Louis Malet de Graville, seigneur de Marcoussis

(XXI) Les sœurs de l'Amiral

Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _---------------------- --------- Juin 2010

C. Julien

JP. Dagnot

 

 

 

Nous présentons le vingtième et unième volet de la vie de Louis Malet de Graville, celui qui se rapporte aux sœurs de l'amiral. Il est indéniable que la fortune politique de Louis Malet ne fut assise sur ses relations au sein de la noblesse, mais grâce à certains membres de sa famille. Nous avons évoqué plusieurs fois les parents maternels, ses cousins bretons, mais avons négligé la famille des Malet.

Cette fois nous affrontons un délicat problème de généalogie, une situation plutôt confuse si l'on consulte les auteurs. Pour cette étude, nous avons étudié les conclusions de six généalogistes (1). À s'en rapporter aux documents authentiques sur lesquels le Père Anselme a travaillé au XVIIe siècle il est logique que ses collègues du XVIIIe siècle aient tous pris le même parti (cf. Tableau I). La filiation des deux générations des Malet de Graville qui ont vécu au XVe siècle pourrait laisser entendre qu'il y a une confusion si l'on en croit le travail d'André Borel d'Hauterive publié en 1841. Il n'en est rien c'est ce que nous allons démontrer.

Le problème, qui nous est posé, est double :

  • il faut lever l'ambiguïté introduite par la présence de deux demoiselles qui portent le même prénom de Louise.
  • il faut distinguer les sœurs de l'amiral de Graville, au nombre de trois pour certains auteurs contre quatre pour d'autres.

En considérant à la fois les épouses et les enfants des deux Jean Malet : Jean V, le compagnon de Jeanne d'Arc et grand-maître des arbalétriers de France sous le roi Charles VII et son fils Jean VI, le chevalier qui fut prisonnier des Anglais et père de l'amiral.

Le doute s'installa sur l'arbre généalogique des Malet de Graville au XIXe siècle avec la publication, en 1841, d'une notice historique sur la maison de Malet par André Borel d'Hauterive qui modifia la fratrie de l'amiral de Graville. Cinquante ans plus tard, Michel Perret fit une critique constructive de la généalogie des Malet, mais n'alla pas jusqu'au bout de son analyse, laissant des zones d'ombre.

 

 

La tante Louise

L'une des énigmes qu'il faut résoudre est l'existence ou non des damoiselles Louise Malet, filles des deux sires de Graville données comme étant l'une, la sœur cadette de l'amiral, l'autre, sa tante dont nul généalogiste donne un seul détail sur sa vie. Par contre, Louise Malet, fille de Jean VI est souvent citée comme étant la femme de Guillaume Goujeul, sire de Rouville. Notre analyse ne peut pas admettre l'erreur malencontreuse introduite dans la généalogie donnée par Borel d'Hauterive et plus récemment sur le site Racines et Histoires par Etienne Pattou dans son édition de 2008 (2). Toutefois, la dernière édition de juin 2010 reprend l'existence des demoiselles Louise Malet, mais un doute subsiste quant à leur union avec le sire de Rouville, la tante comme la nièce.

Nous savons que Jean V Malet, sire de Graville avait épousé en premières noces Jeanne de Bellengues dont il eut une fille Marie, dame de Longey (ou Longuay), mariée à Girard d'Harcourt, seigneur de Bonnétable dont la postérité continua cette branche. Jean est veuf vers 1420 et, en 1422, épouse en secondes noces avec Jacqueline de Montagu, la veuve de Pierre de Craon depuis la défaite d'Azincourt en 1415. De cette union sont trois enfants légitimes : Jean VI Malet, sire de Graville, Charles, curé de Montfort et de Beaufou, recteur de l'Université de Caen et Louise Malet. C'est l'existence de cette demoiselle qui pose problème.

 

 

Si l'on considère que Jacqueline de Montagu était née vers 1390, elle était âgée d'au moins 34-36 ans quand elle accoucha de Jean son fils aîné, vers 1424. La naissance de Charles pourrait survenir vers 1426 et dans l'hypothèse de naissances successives, une fille Louise serait arrivée en l'an 1428. Jacqueline avait donc 38 ans, âge bien tardif pour une grossesse au Moyen Âge. Étant donné qu'aucune notice n'ait été produite sur cette demoiselle, on peut imaginer qu'elle mourut en bas âge à une période d'autant plus difficile que nous sommes en pleine guerre de Cent ans, au temps des épidémies, de la malnutrition et de la mortalité infantile. Ainsi, il est tout à fait logique de ne posséder aucune information sur cette fillette.

