Louis Malet de Graville, seigneur de Marcoussis (III) Le conseiller du roi |
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Chronique du Vieux Marcoussy ------------------------------------- _---------------------- --------- Mai 2010 Portraits de Charles VIII et son ministre Louis Malet de Graville.C. Julien JP. Dagnot
Nous présentons le troisième volet de la vie de Louis Malet de Graville (1). Pour résumer brièvement les pages précédentes, rappelons que notre personnage fut introduit à la Cour de France par son oncle, l'amiral Jean de Montauban qui s'était réfugié près d'un autre exilé, d'un autre mécontent, « sur lequel son esprit sagace fondait, non sans raison, les plus grandes espérances, le dauphin Louis » (2). L'histoire la plus complète du règne de Louis XI, publiée en 1610, est celle de Pierre Matthieu, poète et historien. Parmi les grands officiers de la Couronne, Jean de Montauban et son neveu Louis de Graville sont en bonne place comme amiraux de France. Mathieu nous dit que, de son temps, la dépense de la maison du roi ne dépassait pas 37.000 livres en 1480 et que parmi les serviteurs à gages fixes, il y avait deux chapelains à 10 l.t. par mois, un valet de chambre à 90 l.t. par an, un saussier, un queux, un somellier et deux valets de sommiers à 10 l.t. par mois, deux galopins de cuisine à 8 l.t. par mois, un maître de forges à 620 l.t. par an… Louis de Graville a joué un rôle important pour la gouvernance de la France, quoiqu'il ait été un peu effacé pendant la dernière moitié du XVe siècle. Il fut l'un des conseillers les plus écoutés de la régente Anne de Beaujeu en continuant la politique initiée par Louis XI (3).
Le serviteur des Valois En guise d'introduction, reprenons ce que dit le critique littéraire sur la Notice biographique sur Louis Malet de Graville publiée en 1889 par Paul-Michel Perret (4). « Une qualité que l'on est forcé de reconnaître à Louis XI, pour peu que l'on ait étudié son histoire, c'est la rare intelligence avec laquelle il savait choisir ses serviteurs ». Des biographies nombreuses, publiées pendant ces cent dernières années, en fournissent la preuve. Ces serviteurs qui se nomment Du Bouchage (Imbert de Batarnay, seigneur de Montrésor), Commines, Bourré, Antoine de Chabannes, Jean de Reilhac, Georges de la Trémoille, Pierre de Rohan, ont attiré successivement la curiosité des chercheurs, ou celle plus respectable encore de leurs descendants (5). On pourra en trouver d'autres encore ; car, suivant un mot très juste de Brantôme, Louis XI se connaissait en « gens de bien », nous dirions aujourd'hui en gens habiles, et tous ceux qui avaient su se faire distinguer par lui n'étaient assurément pas les premiers venus. Tous avaient telles qualités, souvent mêmes tels vices, que le roi avait su reconnaître et exploiter; quelques-uns lui ont dû leur éducation politique, et s'ils ont pu rendre à la France et aux successeurs de Louis XI des services souvent éminents, c'est parce qu'ils avaient été formés à son école . Il les aimait autant qu'il était capable d'aimer, et peu avant sa mort, dans ses fameuses instructions du 2l septembre 1482, son véritable testament politique, il les recommandait à la bienveillance de son fils qui allait devenir leur maître. Louis Malet, seigneur de Graville est un de ceux-là. Il est peu connu, quoique digne de l'être, et la notice que le Père Anselme lui consacre en sa qualité de grand amiral de France, est, je crois, la seule que l'on possédât jusqu'ici. Encore est-elle erronée, et Michel Perret, le nouveau biographe de Louis de Graville, a dû commencer par lui enlever un frère que, sous ce nom Jean VII, on confondait avec lui, et qui, s'il a existé, ce qui est fort douteux, a dû mourir en très bas âge, sans pouvoir occuper la place que lui a été taillée dans l'histoire. M. Perret a dû ensuite « distinguer Louis de Graville et de Jean VI, son père, et de ce Jean VII, inventé par le P. Anselme ». Enfin, il est arrivé il resserrer la date de la naissance de son personnage entre 1441 et 1450. Ce sont là des rectifications qui ont leur valeur. Mais le terrain ainsi déblayé était assez vide, M. Perret a su le remplir en nous faisant connaître par le menu, peut·être même avec trop de détails, et le rôle joué par l'amiral de Graville et son caractère. Ce rôle sous Louis XI se réduit à peu de chose. Louis Malet n'est pendant ce règne qu'un homme de second rang. Écuyer