Le fief de Saint-Spire à Corbeil à Guiperreux
Cette chronique évoque une terre située à Guiperreux (comm. Longpont-sur-Orge, Essonne) ayant appartenue, au XIIIe siècle, au chapitre Saint-Spire de Corbeil. Cette terre fut échangée plus tard, puisqu'un plan du XVIIIe siècle ne fait plus état de cette appartenance mais de divers propriétaires ecclésiastiques et laïcs tels que le prieuré de Longpont, la fabrique, la cure et l'Hôtel-Dieu de Montlhéry, le chapitre de Linas, les seigneurs de Brétigny, de Sainte-Geneviève-des-Bois et de Lormoy.
C.Julien Janvier 2014
Plan de bornage (août 1771) montrant le moulin de Basset installé sur l'Orge à Longpont.
Historique
La notice du cartulaire de l'église ou collégiale Saint-Spire de Corbeil présente un bref historique. Cette église a les traits les plus typés de la collégiale castrale fondée et soutenue par la dynastie des comtes de Corbeil autour des reliques de saint Exupère et de saint Loup, évêques de Bayeux, déplacées et captées par le comte Aimon, fondateur, en 963 (1).
Le plus ancien acte du chartrier (connu par un vidimus royal de 1393 et par une copie au cartulaire du XIIIe siècle) remonte à 1071 : c'est un privilège par lequel le comte de Corbeil Bouchard reconnaît les libertés de l'établissement, auquel est confirmé le droit d'exercer la justice du cloître et des chanoines, à l'exception des causes criminelles réservées à l'évêque de Paris ; l'acte est validé du sceau du roi Philippe 1er. Il établit que la collégiale était également dédiée aux Douze apôtres (2).
L'histoire de l'établissement est en ceci plus originale que le roi capétien Louis VI le Gros, héritant précocement des seigneurs-comtes de Corbeil, devint le nouveau maître du château et de la collégiale, et apparaît dans cette double posture grâce à une documentation étoffée dès un acte de 1118 (3). Cette documentation, où les actes de don n'apparaissent qu'à partir de 1183, s'enrichit en effet, aux années 1150-1250 environ, de textes réglementaires, de dispositions diverses sur les prébendes, mis par écrit sous la double pression de l'évêque, détenteur du droit de visite, et du roi, qui tient solidement son pouvoir de nomination de l'abbé (parfois son propre fils), comme la possibilité de donner ou faire donner des prébendes. Les périodes où Corbeil entrent dans le douaire de la reine Adèle, épouse de Philippe Auguste, ne voient bien sûr aucun changement de fond au statut et à la dépendance de la collégiale.
On peut avoir une idée assez précise de l'implantation foncière de l'établissement à la fin du XIIe siècle grâce à une bulle de Célestin III de 1196 par laquelle le pape prend sous sa protection l'église de Saint-Spire et son temporel. Outre l'emplacement de l'église et son cloître avec hôtes et maisons, celui-ci consistait en une série éclatée de biens et droits à Corbeil et immédiats environs (terres, moulins, vignes, prés) ainsi que les deux foires de la Saint-Spire et de la Saint-Gilles. Au-delà , mais la plupart du temps à grande proximité, le pape confirmait la villa de Ballancourt, des hôtes à Fontenay-le-Vicomte, Chevannes et Soisy, la villa de Villededon, diverses possessions à Évry, à Villarcel et Arpajon.
En ce qui concerne l'objet de notre chronique, divers documents sont réunis dans le chartrier de Saint-Spire, le cartulaire de l'édition Coüard et l'obituaire de la province de Sens édité par Auguste Molinier (4). Dans la charte se rapportant à Guiperreux (Guipéreux), le toponyme apparaît sous la forme latine « Vadum Petrosum », « Vado Petroso ». Examinons le vocabulaire : « vado » est le verbe qui signifie passer à gué , « vadum » est un gué , un passage à pied d'une rivière, ou un bas-fond, « petrosus » est l'adjectif qui signifie pierreux, rocheux , et « petrosa » désigne les lieux pierreux , endroits rocailleux, roches.
