Louis Malet de Graville, seigneur de Marcoussis

(I) Le jeune damoiseau

Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _---------------------- --------- Mai 2010

Enluminure du Terrier de Marcoussis, visite du roi au château de Louis de Graville (XVe s.).

C. Julien

JP. Dagnot

 

 

 

Après avoir décrit les seigneurs de Marcoussis, successeurs de Jean de Montagu, nous proposons cette chronique donnant la biographie du plus illustre d'entre eux, Louis Malet de Graville «  Loys de Graville  » qui, au cours de la seconde moitié du XVe siècle, cumula de nombreux titres et charges dont celles d'amiral de France, en servant les Valois, les rois Louis XI, Charles VIII et Louis XII.

Précédemment (cf. chronique " Les cousins de l'Amiral de Graville ") nous avons montré la raison pour laquelle le roi de France donnait, dans ses lettres adressées à Louis de Graville, « mon cousin », titre qu'il accordait aux princes du sang, aux cardinaux, aux pairs, aux ducs et aux maréchaux de France. Cette locution doit être prise au premier degré puisqu'il a été vraiment le cousin des Valois à différents degrés. «  …il apparaît que notre amiral était du côté maternel allié du sang de France au quatrième degré  » écrivit Simon de la Mothe.

Avant d'entamer cette belle page d'histoire de France, et pour résumer la figure de notre personnage, citons ce qu'écrivit Charles de Beaurepaire dans sa monographie des «  Vers en l'honneur de l'Amiral de Graville  » (1) : «  Louis Malet sire de Graville, d'une des plus anciennes et des plus illustres familles de Normandie, joua un rôle fort important dans les affaires publiques sous les règnes de Louis XI, de Charles VIII et de Louis XII… Pourvu, en 1486, de la charge d'amiral de France… Il mourut à son château de Marcoussis, le 30 octobre 1516, et fut enterré en l'église des Cordeliers de Malesherbes qu'il avait fondés  ».

Plusieurs chroniques seront consacrées à la biographie de ce grand serviteur de l'État qui vécut à une époque charnière de l'Histoire de l'Europe et en fut un acteur notable en cette fin de XVe siècle, commencement à l'ère des « Temps Modernes  ». Louis de Graville orienta profondément le passage du Moyen-Âge à la Renaissance, bien qu'il fût toujours opposé aux expéditions des Valois dans la péninsule italienne.

Enfin, pour clore cette introduction, mentionnons que nous nous sommes fortement inspirés de l'excellent ouvrage intitulé «  Notice Bibliographique sur Louis Malet de Graville  » que Paul-Michel Perret publia en 1889 (2).

 

 

Le sire de Montaigu

Avant d'entrer dans les détails de la vie du troisième seigneur de Marcoussis, membre de la célèbre lignée normande des «  Malet de Graville  », notons que le vrai nom de cette famille était «  Malet  » dont les aînés avaient le titre de «  sires de Graville  », d'où l'association du patronyme avec le toponyme de la seigneurie normande. Aujourd'hui, nous nommons notre personnage par «  Louis Mallet de Graville, amiral de France  », bien que, dans les anciens documents, le jeune homme n'était que Louis Malet, «  sire de Montaigu  », titre du fils aîné de la lignée, pour devenir «  sire de Graville  » à la mort de son père Jean VI Malet en juillet 1482. Voilà la façon pour distinguer le père du fils.

Le titre de Montagu, vient du fameux fief de Montagu-en-Laye, proche Poissy, que la famille Le Gros avait acquise au XIVe siècle. Robert le Gros, grand-père paternel du grand-maître, bourgeois de Paris, notaire et secrétaire du roi en avait pris le patronyme. Guillaume Pijard nous dit «  Robert Le Gros, dit de Montagu à cause d'un fief de ce nom situé proche de Poissy en Laye qui a été confisqué au Roy sur Jean de Montagu… ». Pour d'autres historiens, le titre de Montagu fut pris par de Jean II, dans un contrat d'acquisition de plusieurs pièces de vigne au terroir de Montfelis, de Nicolas Bourelier, demeurant à Étampes, en date de l'année 1340 (cf. la chronique " La vie de Jean de Montagu - Les ancêtres " ).