et chambellan du roi en 1470, capitaine des gentilshommes de l'hôtel en 1474, si Louis XI ne lui confie pas encore de mission importante, probablement à. cause de son âge, au moins lui donne-t-il des preuves non équivoques de bienveillance. C'est, en 1473, l'octroi du pontenage et passage du Pont de l'Arche, et d'une partie de la forêt de Dourdan en 1474 ; la même année, il lui rend les terres de Bernay et de Séez, confisquées en 1356 sur son ancêtre Jean de Graville, et érige la seigneurie de Graville en haute justice. En 1475, Louis de Graville devient capitaine des cent gentilshommes de la maison du roi, parmi lesquels il comptait depuis plusieurs années. Mais c'est surtout à partir de 1476 que son rôle grandit. Le Moyen âge a connu des « serviteurs de l'État » exceptionnels sans qui la royauté ne se serait pas affirmée. « Être au roi , c'est la première des répliques d'un officier, surtout de rang modeste (sergent ou prévôt) quand il est prit à partie, verbalement ou physiquement », nous dit Philippe Contamine. Il est courant d'entendre Louis de Graville dire « nostre maistre » en parlant du roi.
Le continuateur de Louis XI Sous le règne de Charles VIII, commence pour Graville un rôle nouveau : il devient l'un des partisans les plus dévoués de la politique de la régente, fidèle continuatrice de l'œuvre de son père (6). Et il eut le mérite, qui n'est pas mince, de deviner, soit par un heureux instinct, soit par une sagacité qui faisait défaut à la plupart des conseillers du roi, ou qui n'était chez eux que l'effet d'un calcul égoïste, que Charles VIII faisait fausse route en tournant ses regards du côté de l'Italie. Dans son remarquable ouvrage, M. Delaborde pense que si des traditions remontant à plusieurs siècles, si des droits incontestables avaient déterminé Charles VIII à faire l'expédition de Naples, elle n'avait eu lieu en somme que par la volonté tenace du jeune roi. C'est une raison de plus pour tenir compte de leur fermeté aux rares conseillers, et au seigneur de Graville notamment, qui ne craignirent pas de combattre les idées de leur maître. Pour Louis Malet, le véritable ennemi contre lequel, dès la fin du XVe siècle, la France délivrée des Anglais devait tourner ses efforts, c'était l'Allemand. Qui peut dire ce qu'il serait advenu d'une politique dirigée dans ce sens dès ce moment, et si elle n'aurait pas eu pour notre pays des conséquences heureuses dont il pourrait encore jouir aujourd'hui ! Nous pouvons établir le bilan des bénéfices des guerres d'Italie (il y en a quelques-uns). N'est-il pas permis de croire que celui des guerres contre l'Allemagne eût été plus favorable? Quoi qu'il en soit, celui qui en a défendu l'idée contre son souverain n'était pas un homme d'une intelligence, ni d'un caractère médiocres. Ajoutons que Graville a été à son heure, en 1488, pendant la campagne de Bretagne, un véritable et habile ministre de la guerre ; que comme amiral il associa son nom aux premiers essais de création d'une marine nationale, que surtout il se distingua par des vertus rares parmi les hommes politiques formés à l'école de Louis XI. Dans ce milieu, la moralité et le désintéressement laissent en général beaucoup à désirer. Lui, Malet de Graville, au contraire, renonça en faveur des enfants du duc de Nemours aux biens de leur père qui lui avaient été attribués ; il laissa presque sans protester La Trémoille se tailler la part du lion pour le butin fait à Saint- Malo ; il se désistait au profit du roi d'une créance de 88.000 livres par lui avancées à la couronne; il se faisait gratuitement l'avocat des Rouennais, et méritait que, dans cette province de Normandie dont il était gouverneur, on le déclarât publiquement « affecté au bien du pays ». Comme le dit et le prouve son biographe, « sa piété était sincère, sans arrière-pensée comme sans faiblesse, et si son équité, conséquence de son désintéressement, le poussait à établir avec une opiniâtreté peut-être excessive son droit strict, sa générosité en corrigeait la rigueur et lui faisait abandonner à ses adversaires l'objet en litige ». Un tel homme, remarquable en tout temps, mais surtout dans le sien, méritait bien qu'on écrivit son histoire, et cette histoire est intéressante, malgré un certain nombre de détails qu'il est permis de trouver superflus, et de trop nombreuses fautes d'impression qu'une révision attentive n'a pas réussi à faire tout disparaître.