La charte de Saint-Spire
Sous le titre « Littera de terra de Vado Petroso » la charte CIV a été souscrite en janvier 1259, c'est-à-dire sous le règne du roi Saint-Louis par le représentant de l'évêque de Paris, l'Official de la curie parisienne. Nous en présentons la transcription : « Universis presentes litteras inspecturis officialis curie Parisiensis salutem in Domino. Notum facimus quod in nostra presencia constituti Dominus Theolbaldus de Videles, presbiter, Stephanus ejus frater, Johannes Rousel, et Johannes de Excorciaco, armigeri, asseruerunt quod habebant et possidebant apud Vadum Petrosum septem arpenta dimidio quarterio minus prati siti retro clausum monachorum de Longuo-Ponte, et tres dreturas cum hostisiis pertinentibus ad easdem, item viginti sex solidos et dimidium capitalis census minuti apud Montem Lethericum et loca circum adjacentia, que omnia et singula supradicta, videlicet septem arpenta dimidio quarterio minus prati, tres dreturas cum hostisiis supradictis et viginti sex solidos et dimidium capitalis census minuti cum omni jure, dominio et proprietate in rebus predictis pertinentibus ad easdem, predicti Theolbaldus, Stephanus, Johannes et Johannes, in nostra presencia constituti, recognoverunt et confessi sunt se vendidisse et in perpetuum quitavisse capitulo ecclesie Beati Exuperii Corboliensis pro ducentis tres decim ( sic ) libris sex solidis et octo denariis Parisiensium jam eisdem venditoribus solutis, numeratis et traditis, ut confessi sunt coram nobis, renunciantes excepcioni non numerate pecunie, non tradite, non solute ; promittentes voluntate spontanea, non coacti, fide in manu nostra prestita corporali, quod contra vendicionem et quitacionem hujusmodi jure hereditario, racione conquestus vel alio modo, per se vel per alium non venient in futurum et quod dictam vendicionem ut premissum est factam, prefato capitulo garantizabunt, liberabunt et defendent in judicio et extra judicium quocienscunque opus fuerit contra omnes. Preterea dominus Bertaudus de Bona, miles, primus dominus feodalis rerum predictarum omnium, ut dicebat, Johannes Polins de Varenniis, armiger, secundus dominus, ut dicebat, et dominus Symon de Everiaco in Bria, Renaudus et Perrotus (?) armigeri, nepotes ejusdem, tercius dominus, ut dicebant, volentes et acceptantes coram nobis vendicionem predictam, voluerunt et expresse consenserunt quod prefatum capitulum omnes res predictas et singulas, ut dictum est, venditas teneat et possideat in futurum in manu mortua, absque coactione vendendi vel extra manum suam ponendi, promittentes fide in manu nostra prestita corporali quod contra vendicionem, quitacionem et concessionem predictas jure aliquo sive racione quacumque per se vel per alium non venient in futurum, et quod res predictas, ut dictum est, venditas eidem capitulo in manu mortua garantizabunt et liberabunt imposterum quocienscumque opus fuerit contra omnes. Datum anno Domini millesimo ducentesimo quinquagesimo octavo, mense januario » .
