Jean V Malet de Graville, seigneur de Marcoussis

(III) Le gentilhomme

Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _------------------------------- Avril 2010

C. Julien

JP. Dagnot

 

 

 

Cette chronique est le troisième volet de la biographie de Jean V Malet, sire de Graville, qui s'illustra au cours du XVe siècle. Ce chevalier était entré au service du pouvoir royal dès le début du règne de Charles VII. Précédemment, nous avons évoqué la brillante carrière militaire du sire de Graville qui participa activement à la libération de la France. Dans cette partie, nous évoquons les dernières années des actions militaires avant d'aborder la carrière civile du seigneur de Marcoussis.

 

 

La guerre en Picardie et le siège de Pontoise

L'action se passe en 1441. En cette année proche de la fin de la guerre de Cent ans, Enguerran de Monstrelet nous rapporte les faits d'armes auxquels Jean V Malet de Graville se fit remarquer en tant que grand-maître des arbalétriers de France. À partir du mois d'avril 1441, trois évènements furent significatifs : la démolition du château de Montagu en Laonnais, le siège de Creil et le siège de Pontoise.

Citons le célèbre chroniqueur «  Au commencement de cest an, Charles, roy de France, estant à Laon, où il avoit solempnisé la feste de la résurrection Jhésucrist en l'ostel ébiscopal, tenant pluiseurs grans consaulz sur les requestes que luy avoit faites la duchesse de Bourgogne…  » (1). Ayant été remerciée par des paroles courtoises : «  Belle seur, ce pose nous que aultrement ne se puet faire… ycelles requestes nous seroient moult préjudiciables à accorder  », la duchesse alla «  fouragier ou pays de Haynau  ». Poursuivons la chronique par un évènement qui rejoint l'histoire de Marcoussis, car il intéresse Robert de Sarrebruck, seigneur de Commercy, le cousin de Jean Malet par les femmes.

Avant de parler, dans le cours de cette chronique le contentieux entre Jean V Malet et son cousin sur la propriété de Marcoussis, évoquons les actions de ce Robert surnommé «  le damoiseau de Commercy  » qui n'a pas laissé de bons souvenirs, puisque l'on peut lire «  Ce peu recommandable personnage qui démentait si outrageusement la noblesse de son sang, n'était attentif qu'à ses intérêts particuliers et nul souci de patrie ne semblait inspirer ses tristes exploits. Poltron en bataille rangée, il retrouvait une facile bravoure dans les expéditions de surprise contre les gens désarmés… Pour donner carrière à ses intérêts, il s'avisa d'embaucher bon nombre des aventuriers que la paix laissait sans emploi et qui méritait sans contestation le titre de rouliers et d'écorcheurs que l'indignation publique leur infligeait, cherchaient à se faire enrôler, pour continuer leur vie de soudards sans scrupules et sans miséricorde, au dépens des malheureuses populations  » (2).

En février 1436, Robert de Sarrebruck ravagea le pays de Metz. En 1440, il est défait par Thiébaut de Neufchâtel pour avoir tenu un fief du duc Louis d'Anjou. Les évènements ne tournent pas en sa faveur : le 28 février 1440 «  un traité est imposé à Robert de Saarbrük, le dit seigneur au regard de la place de Louppy, se soumettra au jugement de l'évêque de Toul  ». Le 1er mars suivant, il fait sa soumission en baillant au sire de Baudricourt, chambellan du Roy et bailli de Chaumont les clefs de la ville et du chastel de Commercy. En 1441, «  messire Robert de Salebrusse, seigneur de Commarcis, poursievoit très fort le Roy et ceulz de son conseil pour ravoir la forteresce de Montagu  » [aux environs de Laon]. Comme le duc de Bourgogne «  l'avoit en très grande indignacion et hayne pour pluiseurs injures… », la forteresse lui fut rendue démolie, désolée et abattue «  à l'occasion de laquelle le pays avoit eu moult à souffrir par courses et pilleries…  ». Infatigable, en 1443 le damoiseau de Commercy était allié au duc de Saxe pour disputer le duché de Luxembourg à Philippe le Bon, duc de Bourgogne.