Évoquons brièvement la situation politique en France en l'an 1438, supposé être celui de la naissance de Louis Malet. Nous sommes sous le règne du roi Charles VII monté sur le trône en 1422 et, sous l'impulsion de Jeanne d'Arc, sacré à Reims le 17 juillet 1429. Le roi avait repris la plus grande partie des territoires du nord de la France et fit la paix avec le puissant duc de Bourgogne par le traité d'Arras en 1435. Paris s'était rendu en 1436. Charles VII trouve un soutien efficace au sein de la riche famille de ses cousins d'Anjou : il avait épousé Marie d'Anjou, fille de Yolande d'Aragon qui siégeait à son Conseil. Enfin, notons que Richard d'Étampes, frère du duc Arthur III de Bretagne meurt le 2 juin de cette même année. Il était le père du duc François II et grand-père de la reine Anne de Bretagne ; ces deux personnages que nous allons rencontrer au cours de la vie de Louis de Graville.

L'été de l'année 1438 est pourri et nous assistons à des vendanges tardives dans le nord de la France, elles commencèrent le 5 octobre. La situation économique est encore une fois très mauvaise avec une hausse considérable du prix du blé et des famines dans les provinces de l'Ouest. L'hiver suivant est terrible, les chroniqueurs rapportent la Seine prise par les glaces et l'entrée des loups à Paris. Sur le plan militaire, les Anglais occupent toujours une grande partie de la Guyenne.

 

 

Les origines maternelles de Loys de Graville

Commençons par exposer les ancêtres maternels de Louis de Graville. C'est sans doute cette lignée qui marqua et orienta le plus profondément la vie de l'amiral. Son grand-père, Guillaume de Montauban était le fils d'Olivier V et de Mahaut d'Aubigné, dame de Landal. Parmi la fratrie, on note Robert, auteur de la branche des seigneurs du Bois-de-la-Roche, Bertrand, conseiller et chambellan du Dauphin le duc de Guyenne qui mourut à Azincourt, Renaud, seigneur de Crespon et de Marigny (du chef de sa grand-mère paternelle), Jean premier échanson du Dauphin, Jeanne mariée à Jean Boutier seigneur de Château d'Assy et Marie de Montauban, demoiselle d'honneur de la reine Isabeau, mariée en 1415 à David de Poix, sire de Brimeu.

Selon Dom Louis Moréri, auteur du Grand Dictionnaire Historique , commencé en 1674 (3), Guillaume, sire de Montauban, chancelier de la reine Isabeau de Bavière mourut en 1432. Il épousa :
• en premiè
res noces, Marguerite de Loheac, veuve de Jean de Malestroit, dont il eut Béatrix de Montauban , dame de la Gaulle, mariée à Jean III, sire de Rieux et de Rochefort.
• en secondes noc
es, Bonne Visconti dont il eut Jean, sire de Montauban , de Landal, de Romilly, de Marigny, des Crespon, etc., conseiller et chambellan du Rois Louis Xi qui le créa grand maître des Eaux et Forêts en 1461 et amiral de France à la place du comte de Sancerre. Artus de Montauban , baillif de Cotentin, qui trouva refuge aux Célestins de Marcoussis, «  pour éviter la recherche qu'on faisoit des auteurs de la mort de Gilles de Bretagne, à laquelle il avoit beaucoup travaillé », puis fut élu archevêque de Bordeaux et mourut l'an 1468. Marie de Montauban , alliée à Jean VI Malet de Graville, seigneur de Marcoussis, mère de notre amiral de Graville. Isabeau de Montauban , mariée à Tristan du Perier, sire de Quintin. Béatrix de Montauban , alliée l'an 1435 à Richard, sire d'Espinay. Louise de Montauban , mariée à Guion de La Motte, seigneur du Vaucler.

Du côté paternel, l'amiral Louis de Graville avait du sang normand et une filiation parisienne à cause de sa grand-mère, fille du grand-maître Jean de Montagu. Du côté maternel, il avait du sang mêlé breton et italien. Les Montauban constituaient une maison considérable en Bretagne, tirant son origine d'Alain, sire de Montauban qui vivait à l'époque de Philippe-Auguste. Comme il est aisé d'imaginer, Guillaume de Montauban, devenu veuf, rencontra Bonne de Visconti qui vivait à Paris avec sa sœur, la duchesse d'Orléans. À cette époque la cour de France abritait les demoiselles d'honneur de la reine Isabeau et les dames et les gentilshommes du parti Orléanais (4).