Voici une traduction succincte de cette charte. « À tous ceux que ces lettres verront, l'Official de la curie parisienne, salut au nom du Seigneur. Nous faisons savoir qu'en notre présence sont venus le seigneur Thibault de Videles, prêtre, son frère Étienne, Jean Rousel et Jean d'Escharcon, écuyer, qui reconnaissent avoir et posséder un pré de sept arpents moins un demi quartier situé à Guiperreux derrière le clos des moines de Longpont et trois droitures avec des hôtes ainsi que 26 sols et demie de cens à prendre à Montlhéry et dans les lieux circonvoisins, que tout et partie de ce qui est énoncé ci-dessus, c'est-à-dire les sept arpents moins un demi quartier de pré, les trois droitures susdites avec les hôtes et les 26 sols et demie de cens avec toute la justice, la seigneurie et la propriété des choses susdites dont les susdits Thibault, Étienne, Jean et Jean, en notre présence, reconnaissent, et confessent vouloir vendre à perpétuité au profit de l'église Saint-Spire de Corbeil pour 230 livres 6 sols et 8 deniers parisis, pris de la vente en monnaie ayant cours sonnante et trébuchante, et confessent devant nous renoncer à l'exception de tout numéraire, promettent volontairement et spontanément ……. Ensuite, le seigneur Bertaud de Bone, chevalier, premier seigneur féodal de toutes les choses susdites et après lui Jean Polins de Varennes, écuyer, en tant que second seigneur et après lui, le seigneur Symon de Every en Brie, et les écuyers Renaud et Perrot, ses neveux en tant que troisième seigneur, et ont dits volontairement et acceptent devant la vente susdite, ils veulent et consentent expressément que le présent chapitre possède en mainmorte, à tout jamais, tout et partie des choses susdites……. Et que des choses susdites, comme il est dit, la vente audit chapitre tient en mainmorte est garantie et libre de tout imposteur qui agirait contre toutes les choses. Fait au mois de janvier de l'an 1258 de l'Incarnation de notre Seigneur ».
Les anniversaires
Sous le titre « Hec sunt anniversaria que debent fieri in ecclesia Beati Exuperii per totum annum », de l'obituaire de la province de Sens (dont dépend l'église de Corbeil), ce recueil signifie les anniversaires que les chanoines et les clercs doivent célébrer tout au long de l'année. Nous relevons huit obits dont le capital est assis sur les revenus des biens possédés à Guiperreux.
Nous donnons pour chaque obit le texte latin (en italique) tel que donné par Molinier et la traduction sommaire.
En janvier. « Mensis januarii, 18. Quinto decimo kalendas februarii, anniversarium Philipi, comitis Bolonie, filii illustris Regis Philipi, pro cujus anniversario faciendo Robertus, decanus Senonensis, hujus ecclesie canonicus, ejusdem Philipi quondam clericus, dedit decem libras ad ampliandum, de quarum proventu canonici medietatem, clerici aliam medietatem percipiunt. Ampliati sunt apud Vadum Petrosum et percipit pro rata ». Le quinze des kalendes de février, doit être célébré l'anniversaire de Philippe, comte de Boulogne, fils de l'illustre roi Philippe, donna une aumône de dix livres dont les chanoines et les clercs auront chacun une moitié. Cette aumône est assise sur un bien situé à Guiperreux et perçue en proportion.
En janvier. « Mensis januarii, 19. Quarto decimo kalendas februarii, anniversarium Petri de Vere dicti Lemur, capellani altaris Trinitatis in ecclesia nostra, qui pro suo anniversario faciendo dedit nobis vineam suam de Becherel, quam oportuit vendere, de qua habemus in thesauro decem libras ad ampliandum, de quarum proventu, cum fuerint ampliate, medietas canonicis altera medietas clericis. Ampliati sunt apud Vadum Petrosum et percipit pro rata ». Le quatorze des kalendes de février, doit être célébré l'anniversaire de Pierre de Ver surnommé Lemur, chapelain de l'autel de la Trinité dans notre église, qui nous donna sa vigne de Becherel, que nous avons vendu et dont la somme a été versée dans notre trésor. Cette somme appartient pour moitié aux chanoines et l'autre aux clercs. L'aumône est constituée par une redevance assise sur la terre de Guiperreux perçue en proportion.
