Louis Malet de Graville, seigneur de Marcoussis (XXIV) Anne, la fille cadette |
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Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _---------------------- --------- Juin 2010 Portrait d'Anne de Graville, extrait de l' Histoire des guerres chaldéennes (c. 1505). Ce manuscrit enluminé fut un cadeau offert par Pierre de Balsac à sa jeune épouse Anne de Graville, ouvrage désigné comme « livre d'amour » avec l'anagramme de son nom "Ien guarde un léal.C. Julien JP. Dagnot
Cette chronique présente une courte biographie d'Anne Malet de Graville, la fille cadette du prestigieux seigneur de Marcoussis (1) . Le Roux de Lincy, historien d'Anne de Bretagne précise : « Des trois filles qui lui survécurent, l'aînée, nommée Louise, épousa Jacques de Vendôme , vidame de Chartres, prince de Chabanay ; la seconde, Jeanne, fut unie à Charles d'Amboise, neveu et héritier du fameux cardinal-ministre de Louis XII ; la troisième enfin, Anne, obtint la légitimation de l'union clandestine qu'elle avait contractée avec un de ses parents, Pierre de Balzac ». La biographie d'Anne de Graville a été donnée par Maxime Montmorand (2) . La fille chérie de l'amiral est renommée par sa beauté et son esprit ; elle fut l'une des plus célèbres poétesses du début du XVIe siècle. Plusieurs portraits ont été faits dont une gravure de la collection Gaignière (BnF, Paris) et la magnifique enluminure du manuscrit l' Histoire des guerres chaldéennes . Plus récemment, Mawy Bouchard donna une notice en mai 2003 (3) . C'est Leroux de Lincy, historien spécialiste du XVe siècle, qui décrit le mieux la vie d'Anne de Graville, dame d'honneur à la Cour de France. Nous en donnons des extraits (4) . Enfin citons une biographie ancienne du XVIIIe siècle qui semble avoir été plagiée à multiples reprises : « C'est ici le moment de parler d'une Demoiselle auteur et poète, qui vivoit en 1525, dont les Œuvres n'ont jamais été imprimées, mais qui mérite assurément bien une place parmi les poètes du commencement de ce siècle. Elle s'appeloit Anne Mallet de Graville , et étoit la troisième fille de Louis de Graville … », dit Marc-Antoine de Voyer Argenson (5) .
La demoiselle de Graville Anne de Graville , la dernière des enfants qu'ait eus l'amiral, fut pour ce seigneur l'objet d'une tendresse toute particulière. Anne justifiait cette préférence, non seulement par les avantages physiques dont la nature l'avait douée, mais encore par les grâces et la délicatesse de son esprit ; elle n'était pas encore mariée quand elle perdit sa mère. L'amiral, qui devenait vieux, craignant la solitude, cherchait à retenir près de lui cette fille objet de son amour. On peut se représenter le seigneur de Graville, au milieu de ses filles, lisant un des manuscrits qu'il avait fait exécuter pour son usage ; les damoiselles occupées de musique, de poésie, ou travaillant à ces ouvrages de tapisserie dont l'église du couvent des Célestins de Marcoussis possédait un si bel échantillon. Anne reçut une éducation exemplaire : elle parlait l'italien et avait une parfaite connaissance du latin. Son père ne refusait pas cependant de lui donner pour époux quelque seigneur digne d'elle et de son illustre famille. Il y avait, dans les anciennes archives du château de Marcoussis, une lettre qui prouvait toute la confiance que le vieux père témoignait à sa fille sur ce point. Il lui écrivait que trois jeunes seigneurs demandaient sa main : le premier, assez volage ; le second, emporté, téméraire ; le dernier, moins riche, à vrai dire, que les autres, mais sage, modéré et d'une conduite irréprochable. Anne de Graville hésita-t-elle entre ces trois concurrents ? Avait-elle pour le dernier un sentiment de préférence ? On ne fait; ce qu'il y a de certain, c'est que, sans attendre le consentement de l'amiral, messire Pierre de Balzac se rendit coupable d'un rapt, que celle qui en fût victime pardonna bientôt, si toutefois elle n'y avait pas consenti. Cet enlèvement a été décrit par de nombreux auteurs comme nous allons le décrire par la suite. Il convient de remarquer, toutefois qu'Anne de Graville fut plus chanceuse nous dit Geneviève-Morgane Tanguy (6) . Après avoir épousé Pierre