LES HAUDRY
Histoire et généalogie d'une famille essonnienne, entre Janville-sur-Juine, Corbeil et Paris.
Pascal Herbert - Décembre 2012
Environs de Janville-sur-Juine.
« Si l'on avait la généalogie exacte et vraie de chaque famille, il est plus que vraisemblable qu'aucun homme ne serait estimé ni méprisé à l'occasion de sa naissance » (L'Encyclopédie, 1757). En ce milieu du XVIIIe siècle, cette phrase eut probablement une certaine résonance au sein des familles des fermiers généraux, et notamment chez deux d'entre eux : André Haudry (1688-1769) et son fils André Pierre Haudry (1736-1817). Le premier fut fermier général de 1745 à sa mort, et le second de 1768 à sa retentissante faillite de 1781, après avoir été associé à son père depuis l'âge de vingt ans.
Ces financiers, au nombre de quarante, regroupés depuis 1726 au sein de la Ferme générale, formaient la direction collégiale d'une compagnie privilégiée d'hommes qui tenaient à bail du roi (pour une durée de six ans) les revenus publics du royaume de France, composés surtout alors de la taille (l'impôt direct), de la gabelle (l'impôt du sel), des aides (impôts indirects sur les biens et les denrées), et des traites (octrois et autres droits de douane sur la circulation des marchandises). Cet affermage, de vieille tradition, avait l'avantage pour le Trésor de lui procurer des recettes prévisibles et régulières (stipulées par le bail, les excédents faisant alors office de rémunération pour la Ferme) et de le dégager des soucis de la perception. En dehors de son siège et de ses bureaux parisiens (où travaillaient plusieurs centaines de personnes), la Ferme générale employait près de 25.000 agents répartis dans une quarantaine de directions provinciales, avec des bureaux administratifs chargés de vérifier et de percevoir les droits, mais également avec les redoutées brigades (armées) chargées de rechercher et réprimer sévèrement les fraudeurs et les contrebandiers.
Les fermiers généraux, parfois d'origine obscure, n'étaient pas des fonctionnaires royaux, mais agissaient au nom du roi, et réalisèrent souvent assez rapidement des fortunes immenses qui leur permirent de jouer un rôle social indéniable. L'avidité, et les excès jugés choquants de la plupart d'entre eux, prêtèrent le flanc aux critiques de l'opinion et de maints écrivains, pamphlétaires ou mémorialistes, qui raillèrent notamment leurs origines, les qualifiant de parvenus et n'hésitant pas, peu ou prou, à en faire tous des « fils de laquais ».
Les Haudry, originaires du sud de d'Île-de-France, n'échappèrent pas à de telles critiques, quant à leurs origines. La réplique de la plupart des fermiers généraux à ces attaques était simple : il fallait justifier de l'antiquité et de la respectabilité de leurs familles, parfois au prix de prétentions généalogiques farfelues, et à l'appui de pièces pour le moins discutables. Si André Haudry, seigneur de Soucy, Fontenay-lès-Briis et de Janvry, n'eut pas comme, par exemple, son contemporain Marin de La Haye (1684-1753), seigneur de Draveil et fermier général de 1718 à sa mort, la prétention de descendre d'une ancienne noblesse (le rattachant à Robert de La Haye, second fils de Guy de Bourgogne, qui accompagna Guillaume le conquérant à la bataille d'Hastings en 1066 !), il n'en fournira pas moins un mémoire, où s'appuyant – bien modestement il est vrai – sur les « Antiquités de la ville de Paris » de Sauval, il se déclara descendant d'un certain Etienne Haudry, ancien serviteur du roi Saint-Louis, et fondateur du couvent des Haudriettes à Paris (bibl. nat., Nouveau d'Hozier, 183, et Dossiers bleus, 351).
Tabatière à cage en or et nacre portant le poinçon de Paris pour les années 1743/1744. Sous le couvercle, une miniature signée Claude Lefevre d'Orgeval représentant le fermier général André Haudry de Soucy (1688-1769). Dimensions de l'objet : Hauteur : 4 cm - Largeur : 6 cm - Longueur : 7,8 cm (Bernard de Leyde, orfèvreries anciennes, Bruxelles) .