Dans la Revue Historique de la Noblesse , André Borel d'Hauterive mentionne que «  Louise Malet, mariée à Guillaume de Rouville, chevalier, seigneur de Moulineaux. Elle fut représentée en un contrat du 11 décembre 1463, dont la teneur est relatée dans les lettres du bailli de Rouen. Elle mourut le 2 mars 1499, et fut enterrée en l'abbaye de Bonport, auprès de son mari  ». Nous sommes alors en présence d'une jeune femme née après 1440, c'est-à-dire une demoiselle issue de l'union de Jean VI Malet avec Marie de Montauban.

 

 

En étudiant soigneusement la «  Généalogie de la Maison de Montagu et Descendants  » écrite par Guillaume Pijart, nous n'avons qu'une vue partielle de la famille Malet. Toutefois, le frère Célestin de Marcoussis donne des informations exactes dont la seconde doit être interprétée correctement, ce qui n'a pas été fait par les généalogistes. Deux demoiselles sont concernées : Marie Malet sœur de l'amiral et Louise Malet, sœur de Marie. Voici exactement ce qu'on lit dans les deux paragraphes du manuscrit.

«  Marie de Graville sœur de Louis espousa Louis de Clermont, chevalier de l'ordre du Croissant et grand chambellan du roy de Sicile et duc d'Anjou, fils d'Eustache de Clermont grand écuyer de Monseigneur le Dauphin qui mourut en Angleterre l'an 1516 au voyage qu'il y fit avec le duc de Bretagne et de Jeanne de Lissebouchard, duquel elle a eu René de Clermont seigneur du dit lieu et de Gallerande, vice-admiral de France, lequel espousa en premières nopces Pierrette d'Estouteville troisième fille de Michel seigneur d'Estouteville et de Marie de Laroche-Guyon, de laquelle il a eu Louis et René, et en secondes nopces l'an 1497, Jeanne de Toulonjon dame dit lieu et de Trayel en Bourgogne, fille de Claude de Toulonjon, chevalier de la toison d'or et de ( ?) de laquelle il eut François, Claude et Marthe  » (3).

«  Louise de Graville sœur de Marie a espousé Guillaume chevalier seigneur de Rouville, de Moulineaux et Villiers-cul-de-sac, conseiller, chambellan du roy, capitaine de gendarmes, dont Louis. Guillaume est mort l'an 1492, a esté inhumé avec Louise de Graville sa femme dans l'abbaye de Notre-Dame de Bonport. Louis de Rouville, fils de Guillaume et Louise de Graville espousa Suzanne de Coisme fille aisnée de Nicolasde Coisme seigneur de Lucé, dont François qui de Louise d'Aumont entre autres enfants eut Jean qui a espousé Magdeleine le Roy…  ». C'est ici que les auteurs ont mal interprété «  Louise de Graville sœur de Marie  », car il s'agit clairement des filles de Jean VI Malet et de Marie de Montauban. Pijart n'évoque pas la petite Louise, sœur de Jean V Malet. La femme de Guillaume Goujeul de Rouville, Louise Malet, est bien la sœur de l'amiral de Graville et non sa tante.

 

 

La mise au point

Pour le grand généalogiste de La Chesnaye-Desbois ( Dictionnaire de la Noblesse , 1868), Jean Malet, Ve du nom, sire de Graville, de Marcoussis, etc. aurait eu quatre filles de son second mariage avec Marie de Montberon, dont « Louise , morte le 2 mars 1499, enterrée dans l'abbaye de Bon-Port auprès de son mari, Guillaume Gougeul de Rouville, sei gneur des Moulineaux  ». Outre la faute commise par La Chesnaye-Desbois : Jean Malet, père de l'amiral n'est pas le Ve du nom, mais le VIe et son fils Jean VII, selon Michel Perret, n'aurait jamais existé.

Il semble y avoir plusieurs autres erreurs invraisemblables selon Perret et d'après nos dernières recherches (4). Dans la discussion nous précisons le mari de chaque demoiselle Malet pour mieux les identifier (entre parenthèses). Aubert La Chesnay-Desbois donne une fille nommée Louise à Jean V Malet, sans aucune autre indication alors que les autres enfants ont droit à une courte notice. L'auteur donne trois filles à Jean VI : Louise (Goujeul-de-Rouville), Marie (Clermont) et Jeanne (Alègre). De cette manière La Chesnay occulte Renée Malet.

Quant à Malte-Brun qui semble se référer au Père Anselme et à de La Roque (5), il fait de nombreuses fautes en n'attribuant qu'une fille, Marie Malet à Jean V dont la mère est Marie de Bellangues et trois filles à Jean VI : Louise (Rouville), Marie (sire de Clermont et Gallerande) et Renée (Louis de Clermont). Ainsi, on observe deux fois le sire de Clermont marié à Marie et Renée : un bigame sans doute… Le bâtard de Malet est aussi oublié.

