Louis Malet de Graville, seigneur de Marcoussis (II) Le sire de Montagu |
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Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _---------------------- --------- Mai 2010 C. Julien JP. Dagnot
Nous présentons le second volet de l'histoire de Louis Malet de Graville « Ludovicum de Gravilla », le plus prestigieux seigneur de Marcoussis qui joua un rôle fort important dans les affaires publiques sous les règnes de Louis XI, Charles VIII et Louis XII. Cette chronique donne les développements de la vie de ce gentilhomme au temps où il était titré « sire de Montagu » du vivant de son père Jean VI Malet, seul seigneur de Graville, mort en juillet 1482.
Le jeune chevalier Nous ignorons la date d'adoubement du jeune damoiseau, mais nous pouvons imaginer que la cérémonie eut lieu vers 1460 alors que Louis de Graville. Initié depuis l'âge de 10 ans, le jeune seigneur est généralement « armé chevalier » à 20 ans après avoir pris un bain purificateur, fait pénitence et s'être engagé « à ne servir que les causes justes et nobles ». La date de 1460 peut être admise puisque, peu de temps plus tard, Louis de Graville participa, avec son père, à la Guerre des Deux Roses. Toutefois, il convient d'être prudent, car Paul-Michel Perret écrit « En 1470, il est écuyer et chambellan du roi… », ce qui équivaudrait à « faire osciller sa naissance entre 1441 et 1450 ». Un chroniqueur contemporain, dans son récit sur l'expédition que la reine Marguerite d'Anjou dirigea contre le roi Edouard IV, rapporte que le roi Louis XI envoya des secours à sa cousine germaine. Les Malet, père et fils, faisaient partie du corps expéditionnaire. Nous avons décrit précédemment comment le sire de Graville fut fait prisonnier et passa dix-sept ans dans les geôles anglaises avant de payer une rançon pour sa liberté. Par contre, Jean de Wavrin écrivit : « le sire de Graville fut fait prisonnier et conduit auprès du roi d'Angleterre qui, rentré à Londres, l'aurait remis en liberté avec ses compagnons et sans rançon ». Dans cette assertion, il faut voir non pas la liberté donnée à Jean VI mais celle du jeune chevalier Louis Malet de Graville, sire de Montagu, puisque celui-ci reçut une lettre patente de Louis XI le 12 juin 1467. Les comptes de l'hôtel du roi montrent que Louis de Graville se trouvait à Amboise le 29 mai 1470 et à Tours le 4 juin de la même année. Il est passé en revue avec les cent gentilshommes du roi à Meulan, le 4 janvier 1474. Il est à Rouen le 10 juin 1475 pour sa nomination de capitaine de cette troupe. D'autre part, nous invitons nos chers lecteurs à se reporter à la chronique " Jean VI Malet de Graville, seigneur de Marcoussis - Le chevalier " donnant les lettres patentes de Louis XI, données à Nancré-en-Gâtinais en septembre 1474, pour la restitution des terres normandes de Séez et Bernay, confisquées sous le roi Jean II le Bon «… le voulsissions restituer et remectre en la joyssauce et possession d'icelles au lieu de sondict père, qui à présent est prisonnier, en Angleterre , et sur ce luy bailler noz lettres au cas appartenant… ».
