Louis Malet de Graville, seigneur de Marcoussis (XXVI) le baron de Chevreuse (1489-1494) |
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Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------ _---------------------- --------- Novembre 2010 Carte de la seigneurie de Chevreuse par J. Geoffroy de la Genetez , 1702.C. Julien JP. Dagnot
Dans une chronique précédente, nous avions esquissé la chicane entre Yde de Chevreuse et Louis Malet de Graville, amiral de France et seigneur de nombreuses terres dont Marcoussis. Cette fois, nous relatons dans son intégralité l'intervention de l'amiral dans les affaires de la baronnie de Chevreuse à la fin du XVe siècle. Profitant de la banqueroute du seigneur du lieu, il intrigua pour s'accaparer cette terre mais n'étant pas le seul créancier, sa tentative échoua rapidement. Nous allons apprendre qu'il ne porta que cinq ans environ, le titre de « baron de Chevreuse », et encore en partie seulement. La petite ville de Chevreuse, où existait un couvent sous le titre de Saint-Saturnin, est désignée au Xe siècle par le mot latin Caurosa . Le nom qui a prévalu depuis, Caprosia (d'où l'on a fait Capreuse , puis Chevreuse) indique un lieu où il y a beaucoup de chèvres ou de chevreuils. Cette étymologie paraît vraisemblable à cause de l'étendue des bois qui couvraient les coteaux et les plaines à l'entour.
Le fief épiscopal Pour bien comprendre la page d'histoire que nous proposons, il faut savoir que les seigneurs de Chevreuse étaient feudataires de l'évêché de Paris « Et castellanus feudum capit a Cathedrato ». Cette terre était depuis des temps immémoriaux dans la mouvance des évêques de Paris. Nous savons que Pépin le Bref étant sur son lit de mort donna, en septembre 768, la grande forêt d'Yveline à l'abbaye de Saint-Denis pour prix de sa sépulture. « On ne peut présumer que ce furent les prédécesseurs ou les successeurs de Pépin, sinon lui-même, qui donnèrent aux évêques de Paris les parties limitrophes de cette même forêt d'Yveline » nous dit Auguste Moutié (1). Dans la bulle de 980, le pape Benoît VII confirma à Elizard, évêque de Paris, les diverses possessions de son église dont Chevreuse désigné par Cavrosa qui se retrouve sous la forme Carosa dans une charte de l'abbaye de Bourgueil. Dans un diplôme de l'évêque Fulbert de l'an 1024 nous lisons Caprosis (au pluriel), alors que les lettres du roi Robert de l'an 1029 donnent Caprosa (au singulier). Le cartulaire du prieuré de Longpont écrit Cabrosia dans les chartes du XIIe siècle. La forme moderne de Chevrosia apparaît en 1162 sur le sceau du seigneur local. En avril 1255, l'évêque Renaud de Corbeil cite son vassal, notre affectionné et fidèle Gui seigneur de Chevreuse « dilectus et fidelis noster Guido, dominus Caprosie ». Le 8 octobre 1268, Étienne, l'évêque de Paris, reçoit l'hommage lige d'Hervé, seigneur de Chevreuse pour son château et sa châtellenie et l'en investit par l'anneau d'or « investitus per anulum aureum » (charte CCVIII du Grand Pastoral de N.-D. de Paris). La charte CCXCVIII donnée le 27 juin 1278 est relative aux devoirs du seigneur de Chevreuse feudataire de l'évêque de Paris « feodum de Caprosia ». Le lundi après la fête de saint Jean-Baptiste, la veuve du seigneur de Chevreuse se présente dans la maison épiscopale pour rendre l'hommage lige à l'évêque de Paris pour la châtellenie de Chevreuse et ses toutes ses dépendances « in domo episcopali, fecit homagium ligium domino Parisiensi episcopo de tota castellania de Caprosia » en présence d'Égide, le drapier de Chevreuse et Jean de Châteaufort, chanoine de Saint-Marcel. Dans un diplôme du XIVe siècle, donnent « les droiz, franchises et libertez appartenans à l'évesché de