Arrêtons-nous un moment à donner le texte de Guillaume Pijart qui précise la généalogie des enfants de Guillaume de Montauban, «  l'un des plus puissants barons de Bretagne  », grand-père de l'amiral (5). Voici ce que nous dit le moine Célestin au chapitre de Montauban «  Guillaume de Montauban, prince de Léon en Bretagne, baron de Montauban, de Landal et de Marigny, chancelier d'Isabel de Bavières, reyne de France a espousé en secondes nopces Bonne de Milan, fille unique de Carlo Viconti.

  • Jean de Montauban, breton de nation, admiral de France et capitaine de six cents lances, et non maréchal comme a dit Jean Lefevron qui s'est trompé en cela, dans son histoire, il est appelé le Maréchal de Montauban ou de Bretagne, c'est qu'il estoit chambellan du duc de Bretagne ; le même se trompe encore en ce qu'il l'appelle Jean de Rohan, seigneur de Montauban pour ce que Montauban estoit le surnom de la famille et de la seigneurie, épousa Anne Kerentais de laquelle il n'a eu qu'une fille nommée Marie. Marie sa fille a esté mariée à Louis de Rohan, premier du nom, seigneur de Guéméné et de Gié et a eu de luy trois fils et une fille sçavoir Louis, Jean, Pierre et Hélène, femme de Pierre du Pont second du nom.
  • Artus de Montauban ayant esté adverti qu'Olivier du Méel (6) et le complice du meurtre de Gilles de Bretagne («  les satellites d'Artus de Montauban qui l'avoient en garde ne pouvoient le faire mourir par le poison et la faim, l'estranglèrent avec des serviteurs après trois ans et dix mois de prison dans le chastiau de Montrontour le 24 avril 1450 et publièrent qu'il avoit esté estouffé par un catarre  »), frère de François premier duc de Bretagne (que l'on disoit qu'il avoit conseillé) avoient esté décapitez et exécutez à Vannes, prit l'habit de moine aux Célestins de Paris où il fut obligé afin pour la sécurité de sa personne de faire profession ; il fut pourvu depuis par Louis XI de l'archevêché de Bordeaux, décéda en l'an 1480 (et non 1455 comme a escrit Jacques du Breuil dans son Théâtre des Antiquitez de Paris ou comme les sieurs de Saint-Marthe dans Gallia Christiana . Son corps repose dans la chapelle d'Orléans aux Célestins à Paris (7)…
  • Marie de Montauban a espousé Jean Malet, sire de Graville, et seigneur de Marcoussis à cause de Jacqueline de Montagu sa mère, duquel elle a eu un seul fils nommé Louis et une fille nommée Marie, espouse de Louis de Clermon. Jean de Graville est inhumé à Graville et Marie de Montauban sa femme aux Célestins de Marcoussis en 1487.
  • Isabeau de Montauban a épousé Tristan du Perier, seigneur de Quintin en Bretagne (et non de Saint-Quintin) et de la Rochidière, dont point d'enfant.
  • Louise de Montauban a espousé Guy de la Motte, seigneur de Vaucler.
  • Béatrix de Montauban, épouse Richard, sire d'Espinay, la Marche, etc., grand chambellan du duc François II de Bretagne, fils aîné de Robert d'Espinay IIe du nom et de Marguerite de la Courbe.

 

 

La date de naissance incertaine

Louis Malet de Graville, plus connu sous le nom de « Monsieur l'Admiral de Graville  », comme on disait au XVIe siècle, est le fils « né du légitime mariage de Messire Jean VI Malet de Graville, seigneur de Marcoussis et de demoiselle Marie de Montauban ». La naissance de Louis Malet de Graville, futur seigneur de Marcoussis est un sujet de controverse.

Le lieu et la date exacte de sa naissance nous sont inconnus, alors que nous savons avec exactitude qu'il est mort à Marcoussis le 30 octobre 1516. Aucun acte de baptême n'a été trouvé. Nous ignorons tout de son parrain, quoique le prénom Louis pourrait donner une indication. En effet, c'est un prénom inusuel de la famille Malet. Il faut alors rechercher dans l'entourage de Jean VI : le dauphin, futur roi Louis XI, semble être un bon candidat. Mais qui sait ?