Ayant guerroyé à Compiègne et Creil, Charles VII et son "ost" arrivèrent, à la mi-mai, devant la ville de Pontoise tenue par les Anglais. Les hommes du génie de Jean de Graville construisirent «  ung pont par-dessus la rivière d'Oise contre l'abéye de Saint-Martin, lequel fut cloz de petite muraille…  ». Le roi avait de dix à douze mille combattants commandés par «  notables gens de grande auctorité et pour vray, à ceste assemblée furent moult de grans ou service du dessusdit roy de France  . Accompagné du Daulfin, était le conte de Richemont, connestable de France et des cappitaines qui étaient sous ses ordres : messire Charles d'Angou, de Saint-Pol, de Labreth, le seigneur de Graville , Joffroi La Hire , etc ». Après un long siège et les tentatives du duc d'York, gouverneur de la Normandie pour «  cuider lever le siège du roy de France  », ainsi la ville de Pontoise fut prise «  par force d'assault, à très grant honneur  ». Mais la conséquence fut lugubre «  tout le jour et la nuit ensievant, yceulx François cherchoient les Anglois, lesquelx s'estoient muciés en pluisuers lieux et divers, et à fait que ils les trouvoient, les mettoient à l'espée ou les prenoient prisonniers  ».

 

 

Jean de Graville et Malte-Brun

Il convient encore une fois de revenir aux fondamentaux quand on lit l' Histoire de Marcoussis de Malte-Brun. Au chapitre V nous lisons «  Jean Malet, IVe du nom, et septième sire de Graville, avait fait partie, en 1407, de l'ambassade envoyée en Angleterre pour négocier le mariage d'Elisabeth de France avec Richard II ; plus tard, en 1421, il se jeta dans Meulan et défendit vaillamment cette place contre les Anglais; mais, abandonné à ses propres ressources, il fut obligé de la rendre. Il fut tué à la bataille de Verneuil, en 1424 (?). Jean Malet V, son fils, fut successivement fauconnier, panetier et grand maître des arbalétriers de France ; c'est en cette qualité qu'il défendit, en 1427, avec Estienne de Vignoles, plus connu sous le nom de la Hire , Montargis contre les Anglais  ».

Ce texte contient des inexactitudes qui introduisent de la confusion dans la biographie de Jean V Malet, seigneur de Marcoussis du chef de sa femme Jacqueline de Montagu, comme suit :
• le père de Jean V ne fut pas Jean IV mais son cousin germain Guy Malet, fils de Robert IV, seigneur d'Ambourville et de Fontaines.
• Jean IV aurait pu avoir conduit l'ambassade pour négocier le mariage d'Elisabeth de France (plutôt Isabelle), fille de Charles VI avec du roi Richard II, roi d'Angleterre. La date donnée par Malte-Brun est fausse puisque Richard est décédé le 17 février 1400 à l'âge de 32 ans. Le mariage fut célébré avec dispense du Pape après un traité de paix en 1396 (3).
• la prise de Meulan par Jean V Malet (et non Jean IV) n'a pas eu lieu en 1421, mais le 14 janvier 1423.
• le si
re de Graville tué à la bataille de Verneuil est Guy Malet.

Dans un autre passage, Malte-Brun, en parlant de Jacqueline de Montagu dit «  elle y mourut en 1436, et son mari qui fut le premier sire de Marcoussis, de la famille de Graville, paraît l'avoir suivie dans la tombe peu de temps après  ». Le temps est bien relatif puisque Jean Malet est mort en 1449.

Peu d'informations nous sont parvenues sur la vie de Jehanne de Bellengues, la première femme de Jean V Malet. Dans un fragment d'acte nous lisons « … clerc tabellion en ladicte viconté, fu présente en sa propre personne la dicte Madame Jehanne de Bellengues, demeurante à présent à Rouen, icelle à présent femme de noble homme Monseigneur Jehan de Graville , chevalier, icelluy absent du pais de Normendie contre la volenté et obéissance du Roy notre souverain…  ». Nous ne pouvons que conjecturer que comme cette dame était de naissance normande et qu'elle mourut avant 1416, date des secondes noces de Jean V Malet avec la veuve de Jean de Craon tué à Azincourt.