Les Haudry à Janville-sur-Juine
André Haudry était fils de boulanger, petit-fils de laboureur, et arrière-petit-fils de vigneron. Il n’était pas sans ignorer son ascendance. C’est précisément sur cette ascendance, qui s’avère être essonnienne, que nous aimerions apporter quelques éclaircissements. Outre les opportunités d’acquérir des domaines proches de Paris, son attachement à cette région n’est probablement pas le fait d’un hasard complet, et semble s’être manifesté dans les acquisitions successives de ses domaines de Segrez à Saint-Sulpice-de-Favières (1733), de Fontenay-lès-Briis (1738), de Soucy (1746) et de Janvry (1764), terres situées à moins de trente kilomètres à l’ouest de Corbeil, dont il était natif.
La ville de Corbeil fut longtemps regardée comme le berceau primitif de l’actuelle famille Haudry de Soucy (l’adjonction du nom de Soucy ne date que de 1819), où effectivement l’ancêtre André Haudry naquit en 1688. La famille du fermier général est en réalité originaire du village de Janville-sur-Juine (Essonne, canton d’Etréchy), à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Corbeil, et à une dizaine de kilomètres au nord-est de la ville d’Etampes. Janville-sur-Juine, devenue tardivement commune en 1889, dépendait à l’origine de celle d’Auvers-Saint-Georges (et des deux paroisses pré-révolutionnaires de Notre-Dame et de Saint-Georges d’Auvers). Le petit village de Janville, peuplé jusqu’au XVIIIe siècle de vignerons et de laboureurs, s’étire sur la rive droite de la Juine, rivière navigable jusqu’aux années 1670 (une partie du blé de la Beauce y remontait d’Etampes, en alimentant nombre de moulins, avant de rejoindre l’Essonne, affluent de la rive gauche de la Seine).
La présence de la famille Haudry est attestée à Janville depuis au moins la fin du XVe siècle. Malgré l’absence de registres paroissiaux aussi anciens, et faute de pouvoir disposer de minutes notariales antérieures au XVIIe siècle, nous avons eu recours aux archives du château du Mesnil-Voisin (commune de Bouray-sur-Juine, canton d’Etréchy), dont Janville dépendait au niveau seigneurial. Ces importants documents, conservés aux Archives départementales de l’Essonne (sous-série 27 J) nous indiquent qu’un certain Pierre Haudry, laboureur à Janville, paroisse d’Auvers, y vivait en janvier 1499 (vieux style) [lire janvier 1500]. Il déclare alors au terrier de la prévôté d’Auvers un demi arpent de terre à Janville, en la vallée des Combles, tenant notamment à Jehan Haudry. C’est probablement le même Pierre Haudry que l’on retrouve en 1512, il y a cinq cents ans, toujours pour des héritages à Janville, près du pont de l’Hêtre (l’un des deux ponts sur la Juine reliant Janville à Lardy), non loin du manoir de Raoul du Royer, de Lardy, et tenant toujours à un certain Jehan Haudry.
Pour le reste du XVIe siècle, tout est brumeux ; les archives ne nous apportant pas à ce jour d’éléments significatifs sur cette famille. Tout juste découvrons-nous, au hasard des registres paroissiaux, qu’un Jehan Hodry, de Bouray-sur-Juine, se marie en janvier 1568 dans la paroisse voisine de Cerny avec une dénommée Jehanne Symon. Le terrier de Janville, réalisé au début du règne de Louis XIII, nous éclaire enfin sur les premières générations connues de l’ascendance d’André Haudry, avec les déclarations de plusieurs membres de la famille « Hauldry ». Nous ne retiendrons ici que la déclaration qui fut faite le 22 juin 1614 par Abel Hauldry, vigneron à Janville, tangible bisaïeul d’André : une maison couverte de chaume, contenant deux espaces, une grange, une chambre à feu, une étable, une foulerie, avec terre derrière, contenant en tout deux arpents, et lui appartenant comme fils et héritier des défunts Jehan Hauldry et Guillemette Bourgault, ses père et mère (arrière-arrière-grands-parents d’André).
Les ancêtres des fermiers généraux.
Abel Haudry
Abel Haudry, né vers 1565, mourut à Janville à une date indéterminée, entre 1614 et 1619. Noëlle Symon, sa veuve (parente de Jehanne Symon ?), était encore en vie en août 1627. Le couple ne semble avoir eu qu’un seul enfant en la personne de Sébastien Haudry, arrière-grand-père d’André.