Pour le père Anselme, il serait décédé à l'âge de 78 ans, ce qui le fait naître en 1438. L'abbé Lebeuf reprend la même information qui semble venir de Dubreul dans sa Continuation de Paris de l'an 1510 . D'autres auteurs, comme Dom Morice dans ses " Mémoires pour servir de preuves de l'histoire de Bretagne ", récusent cette date en disant que Jean VI Malet aurait épousé Marie de Montauban le 28 septembre 1440, ce qui ferait naître leur fils cadet vers l'année 1443, un fils aîné nommé Jean étant né vers 1441. Mais il semble que cette date de mariage soit fausse et que l'existence d'un frère aîné soit une invention (cf. ci-dessous).

Simon de La Mothe, moine Célestin de Marcoussis écrivit : «  Quant audit messire Louis Malet, il prit naissance à Paris l'an 1438 sous le règne de Charles VII deux ans après que les Anglais en furent chassés et parut du vivant de Monsieur son père sous le nom de sieur de Montagu en Cotentin ayant atteint l'âge de vingt-trois ans où il se rangea du côté du roi Louis XI son prince naturel  ».

Dans sa notice bibliographique sur Louis Malet de Graville, Perret, ancien élève de l'École de Chartes, se garde bien de donner une date de naissance exacte, d'ailleurs l'auteur mentionne « 144 ? » où le point d'interrogation signifie une complète incertitude.

 

 

Le père de l'amiral est Messire Jean VI Malet, sire de Graville en qualité de fils unique de Jean V Malet et de dame Jacqueline de Montagu, seigneur de Montagu-en-Cotentin, de Harfleur, de Lisbonne, d'Harbonville, du Grand et Petit Hevre où est maintenant situé Le Havre de Grâce, de Fontaine-Malet-de-Grâce, de Joinville, de Marcoussis, de Châtres, de Nozay, La Ville-du-bois, le Bois-Malesherbes, Saint-Yon, Boissy, La Roüe, de Marmontiers, de Valère, de Tournenfuye et autres lieux (8).

Sa mère, dame Marie de Montauban, est la seconde fille de « haut et puissant seigneur » Guillaume de Rohan, seigneur de Montauban, prince de Léon en Bretagne, chancelier de la Reine de France, Elizabeth de Bavière, et de Madame Bonne de Milan, fille unique de haut et puissant prince Charles de Milan ou de Visconti, seigneur de Crémone et de Parme. Marie avait deux frères qui eurent une grande influence sur l'éducation du jeune damoiseau : Jean de Montauban qui fut amiral de France et qui transmis cette charge à son neveu, et Artus, mort en 1478 à l'âge de 64 ans qui fut successivement chevalier, baillif du Cotentin, puis clerc et prit le froc aux Célestins de Paris, enfin fut élu archevêque de Bordeaux grâce à la protection du roi Louis XI. Les deux frères Montauban jouèrent un rôle important dans les affaires bretonnes menées par le roi et contribuèrent quelque part au rattachement de la Bretagne à la France.

Louis reçut un complément d'éducation de la part de ses oncles maternels après avoir fait ses humanités au collège de Montagu à Paris. Simon de la Mothe écrit à ce propos « Les sages avis de son oncle maternel, Messire Jean de Montauban ou de Rohan, grand amiral et grand maître des eaux et forêts de France sous la conduite duquel il se fit renommer dans les armées comme il croissait en âge aussi bien qu'en générosité de courage et par ledit érudit il devint premier chambellan de sa majesté et s'allia par mariage avec demoiselle Marie de Balsac, fille de Messire Reuffroy de Balsac, seigneur audit lieu d'Entragues et plusieurs autres terres et seigneuries tant en Auvergne qu'en Gascogne laquelle le fit père de deux garçons et trois filles qui furent mariées avec des partis les plus considérables de ce royaume ».