Loys de Graville dit " Monsieur " Nous verrons à plusieurs reprises que Loys de Graville se compta toujours en seigneur Normand, fidèle à sa province où il détenait de nombreux fiefs et seigneuries (1). Dans sa notice sur la famille du capitaine Gonneville, Charles Bréard mentionne que Richard Le Paumier fut contrôleur et procureur de l'amiral Louis de Graville et vivait à Honfleur , paroisse Saint-Étienne, en l'année 1460. Il acheta de Robert de Prestreval, prêtre, curé de Fatouville, le fief de Mautrix, situé sur la paroisse de Barneville-la-Bertran suivant le contrat de l'an 1479. Dans la chronique précédente, nous avons remarqué que plusieurs actes et documents anciens, mentionnaient tout simplement « Monsieur ». Il en va aussi des bois, de part et d'autre du Mesnil-Forget, tant sur le territoire de Marcoussis (section AM du cadastre actuel) que sur celui de La Ville-du-Bois (section OF) ; ils portent le nom de « Bois de Monsieur ». Revenons un instant sur ce propos. C'est un chartrier de Graville dressé par les tabellions d'Harfleur qui renseigne sur ce titre qui semble provenir de la coutume de Normandie. Ce registre est relatif aux droits des seigneurs de Graville sur les ports de la côte et de l'embouchure de la Seine. « À tous ceulx qui ces présentes lettres verront ou orront, Robert Deschamps, garde du scel des obligations de la viconté de Monstievilliers, salut. Sçavoir faisons que aujourd'huy lundy dix septiesme jour de decembre l'an de grace mil quatre cens soixante quatre par Mennessier Doulley et Estienne Deshalles tabellions jurés pour le Roy nostre sire en la vicomté en siège et sergenterie de Harfleur nous a esté tesmoingné avoir veu et dilligemment visité ung livre en manière de chartier, ne vitieux ne suspect à leur advis et conscience, faisant mention de la valleur et revenu des fiefs, terres et seigneuries de Graville et des coustumes, droictures, franchises prérogatives et libertez d'icelle seigneurie de Graville, duquel ilz ont extraict plusieurs articles des droitures appartenant à icelle seigneurie de Graville, autant que touche ses portz de mer et la riviere de Sayne, desquelles la teneur ensuict : Cy s'ensuivent les droictures et seigneuries que Monsieur prend sur les ports de mer de dessus sa terre de Graville … ».
Le chambellan de Louis XI Pour Michel Perret, le plus ancien document rencontré sur Louis de Graville remonte au 29 janvier 1470. C'est un compte de l'hôtel du roi où il est qualifié « escuier, seigneur de Montagu ». Il est conseiller et chambellan du roi aux gages de 30 livres tournois par mois qui lui sont payés par quartiers les 29 janvier, 4 juin et 5 octobre. Selon M. Dupuy, quand Louis sire de Montagu fut parmi les otages lors du traité de Nantes d'avril 1469, il était déjà chambellan du roi ; ce qui lui permettra de dire dans son testament « Veu la jeunesse que avions quand presmierement commencasmes à avoir les estats et grosses pensions ». Dans l'acte de donation du droit de tiers et danger sur le buisson de Hallates du 17 mai 1470, il est écrit : « continuelz services que notre amé et feal cousin Loys de Graville, escuier, sieur de Montagu, nous a fait et fait chacun jour… ». La qualification d'écuyer signifie que le sire de Montagu n'étant pas encore adoubé, il n'était âgé quue de 20 ans et quelques mois. La thèse de Michel Perret, donnant la naissance vers 1450 semble ainsi vérifiée. À qui, Louis de Graville doit-il sa fortune ? Certes, il était en parenté par les femmes avec le roi qui l'appelait « mon cousin », titre réservé ordinairement aux princes du sang. Sa fortune est due tant aux services des Graville qu'à ceux des Montauban, ces deux familles ayant montré un dévouement sans bornes envers les Valois. N'oublions pas que le grand-père Jean avait été le compagnon de Jeanne d'Arc, et ayant été membre du parti dauphinois, il avait participé au rétablissement de l'autorité de Charles VII. Il fut grand-maître des arbalétriers, c'est-à-dire le chef de l'infanterie royale. Le père, comme nous venons de la voir, avait été l'un des officiers envoyés en Angleterre pour remettre les Yorkistes sur le trône. En absence du père retenu dans les prisons anglaise ; Louis avait un tuteur, son oncle Jean de Montauban, amiral de France, intime du roi Louis XI. La protection de ce dernier permit au jeune damoiseau d'accéder aux plus hautes charges. Il semble que Louis de Graville avait suivi le futur Louis XI lors de son exil en Dauphiné. Le roi n'oublia jamais les serviteurs fidèles. Il faut préciser que le roi avait instruit son jeune chambellan de la manière dont il voyait le gouvernement. Désormais, leur intimité est flagrante. Louis XI se montre plein d'attention pour son chambellan, en mars 1480 il lui accorde le droit de chasse dans toutes les forêts du domaine royal « afin que en son vieil aage, où il ne pouroit faire ce qu'il fait de présent, il puisse plus aisément chacer à son aise ainsi que bon lui semblera ». C'est au mois de juillet 1470, que Louis XI, étant aux Ponts-de-Cé, fut sollicité par Louis de Graville qui transmettait la demande de son père, le sire de Graville, d'établir une foire à « Châtres sous Montlhéry » les 1er et 2 mai de chaque année « à condition que six lieues à la ronde, semblable foires ne se tiennent pas ces mesmes jours ». Le sire de Montagu était encore aux Ponts-de-Cé le 2 août quand il prêta au roi trois écus pour les donner aux pauvres.