 

 

Le Révérend Père Louis Moréri, généalogiste du XVIIe siècle, qui commença son Dictionnaire Historique en 1676 (t. V, 1ère éd. de 1732, p. 69), donne une filiation identique en tous points à celle du Père Anselme. Nous ne parlerons pas des généalogistes qui attribuent les filles de Jean VI à Jean V qui aurait convolé en hypothétiques troisièmes noces, ceux qui font épouser Louis de Rouville à sa mère Louise Malet. Bien que critiquant ses prédécesseurs et notamment les généalogistes du XVIIe siècle Michel Perret n'apporte aucune nouveauté en ce qui concerne les filles des sires de Graville. En se référant à un document de la Bibliothèque nationale (Cabinet des titres. Dossiers bleus. Malet), le biographe donne un tableau généalogique qui fait apparaître deux demoiselles prénommées Louise, dont l'une d'elles n'est pas renseignée. On assiste à un jeu de "chaises musicales" pour les sœurs de Louis de Graville.

 

 

Pour sa part, André Borel d'Hauterive n'a pas eu plus de succès même s'il a consulté les archives familiales de la maison d'Harcourt. Ayant consulté l' Histoire générale de la maison d'Harcourt de Gille de La Roque , il fournit la filiation de Louise Malet, mariée à Guillaume Goujeul de Rouville. Il appuie sa thèse par des documents d'archives de Rouen. La date de 1463 est primordiale pour notre démonstration. De la même manière, il décrit la famille de Jean VI Malet, mais provoque un second mariage de ce seigneur avec Marie de Montberon.

Revenons un instant sur cette question importante d'un second mariage de Jean VI Malet avec une certaine Marie de Montberon, «  dame de Chef-Boutonne  », disent les généalogistes. Cela paraît invraisemblable pour les raisons suivantes :

•  la qualité de dame de Chef-Boutonne est donnée à la demoiselle Marie Malet, sœur de l'amiral, femme en secondes noces d'Antoine de Beaumont, du chef de son mari titré «  seigneur de Chef-Boutonne  » en Poitou. Situation attestée du 15 février 1486 au 10 mai 1511.

•  une substitution d'une mère hypothétique doit être rejetée par le fait que Marie de Montauban, épouse en premières noces n'est décédée qu'en 1487, cinq ans après son veuvage.

•  si toutefois on considère comme vrai le second mariage de Jean VI Malet avec Marie de Montberon, cette dame ayant des frères avec lesquels elle partage la succession de leurs parents en 1468, il est peu probable qu'elle ait obtenu la terre de Chef-Boutonne, mais plutôt une somme d'argent pour constituer un douaire.

Voici les conclusions qui pourraient s'imposer pour décrire la fratrie de l'amiral de Graville : «  Louise , femme de Guillaume Goujeul de Rouville, dont elle eut postérité, Marie , alliée, 1° à Louis, seigneur de Clermont et de Gallerande, dont elle eut postérité et 2° avant le 8 juillet 1484, à Antoine de Beaumont, seigneur du Bury et de Chef-Boutonne. Renée , femme de Jean Martel, seigneur de Bacqueville. Et Jeanne , première femme de François d'Alègre, comte de Joigny, baron de Vitteaux, etc., chambellan du Roi et Grand Maître et réformateur général des Eaux et Forêts de France, dont elle n'eut point d'enfants  ».

 

 

 

Les neveux Graville-Rouville

Nous revenons encore une fois sur la confusion pour cause des seuls prénoms évoqués par les historiens ; on disait même à l'époque le «  sire de Graville  » pour désigner n'importe quel membre de la famille Malet ; ce qui, plus tard, perturba les généalogistes. Pour s'y retrouver, on doit savoir le nom de l'épouse, mais bien souvent il y a, là aussi, une méprise. Plusieurs erreurs sont souvent rencontrées : (i) on fait mourir Jean VI Malet, époux de Marie de Montauban vers 1455 (au lieu de 1482), (ii) Jean VI ne fut marié qu'une fois puisque l'on trouve Marie de Montauban actant en 1485, (iii) le mariage du 27 juin 1440 avec Marie de Montberon, dame des Chef-Bretonne serait celui contracté avec Jean V Malet, veuf de Jacqueline de Montagu en 1436.