Du côté paternel, l'amiral avait son oncle Charles, curé de Montfort et de Beaufou, recteur de l'université de Caen en 1476, et deux tantes. L'aînée, Marie Malet de Graville, dame de Longuay, épouse de Girard d'Harcourt, baron de Bonnétable et la cadette, Louise Malet de Graville, mariée au chevalier Guillaume de Rouville, seigneur des Moulineaux. Du côté maternel, il y avait trois tantes et les oncles qui eurent soin de leur neveu orphelin. Jean de Mautauban qui, ayant été maréchal de Bretagne, fut nommé amiral de France par Louis XI, puis cumula plusieurs charges dont celle de bailli du Cotentin, de grand maître et réformateur des Eaux et Forêts, de receveur général des finances de Normandie. Il était gouverneur de La Rochelle quand il mourut en mai 1466. Le second de ses oncles, Artus de Montauban, déjà cité, suivit une carrière militaire, puis, étant le principal auteur de la mort de Gilles de Bretagne, prit le froc de moine Célestin à Marcoussis, d'où dit le père Anselme « le roi Louis XI qui le favorisoit, le retira pour le faire archevêque de Bordeaux, où il fit son entrée le 18 novembre 1467 ». Il mourut à Paris en 1478.

Pour conclure ce chapitre, nous remarquons que la généalogie de la branche maternelle, associée à celle de la branche paternelle, montre que l'amiral doit sa naissance à la rencontre d'une noblesse d'épée, et notamment grâce aux alliances de personnages qui sont se sont côtoyés à la cour raffinée du roi Charles VI et de son épouse, la reine Isabelle de Bavière. Issu de la société du XVe siècle, l'amiral de Graville ne pouvait que continuer d'être au service direct des souverains français.

 

 

La filiation confuse

Avant de présenter la thèse de Paul-Michel Perret sur la filiation de la famille Malet de Graville, notons encore une fois les ambiguïtés dues aux chroniqueurs contemporains de cette famille qui, à juste titre, ne précisait pas l'ordre de primogéniture. En effet, nous assistons à des erreurs introduites par la présence du même prénom « Jehan  » données aux fils aînés que d'aucuns ont continuer. D'autre part, bien souvent, nous trouvons les personnages nommés par leur titre : «  le sire de Graville  », «  le comte de Saint-Pol  », «  le duc de Bourgogne  », «  M. de Craon  », etc. qu'il convient de décrypter en considérant l'époque, l'action, les parentés et alliances, les relations sociétales, etc.

Ainsi, passons en revue les principales façons de présenter notre personnage «  Loys de Graville  » comme le nomment les documents anciens. Tout d'abord, nous l'avons déjà dit : le jeune damoiseau est «  sire de Montagu  », puis «  sire de Graville  » à la mort de son père. Les contemporains écrivent «  Graville  » tout court. Puis, à partir de 1487, nous trouvons «  Monsieur l'amiral  » qu'il faudra distinguer avec son gendre Charles II d'Amboise à qui il avait transmis sa charge en 1508 pour la recouvrer à la mort de celui-ci en mars 1511. Dans plusieurs actes et documents anciens, nous trouvons tout simplement « Monsieur ». C'est ainsi que des bois de part et d'autre du Mesnil-Forget, tant sur le territoire de Marcoussis (section AM du cadastre actuel) que ceux à La Ville-du-Bois (section OF) portent le nom de «  Bois de Monsieur  » (9).

À s'en rapporter aux généalogistes, Marie de Montauban aurait donné deux fils à Jean VI Malet : l'aîné Jean VII et le cadet Louis. Perret démontre qu'il n'en est rien et que le Père Anselme et ses successeurs ont confond le fils avec le père. Jean VII n'aurait jamais existé. Le biographe défend sa thèse en montrant que Jean VI vivait encore en 1474 quand il obtint les droits de haute justice dans sa seigneurie de Graville, en rappelant qu'il avait prêté foy et hommage en septembre 1467 et esté en justice contre son cousin Robert de Sarrebruck en septembre 1462. Enfin, le même Jean VI avait obtenu, en juillet 1470, du roi la permission «  d'establir une foire à Châtres sous Montlhéry  ». Toutefois, Paul-Michel Perret laisse une porte de sortie aux généalogistes pour dire que «  Jean VII aurait pu exister mais serait mort en bas âge, n'ayant pas été en d'âge d'acter  ».

Louis Malet de Graville succéda à Jean VI, mort au Pont de Sannois, en juillet 1482. Nous n'avons aucun document donnant la date de son adoubement. Il n'est pas douteux qu'à l'âge de 44 ans ce gentilhomme n'était plus, depuis longtemps, un damoiseau mais avait été armé chevalier bien avant l'expédition en Angleterre où il fut prisonnier un court instant.