Les étranges récompenses Avec les libéralités de Louis XI, qui ne cessent pas et que nous devons renoncer à énumérer, viennent les missions qui annoncent la confiance royale. Le temps de l'épreuve est passé ; le roi a reconnu à Louis Malet de Graville des qualités précieuses et il commence à les mettre en valeur. Il l'emploie dans les négociations qui avaient pour but de faire accepter au roi René la perte de l'Anjou et de préparer sa renonciation au comté de Provence en faveur du roi. Puis Louis Malet est désigné pour être l'un des juges du duc de Nemours. Il n'alla pas, il est vrai, jusqu'au terme du procès, c'est-à-dire jusqu'à la condamnation du malheureux duc, et se récusa quand il s'agit de la prononcer. C'était là un acte de courage en face d'un maître comme Louis XI. Michel Perret y voit « un acte de lâcheté ». Serviteur zélé de la royauté, Graville fut couvert de cadeau par le vieux roi affaibli. Au printemps 1479, Commynes fut frappé des changements survenus dans la personne de Louis XI « Je trouvay un peu le Roy nostre maistre envieilly, et commençoit à soy disposer à malladie ». Il fut atteint d'une crise d'apoplexie. Graville suivait le roi dans tous ses déplacements. Le roi n'avait jamais d'argent sur lui, Graville suppléait à ce manque. Nous savons que le 26 février 1479, il était avec le roi à qui il prêta 136 écus d'or, que le 20 mars, il avançait 429 l. 18 s. 4 d.t. soit 268 écus d'or dont il ne fut remboursé qu'en février 1480. Parmi les libéralités royales, nous avions cité la distribution de nombreux droits seigneuriaux comme, par exemple, les droits de justice et voirie à Châtres, moyennant la décharge du domaine de Montlhéry de pareille valeur. Selon l'abbé Lebeuf « Les marques d'estime que le roi avoit pour lui se voient dans le contrat d'échange qui est du mois de septembre 1471. Ce fut par ce contrat qu'il devint seigneur de la totalité de la ville ». Il est qualifié seigneur de Châtres dans la coutume de Paris de 1510. Plusieurs cadeaux douteux firent scandale au sein de la classe dirigeante. Le Parlement de Paris fit clairement sentir sa désapprobation des donations des biens de Jacques d'Armagnac, du comte de Saint-Pol, et de plusieurs autres condamnés. Il manifesta son courroux en refusant d'enregistrer les lettres patentes. Perret semble défendre Graville quand il dit: « … faut-il y voir la satisfaction d'une mesquine vengeance des gens du Parlement irrités contre Graville… ». On peut imaginer la pression exercée sur le chambellan, puisque après quatre ans, il retourna les fiefs aux enfants de Nemours. Des récompenses passent pour étrange, mais qui, chez les hommes du XVe, siècle n'éveillaient aucun scrupule. Le 6 mai 1480, pour rembourser des dettes, Louis XI s'acquitte « luy avons donné plusieurs prisonniers de guerre, les confiscations d'aucunes personnes tenans le party à nous contraire… ». En serviteur zélé, Louis de Graville accepte la traite de personnes, espérant, sans doute, tirer « une bonne somme de ranson » de ces gens. La capture, en 1509, de Bernardino Tagliapietra, militaire vénitien, nous montre que le trafic des prisonniers et de confiscations étaient monnaie courante à cette époque. Les terres et seigneurie de Vendeul avaient été confisquées sur Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol. Louis de Graville la reçut, non sans