Paris tant en la villle comme dehors ». Sous la protection du roi le bailli de Monseigneur l'évêque a le ressort de la mense épiscopale. Parmi les nombreux articles, nous lisons « Item, ledit baillif a le resort par voye d'appellacion des fiefs de Chievreuse, de Malrepast, de Conflans-Sainte-Honorine, de Lusarches, … Et de chascune cause d'appel où il est dit mal jugié et bien appellé, ledit monseigneur l'évesque y a LX livres d'amende ; et qui de ce jugement appelle dudit baillif en parlement, et le parlement est dit bien jugié, ledit monseigneur l'évesque y a derechef LX livres d'amende ». En tant que feudataire de l'évêque de Paris, les obligations du seigneur de Chevreuse étaient multiples : Selon l'abbé Lebeuf, les évêques de Paris ont toujours préservé leurs droits sur la terre de Chevreuse (2). Ainsi les fiefs tenus soit de l'évêque de Paris soit de l'abbaye de Saint-Denis constituaient le principal domaine des seigneurs de Chevreuse.
La terre et baronnie de Chevreuse Après avoir été possédée pendant près de quatre siècles (1029-1364) par les descendants de Milon, son premier seigneur connu, la seigneurie de Chevreuse avait été vendue pour payer partie de la rançon d'Ingerger d'Amboise, petit-fils d'Anseau de Chevreuse, le porte-oriflamme, pris à la bataille de Poitiers le 19 septembre 1356 et prisonnier de Bertrand de Montferrant. En 1366, elle avait été mise en criées par-devant le prévôt de Paris, à la requête du captal de Trène et des héritiers de Jean de Montferrant, et adjugée moyennant 4.800 francs d'or à Pierre de Chevreuse, alors trésorier des aides ordonnées pour le délivrance du roi Jean, et à Jeanne Chauderon, sa première épouse. La somme de 4.000 francs fut payée le 18 décembre sur le prix de cette acquisition. Pierre de Chevreuse fut un des hommes considérables de son temps, chargé des finances sous les Valois. En 1377, Charles V avait donné à Pierre de Chevreuse toute la justice et seigneurie de Bièvre, dans lesquelles se trouvaient comprises les justices de Montéclain et de Vauboyen malgré la protestation des religieux de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés auxquels les lieux appartenaient. Avec Ferri Cassinel, qui devint seigneur de Marcoussis, et le sire d'Estouteville, Pierre de Chevreuse fut chargé par le roi Charles VI du gouvernement du Languedoc. Il mourut le 22 décembre 1393. Louis, son fils du second lit avec Marguerite Trousseau, lui succéda dans la seigneurie de Chevreuse, mais entra en conflit avec les Chauderon qui prétendaient être les héritiers collatéraux. Au début de l'an 1400, Jean de Chevreuse, né du mariage de Louis avec Perronelle de Moreuil succéda à son père dans la seigneurie de Chevreuse. Le 14 mars 1409, Jean de Chevreuse se mariait avec Guillemette d'Estouteville (3). Il mourut prématurément en 1419 laissant un fils unique nommé Nicolas qui resta pendant plus de dix ans sous la garde noble et le gouvernement de sa mère. Pendant la guerre de Cent ans, occupés par les Anglais jusqu'en 1438, on dépeint l'état misérable auquel étaient réduits les environs de Chevreuse. Dans une enquête de 1462, les témoins racontent : « Durant les guerres et divisions qui ont couru et duré en ce royaulme de France par l'espace de trenste-six ans, lesdites guerres furent si grandes et énormes, tant au pays de Jozas que au pays chartrain… Auquel pais de Jozas ladite abbaye des Vaulx-de-Cernay est située et assise que il n'étoit homme ne femme qui osast aller ne conserver en ladite abbaye ne au pays d'environ… ». On comprend alors que les dettes s'accumulèrent ; la terre de Chevreuse, qui était déjà accablée par d'anciennes rentes impayées et des hypothèques, fut grevée de nouvelles créances.