Ce sont encore une fois, les Antiquités nationales de Louis Millin qui nous donne la clef de cette histoire (6). Il s'agit de la description de l'abbaye de Bon-Port (près Louviers) dans laquelle se trouvent les tombeaux de la famille de Rouville (7). Voici ce que nous dit Millin : on y voyoit encore une tombe sur laquelle on lisoit, «  Ci-gist messire Guillaume de Rouville, chevalier-seigneur de Moulliniaut, Villiers-cul-de sac, conseiller et chambellan du roi notre sire et capitaine des gendarmes, qui fut très-puissant, plein de bonté, qui trépassa le 23 jour de novembre 1492, et Magdeleine-Louise de Grainville, sa femme, laquelle trépassa le 2 jour de mars 1499  ». Le plus remarquable de ces tombeaux étoit celui de Louis de Rouville, grand veneur. Pour un autre historien la pierre tumulaire de l'abbaye royale de Notre-Dame-de-Bon-Port comporte l'inscription «  Cy gist messire Guillaume de Rouville chevalier sr de Moulineaux, Villiers Cul de Sac, conseiller du Roy nostre Sire, et capitaine des gens d'armes qui fut tres vaillant et bon chevalier plein de bonne renommee, qui trepassa le vingt troysieme jour de novembre l'an M.CCCC.IIIIxxXII et Madame Loyse de Graville sa fame laquelle trepassa le IIe jour de mars M.CCCC.IIIIxx.XIX  ».

Cette épitaphe sema la confusion car il faut lire Louise de Graville , identité qui fut confirmée par de nombreux historiens. Comme le père Louis Moréri qui, en 1740, sur la notice d'Antoine de La Fayette «  marié à Marguerite de Rouville, fille de Guillaume, sire de Rouville et de Louise Malet de Graville…  ». Signalons que le sire de Rouville possédait le fief de Grainville en Normandie. En 1481, Guillaume de Rouville est dit seigneur des Moulineaux et de Villiers-Cul-de-Sec, en la châtellenie de Neaufle.

Louis, seigneur de Rouville, dont les titres sont cités dans son épitaphe, fut pourvu de la charge de grand-veneur par les lettres du 6 août 1488 – il avait la surintendance de tous les offices de vénerie. [Il faut remarquer que le Père Moréri et bien d'autres après lui attribuent l'office du fils au père qualifié de Grand veneur de France]. En cette qualité, le roi lui fit don de 875 livres au mois de septembre 1494 ; il conserva cet office jusqu'en 1496 qu'il fut fait capitaine de Mantes et fut rétabli dans sa charge en 1506. Il semble donc que Louis de Rouville suivit la fortune de son oncle l'amiral de Graville à qui il devait vraisemblablement sa carrière. Rouville fut grand-maiste enquesteur et réformateur des eaux et forest de Normandie et de Picardie en 1519 et lieutenant général du roi dans la Normandie en 1525. Il mourut à Lyon le 17 juillet 1527 (8). Par les lettres patentes adressées de Corbie le 17 septembre 1513, Louis XII donne commission à Louis de Rouville «  de commander l'armée de mer, combinée avec la flotte du roi d'Écosse pour faire la guerre aux Anglais  ». Par cette ordonnance le roi suppléait à l'empêchement de l'amiral de Graville en nommant son neveu comme vice-amiral.

 

Gisant de Louis de Rouville et Suzanne de Coësmes, sa femme (dessin de Millin, 1792).

 

Plusieurs auteurs ont évoqués les tombeaux des sires de Rouville. Alexandre Lenoir parle, dans Histoire des arts en France (Paris, 1811) des statues couchées en pierre de liais de Louis de Rouville et sa femme, posées sur un cénotaphe. Dans le catalogue des Monuments de l'histoire de France (t. X, Paris 1863) par Michel Hennin, nous lisons au 23 novembre 1492 : «  Tombe de Guillaume de Rouville, mort le 23 novembre 1492, et de Loyse de Graville, sa femme, morte le 2 mars 1499, devant l'autel de la chapelle de Rouville, dans l'église de l'abbaye de Bonport. Dessin in-4. Recueil Gaignières, à Oxford, t. V, f. 130  ».

 

 

Les cousins La Fayette

Gilbert Motier de La Fayette , le lieutenant de l'amiral de Graville dans la compagnie des gardes du corps, entra dans la famille de Graville. Marié à Isabeau de Polignac, qui lui donna 16 enfants, il eut un fils Antoine Motier qui fut gouverneur de Boulogne en 1515, chambellan du roi en Provence en 1529 ; il épousa Marguerite de Rouville, fille de Guillaume de Rouville et de Louise Malet de Graville, et devenait ainsi le neveu de l'amiral (9).