De son mariage avec Jehanne de Bellengues, le sire de Graville eut une fille Marie Malet de Graville, dame de Longuay qui, mariée à Gérard d'Harcourt, donna lieu à la branche des sires de Bonnétable et de Beuvron. Ce chevalier, est nommé Guérard d'Harcourt par Monstrelet, qui, dit-il, perdit la vie à la bataille d'Azincourt pour le service du Roi en 1415; mais dans l'Histoire des Grands Officiers de la Couronne de 1712, donné par du Fourny, on lit qu'il fut tué à la bataille de Verneuil en août 1424. Étant veuve, Marie de Graville rendit hommage, le 7 octobre 1455, de la terre de Lougé, et vivait en 1469. Ses enfants furent : (i) Jean, baron de Bonnétable, (ii) Jacques, baron de Beuvron, auteur de la branche des ducs d'Harcourt, (iii) Marguerite, mariée en 1456, à Amaury d'Estissac, puis à Guyon de Puygirault, écuyer, avec lequel elle vivait en 1464 et (iv) Marie , religieuse de Fontevrault, élue, en 1449, abbesse de Margival-aux-Nonains, diocèse de Soissons.

De son mariage avec Jacqueline de Montagu, Jean V Malet eut pour fils Jehan VI Malet de Graville , dit le Jeune , chambellan du dauphin, futur Louis XI, et d'autres enfants dont nous parlerons en son temps.

 

 

Jean V de Graville, seigneur de Marcoussis

Il est probable que Jean V Malet ait peu vécut à Marcoussis. D'une part, en tant que militaire et commandant de l'infanterie, il ne dormait pas souvent dans son lit, et d'autre part, pendant toute la période, le château de Marcoussis fut occupé par les Anglais. Au mois de mars 1423, suivant le traité de Meulan et la destiné des places fortes des environs de Paris, la forteresse Marcoussis dut se rendre aux Anglais, commandés par le duc de Bedford, oncle du jeune roi Henri VI. Montlhéry, Étampes, Orsay, Chevreuse eurent le même sort.

Occupons-nous maintenant de la gestion de la seigneurie de Marcoussis par le sire de Graville, tout en se rappelant que cette terre était passée par usurpation, semble-t-il, de la branche aînée à la branche cadette par les femmes. En absence de clause ab intestat , selon la coutume de Paris, Marcoussis aurait du tomber dans les mains de la fille d'Élisabeth de Montagu, épouse de Jean du Moulin, seigneur de Pierrepont ou de leurs héritiers (4) . La suite nous éclairera sur cette question.

 

Plan du château féodal de Marcoussis (en rouge la ferme du château).

 

Une souffrance est accordée en 1436, par Etienne Delacroix fondé de procuration de noble et puissant seigneur monseigneur Jehan seigneur de Graville , chevalier, conseiller et chambellan du roy, chef et maistre des arbalétriers de France et dame Jacqueline de Montagu , son épouse, à Guillaume et Estienne Arrachevesse pour le fief du Mesnil Fruger. Il est clair que le seigneur de Marcoussis n'administre pas directement son domaine, il agit par l'intermédiaire d'un procureur qui pourrait être un notaire seigneurial. La même souffrance fut accordée sur le fief de Bellejambe. Remarquons qu'Etienne a dû bénéficier des conseils de Guillaume Delacroix, régisseur de la seigneurie sous Montagu.

Un acte trouvé deux années après est encore plus explicite sur la situation patrimoniale de Marcoussis. Nous lisons que «  Jean V de Graville, tuteur et administrateur de Jehan VI de Graville, son fils mineur, institue pour garde et capitaine du château de Marcoussis, Guillaume Le Roy, et en outre le laisse jouir du moulin de Guillerville, pendant l'espace de six années  ». Ce document qui précise que Jehan est fils de Jehan et de feu madame Jacqueline de Montagu, semble indiquer que Marcoussis resta toujours dans le patrimoine de la fille de Jean de Montagu pour des raisons matrimoniales. Il est donc légitime de voir Jean VI seul propriétaire de Marcoussis.