difficultés, et fut conduit à ester dans les Cours du royaume. Vers 1499-1500, l'amiral de Graville, membre du Conseil fut menacé par la perspective de perdre la terre de Chevreuse « acquisitionnée » dans des conditions assez louche. Louis de Graville possédait des fiefs dans le Soissonais. Une pièce de 25 arpents de bois, au lieu-dit Chatrée, formait un fief relevant de la seigneurie de Malassise. Elle appartenait en 1354 « aux hoirs de Philippe de la Granche » ou la Grange. En 1486, le seigneur de Malassise en reçoit foi et hommage en l'hôtel du Lion à Creil, par les mains de Jean d'Espinay, abbé commendataire d'Aigues-Vives, président en la Chambre des Généraux à Paris, au nom et comme procureur de Louis Malet de Graville , seigneur de Marcoussis, de Bois-Malesherbes, de Milly-en-Gâtinais, de Nogent-les-Vierges et de Mortefontaine, conseiller et chambellan du roi, ambassadeur à Venise, amiral de France, bibliophile éclairé, « à qui ce fief, qui fut jadis à Madame Jacqueline de la Grange, apparttient de son propre héritage » (7).
L'amiral et la Régente Lors de la minorité de Charles VIII, le gouvernement avait été confié à la régente Anne de Beaujeu qui convoqua les États généraux à Tours réunis à Tours le 9 janvier 1484 (8). Louis de Graville se rangea immédiatement du côté des Beaujeu sans faire attention aux réclamations de la reine douairière Charlotte de Savoie, ni même à celles de Louis d'Orléans, cousin et beau-frère du jeune roi. Confrontée à une révolte des princes, la régente destitua trois chambellans : Guy Pot et les sieurs de Maillé et de Boissy, et donna sa confiance à Louis de Graville et à Louis de La Trémoille, destinés à jouer un rôle prépondérant. « Madame de Beaujeu aimait à s'appuyer au Conseil sur l'expérience de vieux serviteurs de son père, tels que Louis de Graville , Jean Bourré ... » Dans sa publications de 1776, l'historiographe de la maison de Bourdon, Joseph Désormeaux, narrant les évènements survenus sous le règne de Charles VIII, expliqua l'ascension de Louis de Graville auprès d'Anne de Beaujeu, duchesse de Bourbon du chef de Pierre, son mari. Puis la chute de l'amiral, victime de la jalousie incommensurable des princes du sang.
Portraits d'Anne de Beaujeu, son mari Pierre de Bourbon et Louis Malet de Graville.
[Année 1491] « Cette princesse avoit honoré de toute sa confiance, Louis Malet seigneur de Graville, pendant qu'elle gouvernoit l'État ; Graville l'avoit servie dans les conseils, comme La Tremoille et Desquerdes à la tête des armées : ce Seigneur adroit sut bien profiter de sa faveur, qu'il avoit emporté la charge d'Amiral de France, sur tous les Grands du royaume, et même sur des Seigneurs du Sang qui la sollicitoient : il acquit de si grands biens et les administra avec tant d'ordre, qu'il devint le plus riche particulier du royaume. On sait que le cardinal de Richelieu, dont l'opulence et le faste excitèrent tant d'envie et de haine, fit imprimer le testament de l'amiral de Graville, pour faire voir que la fortune de ce gentilhomme qui avoit joué un rôle bien inférieur à celui qu'il représentoit, effaçoit la sienne ; au surplus les vertus de Graville égaloient ses talens : Charles VIII avoit cru faire le choix le plus digne en le mettant à la tête de l'administration ». La fortune éclatante de ce courtisan excita la jalousie de tous les