Sébastien Haudry
Sébastien Haudry est un personnage important de cette saga familiale. Son dynamisme et ses inlassables activités rurales ont fait de lui au terme de son existence un laboureur aisé, véritable coq de village, alors qu’il n’était encore jeune adulte qu’un vigneron probablement modeste, sans être pauvre, mais sachant lire et écrire. Marié à quatre reprises, sa « politique » matrimoniale est à elle seule l’image d’une ascension sociale réussie, telle qu’on pouvait la concevoir à cette époque.
Sébastien Haudry, alors vigneron à Janville, et âgé d’environ 25 ans, jeune veuf sans enfant d’Antoinette Le Jeune, se remarie en mai 1619 en la paroisse Saint-Philbert de Brétigny-sur-Orge avec Marthe Jullien, fille de Jean Jullien, laboureur à la ferme de Valorge. Par contrat de mariage, les parents Jullien promettent d’apporter à leur fille 720 livres, alors que Sébastien apporte lui à sa future épouse plus de 600 livres. De cette courte union ne semble être née qu’une seule fille : Anne Haudry, née en 1621 à Janville, mariée en 1638 avec François Le Jeune, laboureur à Bouray-sur-Juine (parent d’Antoinette Le Jeune ?). Devenu veuf, Sébastien Haudry se remarie en troisièmes noces (avant 1629) avec Marguerite Coullié (ou Coiller), veuve en premières noces d’un certain François Le Jeune (père du laboureur de Bouray ?), et fille d’Hugues Coullié, ancien marchand et amodiateur de la terre et seigneurie de Mainvilliers (Loiret, canton de Malesherbes), devenue sur ses vieux jours marchand hôtelier à Saint-Vrain (Essonne, canton de Brétigny-sur-Orge). De cette union sont nés au moins quatre enfants, dont trois parvenus à l’âge adulte : Marie Haudry, mariée en 1638 avec Claude Coutault, marchand de Torfou (Essonne, canton d’Etréchy), Jacques Haudry, boulanger à Corbeil (grand-père d’André), et Claude Haudry, laboureur à Janville, époux de Marie Pillefert (d’où postérité à Janville et en Essonne jusqu’au 20e siècle au moins ; la famille est encore représentée en 2012).
Se retrouvant à nouveau veuf à 45 ans, Sébastien convole une dernière fois en 1639 avec Jeanne Durand, veuve de Claude Coutault, laboureur et greffier-tabellion de Torfou (parents de Claude Coutault, époux de Marie Haudry). De cette dernière union entre Sébastien et Jeanne naîtront deux enfants qui n’atteindront pas l’âge adulte.
Encore vigneron à Janville en 1626, Sébastien Haudry est qualifié en 1627 de sergent en la prévôté du Mesnil-Voisin (nommé Mesnil-Cornuel à cette époque), où il est également cité comme laboureur dans les années 1628-1633. Sa maîtrise de l’écriture fait de lui le commis du notaire royal de Janville, Gillevoisin et du Pont Pâtissier dans les années 1629-1634 (activité qu’il continuera d’exercer de manière occasionnelle dans les années qui suivront). En 1639, lors de son mariage avec la veuve Coutault, il est cette fois qualifié de procureur fiscal du Mesnil et de Janville, domicilié au dit Janville.