Plus tard, alors que la paix revient en France, en 1445, Jehan de Graville commence à racheter des biens en Beauce. À l'âge de 55 ans, le compagnon de Jeanne d'Arc semble abandonner la carrière militaire pour administrer ses terres et seigneuries. Nous remarquons toutefois, que les fiefs normands de Séez et Bernay n'ont pas été réintégrés dans son patrimoine, mais restent confisqués par le comte d'Alençon.

Dans un acte de 1447 (ou 1448) Jehan de Graville signe une procuration à son homme de confiance pour la gestion de ses biens à Marcoussis ; il s'agit du sieur Jehan Bourderin (ou Bourdoin) «  pour bailler et affermer à cens ou rente à blé argent ou autrement, des terres et choses au lieu de Marcoussis…  ». La même année, «  Jehan Bourderin, procureur de Jehan de Graville, seigneur de Montagu et Marcoussis baille à titre de pur chef cens , portant lods et ventes , à Gillet Marceau, laboureur demeurant à Marcoussis, une grande masure, jardin et appartenances, appelée les Carneaux, où de présent ledit Gillet a fait édifier des appentis couverts de chaulmes, que souloit tenir Geoffroy Godeffroy, assis près l'église de la madeleine, tenant d'une part au chemin du roy, appelé la rue, et d'autre part aux hoirs de feu Gilot de Lourme . Ce bail faict moyennant six sols parisis de pur chef cens  ». De cet acte qui correspond à une vente, tant que la rente est servie, l'hôtel quitte le giron des seigneurs de Marcoussis. Comme souvent à cette époque les documents se font rares et il se passe un siècle et demi sans information.

Le 22 janvier 1447, Charles duc d'Orléans, étant à Tours, donne «  quittance à nostra ay et féal le seigneur de Graville conseiller et chambellan de Monseigneur le roy et maistre des arbalétriers de France pour la somme de 70 escus d'or...  ». Le duc d'Orléans était suzerain de Jean de Graville pour les terres du Gâtinais tel que Bois-Malesherbes, Milly, etc.

Il semble que Jean V Malet de Graville soit mort au début de l'année 1449, puisqu'un acte de foy et hommage fut donné en juin pour la châtellenie de Marcoussis par Jehan de Graville le jeune qui est qualifié de «  escuyer, conseiller et aussi chambellan...  ». Il s'agit bien de Jean VI Malet, sire de Graville, l'héritier du grand-maître des arbalétriers.

 

 

 

Les prétentions de Robert de Sarrebruck

Un retour vers les filles de Jean de Montagu est nécessaire. Élisabeth (ou Isabelle), l'aînée des filles du grand-maître d'hôtel avait été mariée à Jean VI de Pierrepont (ou du Moulin), comte de Braine et de Roucy, sire de Montmirail, fils de Blanche de Coucy et d'Hugues de Pierrepont. Un traité de mariage fut établi en mai 1398, alors que les futurs époux étaient des enfants, l'acte mentionne «  Jehan du Moulin, comte de Roucy et de Braine âgé de dix ans marié à Elizabeth de Montagu  ». La fille cadette de Jean de Montagu est Jacqueline l'épouse de Jean V Malet dont nous venons de parler.

Une fille unique, Jehanne de Pierrepont, dame de Braine était née en 1413 de l'union d'Élisabeth de Montagu et de Jean de Pierrepont. Ce dernier fut tué en 1415 à Azincourt laissant une orpheline et une veuve qui se remaria à Pierre de Bourbon-Préaux. Jehanne de Pierrepont († 4 octobre 1459) épousera Robert III de Sarrebruck, seigneur de Commercy, comte de Braine, sire de Montmirail, etc. Né vers 1400, Robert était le fils d'Amé III de Sarrebruck et de Marie de Châteauvillain. Il décéda le 30 mars 1460.

À la sortie de la guerre de Cent Ans, les deux branches de la famille doivent hériter des terres de Montagu et Marcoussis, comme le mentionnent de rares pièces de partage peu explicites. Alors que la seigneurie de Marcoussis réintégrée dans le patrimoine de Charles de Montagu était passée, après Azincourt, dans les mains des branches cadettes : celle de Montagu-Pierrepont dont le patrimoine fut géré par Pierre de Bourbon, tuteur de Jehanne, puis par celle de Montagu-Graville. Y a-t-il eu usurpation ? Il n'en est rien d'après ce que nous dit Pijart. Néanmoins, nous observons que, suite aux troubles de la guerre de Cent ans et à l'occupation anglaise, le roi Charles VII autorisa Jean Malet de Graville de posséder la terre de Marcoussis en dédommagement de la perte de ses terres normandes.