En janvier. « Mensis januarii, 26. Septimo kalendas februarii, anniversarium Reginaldi de Autisiodoro, qui dedit nobis decem libras ad ampliandum, de quarum proventu medietas canonicis, altera medietas clericis qui ejus intererunt anniversario. Isti denarii fuerunt mutuati super decimam de Lardi que redempta est ; modo debent esse in thesauro donec ampliati fuerint. Ampliati sunt apud Vadum Petrosum et percipit pro rata ». Le sept des kalendes de février (26 janvier), est l'obit de Regnault de Autisiodore, qui nous donna une aumône de dix livres, laquelle appartient pour moitié aux chanoines et l'autre moitié aux clercs qui doivent célébrer l'anniversaire. Ces deniers sont perçus à la fois sur la dîme de Lardi et sur le trésor des aumônes. L'aumône est constituée par une redevance assise sur la terre de Guiperreux perçue en proportion.
En mars. « Mensis marcii, 19. Quarto decimo kalendas aprilis, obiit M. Philipus Mignos, qui dedit nobis pro suo anniversario faciendo decem libras ad ampliandum, et ampliate fuerunt apud Vadum Petrosum ». Le quatorze des Kalendes d'avril (19 mars), est l'obit de messire Philippe Mignos, qui nous donna une redevance de dix livres pour célébrer son anniversaire, cette redevance est perçue sur un bien à Guiperreux.
En avril. « Mensis aprilis, 21. Duodecimo kalendas aprilis, anniversarium Roberti de Pruneio, decani Senonensis et istius ecclesie canonici, qui dedit nobis triginta libras Parisiensium ad ampliandum, videlicet vinginti ad distribucionem panis, decem vero pro suo et patris et matris sue anniversario simul faciendo, quorum medietas canonis, altera medietas clericis. Hos denarios ampliaverunt in empcione de Vado Petroso ». Le 20 des kalendes d'avril (21 mars), doit être célébré l'obit anniversaire de Robert de Prunes, doyen de Sens et chanoine de notre église qui nous donna une redevance de trente livres parisis, c'est à savoir vingt livres pour distribuer du pain, et dix livres pour célébrer l'anniversaire de son père et sa mère dont la moitié appartient aux chanoines et l'autre moitié aux clercs. Ces deniers sont une redevance perçue à Guiperreux.
En mai. « Mensis maii, 13. Tercio ydus maii, anniversarium Petri Harart, qui dedit nobis centum solidos ad ampliandum ; qorum medietas canonicis, altera medietas clericis. Ampliati sunt apud Vadum Petrosum ». Le trois des ides de mai (13 mai), doit être célébré l'obit anniversaire de Pierre Harart, qui nous donna une redevance de cent sols, à partager moitié aux chanoines et l'autre moitié aux clercs. Cette redevance est perçue à Guiperreux.
En juillet. « Mensis julii, 26. Sexto kalendas julii, anniversarium Henrici de Bries, canonici ejus ecclesie, de quo habuimus viginti libras que empliate fuerunt apud Vadum Petrosum, quaram medietas canonicis, altera medietas clericis ». Le six des calendes de juillet (26 juillet), doit être célébré l'obit anniversaire d'Henri de Bries, chanoine de cette église, de qui nous avons une redevance de vingt livres perçue à Guiperreux dont la moitié appartient aux chanoines et l'autre moitié aux clercs.
En novembre. « Mensis novembris 27.Quinto kalendas decembris, anniversarium Nicholai de Bries, qui dedit decem libras ad ampliandum. Ampliate fuerunt apud Vadum Petrosum ». Le quinze des calendes de décembre (27 novembre), doit être célébré l'obit anniversaire de Nicolas de Bries qui donna une aumône dix livres. Cette redevance est assise sur un bien à Guiperreux.
Notes
(1) R. Coüard-Luys, Cartulaire de Saint-Spire de Corbeil (Impr. Douchen, Rambouillet, 1882).
(2) Maurice Prou, Recueil des actes de Philippe1er r , n°LX.
(3) Jean Dufour, Recueil des actes de Louis VI , n°CLVI.
(4) Auguste Molinier, Obituaires de la province de Sens , tome I-1 (1902), p. 393-410.