autres ; la duchesse de Bourbon ne put voir sans un secret dépit, son ancienne créature lui succéder dans le maniement des affaires : le désir effréné de la domination qui avoit fait naître entre le duc d'Orléans et elle de si sanglants débats, les réconcilia. Le duc de Bourbon, malgré sa modération, la Reine même accoutumée aux affaires dès sa plus tendre jeunesse, se joignirent à eux, pour renverser la fortune d'un seigneur dont le crédit éclipsoit celui de la famille royale; ils formèrent fur la foi des sermens les plus terribles, une confédération dont le service du Roi étoit le prétexte, et l'abaissement de Graville le motif. Charles VIII n'eut pas la noble fermeté de soutenir le sage qui le guidoit ; qu'arriva-t-il ! Comme il ne pouvoit se passer de favoris et qu'il n'en vouloit pas prendre dans sa famille, il abandonna le gouvernement de l'Etat à Étienne de Vesc, autrefois son valet-de-chambre, et à Guillaume Briçonnet qui avoit vieilli dans les emplois de la finance. L'État paya bien cher cette révolution du ministère. « Graville s'étoit opposé à l'expédition de Naples avec la même fermeté que le duc de Bourbon ; il eût réussi sans doute à défiller les yeux fascinés de son jeune maître : mais les nouveaux favoris crurent ne pouvoir conserver leur crédit qu'en flattant ses passions ; eux seuls creusèrent l'abîme qui engloutit les armées et les trésors de la Nation. Ils n'entretenoient Charles VIII que de la gloire qui l'attendoit en Italie; ils attachoient même leur grandeur particulière au succès de cette expédition téméraire : le valet-de-chambre Vesc aspiroit à un duché dans le royaume de Naples ; Briçonnet, veuf alors, soupiroit après un chapeau de cardinal. Le Roi prit des engagemens secrets à l'insu de son Conseil, avec le prince de San-Severino banni de Naples ; il n'eut pour témoins de son imprudence, que les deux ministres qui n'avoient pas honte de sacrifier ainsi les véritables intérêts de l'État à leur ambition particulière ». Nous connaissons les développements de l'expédition d'Italie, dont le résultat fut la faillite du trésor et les défaites militaires. Le duc de Bourbon appuyait ses remontrances mais « Charles VIII s'opiniâtra sans sa résolution, malgré l'amiral de Graville, qui, quoique déchu de la haute faveur, conservoit encore la considération attachée au génie… ».
Le « pacifiste » et les faucons L'amiral de Graville s'était toujours opposé à la guerre en Italie, même si un instant il parut renier ses sentiments pour éviter son éviction. Dans son argumentation, Graville maintenait que la France n'était pas de force à lutter soixante ans contre l'Europe entière. Le pays sortait de la Guerre de cent ans : l'Angleterre, l'Empire et l'Espagne avaient été nos ennemis. Qu'en est-il résulté ? Le roi a été forcé de restituer le Roussillon et la Cerdagne à Ferdinand, l'Artois et la Franche-Comté à Maximilien, et le roi Henri VII d'Angleterre n'a été renvoyé qu'à force d'argent et de tributs. Il ne faut pas négliger la puissance d'Alexandre VI, le redoutable Rodrigo Borgia ; bien qu'ayant une réputation d'immoralité, le Saint-Père est le maître d'une grande partie de l'Italie. Le roi partant pour aller à Naples, « le mercredy vingtiesme jour daoust mil quatre cent quatre vingts et treize à Vienne en Daulphinois, ce jour monseigneur de Bourbon et madame de Bourbon sa femme