Colard de Chevreuse Nicolas de Chevreuse est resté dans l'histoire sous le pseudonyme de Colard, prénom emprunté à ses aïeux maternels. Il épousa Jeanne de Saveuse, issue de l'une des plus célèbres maisons de Picardie, qui lui donna Yde, leur fille unique. Colard de Chevreuse s'enfonça dans les dettes qui hypothéquaient sa seigneurie de Chevreuse ; outre les anciennes rentes datant des XIIe et XIIIe siècles, de nouvelles furent constituées, en 1441, il vendait une rente de 100 écus d'or à Robert, bâtard de Saveuse. Les historiens ignorent le transport de cette rente, toujours est-il que l'amiral de Graville se trouva substitué aux droits du bâtard de Saveuse. C'est ce transport de créance qui déclencha le conflit qui nous intéresse. La paix revenue, en devenant capitaine de son château de Chevreuse, Colard recevait 60 livres tournois de gages annuels pour la garde de la place. De nombreux fiefs et arrière-fiefs étaient dans la mouvance de la seigneurie de Chevreuse : En 1484, Colard de Chevreuse maria sa fille, Yde, à Antoine de Canteleu avec un contrat de mariage qu'il croyait être source de profits et l'affranchissement de tous ses soucis financiers. Comme nous l'allons voir, il n'en fut rien car les jeunes époux n'exécutèrent aucune des conditions du contrat.
Les rentes de Chevreuse Un des phénomènes qui ruina la noblesse fut la constitution de rentes, le plus souvent faites au profit de maisons religieuses. Les rentes en argent se multiplient à partir du XIIIe siècle, au fur et à mesure du retrait de seigneurs de l'exploitation directe. Les rentes assises sur la seigneurie ou la prévôté de Chevreuse étaient le produit d'une constitution. La cession d'une somme d'argent par un crédirentier au seigneur de Chevreuse devenu débirentier, impliquait le paiement d'un revenu fixe annuel pour la « rembourser ». La rente d'avérait comme une source de plantureux bénéfices pour le crédirentier qui, très vite, était remboursé au-delà de toute espérance. Cette rente que l'on disait le plus souvent « perpétuelle et non rachetable », était garantie, comme sécurité juridique, par la mise en gage d'un immeuble. Selon Isabelle Theiller : « la valeur des biens sur lesquels sont assises les rentes en nature est connue grâce à une pratique normale des relations de marché. Les montants ne sont donc pas arbitraires et peuvent donner lieu à des calculs de la part des acteurs ». La rente ainsi offerte est un droit sur un bien, non un usage ou une propriété. Elle est également légitime parce qu'elle dispense le donateur d'une transaction (5). Nous donnons une liste non exhaustive des rentes constituées sur la seigneurie de Chevreuse :
Plan d'intendance de Chevreuse en datte du 23 avril 1784 et conforme au procès-verbal en datte du 7 mars 1785 - signé : Genty
Dès 1464, le chapitre et le doyen de Notre-Dame de Paris, créanciers de la rente 20 livres et ses arrérages avaient fait mettre la terre de Chevreuse en criée à laquelle les autres créanciers avaient fait opposition. Au premier rang des opposants, se trouvait Louis Malet de Graville à qui était dû la fameuse rente de 100 écus d'or, dont les arrérages s'étaient également accumulés. Les intentions de l'amiral consistaient à se faire adjuger la seigneurie dont il se faisait attribuer les fruits et revenus au détriments de tous les autres créanciers. Notre seigneur de Marcoussis n'avait pas mesuré la témérité de son geste, car il avait en face de lui, l'évêque de Paris dont la terre était dans la mouvance et tous les chanoines du chapitre possesseurs de la rente de 20 livres .