Jehan de Graville au cours d'une vente de terres cite au sujet du produit de cette vente : «  Le vendeur disant emploier la somme en réparations nécessaires au chastel de Marcoussis, estangs, et autres appartenances, qui sont de présent en grant ruine, moyennant lequel prix le vendeur s'est déssaisi des héritages cy dessus déclarez. La vente irrévocable même par la femme de Robert de Sarrebruche , seigneur de Commercy pour lesquels ledit Malet porte sa caution de la propriété dudit Marcoussis de certain procès pendant  ».

Après un silence de trente ans, alors que les Montagu-Graville semblent posséder Marcoussis «  en toute quiétude et pleine propriété  », un procès est intenté entre la branche issue d'Élisabeth et celle issue de Jacqueline de Montagu.

Robert de Sarrebruck, demandeur à la succession de sa femme Jeanne de Pierrepont, avait eu un différend avec les Célestins de Marcoussis. Il s'agissait de joyaux qui avaient été confiés en 1412 à Élisabeth de Montagu lorsque cette dame était démunie après la confiscation des biens de son père. Une obligation de 1.918 livres avait été signée, montant du prix des joyaux. Les bijoux avaient été engagés par Élisabeth «  pour paier une grosse rançon  » de son mari, fait prisonnier par les Anglais lors de la désastreuse bataille de Verneuil-au-Perche en 1424.

Le moine poursuit son récit en donnant des précisions sur la succession d'Élisabeth de Montagu : «  Par affection filiale, et plus touchés par leur disgrâce, [les religieux] ne portèrent que longtemps après leur mort, sçavoir 1447, leurs plaintes, demandes et oppositions à nos seigneurs des Requestes du Palais à l'encontre de Messire Robert de Sarrebruche, seigneur de Commercy comme ayant épousé Jeanne, fille unique de Messire Jean du Moulin comte de Roucy et de Braine, et Élisabeth de Montagu  ». La réponse de Robert de Sarrebruck montre la mauvaise foi du personnage car il allégua la prescription à l'égard de l'obligation de 1.918 livres tournois, et pour les joyaux les moines obtinrent lettres royaux à Paris le 27 janvier 1452«  par lesquelles que bien loin de s'être porté pour son héritage, il avoit renoncé à sa succession que ceux qui estoient sous la domination des Anglois comme Marcoussis, etc., n'estoient pas en droit de poursuivre les subjects du Roy de France  ».

Voilà la raison pour laquelle le seigneur de Commercy avait abandonné autrefois la terre de Marcoussis, ne voulant pas honorer les dettes de sa belle-mère. Finalement, il changea d'opinion «  ne voyant point d'autre moyen de sortir d'affaires qu'en payant…  ». Le mercredy 13 février 1454, une rente de 60 livres fut constituée par devant des notaires de Paris au profit des Célestins de Marcoussis pour régler l'affaire des joyaux. Un acte de garantie est signé le 16 mai suivant par Robert de Sarrebruck qui laisse entrevoir la possibilité de payer cette rente sur la terre de Bourdigny «  pour toutes les prétentions que nous pourrions avoir contre luy et ses hoirs pour les charges et amortissement de la fondation avec les arrérages se montant à une somme de 800 livres  ».

Désormais, l'appétit de revanche pour la reconquête des terre et seigneurie de Marcoussis renaît chez Robert de Sarrebruck. Après avoir régler le contentieux avec les moines, et payer la dette de sa belle-mère, il se tourne vers son cousin Jean V Malet de Graville, du chef de sa femme Jeanne de Pierrepont.

 

 

Le contentieux avec Robert de Sarrebruck

Au bout de deux ans, Robert de Sarrebruche, seigneur de Commercy, et Jehan de Graville sont contraints par «  un arrest de partage par devant la court . Ils devront se partager et diviser les biens délaissés par feu Charles de Montagu, en son vivant fils de feu Jehan de Montagu jadis grand maistre dostel du Roy. Ce partage se fera selon les coutumes où se trouvent les biens  ».