La Fronde dans la région
Certaines années marquent une vie comme elles marquent une généalogie. 1652, « l’année terrible » du XVIIe siècle essonnien, est de celles là. Fin juillet, Sébastien Haudry est à 58 ans, selon ses propres dires, le plus vieil habitant de Janville. Requis (avec d’autres témoins) par la famille Carqueville de Lardy de venir déposer ce qu’il sait des derniers troubles arrivés au printemps au château du Mesnil, à l’époque du siège d’Étampes, il nous laisse ici un témoignage historique des plus intéressants. Mais avant de laisser la parole à Sébastien Haudry, rappelons brièvement l’origine de la redoutable campagne militaire qui entre avril et octobre 1652 opposa dans la région les troupes frondeuses du prince de Condé, cousin du roi (Louis XIV), aux troupes royales commandées notamment par Turenne, maréchal de France. Les troubles politiques graves qui prirent l’ironique nom de Fronde (1648-1652), se déroulèrent pendant la régence d’Anne d’Autriche, mère du jeune Louis XIV, et sous le gouvernement du très contesté cardinal Mazarin. Le pouvoir royal, engagé depuis 1635 dans une épuisante et coûteuse guerre contre l’Espagne, est alors fragilisé par l’alliance hétéroclite du parlement de Paris et de la haute noblesse, taraudés par les ambitions politiques, hostiles aux expédients fiscaux du cardinal pour financer le conflit et à l’installation des intendants. Les années 1648-1649 correspondent à une première Fronde, essentiellement parisienne et parlementaire, soutenue par Gaston duc d’Orléans, propre oncle du roi. Devant ces agitations, le jeune monarque, sa mère et Mazarin doivent fuir la capitale au début de janvier 1649 (ils ne la regagneront qu’en octobre 1652). Il s’ensuit une première campagne militaire pour la conquête de Paris. L’armée royale, alors dirigée par Condé (pas encore frondeur), tente jusqu’en mars de maintenir un blocus de la ville, dont les troupes frondeuses ne cessent de faire des allées en venues dans les environs pour protéger l’entrée de convois de ravitaillement. Les conséquences de cette courte campagne militaire, qui se termine avec la paix de Rueil (30 mars), seront sans commune mesure avec l’ampleur des pillages, des destructions et de la mortalité de 1652. La coalition frondeuse est reformée en janvier 1652 alors que Turenne, ancien frondeur, vient de se rallier au roi. Tout l’enjeu militaire de la campagne repose également sur le contrôle de Paris. Condé, tête de la Fronde, et ses alliés ont pour objectif de faire la jonction entre leur armée, basée en Guyenne et en Anjou, avec les troupes parisiennes du parlement et du duc d’Orléans. Turenne, général en chef de l’armée royale, a lui pour objectif d’empêcher cette jonction en bloquant la route de la capitale. La cour et l’armée du maréchal sont alors à Poitiers.
Les premières semaines de 1652 voient la remontée des deux armées vers la capitale. Condé descend la vallée du Loing, traverse le Gâtinais et, à Montargis, confie son armée à ses généraux et gagne directement Paris le 11 avril pour organiser la jonction. De son côté, Turenne, suivi par la cour, voulant gagner les frondeurs de vitesse, coupe au plus court par le plateau du Gâtinais et arrive à la Ferté-Alais le 23 avril, une heure à peine avant l’avant garde des Princes dont l’armée est à Maisse et Milly. La route de Paris est coupée. L’armée de Condé, forte d’environ 9.000 hommes, cherchant un refuge sûr, fait alors mouvement vers Etampes, vieille cité royale et grenier à blé de la Beauce, qu’elle investit le soir même. Turenne, afin d’empêcher les renforts parisiens de Condé et de ses alliés, fait mouvement le 24 avril vers la région d’Arpajon (Châtres) avec près de 10.000 hommes. S’engage alors le siège d’Etampes. Début mai, tout en maintenant l’occupation des villages des environs, Turenne fait mouvement avec une partie de ses troupes vers Palaiseau, afin de se concentrer sur le blocus de Paris et les incessantes sorties de Condé pour maintenir les routes du ravitaillement. De leur côté les assiégés d’Étampes organisent la défense de la ville. Les combats se limitent alors, si l’on peut dire, en escarmouches entre éclaireurs et fourrageurs, pillant les villages entre Arpajonnais et Etampois. Toujours tiraillé entre Paris et Etampes, Turenne fait de nouveau mouvement vers cette dernière le 26 mai. Il installe son quartier général et ses canons sur les hauteurs de la ville, à Brières-les-Scellés. Le 27 mai, le jeune roi, accompagné de Mazarin, vient parcourir le front avant de s’en aller coucher au château du Mesnil …
Vue du château de Mesnil-Voisin.
Nous sommes alors au plus fort du siège d’Étampes . Les combats sont alors particulièrement violents dans le faubourg Saint-Martin, soumis aux canonnades royales. Sébastien Haudry et sa famille, comme la plupart des habitants de Bouray, Janville et Lardy sont réfugiés depuis avril 1652 au château du Mesnil, époque de l’arrivée des armées royales et de « Monsieur le Prince » (Condé) dans les environs de Bouray. On imagine sans peine la stupéfaction et l’étonnement de Sébastien Haudry en ce 27 mai 1652 de voir arriver le jeune Louis XIV (alors âgé de 13 ans et demi) et sa cour !
À suivre...