de Balsac, qui l'avait enlevée, malgré son père, elle obtint l'appui de la reine, qui l'attachera à sa fille Claude. Il est vrai que l'amiral n'était pas en cour, ayant eu le tort lors de la « guerre folle de Bretagne » de préconiser la manière forte pour réduire la petite duchesse qu'il voulait envoyer avec sa sœur au couvent ! L'amiral ne pouvait plus s'opposer plus longtemps à la reine et finit par se résoudre à un apaisement. Un auteur anonyme écrivit « Anne Malet de Graville se marie vers 1508 à son cousin, Pierre de Balsac (1479-1531), seigneur d'Entragues. Dame de Montaigut, dame du Bois-Malesherbe, dame d'honneur de Claude de France (1499-1524) et confidente de Marguerite de Navarre (1492-1549)[sœur de François 1er], cette fine lettrée, par ordre de la reine Claude, femme de François 1er met en vers le roman des amours d'Arcite et Palémon, d'après le poème italien, " la Théséide " de Boccace ».
L'amour impossible Justement indigné d'un pareil attentat, l'amiral de Graville poursuivit de ses rigueurs, non seulement l'audacieux gentilhomme, mais encore sa fille, dont il maudissait l'ingratitude. Pierre de Balzac était sans fortune ; il se trouva bien vite réduit aux derniers expédients pour vivre ; ce fut en vain qu'il sollicita des secours chez ses parents : l'amiral de Graville avait défendu de rien donner aux fugitifs, et personne n'osait enfreindre sa volonté. Les jeunes époux, sans asile, sans nourriture, hors d'état de s'en procurer, se virent contraints de regagner le toit paternel. Laissons Simon de la Motte nous narrer les aventures de la fille aimée de l'amiral . « Craignant la colère de l'amiral, qui se préparait, disait-il, à déshériter les coupables, Anne de Graville , avec son mari, vint se réfugier chez les bons moines de Marcoussis, à l'ombre du tombeau de sa mère, comme dans un asile inviolable, et y attendit l'occasion d'obtenir le pardon de sa faute. Cette occasion ne tarda pas à se présenter ; les religieux de Marcoussis s'empressèrent de la mettre à profit. Le jour du Vendredi-Saint, l'amiral de Graville s'était rendu, comme les autres fidèles, à l'église du monastère, pour y adorer la croix. Au moment où il se préparait à remplir cet acte de dévotion, le supérieur du monastère l'arrêta, et lui parlant avec chaleur : " Est-il juste, s'écria-t-il, que vous approchiez vos lèvres du bois sacré sur lequel le fils de Dieu, pour réconcilier les hommes avec son Père, a répandu son précieux sang, si vous n'êtes pas résolu à l'imiter en pardonnant de tout votre cœur à vos deux enfants, qui font ici à vos genoux, implorant, avec un profond repentir, la rémission de leur faute " ». À ces mots, parurent Pierre de Balzac, les habits tout en désordre, et sa femme, Anne de Graville, les cheveux épars, sa robe déchirée, le visage baigné de larmes, demandant sa grâce à deux genoux. Le vieillard, ému à l'aspect de cette fille adorée, trop heureux sans doute d'accorder publiquement un pardon que dans son cœur il avait déjà donné, pressa les deux jeunes gens entre ses bras, et après avoir rempli ses dévotions, s'empressa d'emmener les deux fugitifs dans son château. Guillaume Pijart, l'historien de Marcoussis, à qui nous empruntons des détails si curieux sur le mariage d'Anne de Gra ville, fait tous ses efforts pour excuser l'héroïne d'avoir été de connivence avec le sire de Balzac, et l'on peut croire qu'il en avait quelques preuves. L'auteur de l'Anastase de Marcoussis, qui avait pour guide les anciennes archives de ce château, dit, à propos de l'enlèvement d'Anne de Graville : « On donnera de plus le dénouement du mariage de Louise [il faut lire Anne] de Graville, fille de Louis, amiral de France, qui, sous ombre d'un écrit mal entendu, consentit à son enlèvement par le jeune baron d'Entragues, son cousin-germain ; enlèvement qui leur fit essuyer bien des traverses, des pleurs et des larmes ; qui nous découvre clairement le sens mystérieux de ces paroles latines : Mufas natura, lachrymas fortuna, écrites autour d'une chante-pleure, instrument de musique ancien, que cette savante fille, la Minerve de son temps, prit dès lors pour devise ». Malheureusement, l'auteur n'a pas publié l'ouvrage dont il donne le programme.
