du Journal d'un Bourgeois de Paris décrivant la météorologie en ce mois de janvier 1423 : «  Le dixiesme jour après qu'ilz orent pris Meullent, à la conjonction du moys de janvier, XIIe jour, fist le plus aspre froit qur homme eust veu faire ; car il gela si terriblement, que en mains de trois jours, le vin aigre, le verjus geloit dedans les caves et celiers, et pendoient les glaçons es voultes des caves ; et fut le revière de Saine, qui grande estoit, toute prinse, et les puis gelez en mains de quatre jours, et dura celle aspre gelée XVIII jours entiers. Et si avoit tant negé avant que celle aspre gelée commençast environ ung jour ou deux avant, comme on avoit veu XXX ans devant… Et vray est que les coqs et gelines avoient les crestes gelées jusques à la teste  ».

 

 

Les ambassades de Jean de Graville

Selon plusieurs textes, on peut penser que Jean V Malet soit intervenu à de nombreuses reprises comme ambassadeur du parti «  Daulphinois  », c'est-à-dire en faveur de Charles VII (5). Après la terrible défaite d'Azincourt, le parti anglais aidé par les Bouguignons étaient devenus maître de la France. Le 24 avril 1417, Jean sans Peur adressa aux habitants de Rouen, comme à ceux des autres grandes villes de France, une circulaire où il les appelait ses «  très-chers et fidèles amis  » et leur jurait de les affranchir sur la gabelle, de tout droit sur les marchandises et de la taxe du quart des vins. Afin de soustraire la ville à l'influence bourguignonne le connétable d'Armagnac envoya, le 17 juin, trois commissaires accompagnés de troupes. Les Rouennais refusèrent toute conciliation, une émeute éclata et l'exaltation redoubla quand le dauphin envoya un émissaire en la personne de l'archevêque Louis d'Harcourt. Le bailli Raoul de Gaucourt, son lieutenant Jean Légier et son neveu périrent sous le glaive des émeutiers. Les effets du blocus organisé par le dauphin se firent vite sentir, on inclina vers un arrangement «  une nouvelle négociation fut conduite avec habileté et dans un esprit de conciliation par l'archevêque et Jean Malet, fils du sire de Graville  ». Nul doute qu'il s'agissait du futur seigneur de Marcoussis.

Une autre ambassade de Jean Malet auprès de Yolande d'Aragon, reine de Sicile, est restée fameuse. À la fin d'octobre 1413, la duchesse d'Anjou voyageait en compagnie de ses enfants et vint prendre sa demeure à Marcoussis «  c'était un élégant manoir  » dit Valet de Viriville. Le but de cette visite était de conclure une alliance matrimoniale et Jean V Malet aurait négocié le contrat mariage du comte de Ponthieu (futur Charles VII) avec Marie d'Anjou en l'an 1416 (6). Les noces furent célébrées le 22 avril 1422 dans la cathédrale de Bourges. Louis II duc d'Anjou et sa femme Yolande d'Aragon avaient exercé sur le prince Charles, dès sa plus tendre enfance, une influence considérable. Louis II mourut en avril 1417 au moment où Charles était devenu Dauphin «  icelui daulphin fu fort affoibli de conseil et d'aide  », dit Monstrelet. Yolande conserva, jusqu'à sa mort en 1442, un grand ascendant sur son beau-fils. Jean V Malet resta un conseiller fidèle du Roi depuis l'avènement de celui-ci au trône jusqu'à sa mort.

Jean Malet était un grand officier faisant partie du premier cercle des conseillers de Charles VII. Sa carrière est due à plusieurs parrainages : d'une part celui du comte Arthur de Richemont, connétable de France et Yolande d'Aragon, duchesse d'Anjou. Son patriotisme fut nourri par la haine des Anglais qui avaient confisqué tous ses fiefs normands. Jean Malet fut un ardent partisan Armagnac.