À propos de l'envoi, en Italie, de l'armée française commandée par Louis de La Trémoille , il est dit dans les Mémoires Particuliers du XVIe siècle , publiés à Paris en 1786 : « Qui menoit l'artillerie de France estoit Monsieur de la Fayette , parent de Monsieur l'Admiral Graville, lequel estoit homme sage et de bon entendement…  ». Ce La Fayette , seigneur du Boulonnais, est bien Antoine, mari de la cousine germaine «  maistre de l'artilleir audelà des monts  ». Son fils Louis de La Fayette avait été le lieutenant de Louis de Graville dans la compagnie des «  cent hommes d'armes  » au siège de Therouanne en 1513.

Le cousin La Fayette est nommé dans le testament que dicta l'amiral de Graville à maître Pierre Droulin, prêtre curé d'Yngonville son chapelain et aumônier, exécuteur testamentaire «  Jay eslu, élit, constitue et ordonne mes exécuteurs testamentaires et procureurs especiaux. C'est à sçavoir Monsieur mon cousin Mr le mareschal de Gyé, mon cousin Mr de la Fayette , maître Jean Emey, curé de la Magdeleine de Paris…, je donne à Mr mon cousin Monsieur le Mareschal de Gyé, cinq cents livres, à mon cousin Monsieur de La Fayette deux cents livres…  ».

 

 

Les sœurs cadettes de Louis Malet

Avant de donner les biographies des trois sœurs de Louis de Graville, précisons pour être clair que l'amiral a eu deux tantes du côté paternel : Marie Malet, femme de Girard d'Harcourt qui a été évoquée ailleurs et Louise qu'il n'a certainement jamais connu. Avant d'entrer dans les détails résumons la fratrie, en acceptant la démonstration de Michel Perret quant au frère inventé de toutes pièces.

  • Louise de Graville, épouse de Guillaume Goujeul, chevalier d'origine normande, sire de Rouville,
  • Marie Malet, héritière de Montberon, femme de Louis II de Clermont-Gallerande, d'une maison angevine, dont le fils René 1er fut vice-amiral de France mort après 1524.
  • Renée Malet femme de Jean Martel, seigneur de Bacqueville, en Normandie,
  • Jeanne Malet épouse de François d'Alègre, d'une maison issue d'Auvergne.

 

 

Marie Malet de Graville

Marie Malet de Graville épousa Louis de Clermont (1440-1477), écuyer, seigneur de Gallerande, chambellan du roi Réné d'Anjou, puis Antoine de Beaumont-Bressuire (1455-1511), seigneur de Chef-Boutonne. Veuve, elle fut héritière vers 1471-1478 de la terre de Montbron ( Arch. Dép. Charente, Titres de la famille Chérade de Montbron ). De cette branche est issue la famille Gontaud-Biron qui donna le célèbre Armand de Gontaud-Biron (1530-1592), maréchal de France qui conspira contre Henri IV.

Louis de Clermont-Gallerande est issu d'une vieille famille tourangelle dont l'ancêtre Rémi de Clermont vivait en 1073 et avait épousé une demoiselle de Nevers, armes : d'azur à trois chevrons d'or, celui du chef brisé . Il était le fils d'Eustache de Clermont (mort avant 1444), seigneur de Gallerande et de Jeanne de L'Isle-Bouchard. Chambellan de René d'Anjou, roi des Deux-Sicile, chevalier de l'ordre du Croissant le 25 août 1448, il épousa en premières noces Marguerite de La Haye-Passavant dont il eut une fille Louisede Clermont mariée le 10 janvier 1460 à Jean Aménard, seigneur de Chanzé. De l'union avec Marie Malet de Graville est né René de Clermont (mort après 1524). Le neveu de Louis de Graville fut vice-amiral de France  ; il épousa successivement Pierrette d'Estouteville dont il eut 3 enfants et, en secondes noces, Jeanne de Toulongeon dont il eut huit enfants.

 

 

Renée Malet de Graville

Renée Malet de Graville épousa Jean IV Martel, chevalier, seigneur de Bacqueville en Normandie (et non Bacquemont), né vers 1420, décédé en 1492. C'est Alexandre Guilmeth qui nous donne des précisions de cette famille normande dont la seigneurie en pays de Caux est proche de Dieppe (10). En 1435, Jehan III Martel se vit de nouveau dépouillé de ses biens, sous prétexte d'avoir favorisé l'insurrection des paysans cauchois contre le roi d'Angleterre. Il ne redevint propriétaire de Bacqueville qu'en 1449. Il épousa, vers 1436, Jeanne Martel de Lindebeuf, sa cousine, et veuve, en premières noces, de Jean de Vassy. Le sire de Bacqueville vivait encore en 1458. Il avait eu deux enfants: 1°, Jehan III Martel , sire de Bacqueville et 2°, Guillemette Martel de Bacqueville, morte sans postérité (11).