Pierre de Balsac Peu de documents se rapportent à la biographie de Pierre de Balsac. À la mort de son père Robert de Balsac, Pierre n'était âgé que de 14 ans et par les libéralités de Charles VIII, il conserva les gouvernements que tenait son père. Il vint plusieurs fois chez sa tante Marie, femme de l'amiral, à Marcoussis où il tomba amoureux de sa cousine Anne de Graville. Il fut capitainerie des châteaux de Tournon et Castel-Guilhier en Agenais, puis chevalier de Saint-Michel, gouverneur de la Haute- et Basse-Marche, et lieutenant dans la compagnie du duc d'Aumale. On lit, au sujet de Pierre de Balzac, la note suivante dans Histoire généalogique de la maison de France du père Anselme (t. II, p. 488) : « Enfants naturels de Robert de Balzac , protonotaire apostolique : Pierre de « Balzac, baron d'Entragues et de Saint-Amans, seigneur de Prélat, Paulhac, Juis, Dunes et Clermont-sur-Biran, n'avoit que quinze ans, en 1494, lorsqu'il fut pourvu, en survivance de son père, de la capitainerie des châteaux de Tournon, de Ponnet et Châtel-Culiers. Il fut depuis capitaine de Corbeil et de Fontainebleau ; commanda l'arrière-ban de Melun, Montargis, Etampes, Chartres et Monfort, qu'il conduisit en Hainaut. Il prêta serment, en 1523, entre les mains du maréchal de Chabannes, gouverneur d'Auvergne, pour la lieutenance du roi en cette province. Il enleva Anne Malet de Graville, sa cousine, et l'épousa malgré l'amiral, qui pensoit à déshériter sa fille… ». Dans son testament du 21 octobre 1531 passé par devant Léonard Boisrommay, substitut en la prévôté de Soisy-Malesherbes, Pierre de Balsac ordonne sa sépulture dans l'église collégiale de Saint-Chamant [ Saint-Amans ].
Arbre généalogique simplifié des Balsac selon Guillaume Pijart.
La postérité selon Guillaume Pijart Guillaume Pijart donne deux informations intéressantes : Pierre de Balsac a épousé Anne de Graville selon le contrat de mariage du 14 avril 1509 par devant Crozon et de Louvain, notaires au Chastelet de Paris . Selon le registre des jours de naissance , la liste des enfants qui pourrait être celle de la suite chronologique : Louise, Estienne, Jeanne, Antoinette, Jean, Guillaume, Thomas, et Georgette. Voici le détail donné par le moine Célestin sur les enfants du couple Balsac Graville. 1. Louise de Balsac naquit l'an 1511 le jeudi 8 avril entre 5 et 6 heures du matin au chasteau de Marcoussis. Elle a été mariée à Charles Martel, seigneur de Bacqueville, dont plusieurs enfants : Nicolas, Antoine et François. 2. Estienne de Balsac , frère puîné de Louise, naquit l'an 1513, le 11e jour d'octobre à Malesherbes et est mort après le baptesme et inhumé dans l'église des Cordeliers dudit lieu. 3. Jeanne de Balsac , naquit au chasteau de Corbeil l'an 1514, le dimanche 30 juillet entre 4 et 5 heures de l'après-midi. Le 29 août 1532, elle épousa Claude d'Urfé fils de Pierre seigneur d'Urfé, bailly de Foriste et grand écuyer de France et d'Antoinette de Brannau. Leur amour est porté par les idées néo-platoniciennes, comme celles de Marcile Ficin et de Pic de la Mirandole. Jeanne et Claude ont eu six enfants, dont Jacques 1er d'Urfé, le père d'Anne d'Urfé et Honoré d'Urfé. Jeanne de Balsac disposait d'une grande bibliothèque, partiellement héritée de son grand-père, l'amiral Louis Malet de Graville. Ces ouvrages se retrouvèrent à la Bastie d'Urfé. Elle mourut en 1542. 