Dans les comptes du roi de janvier 1423, nous trouvons un achat de vingt chevaux pour la somme de 2.567 livres 10 sous en monnoie, et en or, 720 écus. Parmi les officiers à qui des chevaux ont été donnés par le roi, il y avait Guillaume d'Avaugour, Philibert de Bréet, Jamet du Tillay et Jean de Graville , chevalier et chambellan. Ces personnages étaient des gens de guerre du roi et ses familiers qui gouvernèrent l'administration jusqu'en 1427.

 

 

Le compagnon de Jeanne d'Arc

La délivrance de Montargis fut fêtée non seulement dans la ville même, où les habitants firent « grande joie et bonne chère » mais encore dans les pays qui formaient alors la France. À cette bonne nouvelle, les Orléanais organisèrent une procession générale pour rendre grâce à Dieu, et envoyèrent aux Montargois mille livres. Après avoir participé à la levée du siège de Montargis où il fut blessé, en 1427, Jean de Graville est fait capitaine de Malesherbes.

C'est tout naturellement qu'il fut chargé du commandement général des hommes de traits, archers et arbalétriers, au siège d'Orléans. Sa compagnie personnelle eut un effectif fluctuant, selon les comptes du trésorier des guerres du roi, de 55 à 61 hommes d'armes et de 34 à 45 hommes de traits. Il a combattu à la funeste journée des Harengs en février.

Jean Malet participa à l'une des plus grandes pages d'Histoire de France, la délivrance d'Orléans par Jeanne d'Arc. Il servit au ravitaillement de la ville d'Orléans, «  au recouvrement de celles d'Yenville, de Gergeau et de Baugenci  ». En 1429, le quatrième jour du mois de mai après dîner, «  la Pucelle appela les capitaines, et leur ordonna que eulx et leurs gens fussent armez et prestz à l'eure qu'elle ordonna : à laquelle elle fut preste et ù cheval plus tost que nul des autres cappitaines, et fist sonner sa trompille; son estandart après elle, ala parmy la ville dire que chacun montast, et vint faire ouvrir la porte de Bourgoigne et se mist aux champs. Les gens de la ville, qui estoient en bon abillement de guerre, avoient ferme espérance que les Englois ne leur pourroient [faire] mal en sa compaignie; saillirent dehors très grant nombre. Et après se misrent aux champs les mareschaulx de Rais et de Boussac, le bastart d'Orléens, le sire de Graville et les autres cappitaines. La Pucelle leur ordonna garder que les Englois qui estoient dedens leurs bastilles en bien grant nombre, ne peussent venir après elle et ses gens de pié de la ville… ». Nous connaissons l'issue glorieuse de ce siège. Le sire de Graville combattit aux côtés de Jeanne d'Arc à la prise de la bastille de Saint-Loup et au fort des Tournelles où la Pucelle fut blessée d'une flèche.

Jean V Malet continua de tenir la campagne contre les Anglais à Crespy contre le duc de Bedford. Il fut ensuite au siège de Jargeau, puis à Beaugency et participa à la bataille de Patay. Il accompagna le roi à Reims pour le sacre où il eut l'honneur d'être l'un des " otages de la Sainte Ampoule ". Il combattait encore au côté de Jeanne au siège de Paris. Plus tard, quand Charles VII fit son entrée à Paris en 1437 Jean Malet ouvrait la marche devant huit cent archers. Il servira de 1437 à 1443 sous le connétable de Richemont, toujours comme grand maître des arbalétriers. Il se distinguera particulièrement au siège de Pontoise en 1441.

 

Entrée du roi à Paris (Vigiles de Charles VII).

 

 

Jean V Malet dans la Chronique de la Pucelle

Guillaume Cousinot de Montreuil, chroniqueur du XVe siècle, auteur de la Chronique de la Pucelle donne à plusieurs reprises les actions militaires de Jean V Malet. L'historien commence par la querelle de Graville et de Boucicaut «  En ce temps, en la première sepmaine de décembre en suivant, 1405, le filz ainsné d'un chevalier du païs de Caux, de très-noble lingné, nommé M. de Grartville, fu villané en la court de la royne, le duc d'Orlienz présent, d'un des mignons de ladicte court, nommé le petit Boursicaut, pour le faict d'une des demoiselles de la cour de la royne, nommée Charlote, et voulloit que le dit filz de Grartville la preist à fame ; si ne vont et sy n'estoit pas à son pareil..  ».