Cinq fils et deux filles étaient issus de l'union de Jean IV Martel de Bacqueville avec Renée Malet. Francois Martel , l'aîné des fils, seigneur de Bacqueville, étant mort, en 1500, sans laisser de postérité, Antoine Martel , le premier de ses frères, lui succéda dans toutes ses terres et seigneuries. Devenu ainsi propriétaire de Bacqueville par la mort de son aîné, Antoine Martel l'était devenu également de la terre d'Anglesqueville par la donation que lui en avait fait sa mère en 1477. En 1490, il avait été chargé par Charles VIII de procéder au recrutement de la marine royale, et, en 1496, il commandait un vaisseau sous les ordres de l'amiral de Graville, son oncle maternel. Le sire de Bacqueville mourut vers 1518, laissant d'Isabeau Massé, sa femme : 1° Léonard Martel qui mourut jeune; et 2° Charles Martel dont nous parlerons ci-après.

À cette époque il se trouvait trois fiefs seigneuriaux sur le territoire de Bacqueville savoir : 1° le fief des Martels proprement dit, 2° le fief de Pierreville, et 3° le fief du Tilleul. Dès 1503, le fief de Pierreville possédait une chapelle dite de Sainte-Eutrope. Suivant un aveu de l'an 1610, c'était aux châtelains de Bacqueville qu'appartenait le patronage de cette chapelle, qui, tombant de vétusté, fut remplacée, quelques années avant la Révolution , par celle qui existe encore de nos jours , et que desservent actuellement les vicaires de Bacqueville. C'est également sur Pierreville, que se trouvaient autrefois les fourches patibulaires de la haute justice de la baronnie de Bacqueville .

Charles Martel , 1er du nom, devenu seigneur de Bacqueville par la mort de son frère aîné, fut colonel du régiment d'infanterie-Bacqueville , gouverneur du Havre, etc. Marié d'abord, en 1523, à Louise de Balzac, fille de Pierre de Balzac d'Entragues et d'Anne Malet de Graville , il épousa, en secondes noces, Marie d'Yaucourt, fille de Jean d'Yaucourt et de Marie d'Abbeville. De son premier mariage, il eut : 1° Nicolas Martel, 2° Antoine Martel , seigneur de la Vaupillière , 3° Guillaume Martel, abbé de Saint-Josse-sur-Mer et 4° François Martel , seigneur d'Hermanville, mort sans alliance. Du deuxième lit sortirent : 1° François Martel , seigneur de Lindebeuf, dont les descendants existaient encore il y a peu d'années, 2° Charles Martel, seigneur de Rames, qui épousa Joachime de Rochechouart-de-Jars, 3° Charlotte Martel, mariée à Laurent Puchot de Gerponville et 4° enfin, sept autres filles, mariées à différents seigneurs de Saint-Denis-le-Vaast, Blainville, etc., etc.

C'est Gilles-André La Roque dans le Traite de la Noblesse et de toutes ses différentes espèces qui donne des précisions sur la généalogie de la famille Martel (12). Sa dissertation «  Si la légitimation faite par le pape est valable pour succéder au nom, aux armes, et aux biens d'une famille ; et s'il ne faut pas que l'autorité royale y intervienne  » sur le procès intenté par les héritiers a fait école pour la jurisprudence du XVIIe siècle. «  Il n'est pas en nostre puissance de naistre comme nous voulons, " neme potest sibi sortem facere nascendi " , dit Senèque. Si les enfans naturels ont quelque vice en leur naissance , il peut estre effacé par le rescrit du Prince, comme il est dit en la novelle  ». Nous donnons ici le texte du juriste qui donne tous les détails sur la famille Martel.

« Il s'apprend d'un arrest du Parlement de Rouen en date du 22 Avril 1518 que sur la poursuite de Damoiselle Isabeau Masse, veuve de défunt Antoine Martel, seigneur de Baqueville, aux fins de faire élire des tuteurs à Léonard et Charles Martel leurs enfans sous-âgés, eux se disans héritiers de défunt maistre Jacques Martel, thresorier de l'Église de Poitiers, et habiles à appréhender sa succession ; il y fut mis opposition de la part de nobles personnes, messire Jean le Roux, chevalier seigneur d'Ouville et de Damoiselle Marguerite Painel, sa femme, d'Adrian de Noyon Seigneur de Criquetot, et de Damoiselle Gillette Painel, sa femme, filles et héritières de Damoiselle Jacqueline Martel, fille aisnée de messire Jean Martel, seigneur de Bacqueville ; comme de la part de Constantin de Barville et de Damoiselle Louise Martel, semblablement fille dudit seigneur de Bacqueville, décédé depuis le procès encommencé, qui fut repris par Antoine de Barville , fils et seul héritier de Louise Martel, tous se disans et portans héritiers absolus de défunt maistre Jacques Martel, qui se disoit héritier absolu dudit Antoine Martel,son frère ».