Le roi Louis XI et son chambellan Louis Malet de Graville.
Dès lors Louis de Graville « fait encore l'entour du Roy ». Au mois d'avril 1472, il se trouve auprès de Louis XI à Montilz-les-Tours quand il est récompensé par le don de l'hôtel de Chanteloup, près Châtres sous Montlhéry comportant le droit de présentation à la maladrerie de Saint-Eutrope à condition « à nourrir une levrière quand le plaisir de nous sera de la luy envoyer, avec ce de nous la ramener avec les levrons qu'elle aura faicts ». Au mois de septembre de cette même année, Louis XI concéda à son chambellan la moitié des droits de haute justice en la seigneurie de Châtres .
L'amitié de Louis XI L'estime de Louis XI pour Louis de Graville grandissait de jour en jour. Le 24 janvier 1474, Louis de Graville reçoit « la coppe, tonsture et depouille de douze arpens de boys en la forest de Dourdan au chantier de Bouchain » et deux autres à Béthencourt. Les lettres furent enregistrées au Parlement le 7 mai. Cette même année, la plus éclatante marque de faveur que devait lui réserver l'amitié du roi fut la restitution des terres normandes dont nous avons parlé à maintes fois. En 1474, le duc Jean d'Alençon, usurpateur des terres, avait été condamné pour crime de lèse-majesté et Graville ne laissa pas l'occasion de récupérer les biens confisqués. C'est à Louis que la cession est faite : « Parquoy nostredit cousin Montagu nous a fait remonstrer les choses dessus dictes et que les dictes terres… sont le propre héritage de ces predecesseurs, qu'il est filz dudict seigneur de Graville qui a présent est et son héritier présomptif, et pour ce… ». La Chambre de comptes enregistra la donation le 2 janvier 1475. Désormais, il porte le titre de « seigneur de Montagu, Séez et Bernay ». Louis Malet sire de Graville n'oublia jamais qu'il était le rejeton en ligne directe d'une des plus anciennes et des plus illustres familles de Normandie. Il fut, pendant plusieurs années, lieutenant-général pour le roi en Normandie et se montra en toute circonstance, très affectionné à sa province natale où il possédait de nombreuses terres et seigneuries dont celles de Séez, Bernay, Graville, Montaigu, Vaudeuil et autres lieux. Le 18 décembre 1475, Louis XI lui concéda « la haute justice, moyenne et basse et droits de chastellenie ». Le seigneur de Bernay nommera les officiers qui rendront la justice et devient donc le vassal direct du roi à cause du duché de Normandie « Déclarons…que icelluy nostredit cousin tiendra de nous en une seule foy et hommage à cause de nostre dit duchié de Normandy, soubs le ressort de nostre eschuiquier ». L'année 1474 fut encore fertile en bienfaits royaux. Le roi érigea la seigneurie de Graville en haute justice bien que des difficultés aient été levées, sur le rapport du bailli de Caux, par l'échiquier de Normandie. Les lettres patentes furent finalement enregistrées le 24 novembre 1474 avec quelques réserves « les sergents royaux pourront, dans le ressort de la seigneurie de Graville, faire tous les exploits requis ». Pendant l'année 1474, Louis de Graville recevait une pension de 1.200 livres tournois. Une gratification de 564 lt. lui fut allouée par Jean Raguier, receveur général des finances de Normandie sur les revenus du grenier à sel du Pont-de-l'Arche. En août 1475, Graville fut récompensé de « la vraye et loyalle amour et affection du Roy ». Louis XI lui concéda la terre et seigneurie de Vandeuil (cant. de Mayenne) à la charge d'homme lige « avecques tous les drois, noblesses, prérogatives, juridiction, haulte, moienne et basse et autres appartenances et dépendances quelzconques, hommage de quelque qualité qu'ilz soient, droits de guets, cens… ». Cette seigneurie avait été confisquée sur le connétable de Saint-Pol (2). L'année suivante débuta sous de non moins heureux auspices. Le 7 janvier 1476, le roi octroyait à ses deux chambellans, Louis de Graville et Jean Blosset, seigneur de Saint-Pierre, les terres de Saint-Mars, Villaines, Villemoiron, Bourdenay, Mazières et Langery, formant avec le manoir de la Faucompere, sis en la prévôté de Richemont en Picardie, la seigneurie de Montceaux. Cette donation ne fut enregistrée par le Parlement que le 7 décembre 1482. Le 16 avril, le roi lui concédait les revenus du grenier à sel de Dieppe, dont il était déjà capitaine, et le 18 février de l'année suivante, Graville donnait quittance au grenetier, Laurent Sureau, de 500 livres tournois provenant de ces revenus qu'il venait le lui payer.