 

 

Les réseaux nobiliaires

Tout passionné de généalogie découvre les alliances nombreuses entre les familles nobles constituant des réseaux d'influence et de pouvoir . Toutefois, dans de nombreux cas, des procès avaient lieux pour des affaires de successions et de droits féodaux, brisant momentanément les relations entre parents. Louis de Graville entra parfaitement dans le moule de la société féodale du XVe siècle. Analysons par deux fois les alliances avec deux maisons seigneuriales : La Trémoille alliée à Montauban et Amboise alliée à Graville.

L'élévation de la maison d'ancienne noblesse poitevine de La Trémoille remonte à Georges 1er (1382-1446) qui fut favori de Charles VII dont il épousa la cousine en premières noces. Devenu veuf sans enfants, il épousa Catherine de l'Isle-Bouchard dont il eut deux fils Louis et Georges II de La Trémoille, sire de Craon (1427-1481). Louis 1er de La Trémoille qui fut lieutenant général du roi en Bretagne, capitaine de Nantes et premier chambellan du roi Charles VIII en novembre 1495 avait épousé Marguerite d'Amboise morte en 1475. Cette dame, dont l'ancêtre Jean 1er d'Amboise avait combattu aux côtés de Philippe-Auguste à Bouvines, était issue de la branche aîné et avait apporté la vicomté de Thouars dans sa corbeille de mariage. Sa sœur Françoise d'Amboise épousa Pierre II duc de Bretagne.

En épousant, le 8 novembre 1464, Marie de Montauban veuve en premières noces de Louis de Rohan, le sire de Craon était devenu le cousin germain de Louis de Graville (10). Georges de La Trémoille fut chevalier de Saint-Michel, comte de Ligny, seigneur de Jouvelle, de l'Île-Bouchard et de Rochefort, conseiller et premier chambellan du roi, gouverneur de Touraine, du duché de Bar, de l'évêché de Verdun, etc., capitaine de cent lances et lieutenant-général des armées du roi. Philippe de Commines qui considérait son habileté comme la première des vertus l'appelle «  saige homme et seur pour son maistre  ». Assistant au Conseil aux côtés de «  Monseigneur l'Admiral  », le sire de Craon participait au gouvernement de Louis XI. Son neveu Louis II de La Trémoille fut un grand capitaine qui fut tué à la bataille de Pavie (1425).

En mariant sa fille Jeanne avec Charles II d'Amboise, seigneur de Chaumont, Louis de Graville alliait sa famille à la branche cadette issue d'Hugues V d'Amboise, frère de Pierre 1er. Cette alliance était des plus prestigieuse puisque son gendre était le neveu du cardinal Georges d'Amboise, premier ministre de Louis XI dont les trois frères avaient coiffé la mitre d'évêque, un quatrième, Emery étant grand-maître de l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem..

 

Degré de parenté entre Louis Malet de Graville et Anne de Bretagne.

 

Bien souvent les degrés de parenté sont établis rapidement. Nous avons déjà établi que Saint-Louis était un des ancêtres de Louis Malet de Graville, que les rois de la branche des Valois étaient ses cousins issus de la famille Visconti. Il en est de même avec Anne de Bretagne qui se trouve à la fois parente au sixième degré par le sang mais aussi par le mariage avec Charles VIII. En effet, Valentine Visconti, épouse du duc Louis 1er d'Orléans est la bisaïeul d'Anne par sa grand-mère Marguerite d'Orléans, femme de Richard d'Étampes.

Ainsi, l'amiral de Graville était bien placé pour jouer un rôle de premier rang dans la politique Franco-Bretonne. Parent des rois Valois et des ducs de Bretagne, lui-même breton par sa mère, allié aux plus puissances maisons dont celle d'Amboise qui contrôlait le clergé gallican, Louis de Graville devint un homme indispensable au bon fonctionnement du gouvernement. Pour preuve de cette assertion, ses relations intimes avec Louis XI et, après 1483, la confiance de la régente Anne de Beaujeu.