Sept ans passent. Un nouvel arrest où sont concernées les parties déjà citées ainsi que les fils Amé et Jehan de Sarrebruche, disant: «  les places terres et seigneuries de Marcoussis avoient été mises en la main du Roy et au gouvernement d'icelle, pour faute et droits deubz non faicts  ».

Après quelques années, le sujet du contentieux devient la garde du château de Marcoussis. Le roy dit qu'il a toujours entre ses mains la terre de Marcoussis, «  pour cause du procès qui est pendant en notre cour de parlement à Paris entre mondit cousin (Jehan VI de Graville), et le seigneur de Commercy et les comtes de Braine et de Roucy  ». Le cousin est absent et prisonnier en Angleterre (cf. Chronique suivante).

Le 4 septembre 1454, un mémoire est faict qui présente et rapporte par devant la Cour et retient pour juger la cour fera droit auxdites parties et:
• condamne la cour ledit plus défaillant aux dépens desdits defaux la taxation... entre messire Robert de Sarrebruche, chevalier, comte de Roucy et dame Jehanne de Roucy, sa femme, demandeur et défendeur d'une part et messire Jehan de Graville, chevalier, défendeur et demandeur d'autre part,
• pour raison du partage et division des terres seigneuries demeurées au décès de feu messire Charles de Montagu, en son vivant chevalier, fils de feu messire Jehan de Montagu, jadis grand maistre dostel du roy notre sire,
• la court dit de faire partage et division en les parties selon les coutumes des lieux où lesdites seigneuries sont assises et sans dépends touchant ladite instance de partage. En marge continué le 11 septembre.

Un arrêt de partage est donné la semaine suivante, entre Jehan de Graville et Robert de Sarrebruche de Commercy. Robert de Sarrebrucche, seigneur de Commercy, comte de Roucy et de Braine et Jehanne de Roucy son épouse et Jehan seigneur de Graville «  de Guevardanilla  » défenseur pour le domaine de Marcoussis à cause de certains partage de l'héritage de Charles de Montagu «  Carol de Montraulx  », fils de Jehan Montagu «  de Monteacuto  »... L'arrêt rapporte les droits sur les terre et chasteau de Montagu et Marcoussis, mentionnés le contrat de mariage de la fille de Montagu.

Le contentieux ne s'arrête pas là pour autant. Selon Perret, biographe de l'amiral de Graville, par autre arrêt du Parlement de Paris, ordonne que la terre de Marcoussis sera mise sous séquestre royal par Robert de Sarrebruche.

Le manuscrit Moreau de la Bibliothèque nationale précise : «  Par arrest du 24 avril 1461, les châtellenies, terres et seigneuries de Marcoussis et Montagu avoient esté jugées appartenir à messire Robert de Sarrebruche, seigneur de Commercy, comte de Roussy et de Bresne et à dame Jeanne de Roussy, sa femme à cause d'elle, contre messire Jehan de Graville  ». Robert de Sarrebruche fondait sa revendication sur les droits de sa tante Bonne Elisabeth de Montagu ; la terre fut un instant mise dans la main du roi, qui donna gain de cause aux Graville, vu sans doute la captivité du père et les mérites du fils.

Un mémoire fut encore donné le 20 décembre 1462, entre le procureur du roy d'une part et messire Robert de Sarrebruche, chevalier, seigneur de Commercy, et messire Amé de Sarrebruche, comte de Braine et Jehan, comte de Roucy, fils, aussi chevaliers, ses enfants d'autre part, qui estoient en débat à l'occasion de ce que par arrest de la Court, naguères donné entre ledit seigneur de Commercy et ses dits enfants d'une part, et messire Jehan de Graville chevalier dans les places terres et seigneuries de Marcoussis et Montagu, leur appartenances et dépendances, avoient et ont été mises en la main du roy et au gouvernement d'icelle, esté commis du consentement desdites parties, Gervaise de Busic, demeurant à Montlhéry et que depuis icelle main mise, les gens et officiers du Roy audit lieu de Montlhéry avoient et ont fait mettre en la main du roy lesdites places terre et seigneurie de Marcoussis et les appartenances par faute donnée droits et dubz non faits et au gouvernement d'icelles y avoient et ont esté comis avec que ledit Gervaise que on dit estre favorable audit de Graville, appointé (?) est du consentement desdites parties que ledit Gervaise de Busic et Micheau demeurant audit Montlhéry seront commis et les converts (?) la Cour au gouvernement recepte et administration des dites place terre et seigneurie de Marcoussis et Montagu leur appartenances, tant en la conservation du droit que ledit procureur du roy prétend sur icelle que desdites parties jusques avec que par ladite court audment en soit ordonnée. Fait et passé en jugement par ladite et par Jacques Olivier.