Le capitaine des gardes du corps L'année 1475 marque, pour Louis de Graville, la fin de la période de jeunesse. Le 10 juin, le roi lui assigna un poste de confiance : l'office de capitaine des cent gentilshommes de sa maison vacant à la mort d'Hector Goulart. Il s'agissait en vérité des gardes du corps. Son traitement sera de 1.200 l.t. par an, chaque lance fournie recevra 30 l.t. par mois sur lesquelles on prélèvera 50 sols pour l'enrôlement et l'entretien des archers. En 1474, le roi avait donné à Hector de Galard le pouvoir de constituer les compagnies de gentilshommes ordinaires de sa Maison, de changer et de réformer à son gré les hommes d'armes qui en feraient partie. « Après le décès d'Hector de Galard, le mesme roy par ses lettres patentes données à Tours, le dixième juin 1475 , retinst en l'estat de capitaine de ladite compagnie, son amé et féal cousin conseiller, et chambellan, Louis de Graville, escuyer, seigneur de Montagu ». Notons encore une fois que Louis de Graville n'était pas adoubé comme chevalier en l'an 1475 et qu'il était qualifié de seigneur de Montagu jusqu'à la mort de son père Jean VI Malet. Graville exerça, jusqu'au 18 septembre 1481, cet office où il eut Thibaud de Beaumont pour successeur. À cette occasion Perret prétend que « la santé du chambellan fut toujours précaire et ne pouvait soutenir les fatigues que lui imposaient ses importantes fonctions ». Même s'il peut paraître fastidieux, pour un intérêt de la langue du XVe siècle, nous présentons le texte original de la provision pour Louis de Graville, de la charge de capitaine de cent lances, fournies pour la Garde du corps du roi donnée à Rouen le 10 juin 1475. « Loys, par la gâce de Dieu, roy de France, à tous ceux qui ces présentes lettres verront salut. Sçavoir faisons que par considération des bons, grans, agréables et continuelz services que nous a par cy-devant faitz ou faict de. noz guerres ou autrement en maintes manières nostre amé et feal cousin, conseiller et chambellan, Loys de Graville, escuyer, seigneur de Montagu, faict et continue chacun jour, et, esperons que plus fasse ou temps à venir, et, pour la singulière confiance que nous avons de sa personne et de ses sens, suffisance, loyauté et vaillance, bonne diligence et experiance, et grant dilligence, à icelluy pour ces causes et considérations et aultres à cc nous mouvans, avons aujourd'huy retenu et retenons par ces présentes, capitaine et conducteur des cent hommes d'armes et leurs archers que avons establis et ordonnez pour la garde de nostre corps dont feu Hector de Goulart a eu par cy devant la charge et conduicte vaquant à present par son trespas aux gages et souldes cy apres specifiiez et declairez, icelluy nostre cousin, conseiller et chambellan comprins pour sa lance entiere oudit nombre desdits cent gentils hommes, et pour luy ayder à supporter les frais que faire luy conviendra à cause de ladite charge luy avons donné et ordonné, donnons et ordonnons par les presentes pour son estat de capitaine la somme de XIIc lt. (1.200) de gages et XXX livres tournois pour chacune lance par moys, ainsy que ont accoustumé d'avoir et prandre noz aultres capitaines de la grand ordonnance ; et desquelz cent lances et les archers, nous voulons que ledit seigneur de Montagu ne soit tenu faire aucune monstre ne reveue comme sont tenus faire les autres compagnies des gens de guerre de nosdits ordonnances ; mais voulons qu'ilz soient payez de mois en mois, de deux mois en deux mois ou de quartier en quartier ainsy qu'il semblera bon audit seigneur de Montagu et qu'il verra estre à faire pour le mieux; et auquel seigneur de Montagu, capitaine dessudit nous avons en oultre donné et donnons par ces présentes pouvoir et authorité et faculté de oster lesdits hommes d'armes et d'en nommer et changer sy bon luy semble, tels