et plusieurs autres grans seigneurs tant du sang royal que autres estant au dict lieu », il y eut un conseil qui désigna pour régent, Pierre de Bourbon et les gouverneurs des provinces dont « monseigneur de Graville admiral de France » pour la Picardie et la Normandie. « Et toutes ces choses faictes et conclues le lendemain prindrent congé ledict seigneur de Bourbon et madame… ». En septembre 1494, Charles VIII, excité par Ludocic Sforce, régent du Milanais, se met en marche pour l'Italie à la tête de 25 à 30.000 hommes, sans argent et sans munitions de guerre. Le roi laissa le gouvernement de l'État à la reine Anne de Bretagne, au duc de Bourgogne et à l'amiral de Graville. Même après les premiers succès militaires, Louis de Graville, qui, s'était, dit-on, laissé entraîner un instant mais qui, au fond, avait toujours blâmé la campagne d'Italie, Louis de Graville conservait des craintes sur le sort final de l'expédition. L'amiral de Graville a toujours été opposé à la guerre en Italie et la conquête du royaume de Naples, expédition qu'il considérait comme étant d'un autre temps, celui des exploits chevaleresques et chimériques qui n'avaient plus cours avec la guerre moderne. Il était d'une lucidité parfaire. Dans un grand conseil tenu à Plessis-les-Tours, il remontra avec beaucoup de forces les difficultés de l'entreprise et fit des objections très sensées: À chaque ville prise par Charles VIII, il l'était encore ; il conseille d'en finir, d'user de modération et de s'en retourner en France. Tandis que le roi et son armée se livraient aux plaisirs à Naples et « jouissoient des charmes du printemps », les ennemis du roi se déclarèrent. La preuve est donnée dans une lettre adressée par le roi à l'amiral de Graville, à la date du 13 février 1495. « Monsieur l'amiral, j'ay receu vos lettres du XXVIIIe jour de janvier, escriptes à Amyens, touchant l'assemblée des gens de guerre que fait le roy des Romains au quartier là où il est, et vous me dictes que l'on ne sçait encores au vray de son intencion. Je me donne merveilles de ce qu'il fait la dicte assemblée, vu les bonnes parolles qu'il m'a fait porter par ses ambassadeurs qui sont icy avec moy. Toutesfois je vous mercie de ce que m'en avez adverty. J'ay bien fiance que vous donnerez si bon ordre à tout au quartier là où vous estes, que, avec l'ayde de mes bons visiteurs et nobles hommes du pays, estans par delà, il ne se fera rien à mon désavantage. Vous pouvez vous adresser pour les choses qui vous seront nécessaires au général des finances Gaillard auquel j'ay escript qu'il face ce que vous luy ordonnerez, et je sçais bien qu'il ne vous laissera avoir faulte de rien. De ce qu'il vous surviendra, faictes moy savoir des nouvelles à toute diligence. Vous m'avez escript d'autres lectres de la dicte assemblée, lesquelles je n'ay point eues. Il faut dire que les postes ont été détriussés en chemyn , et pour ce faictes vous en enquerir et le faictes sçavoir à mon frère de Bourbon ». Puis parlant d'un fait d'armes le roi écrit « Je vous assure Monsieur l'Amiral, que je ne veiz jamais ung si bel esbat ni si hardiement assaillir et défendre que je veiz là ». Parlant de ses conquêtes en Puille et Abbruzzes « la Poille et de Prusse », il termine par « Et au demourant escrpvez moy souvent ce quil sourviendra par delà, et adieu Monsieur l'Amiral ».