« Léonard et Charles Martel se disans au contraire héritiers légitimes d'Antoine leur père : que l'empeschement qu'on leur alleguoit d'estre nés hors mariage, avoit esté légitimement vuidé par la bulle du pape fulminée par l'Official de Rouen, en sorte qu'ils ne dévoient avoir aucun empeschement en la possession des biens d'Antoine. Maistre Jacques Martel avoit auparavant remontré au contraire, que Léonard et Charles Martel n'estoient point légitimes , et estoient inhabiles à succéder à Antoine ; qu'il y avoit eu empeschement légitime de contracter tel mariage, entre Antoine Martel de Bacqueville et Isabeau Masse; et que Léonard et Charles ne pouvoient entrer en possession des biens qui avoient appartenu à messire Jean Martel, seigneur de Bacqueville, et à Dame Marie de Graville, sa femme , père et mère d'Antoine et de maistre Jacques Martel, de la succession duquel il s'agissoit alors »

« Neantmoins malgré toutes ces contestations, la bulle eut son effet, et intervint l'arrest solemnel daté cy-dessus qui régla les parties et leurs partages, mais les collatéraux et héritiers présomprifs eurent part à la succession avec les descendans en ligne directe : car bien que les enfans légitimés eussent l'avantage de porter le nom et les armes de cette ancienne maison sans marque de bâtardise , et qu'ils eussent la principale seigneurie, ils furent toutefois privés d'une partie de la succession en fonds de terre qui fut adjugée aux filles ou à leurs descendans ».

 

 

Jeanne Malet de Graville

Jeanne Malet de Graville, sœur de Louis de Graville épousa François d'Alègre, comte de Joigny et sire de Précy . Il était le fils de Jacques de Tourzel, baron d'Alègre, chambellan du roi, qui vivait encore en 1508. Il y avait trois frères, François, Yves et Guillaume, protonotaire apostolique. Des deux fils de Jacques d'Alègre , l'un, Yves II, baron d'Alègre , fut ce fameux capitaine d'Alègre qui fut à la tête des cent hommes d'armes, l'autre, François d'Alègre , reçut de Louis XII, en septembre 1513, l'office de Grand maître et général réformateur des Eaux et Forêts de France après la mort de Jean du Puy, seigneur de Coudray. Il fut confirmé dans cet emploi par François 1er, le 10 janvier 1515.

 

 

En parlant de François d'Alègre en Italie, Brantôme nous dit : «  Ledict Louys, conte d'Armagnac, mourut à la bataille de Cerignolles, qu'il donna au grand capitaine dom Gonzalvo, voulant pourtant la différer, car il la voyoit peu advantageuse pour les François, mais il fut taxé de M. d'Alègre, dict Precy, estre par trop froid et peu entendu au devoir d'un général ; dont lui, qui estoit fort hault à la main, à la gasconne  ».

Dès 1505, âgé d'une quarantaine d'années, François d'Alègre devient veuf, mais sans enfants. Charlotte de Châlons (ou Chalon), sa suzeraine dont le fief de Précy est mouvant devient veuve elle aussi d' Adrien de Sainte-Maure qui lui laisse six enfants en bas âge. L 'année suivante, les deux veufs convolent en justes noces, et François d'Alègre ajoute à son titre de seigneur de Précy, celui, infiniment plus prestigieux, de comte de Joigny et baron de Vitteaux et rendit hommage en son nom des terres de Crespy et d'Athier, tenues du château de Peronnes. Chevalier de l'Ordre du Roi, conseiller et chambellan du Roi, capitaine de Montargis, il accompagna le roi Charles VIII à la conquête du royaume de Naples. Il participa, aux côtés de son frère Yves II, à la journée de Seminare en 1495 où Fernand d'Aragon, roi de Castille, et Gonsalve de Cordoue furent repoussés en Calabre. Il fut commis par Charles VIII, avec son frère Yves II, baron d'Alègre, au gouvernement de La Basilicate et fut plusieurs fois chargé de missions militaires ou diplomatiques. Yves II dit " Le Grand " meurt à la bataille de Ravenne en 1512. En l'an 1526, Charlotte de Châlons et François d'Alègre meurent également.