 

 

Les fantaisies de l'histoire

Pour finir cette chronique, il importe de donner quelques erreurs ou fantaisies qui circulent sur l'amiral Louis de Graville. Sur plusieurs sites "Internet" nous trouvons le texte suivant «  Louis Malet de Graville se remarie avec Jeanne de Garlande , petite-fille de Charles d'Allonville qui lui apporte en dot, le fief de la Roue. Malet de Graville, devenu seigneur de la Roue utilise son droit féodal en dépossédant les Célestins au profit de son valet de chambre, Richard Hochet, pour le récompenser de ses bons services  ». Étant veuf en 1503, Louis Malet n'a jamais été remarié. Cette Jeanne de Garlande était mariée à Pierre de Monceau. Tous deux vendirent le fief de la Roue à l'amiral. D'autre part, il n'y a jamais eu de confiscation des biens des moines Célestins mais, l'achat de fiefs par Louis Malet pour unifier et rendre cohérent la partie orientale de la seigneurie de Marcoussis. C'est ainsi que les fiefs de Guillerville, la Roue, la Flotte et Bellejame furent réunis.

À propos de l'histoire du siège de Rouen en 1418, Monsieur Gaillard écrit «  Malet de Graville, capitaine de cette garde de la reine, ne s'en déclara pas moins dauphinois ; il vit ses biens confisqués par les Anglais, et défendit contre eux Montargis. Il était, avec la Pucelle d'Orléans, au sacre de Reims, et il mourut après avoir été grand-maître des arbalétriers de France. Son second fils, l'amiral de Graville, gouverna la France sous le règne d'Anne de Beaujeu, et s'y enrichit tellement, que le cardinal de Richelieu, voulant justifier ses propres richesses, fit imprimer le testament de Louis de Graville…  ». Ainsi, l'auteur saute une génération, allant jusqu'à donner un frère à l'amiral en la personne de son père (11) .

 

À suivre…

 

 

Notes

(1) Bulletin de la Société des Bibliophiles Normands. Miscellanées. Pièces Historiques et Littéraires (Impr. Henry Boissel, Rouen, 1877).

(2) P.-M. Perret, Notice Bibliographique sur Louis Malet de Graville (chez A. Picard, Paris, 1889) 270 pages.

(3) Dom L. Moréri, Grand Dictionnaire Historique , tome V (chez Brandmuller, Bâle, 1732).

(4) La reine Isabelle de Bavière s'était formé une garde et avait mis à sa tête trois hommes de guerre dont Jean V Malet, sire de Graville à qui Gaillard attribue des relations d'adultère avec la reine «  Malet de Graville, cet amant d'Isabelle de Bavière, dont la vaillance a permis à Rouen de recevoir de grands renforts…  ».

(5) Montauban de Bretagne (Ille-et-Vilaine, arr. Rennes, ch.-l. cant.). La seigneurie de Montauban était une baronnie d'ancienneté, qualifiée par la suite de comté. Le fief fut confisqué en 1465, par le duc Jean V qui le remit à Louis II de Rohan-Guéméné.

(6) Olivier de Méel était un vassal des Montauban. Après l'assassinat de Gilles de Bretagne, chef du parti breton des «  pro-Anglais  », il trouva asile au château de Marcoussis, fief de Jean VI Malet, beau-frère de Jean et Artus de Montauban, rivaux de la victime. Le réfugié fut enlevé par les hommes du connétable de Richemont et fut condamné et décapité à Vannes le 8 juin 1451.

(7) La présence d'Artus de Montauban au couvent des Célestins de Paris est attestée par ses manuscrits légués dont un commentaire sur l'Apocalypse donné en 1474 et un bréviaire enluminé donné l'année suivante. Delisle cite l'acquisition de douze manuscrits latins ayant appartenus au couvent de Marcoussis.

( 8) Les fiefs et seigneuries de la Brie avaient été apportés par Jacqueline de La Grange, l'héritière du président, son père et du cardinal, son oncle.

(9) Il ne s'agit en aucun cas d'attribuer le titre de «  Monsieur  » à celui porté par le frère du roi. Il est bien évident qu'aucun fils de France n'a été possesseur de fiefs dans la seigneurie Marcoussis dont dépendait Nozay-La Ville-du-Bois.

(10) La maison de Craon, en Anjou, s'étant éteinte dans la personne de Maurice VII, du nom, sire de Craon et de Sablé, mort en 1330, la baronnie de Craon passa en 1386 aux La Trémoille, par le mariage de Gui VI avec Marie de Sulli, fille unique et héritière de Louis de Sulli et d'Isabelle de Craon.

(11) Précis analytique des travaux de l'Académie Royale des Sciences, Belles-lettres et Arts de Rouen (Impr. N. Periaux, Rouen, 1834).

 

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