L'économie du royaume En guise de conclusion, remarquons que la fin de règne de Louis XI fut une période instable, la France peinait à se relever de la guerre. Pour Emmanuel Leroy-Ladurie, la seconde moitié du XVe siècle, malgré 1473, un rafraîchissement sensible dans l'ensemble , avec une grande famine de pluie en 1481, sous Louis XI : la situation est cependant moins grave qu'en 1315 ou 1420, car les guerres de Cent ans sont terminées depuis 1452-53, la France est en pleine reconstruction des cinquante glorieuses de l'époque (1460-1510), la population est dynamique. Or on a en 1481 un hiver très froid, un printemps et un été fort pourris, une famine assez importante et voilà que pour la première fois en France le roi Louis XI essaie de prendre des mesures anti-famines. Antérieurement, le roi n'avait rien fait contre la famine, sauf envoyer du blé à ses troupes en Flandres et libérer quelques serfs à prix d'argent. Mais, à partir de Louis XI, la monarchie commence à s'intéresser quelque peu au bien-être du peuple, et du reste elle le paiera assez cher au XVIIIe siècle, car on lui reprochera de ne pas en faire assez, un peu. Avec des étés très secs, les récoltes des années 1463-64 sont exceptionnelles. Prix minimal du muid de blé à 32 sols 6 deniers tournois. En 1488-89, les mercuriales font état de 124 sols 6 deniers tournois le muid qui descend à 70 sols. Après les hivers rigoureux en 1491-92, le muid de froment est payé 220 sols. Une ordonnance de 1479 avait fixé le salaire des vignerons : 28 deniers pour tailler, 36 deniers pour creuser des fosses ou pour échasser, 12 deniers pour lier. En 1488, pour " panser la poulaillerie ", faire la vaisselle et garder la maison, une femme est nourrie et reçoit 14 livres pour neuf mois. Les tables météorologiques précisent qu'à Rouen, l'an 1480, le lendemain de Noël commença une forte gelée qui dura jusqu'au 5 de février, et gâta toutes les vignes. Cette année fut appelée « l'année du grant hyver ». Dans la période qui suivit, en l'an 1518, le 16 de mars, il fit un horrible vent qui déracina les arbres, ébranla les maisons, et découvrit un tiers de celles de Rouen ; il y abattit la Tour de Saint-Nicaise, celle de Saint-Saën, et celle d'Ysnauville en furent aussi abattues. Cette année fut appelée « l'année des grands vents ». À suivre…
Notes (1) Par abus de langage, nous succombons, comme la plupart des auteurs, à appeler Louis Malet de Graville par « amiral » ou « amiral de Graville » bien qu'il ne reçut la dignité qu'en janvier 1487. (2) Le meurtre odieux de Gilles de Bretagne, frère du duc, vint soulever la Bretagne entière contre les Montauban et les forcer à s'expatrier. Le chancelier Louis de Guéméné, gendre de Jean de Montaban subit le contre-coup de l'attentat qu'il n'avait pu ignorer. Lors du procès criminel de Pierre de Rohan, une enquête sur ces faits dramatiques établit la culpabilité d'Arthur de Montauban. (3) Par abus de langage, les auteurs, et quelquefois nous-mêmes, qualifient Louis Malet comme étant sire de Graville avant 1482, alors qu'il n était que sire de Montaigu et d'amiral quand il s'agit des actes rédigés avant sa nomination en janvier 1487. (4) P.-M. Perret, Notice biographique sur Louis Malet de Graville, amiral de France (A. Picard, Paris, 1889) gr. in-8° de LI-270 p. (5) Il s'agit des conseillers de Louis XI. Ymbert de Batarnay, seigneur du Bouchage, était renommé pour avoir des talents diplomatiques. Jean Bouré, seigneur du Plessis, est serviteur et compère du roi. Pierre de Rohan est le maréchal de Gié. (6) Nous avons découvert dans un ouvrage de 1830, la transcription d'une pièce écrite au commencement du XVIIe siècle portant sur un Mémoire touchant Charles VIII . Ce manuscrit rapporte des bruits suivants. « J'ay trouvé deux choses assez rares, l'une pour sa naissance, l'autre pour sa mort. Pour sa naissance, quelques-uns ont creu de son vivant et après sa mort qu'il n'estoit pas fils de Louis XI ny de la Reine. Mais que ce Roy voyant qu'il n'avoit point d'enfans qui puissent vivre, en avoit pris un d'une pauvre femme des environs de Blois, l'avoit supposé au berceau à la place du sien qui estoit langoureux et moribond. De fait ce prince ne ressembloit guères à Louis XI ny du visage ny d'humeur. (Avoué par Pierre Landais dans son procès en 1485). Un autre soupçon fut exprimé par Belleforest pour la mort de Charles VIII « … sçavoir qu'il fut empoisonné par une orange qui luy fut baillée par un valet de chambre ». L'auteur justifie ses dires « à cause de cela le grand Roy François disoit, en voyant des oranges, que la senteur luy en déplaisoit ». (7) G. Macon, Historique des seigneuries de Laversine et Malassise (Impr. E. Vignon, Senlis, 1919). (8) Un édit de Charles V, de 1374, fixait la majorité des rois français à quatorze ans commencés.
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