4. Antoinette de Balsac , nasquit l'an 1515 le 10 juillet à Corbeil. Elle a été reçue religieuse au couvent de Notre-Dame de Haute-Bruyères, depuis nommée en 1544, abbesse du monastère de Malnoüe qu'elle gouverna pendant 40 ans avec prudence. Elle est morte le 22 septembre 1584, âgée de 68 ans, et est inhumé au milieu du chœur de cette église sous une tombe de pierre. 5. Jean de Balsac naquit à Marcoussis le samedy 14 novembre 1516, mort le même mois et inhumé aux Célestins de ce lieu. 6. Guillaume de Balsac naquit à Marcoussis le lundy 14 de décembre entre 5 et 6 heures après-midy l'an 1517 (nepveu et héritier pour moitié de Jeanne de Graville dont le partage entre luy et Thomas son frère pour la succession de ladite Jeanne de Graville leur tante a esté passé par devant Jean et Claude Boizeau, notaires au Chastelet de Paris le 6 mars 1544), seigneur d'Entragues, de Marcoussis et du Bois-Malesherbes, baron de Dunes (pour quoy voyez son partage avec Thomas son frère pour la succession de Pierre de Balsac et Anne de Graville leur père et mère pardevant Jean Chelerlot notaire à Malesherbes le 6 de septembre 1540), chevalier, capitaine de la compagnie des chevaux-légers, lieutenant de la compagnie de cent hommes d'armes de François de Lorraine duc de Guise, gouverneur du Havre de Grace. Il épousa Louise d'Humières qui lui donna neuf enfants. Il fut blessé à la journée de Renty et décéda le 11 août 1554. Il est inhumé dans l'église des Cordeliers de Malesherbes, où on y voit son épitaphe (7) . 7. Thomas de Balsac naquit à Marcoussis le lundy 14 may sur les 5 heures du matin 1519. Chevalier de l'ordre du Roy, seigneur de Poulach, Ryoumartin, Buissons, Balsac en pays d'Auvergne près de la ville de Brioude, Aubourville, Fontaine, Guillerville, Montagu et la Brisette en pays de Normandie par partage entre Guillaume de Balsac son frère le 5 septembre 1540 aisné de luy, seigneur de La Roue et de Chastres sous Montlhéry. Il a épousé Anne Gaillard, fille de Souveraine d'Angoulême et de Michel Gaillard de Longjumeau. Il est mort en septembre 1588 à Aubourville et inhumé aux Célestins de Marcoussis. Ils eurent quatre enfants : 1° Jean de Balsac (1545-1581), chevalier de l'ordre du roi, lieutenant de la compagnie du prince de Condé, seigneur de Chastres, de la Roue et autres lieux. 2° Robert de Balsac, seigneur de Montagu, d'Aubourville, de la Brisette et de Châtres est mort en 1636. 3° Charles de Balsac, doyen de Saint-Gatien de Tours, puis évêque de Noyon, aumônier ordinaire de Henri IV et baron de Saint-Clair, pair de France, mort le 29 novembre 1625. 4° Souveraine de Balsac. 8. Georgette de Balsac naquit à Malesherbes le lundy 16 août à 3 heures après-midy l'an 1521. Son parrain fut Georges II d'Amboise. Elle épousa, en 1538, Jean Pot, seigneur de Chenaulx auprès de Bois-Commun dans le bailliage d'Orléans, porte-cornette blanche du Roy, prévost de son ordre, grand-maître des cérémoniesde France et premier tranchant de Sa Majesté. 9 à 11. Pierre, Antoine et Paul, enfants morts jeunes. Le mariage d'Anne de Graville avec Pierre de Balzac fut aussi heureux que fécond, nous dit Leroux de Lincy : sept fils et quatre filles en naquirent. « Quant à sa mort, l'époque précise n'en est pas connue, seulement elle doit être postérieure à l'année 1543, puisque un des manuscrits qui lui ont appartenu porte une suscription autographe datée de cette année ».