Les barons indivis de Chevreuse Antoine de Canteleu, ne fut jamais titré qu'écuyer d'écurie du roi, baron de Chevreuse et de Maurepas, seigneur de Maincourt, de Saclay, des Layes, de Cressonsacq, etc. Par un contrat signé le 1er avril 1484, Colard de Chevreuse lui avait donné sa fille Yde en mariage avec la baronnie de Chevreuse et Maurepas (6), à la charge par les deux époux de payer les nombreuses dettes dont les terres étaient grevées, et de lui faire, à lui-même, une rente de 200 livres pour subvenir à ses besoins. Par un arrêt du Parlement, il avait été stipulé ce qui suit : « qu'à Yde de Chevreuse, femme d'Antoine de Canteleu, appartenait la moitié de la terre de Chevreuse et toutes les autres possessions de son père, à cause du douaire coutumier que avait sur ladite terre de Chevreuse dame Jehanne de Saveuse, femme de Colard, ses père et mère… », lequel douaire avait été adjugé à ladite Yde. Par conséquent, Colard ne pouvait disposer que de l'autre moitié de ses biens. Dès le 30 août 1486 (et non le 13 août suggéré par l'abbé Lebeuf), Antoine de Canteleu, comme nouveau baron, fit à Monseigneur Louis de Beaumont, évêque de Paris, l'hommage lige de ses châtellenies de Chevreuse et de Maurepas, et lui en paya comptant les droits de fief et de rachat. Possédant déjà la rente de 100 écus d'or, avec une idée bien arrêtée, Louis de Graville sollicita le chapitre de Paris pour qu'on lui vendît la créance de la rente de 20 livres . Dans une assemblée du 3 juin 1485, les chanoines prirent cette demande en considération. Le 1er juillet l'amiral proposa la réduction de moitié des arrérages et la commutation en une rente de 30 livres sur une nouvelle assiette. Le chapitre en demanda plus : réduction des deux tiers de la créance, amortissement de la rente, la terre de Marcoussis et les autres domaines comme assiette. Une bataille de chiffonniers s'installa au sein du chapitre, certains réclamaient la somme de 600 livres pour arrérages et dépens, les autres s'en tenaient à la décision précédente. Bref se fut la confusion pendant plusieurs mois avec des interventions pressées d'Antoine de Canteleu débiteur de la rente de 20 livres . Le 5 décembre 1487, le sire de Graville proposait de transporter la rente sur sa terre d'Ablis plus une somme de 500 livres , amortissement, affranchissement des droits féodaux avec garantie en cas d'éviction. Le pénitencier Jean Hue s'opposant à cette transaction, l'amiral obtint, en février 1488, des lettres patentes de Charles VIII faisant remise aux doyen, chanoines et chapitre de Paris des droits d'amortissement sur la terre d'Ablis. Alors que les dispositions et conditions stipulées par le contrat de mariage d'Antoine et d'Yde, n'avaient pas été exécutées, Colard les poursuivit devant le prévôt de Paris qui le remit en possession de ses domaines. Il était néanmoins très embarrassé : sa terre dévastée n'était d'aucun revenu et toutes les dettes que n'avait pas acquittées sa fille venaient l'accabler. À court de finances, étant poursuivi pour tous ses créanciers, il fut contraint d'aliéner ses biens. Par acte du 7 janvier 1489, il vendit à l'amiral de Graville