Une décision importante de sauvegarde fut prise le 16 janvier 1470 par le roi Louis XI. «  Loys par la grâce de Dieu, roy de France, concerne la garde du château de Marcoussis, rappelant que le roy a toujours entre ses mains la terre de Marcoussis, pour cause du procès qui est pendant en notre Cour de Parlement à Paris entre mondit cousin d'une part et le seigneur de Commercy les comtes de Braine et de Roucy d'autre part , veut que le cousin joysse des revenus d'icelluy Marcoussis, le cousin absent et prisonnier en Angleterre , ne peut garder le château de Marcoussis... nommons Loys de Graville pour en recevoir les revenus  ».

Le retour de Jean de Graville, en 1478, sa mort en 1482, permirent à Robert de Sarrebruche de ramener l'affaire devant la Cour ; enfin par «  acte passé double sous le scel de la prévôté de Paris, le mardy 5 février 1488  », le comte de Commercy abandonna aux mains d'André d'Épinay, archevêque de Bordeaux, procureur de l'amiral, «  la part et portion qui lui appartenoit comme héritier de Jehanne de Roussy son ayeule dans les terres et chastellenies de Marcoussis et Montaigu en Laie pour le prix et somme de 2.300 livres tournois  » que lui fit compter son cousin. Le belliqueux comte de Braine est satisfait par la transaction.

Ainsi nous venons de voir que le procès pour la possession de Marcoussis s'est poursuivi pendant plus de 70 ans et occupa trois générations. Il faut dire qu'au Moyen Âge l'honneur passait parfois avant l'enjeu pécuniaire…

À suivre…

 

 

Notes

(1) L'an 1441 commença le jour de Pâques, le 21 avril. Les propositions de paix d'Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne, furent rejetées et «  …ne fut point bien contente…, prinst congié au dessusdit Roy, et le remercia de l'honneur et bonne récepcion qu'il luy avoit faite…  ».

(2) Lors du siège de Châteauvillain, Robert de Sarrebruck fut accusé d'un crime «  car il était mauvais jusque dans l'âme  ». Il aurait violenté Catherine de Montsalvy et l'aurait livrée à plus de vingt de ses soldats. La plupart des historiens considèrent Robert de Sarrebruck (ou Saarbruck ou Sarrebruche) comme un homme malfaisant, un redoutable chevalier pillard qui, selon Desplat, ravagea la région de Commercy de 1420 à 1460.

(3) Le roi donna à sa fille 800.000 francs d'or de trente sols pièces « et l'on convint qu'elle passeroit en Engleterre, dès qu'elle auroit douze ans, mais Richard impatient demanda l'année suivante, qu'on la lui envoyât pour l'élever aux coutumes Angloises, et se rendit à Calais pour la recevoir  ». Après la mort en captivité de Richard II d'Angleterre, le retour d'Isabelle fut organisé par une ambassade conduite par Jean de Montagu car les Anglais ne voulaient pas rendre cette princesse. Elle épousa, en 1406 à l'âge de 17 ans, son cousin Charles d'Orléans. Elle meurt à vingt ans en donnant le jour à une fille.

(4) Marcoussis était une succession noble se composant de terres détenues en vertu de l'acte de foi et hommage. Toutefois, le droit d'aînesse n'avait plus lieu puisque le défunt Charles de Montagu ne laissait que des héritières, ses sœurs. En absence de testament (ce que nous ignorons) le fief se serait partagé en part égales puisque la coutume de Paris favorisait l'émiettement.

 

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