Portrait d'Anne de Graville (coll. Gaignière, BnF, Paris).
La dame d'honneur Rentrée en grâces près de l'amiral, Anne de Graville ne tarda pas à prendre rang parmi les dames d'honneur de la Cour. Elle fut placée par Anne de Bretagne dans la maison de Claude de France, fiancée, dès 1506, à l'héritier du trône, François, comte d'Angoulême. Elle ne quitta plus cette princesse, devenue reine de France en 1505, jusqu'au moment de sa mort (8) . Reprenons les propos de Leroux de Lincy : « Anne de Graville cultiva la poésie ; elle nous a laissé un poème, resté inédit, dont le sujet est emprunté à la Théséide de Boccace, et en fait un des épisodes les plus touchants. Elle eut aussi pour les arts en général un goût très-vif; entre les manuscrits qui lui ont appartenu, je citerai un volume in-folio, écrit sur vélin, contenant une traduction française des Triomphes de Pétrarque ». Ce volume, dont chaque lettre capitale est peinte et rehaussée d'or, renferme, en outre, six grandes miniatures d'une exécution admirable. Ce beau livre était, de la part d'Anne de Graville, l'objet d'une prédilection particulière ; non seulement elle y avait fait mettre ses armes, mais encore elle l'avait chargé de plusieurs devises, composées des anagrammes de son nom : Garni d'un léal. — Anvellere digna. — J'en garde un léal. Elle avait fait aussi représenter au bas de la première miniature le Chanre-Pleure , avec cette devise, qui faisait allusion et aux goûts littéraires d'Anne de Graville et aux infortunes diverses qui avaient agité sa vie : Musas natura, lachrimas fortuna [la nature m'a donné les muses, la fortune les larmes]. Anne de Graville suscitait la jalousie parmi les dames de la Cour. Le poète Octavien de Saint-Gelays, « maître de mélliflue rhétorique », évêque d'Angoulême, écrivit en l'honneur d'Anne de Graville « l'arrest de la louange de la dame de si ». Faisant honneur à sa souveraine par sa beauté, son esprit, Anne de Graville avait hérité de son père l'amour des livres. Cette bibliophile posséda de fort beaux livres, dont un in-folio sur vélin contenant une traduction française des « Triomphes de Pétrarque ». Aimant la lecture, on lui dédia des ouvrages dont un recueil des poésies rassemblées par l'évêque littérateur Nicolas de Coquinvilliers, prieur de Saint-Laurent-en-Lyons (9) .