Pendant la campagne militaire de 1407, Jean V Malet se trouvait devant Calais pour la Chandeleur (2 février). Le chroniqueur décrit l'équipage du seigneur de Graville «  Et mémoire que Messire Jehan de Guerartville, après ce qu'il se estoit vengié de Boursicaut, fut en l'armée devant dicte de Kallès, et se partit de Rouen en la manière qui ensuit en belle compaignée de charrios, sommage et de genz d'armes soubs lui. Et pour son corps avoit quatre chevaus enharnesquiès de quatre harnois de cuir couvers d'escarlate et de blanchet fin, et la cloueure d'argent souroré de fin or, et les fers des quatre chevax de euivre sourorés d'or, et pour son abit ouquel avoit en chascune manche atachiez chent escus d'or, somme pour les manches 200 escus ; item en la pate de son chapperon chinquante nobles d'Engleterre atachez en manière de treffles ; item en son housel [guêtre de cavalier] senestre 50 escus, et en son estandart chent eseus. Ainsi se parti de Rouen, voiant tons dieux qui le povoient voir, et moy qui cy escripz le vy. Somme toute, 350 escuz avec les 50 nobles. Or lairon à parler de ceste matère et parleron de la mort de M. d'Orlienz  ».

Jean de Graville était devenu chambellan de Charles VI. En ce temps, au mois de février l'an 1413, certainz ambasadeurs partirent de France à aler en Engleterre pour traiter du mariage du roy d'Engleterre et de la fille de Franche, c'est assavoir : l'archevesque de Bourges en Berry, M. Charles de Labret, adonc connestable de France, M. de Graville et pluriex autres. Et partirent et amenèrent deux granz chevaliers et un grant clerc d'Engleterre et pluriex autres, et furent festiez à Paris, à Rouen et ès bonnes villes de France. Et à celle fois ne tirent rien, car les Englois demandoieut la ducée de Guyane, Normandie et la compté de Pontieu, et ont trèves entre les parties, depuis la Candeleur, desraine passée 1413, jusques à l'autre Candeleur 1414 ensuivant qu'il revindrent seconde fois, et ne firent rien; et fu tout dépéchié. Et en ce temps fu la quinte pais de seigneurs dessus diz faite, et ce comme aultre fois et les feux fais; et de tout néant.

L'année 1422 vit mourir les deux monarques anglais et français, mais la guerre n'en continua que plus vive entre le nouveau roi de France Charles VII et le duc de Bethford, régent pour le jeune Henri VI. Le 14 janvier 1423, Jean de Graville alla prendre pour Charles VII les villes de Meulan, la Ferté-Milon, Marcoussis et Montlhéry, mais ces places furent aussitôt reprises par les Anglais. « C'était, dit le chanoine Souchet, un véritable jeu de barres, où les uns tantôt prenoient, et les autres tantôt estoient pris ». Nous évoquerons dans la suite l'épisode de la prise du pont de Meulan survenue «  la desraine sepmaine de décembre 1422  ». Le chroniquer termine par «  Et quant M. de Guerartville vit qu'il n'avoient point de secours et qu'il n'avoient nul vivres, il se rendi lui et ses aliés an dit régent, et list serment au dit régent qu'il obéiroit à lui, et par l'acort feroit rendre le chastel d'Yvry avec trois aultres  ». Les trois autres ont été les fiefs de Jean de Graville dont Marcoussis. Au cours de la bataille de Verneuil le jeudy après Nostre-Dame de mi-aoust (17 août 1424) Gui, le père de Jean qui faisait partie des «  trois cens lances des François à cheval y furent tuez, car la desconfiture cheut bien grande pour les François, et y eut une bien aspre et dure besongne…  ».