et en tel nombre qu'il verra estre à faire et que le cas le requerra, et ou lieu de ceux qu'il en ostera d'en mectre d'autres bien expers, vaillans, prudens, bien expérimentez en faict de guerre en manière que ladite compagnie soit toujours bien fournie et deuement entretenue, et de les faire payer par tel temps et ainsy qu'il verra estre à faire; et lesquelz cent hommes d'armes, sa lance comprinse, et les archers, voulons estre payez de leurs dits gages et ordonnance par nostre amé et feal notaire et secrétaire, Messire Morelet du Museau, à ce par nous commis ou autre qui aura la commission et la charge du payement de ladite compagnie de par nous, c'est assçavoir ledit capitaine pour sadite lance et estat par sa quittance seullement à commencer du jour et datte de ces présentes, et les autre quatre vingtz dix-neuf hommes d'armes et les archers pour les mois d'Avril et May derniers passez et ce présent mois de Juin par la certiffication dudit capitaine, et par les quittances particulières desdits hommes d'armes tant seullement, au feur et prix de XXX lt. pour lance fournie par mois, non comprins l'estat dudit capitaine et de là en avant au prix de XXVIII livres. X sols pour chacun homme d'armes par mois, sans ce qu'ilz soient tenus avoir ne tenir aucuns archers, et le résidu desdits XXX livres. qui est L sols tournois par mois, pour lance, voulons estre baillez audit seigneur de Montagu par sa simple quittance seullement pour employer à l'entretenement de certain nombre d'archiers que luy avons ordonné avoir et tenir ordinairement entour luy, pour la garde et seureté de nostre personne, à commencer du 1er jour de Juillet prochain venant jusques à ce que autrement y ayons pourveu. Sy donnons en mandement par cesdites présentes à noz amez et feauls les généraux conseillers par nous ordonnez sur le fait et gouvernement de toutes nos finances, que par ledit Morelet du Museau par nous commis à faire le payement desdits cent lances dez le temps que ledit feu Hector de Goulart estoit capitaine ou autre qui en aura la charge et commission, ilz fassent payer bailler et délivrer à nostre dit cousin, conseiller et chambellan, le seigneur de Montagu duquel avons ce jourd'huy prins et reçu le serment en tel cas requis, et de sesdits estats et gages et de sadite lance entière, ensemble lesdits L s.t. par lance pour employer comme dit est à l'entretenement de certains archiers et ausdits IIIIxx XIX hommes d'armes par chacun mois, par deux mois ou par quartier d'an par la forme et manière dessus déclarée, à commencer ainsy que dit est, sans difficulté ou reff'us; et par raportant cesdits présentes ou vidimus d'icelles pour une fois avec quittance sur ce souffisante de nostredit conseiller et chambellan, de sesdits gages et de chacun desdits autres gens de guerre de sadite retenue, ensemble la certiffication de nostre dit conseiller de la retenue desdits gens de guerre et du temps que auront servy, nous voulons, tout ce que payé en aura este aux causes et en la manière devant ditte estre alloue es comptes et rabatu de la recepte dudit Morelet ou autre à ce commis par noz amez et feaulx les gens de nos comptes, ausquelz nous mandons ainsy le faire sans difficulté, nonobstant que monstres et reveues ne soient faictes desdites hommes d'armes de ladite compagnie ainsy que des autres gens de guerre et de nostre ditte ordonnance, aussy l'ordonnance faicte audit Morelet commis touchant le payement desdits cent lances fournies d'archiers du temps dudit feu Hector de Goulart et quelconques autres ordonnances mandemens, restrinctions ou deffences à ce contraires. En tesmoing de ce nous avons faict mectre nostre scel à ces presentes. Donné à Rouen le Xe jour de juin l'an de grâce mil CCCC soixante et quinze et de nostre règne le XIIIIe. Ainsy signé sur le reply par le Roy. Le Goux.