sa part de la terre de Chevreuse et Maurepas, Jean d'Epinay, agissant comme procureur de l'amiral, acheta la moitié de la baronnie moyennant une somme de 1.000 livres tournois une fois payée et une rente de 200 livres payable à la Saint-Jean et à la Noël. Par conséquent, deux seigneurs se trouvaient alors posséder, par indivis, la baronnie de Chevreuse, situation insoutenable pour Antoine et son épouse. Antoine, au nom de sa femme, intenta un procès à l'amiral de Graville. De longs débats s'ouvrirent alors entre Graville, Yde de Chevreuse et le chapitre de Notre-Dame de Paris. Sur ce fait, Antoine de Canteleu intenta un procès à l'amiral, intrigua auprès du chapitre qui, sensible à ses arguments, se refusait à évincer le vassal de Monseigneur l'évêque. Les interventions se multiplièrent : Un évènement bouleversa les engagements, la mort soudaine de Colard de Chevreuse. Le 30 décembre, Antoine de Canteleu, au nom de sa femme, renouvela ses propositions. Les parties furent invitées à comparaître le lundi 4 janvier 1490. L'amiral fit valoir ses grandes dépenses, Canteleu exposa que sa femme serait désormais sous la pression du puissant sire de Graville. Finalement, le chapitre renonça à vendre à l'amiral la rente de 20 livres . Par contrat du 11 janvier, on traita avec Antoine de Canteleu moyennant 800 livres , montant des arrérages échus à la Toussaint 1489, ce qui signifie que cette rente n'avait pas été payée depuis l'an 1449. Dès 1489, Yde de Chevreuse intenta, contre l'amiral de Graville, un procès en retrait lignager qui était toujours instruit deux ans plus tard (7). En 1491, l'amiral, étant retenu par sa charge de capitaine de Saint-Malo, obtint de l'évêque de Paris des lettres par lesquelles ce prélat accordait que la saisie de la terre et seigneurie de Chevreuse, faute de devoirs non rendus, demeurât pendant un an en surséance et qu'il pût en jouir pendant le cours de cette année. Pendant ce temps, Antoine de Canteleu épongeait progressivement ses dettes. Après de nombreuses intrigues, le contentieux cessa par un arrêt du Parlement en date du 16 mai 1494, l'amiral fut évincé de la terre de Chevreuse qui fut adjugée par retrait lignager à Yde de Chevreuse . Louis de Graville ne fut que pendant cinq ans baron de Chevreuse (par moitié). Selon une note de Dom Caffiaux, il fut prétendu qu'il aurait fait pour plus de 10.000 écus de dégâts. Dès lors, l'amiral ne possédait d'autre droit que la rente de 100 écus d'or. Il perdit ce droit le 2 avril 1499, lors de l'adjudication par retrait lignager au profit de Claude de Canteleu. Un nouveau contentieux s'éleva ; la consignation fut approuvée le 2 avril 1501 et confirmée le 20 mars 1502 par un arrêt de la cour des requêtes. Dans un arrêt de la cour de parlement du xxvii janvier 1502, il est promis à Robert de Canteleu, au nom et comme procureur de damoiselle Claude de Canteleu sa nièce de faire le rachat de 100 escus dor de rente pour le sort principal de 1500 qu'il a payé à Louys Seigneur de Graville et admiral de France que avoist acquit icelle rente de Robert Bastard de Savreuse auquel elle avoit esté constituée par Colard de Chevreuse.