La dame sans cy C'est l'histoire d'une bataille de dames qui fut narrée (10) . Vers 1500, Octavien de Saint-Gelays, évêque d'Angoulême, eut la gloire de semer la discorde parmi les femmes de la Cour et de se les rendre ennemies pour avoir, en termes galants, décerné la pomme à l'une d'elles. Il procura trois pièces en décasyllabes, l'« Epitaphe de feue madame de Balsac », l' « Arrest de la louange de la dame sans sy » et l' « Appel interjecté par telles nommées dedans contre la dame sans sy ». Les deux dernières pièces se rapportent à une sorte de concours de beauté qui aurait soulevé les passions à la cour d'Anne de Bretagne, une frivole occupation à l'issue de laquelle la « dame sans sy » s'est vu proclamée « Seulle sans per la plus belle des belles ». Plusieurs dames de l'entourage de la reine n'apprécièrent pas, par jalousie, le simulacre de jugement, telles Jeanne Chabot dame de Montsoreau, Blanche de Montbéron de Mademoiselle de Talaru. Quant à l' « Epitaphe », elle exprime longuement le chagrin et les regrets suscités par la mort d'une dame de Balsac, qui était jeune et belle . On ne peut qu'évoquer Anne de Graville pour identifier cette dame de Balsac et cette « dame sans cy » pour donner un lien enytre les trois pièces. En rappelant le titre de l'œuvre d'Alain Chartier, « La belle dame sans mercy » (écrit vers 1500), il est fait allusion aux premiers essais poétiques d'Anne de Graville. Comme le fait remarquer Yves Le Hir, ce n'est pas étrange que le nom d'Ovide, poète latin du début de l'Empire romain soit associé à celui d'Anne de Graville car celle-ci le connaissait. « La présence de pièces qui font allusion à elle dans une plaquette de traduction d'Ovide pourrait trouver un commencement de justification dans la culture de la poétesse ». En plaçant l'œuvre d'Octavien de Saint-Gelais au plus tard en 1502, date de sa mort, cela implique que les talents de la poétesse se sont manifestés très précocement. « Il semble qu'elle avait commencé très tôt à composer des rondeaux » qu'elle avait présenté à des admirateurs ou des amis de passage à Marcoussis. L'« Epitaphe de feue ma dame de Balsac » ne peut se rapporter ni à Anne de Graville qui vivait encore en 1536, ni à sa mère Marie de Balsac morte en 1503. L'identification de la dame pourrait venir d' Antoinette de Castelnau de Bretenoux, fille d'Antoine et Catherine de Chauvigny, la grand-mère maternelle, épousée par Robert de Balsac, le 3 octobre 1474. Une étude récente a émis l'hypothèse que l'Epitaphe de la dame de Balsac bien vivante, serait une fausse épitaphe et le nom de dame donné dans les derniers vers, avertirait le lecteur sur l'auteur du poème. Une interprétation est tentée : « la métaphore de la mort » pourrait provenir du bouleversement considérable survenu dans la vie de la jeune Anne de Graville, c'est-à-dire son enlèvement par son cousin Pierre de Balsac, arrachant la poétesse à l'existence insouciante à Marcoussis et la soustrayant aux fêtes de la cour de Louis XII où elle brillait par son esprit et sa beauté. Ainsi, dans leur ouvrage récent, Giraud et Jung, biographes d'Anne de Graville, proposent la date de naissance de la poétesse en 1490, ce qui est compatible avec notre discussion précédente et convient à notre démonstration.
L'œuvre littéraire Un auteur français du XVIe siècle a consacré à l'éloge d'Anne de Graville un poème en trois parues, qui se recommande par quelques détails singuliers. Dans la première partie, intitulée : Epitaphes de Madame de Balsac, l'auteur fait de cette dame un éloge pompeux et déplore sa perte, encore récente. Dans la deuxième, qui a pour titre : Arrêt de la louange de la dame sans sy , le poète assure que plusieurs depputez par les dieux, entre lesquels il nomme Cretin, Robert et Octavien, ayant recherché, dans les histoires anciennes et modernes, le nom d'une femme supérieure à la dame de Balzac, ont déclaré celle-ci, d'un commun accord « Seule sans per, la plus belle des belles ». Dans la troisième, qui a pour titre : L'Appel interjette par telles nommées dedans contre la dame sans fy, l'auteur raconte que, peu après que l'arrêt au seul proffit de la dame sans fy eût été rendu, il vint trouver les dames de la cour, croyant