Le juge du duc de Nemours L'année 1476 voit Louis de Graville tenir un emploi de juge dans le procès de Jacques d'Armagnac, duc de Nemours. Ce prince était le fils de Bernard d'Armagnac et d'Eléonore de Bourbon. Dans sa jeunesse, il avait été le « mignon du roy Loys » qui l'avait comblé de bienfaits en l'investissant de la duché-pairie de Nemours en 1461 et le mariant avec l'une de ses cousines, Louise d'Anjou descendante du roi Jean II le Bon. Loin d'être reconnaissant, dans ses trahisons, le duc de Nemours participa à la Ligue du Bien Public . Il avoua qu'il avait médité d'assassiner le roi à Montluçon. Avec son complice le sire de Lau, Nemours il tenta d'enlever Louis XI à Saint-Pourçain et à Aigueperse. Assiégé dans Carlat, le roi le fit saisir et l'envoya à la Bastille. Le 22 septembre 1476, Louis XI ordonne et députe « à faire faire le procès du duc de Nemours nostre amé et feal chancelier Doriole, nostre cher et feal cousin, conseiller et chambellan Loys de Graville, seigneur de Montagu… ». Outre Deriole et Graville, il y aura le sire de Saint-Pierre, Philippe Luillier, Jean Blosset, Boffile de Juge, Boullenguier, Jean Baillet, Thibauld Baillet, Jean Aubert et Aubert Le Viste. « Ce fut une des grandes violences et une des grandes iniquités de ce règne ». Lors de la Ligue du Bien Public, le duc de Nemours avait été arrêté dans la ville de Carlat sous la condition expresse de la vie sauve, condition dont Louis de Graville, seigneur de Montagu et Boffille de Juge, se rendirent garants personnellement. La commission commença immédiatement ses travaux ; tous étaient assidus aux audiences du procès en y prenant une part active. La première séance eut lieu le 30 septembre au château de Vincennes. De nombreux témoins furent auditionnés. À la Bastille, Graville interroge Jacques de Balsant accusé d'avoir encouragé les gens du Midi à résister à l'autorité royale. Graville écoute les dépositions de marchands d'Aurillac, le seigneur de Villeret, l'évêque de Verdun prisonnier à la Bastille, puis une grande quantité de témoins secondaires. Guy Briançon, prêtre franciscain et confesseur du duc est accusé de magie et d'avoir usé d'astrologie. Alors qu'il n'avait été qu'auditeur, Louis de Graville sort de son attitude passive pour diriger, le 23 décembre 1476, l'interrogatoire auquel il soumet Henri de Pompignac, serviteur de la maison de Nemours et écuyer du connétable d'Armagnac. Le duc de Nemours suivit l'exemple de Pompignac et le lendemain promit de faire des révélations au chancelier et à Louis de Graville. Encore une fois, nous observons la manière dont Louis Malet est nommé : « Messire de Montagu » ou « Monseigneur de Montagu », non par omission mais tout simplement que le seigneur de Graville fut son père jusqu'en 1482. Voici un passage du compte-rendu d'interrogatoire du sieur de Pompignac : « … audit lieu de la Bastille Saint-Anthoine à Paris. Messire Henry de Pompignac dit Pallamides, prisonnier dessus nommé en la chambre dessus ditte où étoit seul mondit seigneur de Montagu et dedans le porche clos étant en icelle et chambre estait Monseigneur de Saint-Pierre et en sa compagnie à la fin dessusdite, moy Jehan de la Veuve greffier dessus dit, a esté icelluy messire Henry de Pompignac interrogué par monseigneur de Montagu et luy a repondu en la maniere qui s'ensuyt… ». L'avant-dernière séance se tint à Noyon le 9 juillet 1477 où Boffille de Juge, Pierre de Beaujeu et Louis de Graville se récusèrent lorsqu'il se fut agi de prononcer l'arrêt de mort qui fut exécuté aux halles de Paris, le lundi 4 août 1477. « Le partage même de la confiscation du duc de Nemours entre les principaux juges, surtout entre ceux qui avoient usé d'artifice envers lui