Épilogue Miracle !! Le litige entre un écuyer criblé de dettes et un puissant seigneur et grand dignitaire du royaume tourna à l'avantage du premier. Que dire de cette affaire qui tourna au désavantage de l'amiral ? Certains auteurs l'ont comparée à l'accaparement des biens du duc de Nemours, il n'en est rien. Ici, nous sommes en présence d'une rente constituée restée impayée. La constitution recouvrait une action réelle, « l'hypothèque », celle pour le rentier, titulaire d'un droit réel sur un héritage, « d'être mis en saisine », d'être investi de la propriété de cet héritage. Dans ce litige, l'amiral de Graville se considérait donc comme un propriétaire nanti de droits réels qu'il s'agissait d'évaluer dans la hiérarchie de propriété. Pour son malheur, il n'était pas le seul crédirentier de Chevreuse ; bien qu'étant un seigneur très puissant, il était en face d'une institution beaucoup coriace comprenant l'évêché, seigneur éminent et le chapitre, crédirentier qui refusait l'abandon d'un revenu annuel assis sur « le fief de monseigneur l'évêque ». La rente apparaît bien comme le moyen le plus simple de s'assurer un revenu ; le crédirentier n'a aucune démarche à faire pour retirer les fruits de son acquisition. Ainsi l'évêque de Paris était le propriétaire « premier », prioritaire en cas de confiscation du bien-fonds. Mais, en tant que suzerain, devant protéger les intérêts de son vassal, le prélat n'avait aucun intérêt à favoriser Louis Malet de Graville plutôt qu'un autre. Quoiqu'on puisse prêter des intentions hégémoniques à Monsieur l'amiral, il semble qu'il faille voir, dans cette aventure, la seule volonté de faire appliquer le droit coutumier. Toutefois, il n'y eut pas d'affrontement entre l'évêché et le seigneur de Marcoussis. Certes, il y eut des demandes incessantes, mais en des termes courtois sachant que l'Église de Paris aurait le denier mot. C'est bien se qui se passa.
Notes (1) A. Moutié, Chevreuse, Recherches historiques, archéologiques et généalogiques, 2 vol. in-8° (Impr. De Raynal, Rambouillet, 1874). (2) abbé Lebeuf, Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris , t. VIII (édition de 1757, p. 604) (3) À cette époque Jean de Chevreuse était qualifié d'écuyer, qui ne pouvait être conférée avant quatorze ans et le mariage ne pouvait être contracté avant l'âge de la puberté qui était aussi de quatorze ans. La chevalerie ne pouvait être conférée avant l'âge de vingt et an ans. (4) 6 écus d'or étaient équivalant à 16 livres 12 sols. Le droit de quint est le cinquième denier du prix de la chose vendue. Dans le grand coutumier général, nous lisons : « Pour vendition de quelque fief ou rente inféodée, ou autre contract équipollant à vendition, soit telle vendition volontaire ou nécessaire, comme faire par décret de Juge, est deu quint denier au seigneur féodal par le vendeur. Et s'il est dit francs deniers au vendeur, est deu quint et requint par l'acheteur ». (5) La rente se distingue du cens, qui, par définition est une sorte de loyer perpétuel dû au seigneur en reconnaissance de sa propriété directe sur une tenure roturière. La rente obituaire existait dès le Xe siècle ; c'était une pension versée aux religieux dans l'entretien de la mémoire des morts. La rente féodale consistait en une redevance périodique et perpétuelle grevant l'exploitation d'un capital immobilier (terre, maisons, bois, moulin, …). Cette redevance était le prix d'un service, le remboursement d'une dette ou le contrepartie d'une cession de jouissance d'un bien. La rente foncière était la contrepartie de l'aliénation d'un bien-fonds. Le tenancier de tenure à cens étant dans l'impossibilité juridique d'accenser sa propre tenure (il aurait acquis un statut de propriétaire éminent), contournait l'interdit par la cession de la jouissance du bien-fonds contre le paiement d'une redevance annuelle et perpétuelle. La rente constituée était la cession par un crédirentier d'une somme d'argent à un débirentier, qui s'astreignait à payer un revenu annuel fixe que l'on peut considérer comme un remboursement virtuel. Elle permettait d'échapper aux interdits canoniques. (6) De ce fait, Yde de Chevreuse conserva toujours le titre de demoiselle, le titre de dame étant exclusivement réservé aux femmes de chevaliers. (7) Le retrait lignager est une pratique féodale qui permettait aux héritiers de rentrer en possession d´un héritage (seigneurie, fief, censive, etc.) vendu en remboursant le prix d´achat de celui-ci. Selon Montesquieu (De l'Esprit des Lois, V, 9) « Le retrait lignager rendra aux familles nobles les terres que la prodigalité d'un parent aura aliénées ».
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