qu'il allait recevoir d'elles un accueil favorable ; mais il vit la reine et plusieurs autres de ses dames se parlant à l'oreille ; puis, quatre d'entre elles se levèrent assez tristes, et dirent au poète qu'elles désiraient lui parler : c'était la dame de Montsoreau, cette Jeanne Chabot qui, en 1498, faisait partie de la maison d'Anne de Bretagne ; elle adresse au poète les plus sanglants reproches, en lui demandant pourquoi il avait proclamé Anne de Graville dame sans pareille? Était-elle donc plus sage que Pallas, plus chaste que Lucrèce, plus belle que Médée, Hélène ou Didon, la reine de Carthage! Ce n'est pas une petite offense : À peine le poète avait-il consenti à enregistrer l'appel interjeté par Jeanne de Montsoreau, que Blanche de Montberon, qui, en 1498, était fille d'honneur d'Anne de Bretagne, lui dit : En un langaige familier et court
La bibliothèque d'Anne de Graville, héritage de son père l'amiral Louis Malet dont les plus beaux fleurons provenaient de la riche collection confisquée à Jacques d'Armagnac, duc de Nemours, fut transmise à Claude d'Urfé, qui avait épousé sa fille de Jeanne de Balsac le 6 août 1532. Ses petits-fils Anne, Honoré et Antoine d'Urfé y puisèrent leurs lectures. Au XVIIIe siècle, Jeanne de Pontcarré, marquise de La Rochefoucault d'Urfé transporta la bibliothèque dans son hôtel parisien. Lorsqu'elle mourut en 1775, la bibliothèque fut acquise par le duc de La Vallière , en 1784 cette collection fut dispersée et la Bibliothèque Royale entra en possession de manuscrits les plus remarquables. À suivre…
Notes (1) Plusieurs auteurs (comme Hippolyte Boyer, 1859) ont commis une faute en écrivant « Anne, fille de Jacques de Graville, amiral de France, et femme de Pierre de Balzac d'Entragues… ». L'erreur provient d'une inversion dans les noms des amiraux de France. (2) M. Montmorand, Une femme poète du XVIe siècle, Anne de Graville: sa famille, sa vie, son œuvre, sa postérité (A. Picard, Paris, 1917). (3) Mawy Bouchard, 1996, thèse de Master of Arts, Univ. McGill. Voir aussi, du même auteur : Le roman épique : l'exemple d'Anne de Graville , Études françaises, vol. 32, No. 1, 1996, p. 99-107. (4) M. Leroux de Lincy, Vie privée dans les châteaux, dans les villes, dans les campagnes , in : La Moyen âge et la Renaissance , histoire et description des mœurs et images, tome 3 (P. Lacroix, Paris, 1850). (5) M.-A. de Voyer Argenson, De la lecture des livres françois, poésies du seizième siècle (chez Montard, Paris, 1780) p. 66. (6) Selon Geneviève Tanguy, la renommée de la cour, devenue arbitre des élégances et du bon ton était l'œuvre de la reine Anne de Bretagne qui exigeait la décence des gentilshommes envers les dames (il était courant d'uriner devant les dames), sanctionnant les jurons et les habitudes cavalières. Alors qu'elle avait provoqué le courroux de son père pour avoir épouser son cousin, Anne de Graville obtint l'appui de la reine, qui l'attacha à sa fille Claude. Cette faveur semble due à la disgrâce de l'amiral qui n'était plus en cour, ayant eu le tort lors de la « guerre folle de Bretagne » de préconiser la manière forte pour réduire la petite duchesse qu'il voulait envoyer avec sa sœur au couvent ! (7) Selon Pijart, Louise de Humières est morte au château de Marcoussis et inhumée aux Cordeliers de Malesherbes comme le porte son épitaphe qu'on y lit « Cy gist dame Louise de Humières, femme dudit seigneur qui trespassa l'an 1568 le 6 février ». (8) Née en 1499, Claude de France épousa François 1er le 8 mai 1514. Après avoir donné naissance à huit enfants en dix ans, elle mourut en couches le 20 juillet 1524 épuisée par les grossesses successives. (9) Ce prélat était directeur de l'institut du Palinod de Rouen. Cet admirateur de la poétesse fit une dédicace dont l'adresse semble être en vers : « A haulte et puissante demoiselle, Mademoiselle Anne de Graville, la Malet, Nicolas de Coquinvillier, évêque de Vérience, salut en Dieu, et au corps vie prospère ». (10) Henri Lamarque, Autour d'Anne de Graville : le débat de la "dame sans sy" et l'épitaphe de la poétesse , p. 603. - Henry Guy, Histoire de la poésie française au XVIe siècle , vol. 2.
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