Jean Malet se trouve au siège de Montargis à Pâques de l'an 1427 qui tombait le 20 avril. Le connestable de Richemont et les capitaines y assemblèrent vivres le plus qu'ils peurent et aussi gens de guerre, estoient en leur compaignée les seigneurs de Graville, de Gaucourt, La Hire, et autres, pour adviser comment on pourroit mettre des vivres dedans la ville et au chasteau.

Le dimanche 17 juillet 1429, Jean Malet accompagne Charles VII à Reims où on avait ordonné que «  le roy prendroit et recevroit son digne sacre  ». La sainte Ampoule était conservée par l'abbaye de Saint-Rémy. Le chroniqueur précise «  pour ce que l'abbé de Sainct-Remy n'a pas accoustumé de bailler la sainçte Ampoulle, sinon en certaine forme et manière, le roy y envoya le seigneur de Rais, mareschal de France, le seigneur de Boussac et de Saincte-Sévère , aussi mareschal de France, le seigneur de Graville , maistre des arbalestriers, et le seigneur de Culant, admiral de France, lesquels firent les serments accoutumez, c'est à scavoir de la conduire seurement et aussi raconduire jusques en l'abbaye, et ledist abbé l'apporta, revestu d'habillements ecclésiastiques, bien solemnellement et dévotement dessous un poille jusques à la porte de devant Sainct-Denys  ».

Après le sacre de Reims, l'ost du roi parcourut la Picardie. Beauvais se rend français et Compiègne se soumet «  le roy estoit sur les champs à bien grande et grosse compaignée et s'achemina vers Mitry en France…  ». Aux environs de Senlis, Charles VII «  fist ordonner ses batailles et pour escarmoucher et guerroyer lesdits Anglois, avoient le gouvernement, le seigneur d'Albret, le bastard d'Orléans, Jeanne la Pucelle, la Hire et plusieurs autres. Et à la conduite et gouvernement des archers estoit le seigneur de Graville, maistre des arbalestriers de France et un chevalier de Limosin, nommé Maistre Jean Foucault  », nous dit le chroniqueur Guillaume Cousinot.

À suivre…

 

 

Notes

(1) Ce mot piétraille était un des mille termes de mépris dont se servaient les gens d'armes pour désigner les hommes de pied. Le mot piètre est encore employé pour dire un gueux, un misérable.

(2) G. Millon de Montherlant , Le siège de Montargis en 1427 , in l a Revue des Questions historiques, avril 1898.

(3) E. Réaux, Histoire de Meulan (Impr. Masson, Meulan, 1868).

(4) J. de Wavrin, Recueil des croniques et anchiennes istories de la Grant Bretaigne , à présent nommé Engleterre (Longman, Londres, 1879).

(5) Sous le règne de Charles VI, la guerre de Cent ans se transforma simultanément en "guerre externe", celle contre les Anglais en en "guerre civile" entre les Bourguignons et les Français. Ce dernier parti pris successivement le nom de parti Orléaniste, Armagnac et Dauphinois du nom de ses chefs : Louis 1 er d'Orléans, Bernard d'Armagnac et le dauphin Charles. La guerre civile fut déclenchée par l'assassinat du duc d'Orléans le 23 novembre 1407 à Paris.

(6) Yolande d'Aragon avait épousé le duc Louis II d'Anjou, prince du sang, petit-fils du roi Jean II le Bon, le 2 décembre 1400 à Montpellier. Les fiançailles de Charles et Marie furent célébrées à Paris le 18 décembre 1413. L'union qui venait d'être célébrée s'appelait promesse de mariage per verba de presenti. Aux termes du droit canonique, qui régissait cette matière, la limite d'âge ou majorité légale pour contracter mariage n'était autre que celle de la puberté : quatorze ans révolus en ce qui concernait l'homme et douze ans du côté de la femme. Le traité de fiançailles constituait un engagement purement provisoire. Pour que cette obligation devînt parfaite, indissoluble, et se convertît en mariage, il fallait un nouvel assentiment ou ratification des deux fiancés, devenus majeurs, et une nouvelle consécration de l'Église. Dans l'intervalle qui séparait ces deux termes, la volonté de l'une des parties suffisait pour annuler ce premier contrat.

 

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