 

 

 

Pour conclure…

Du point de vue générationnel, Louise Malet épouse de Rouville, ne peut qu'être la fille de Jean VI et de Marie de Montauban. En effet, si l'on considère les dates de naissance, de mariage de Jacqueline de Montagu et les conditions de vie de l'époque, il est probable qu'elle ait eu son troisième enfant mort en bas âge. Par contre, si l'on admet que Jean VI Malet soit né peu de temps après le mariage de ses parents en 1422, disons 1424, il se serait marié à l'âge de 20 ans, c'est-à-dire vers 1444-1445. D'où la déduction exacte de Michel Perret pour la date de naissance de l'amiral de Graville vers 1448. De ce fait, Louise, sa sœur cadette serait née vers 1450. Étant décédée le 2 mars 1499, elle aurait vécu 49 ans, ce qui semble raisonnable à une époque où l'espérance de vie était plutôt de 22 ans pour les femmes. Rappelons que Jacqueline de Montagu est morte dans sa quarante-sixième année en 1436.

 

À suivre…

 

 

Notes

(1) Père Anselme de Sainte-Marie, Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France , t. VII, 3e édition (Compagnie des libraires associés, Paris, 1726) – Père Louis Moréri, Grand dictionnaire historique , t. V, 18e édition (P. Brunel, Amsterdam, 1740) – A. de La Chesnay-Desbois , Dictionnaire de la noblesse, t. IX, 2e édition (A. Boudet, Paris, 1775) – A. Borel d'Hauterive, Revue Historique de la Noblesse , t. II (Cabinet Héraldique, Paris, 1841) – P.M. Perret, Notice Biographique de Louis Malet de Graville (A. Picard, Paris, 1889).

(2) http://racineshistoire.free.fr/

(3) L'Ordre du Croissant a été institué en 1448 par René d'Anjou, roi titulaire de Jérusalem, de Sicile et d'Aragon. L'ambition de cet ordre était de se placer à un niveau de prestige comparable à celui de la Toison d'Or, créé par le duc de Bourgogne. Cependant, force est de constater que celui-ci ne survivra pas à René d'Anjou lui-même. La marque de cet ordre était un croissant d'or, sur lequel étaient gravées les lettres "LOZ". Ce croissant était suspendu par trois chaînettes à un collier de trois chaînes d'or. En terme d'organisation, l'Ordre du Croissant présentait la particularité rare d'avoir une direction tournante. Chaque année en effet, le jour de la Saint-Maurice , le "Sénateur" de l'ordre est nommé au sein des chevaliers.

(4) En voulant décrire la Terre de Marcoussi , André Contant d'Orville mentionne «  Jacqueline de Montaigu, femme de Louis Malet, eut Marcoussii ( ?)…  » ( De la lecture des Livres François , chez Montard à Paris, 1783, p. 176)

(5) V.-A. Malte-Brun ( p. 88 ) est tombé dans le piège du difficile problème de généalogie pour les hoirs de Jean V Malet (qu'il nomme Jean II, sire de Marcoussis). D'abord il le fait mourir en 1473 (au lieu de 1482). Puis, il cite trois sœurs et un frère à l'amiral de Graville.

(6) A.-L. Millin, Antiquités Nationales ou Recueil de Monumens , t. IV (chez Drouhin, Paris, 1792) ch. XL. Voir aussi : Père Anselme, Histoire généalogique de la maison de France , vol. 8, p. 708.

(7) Abbaye cistercienne au diocèse d'Évreux, fondée en 1190 par le roi Richard Cœur-de-Lion.

(8) Sur le baudrier du gisant de Louis de Rouville, on lit : «  Qui le droit chasse garde le change  » . Garder le change est un terme de chasse qui signifie prendre garde que le cerf ne prenne la compagnie de quelques autres bêtes ; ainsi cette devise signifie que celui qui chasse, c'est-à-dire, cherche, court après la justice, doit bien prendre garde qu'elle ne se mêle avec l'injustice, de peur de se tromper.

(9) Le général La Fayette (de son nom Gilbert Motier, marquis de La Fayette ), célèbre héros de la guerre d'indépendance américaine est issu de la branche cadette de cette famille Motier. L'ancêtre commun est Pons Motier, chevalier, seigneur de La Fayette connu en 1240 eti se croisa en 1248.

(10) A. Guilmeth, Histoire des Environs de Dieppe (Impr. Berdalle de Lapommeraye, 1842).

(11) Martel, famille normande très ancienne (quoique sa prétention de descendre du célèbre Charles Martel ne soit peut-être pas admissible) était divisée en plusieurs branches longtemps avant la Réformation.

(12) Gilles-André La Roque , Traité de la Noblesse et de toutes ses différentes espèces par (chez Estienne Michallet, Paris, 1678) p. 415.

 

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