et qui l'avoient trompé par de fausses assurances de la vie sauve, pour parvenir à se rendre maîtres de sa personne, est une dernière iniquité, qui achève de rendre suspect l'injustice du jugement prononcé contre lui : la confiscation déjà odieuse en elle-même le devient bien davantage, lorsqu'elle est le prix de la condescendance des juges pour les volontés d'un maître absolu, qui laisse éclater si hautement le désir de perdre un malheureux », fait remarquer Diderot dans son Encyclopédie. Au lieu de venir lui-même tenir son Parlement, le roi nomma pour son lieutenant en cette affaire Pierre, sire de Beaujeu, son gendre; mais, de peur encore que cette cour de justice, ainsi déplacée, conduite plus près de son séjour et de son armée, et conséquemment plus portée à lui complaire, ne fût pas encore assez docile à ses volontés, il régla que les premiers commissaires qui avaient commencé la procédure, les quatre présidents de la chambre des comptes, deux maîtres des requêtes, deux généraux des aides de Paris, deux généraux des aides de Rouen, le lieutenant du baillif de Vermandois, le lieutenant criminel du prévôt de Paris et un avocat au Châtelet prendraient séance avec les seigneurs du Parlement et délibéreraient avec eux. Malgré tant de violations de la justice, la volonté du roi ne prévalut pas sans difficulté parmi cette commission, qui n'était plus le Parlement. Aubert de Viste se récusa, ainsi que l'avait demandé l'accusé. Louis de Graville et Boffile de Judicis se déportèrent de donner leur avis, parce que ayant garanti les promesses faites au duc de Nemours lorsqu'il s'était rendu au Carlat, il leur semblait, en leur conscience, qu'ils ne devaient point le juger. Enfin le sire de Beaujeu, lieutenant du roi et son gendre, lui qui présidait les juges, s'abstint d'opiner, se borna à recueillir les voix et à prononcer l'arrêt en son nom. Il portait que Jacques d'Armagnac, duc de Nemours, était criminel de lèse-majesté; comme tel, privé de tous honneurs, dignités et prérogatives, condamné à recevoir la mort, à être décapité et exécuté par justice. En outre, la cour déclarait tous et chacun de ses biens être confisqués et appartenir au roi. Cet arrêt fut délibéré à Noyon le 10 juillet. Le 4 août, Jean le Boulanger, premier président du Parlement, se transporta dès le matin à la Bastille , accompagné du greffier criminel, de sire Denis Hesselin, maître d'hôtel du roi, et de quelques autres, pour signifier au duc de Nemours la sentence portée contre lui. Il fut mis à mort à peine âgé de 40 ans. Dans son fascicule sur Boffille de Juge, comte de Castres , Paul Perret donne la liste des bénéficiaires des biens de Jacques d'Armagnac, duc de Nemours, condamné pour crime de lèse-majesté. Ce sont : M. de Beaujeu, gendre du roi, Louis de Graville, seigneur de Montaigu et chambellan, Jean Blosset, seigneur de Saint-Pierre et capitaine des gardes du corps et Boffille de Juge. Il n'est donc pas surprenant que, le 22 septembre 1476, le roi désigna, comme juges de Nemours, les personnages considérés comme les plus intéressés à sa condamnation. Ayant assisté à toutes les audiences du procès de Nemours, Louis de Graville fut empêché de prendre part à la campagne diplomatique et militaire que Louis XI entreprit après la mort de Charles le Téméraire. Il rejoignit sa troupe à Arras en août 1477 et, veillant à ses intérêts particuliers, il rencontra le roi qui lui donna les terres confisquées sur le duc de Nemours. La lettre patente précise « … transportons pour lui, ses hoirs, successeurs et ayans cause... les villes, chasteaulx, chastellenies, baronnies, etc., de Nemoux , Graiz, Pont-sur-Yonne, Flagy, Ferrottes-le-Metz, Mareschal, Chesnoy, Bretencourt et Abliz ». L'octroi comporte celui de la juridiction à laquelle Graville s'intéressait, on l'a vu, tout particulièrement. Les seigneuries seront tenues « à un seul hommaige lige et ung gobelet à pié pesant ung marc et demy d'argent doré et martellé de devoir ». L'hommage et le symbole le figurant seront dus à chaque mutation de seigneur et de vassal. Le parlement apporta des retards à l'enregistrement de cette donation ; il ne céda qu'après une lettre de jussion, donnée par le roi le 17 février 1478. À propos de cette résistance, Perret y voit la « satisfaction d'une mesquine vengeance des gens du Parlement irrités contre Graville qui les avait abandonnés au dernier moment dans le procès de Nemours ». Le biographe traite Louis de Graville sévèrement : « … les hommes de ce temps-là étaient animés de sentiments assez délicats pour apercevoir tout l'odieux du spectacle qu'offrait un juge enrichi des dépouilles de l'accusé ». Quoi qu'il en soit, Graville ne garda pas longtemps ces biens. Le 19 juillet 1483, « inclinant à la requeste des héritiers », Louis de Graville redistribua les biens aux enfants d'Armagnac à la condition « qu'ils lui compteraient 7.000 livres tournois ».
Gravure représentant l'église de Graville (3).
L'accumulation des richesses Louis de Graville avait amassé des biens considérables, à tel point qu'en septembre 1478, il était capable de disposer d'une somme, fort importante, de 10.000 écus d'argent comptant pour payer la rançon de son père. Nous venons de voir les diverses donations de Louis XI pour son chambellan « en nostre service à l'entour de nostre personne et par nostre ordonnance ». Outre les biens du duc de Nemours, en 1477, la terre de Vendeuil, bourg de l'ancien Noyonnais, sur la rive droite de l'Oise, fut saisie sur Louis de Luxembourg et donnée à Louis de Graville et peu après rendue à Pierre de Luxembourg. De la saisie du duché de Nemours, Graville garda la châtellenie de Britencourt qu'il avait acheté depuis de ses deniers à Pierre Painguant. Il avait réussi à détacher du duché de Nemours la juridiction des terres de Boutres et de Choisy, dépendances du Bois-Maleslesbes et de Buno. Graville était un gestionnaire remarquable, n'hésitant pas à se faire payer les arrérages de sommes dues; ainsi le 29 avril 1478, il recevait de Jean Ango, commis de Laurent Sureau, grenetier de Dieppe, 109 lt. 19 st. sur le produit de l'année 1476. En janvier 1480, une quittance est délivrée par le capitaine de Dieppe à Beaudoin Eudes, commis de Jacques de Dreux, grenetier, 1.035 lt pour le produit du grenier à sel de ce port normand. À suivre…
Notes (1) Certains généalogistes donnent la filiation remontant à un chef scandinave vivant au XIXe siècle. (2) Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol épousa la carrière militaire, éduqué par son oncle Jean de Luxembourg (celui qui avait arrêté Jeanne d'Arc). Il rejoint le Ligue du Bien Public contre Louis XI et commande l'avant-garde de l'armée bourguignonne à la bataille de Montlhéry (16 juillet 1465). Après être nommé connétable, il devient beau-frère du roi en épousant la sœur de la reine Charlotte de Savoie. Accusé d'intelligence secrète avec les Anglais, il est décapité à Paris le 19 décembre 1475. (3) Graville, seigneurie de Normandie (Seine-Maritime), dont le château était jadis situé sur un mamelon, au pied duquel coule la petite rivière la Lézarde, non loin de l'embouchure de la Seine, entre Harfleur et le Havre, à 6 kilomètres de cette grande ville. Vers le milieu du XVIIIe siècle, on voyait encore les restes du donjon et quelques tours de ce château, qui furent depuis démolis pour faire place à la route de Rouen au Havre.
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