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Henri IV et la marquise de Verneuil (1) (1599-1600)

Nous entreprenons de publier d'un seul tenant la correspondance entre le roi Henri IV et Catherine Henriette de Balsac d'Entragues, fille du seigneur de Marcoussis. La plupart des lettres sont celles éditées en 1853 par M. Berger de Xivrey (1)

C.Julien Janvier 2013

Le château de Marcoussis par Moithey.

 

Les relations amoureuses entre le roi et Henriette, connue sous le titre de mademoiselle d'Entragues, puis sous celui de marquise de Verneuil, commencèrent peu de temps après la mort de Gabrielle d'Estrées, duchesse de Beaufort survenue le 11 avril 1599, maîtresse du roi pendant dix ans. Le Vert-Galant touche à sa quarante-sixième année. Henriette d'Entragues est mineure, âgée de vingt ans. Des gens de son entourage l'entretiennent dans ses plaisirs et ses voluptés en lui louant les beautés, gentil esprit, cajoleries et bons mots de mademoiselle d'Entragues, qu'ils lui font venir l'envie de la voir, puis de la revoir en enfin de l'aimer (2). «  Jour néfaste que celui où le grand roi se laissa conduire par des étourdis dans cette misérable famille d'Entragues, laquelle pesa si tristement sur tout le reste de sa vie  » nous dit Joseph Guadet [ Vie de Henri IV , p. 76].

Pour signer ses lettres à Henriette d'Entragues, qui succéda dans son cœur à Gabrielle, le Vert-Galand trace un $ au milieu de son initiale (qui est aussi celle d'Henriette) et entoure le tout de quatre autres $ , ce qui donne le monogramme :

 

 

Dans sa biographie universelle Joseph Michaud écrit : «  Le roi Henri IV aima pendant dix ans Gabrielle d'Estrées, duchesse de Beaufort. La mort vint frapper Gabrielle [11 avril 1599] lorsque son amant allait combler tous ses vœux. Les regrets du roi furent déchirants ; mais il connut trop tôt l'artificieuse Henriette d'Entragues. Cette femme, qui nétait à la fois coquette, hypocrite, infidèle, jalouse et vindicative, fit connaître à Henri toutes les tortures d'un amour suranné et d'un lien adultère. Après avoir pardonné à Henriette d'Entragues, qui fut deux fois coupable du crime de haute trahison, Henri IV eut le malheur de connaître encore l'amour  » (3). La première lettre connue est datée du début d'octobre 1599 ; elle fait tout entendre.

 

 

Le coup de foudre au bois de Malesherbes 

Le 7 juin 1599, Henri IV envoie une lettre à Sully [M. de Rosny] «  escript au bois de Malesherbes  ». Le roi est tombé dans le piège de la maison d'Entragues et parle à son ministre pour disposer de privilèges : «  …Au reste souvenés-vous bien des commandemens que je vous fis, estant à Saint-Clou, pour faire payer présentement à mon nepveu le comte d'Auvergne un quartier de la pension que je luy donne affin qu'il puisse vivre. Il m'a mandé que, s'estant levé du lict pour vous porter une lettre que je vous ay escripte pour luy, vous luy aviés respondu que vous ne pouviés rien faire pour luy. Que je sçache comment cela s'est passé ; et le faictes secourir du dict quartier, en attendant que l'on puisse faire davantage ». Le séjour chez François de Balsac (M. d'Entragues) explique cette bonne volonté du roi pour le comte d'Auvergne, son beau-fils (fils de Marie Touchet et Charles IX), qu'il était loin d'aimer, et qui n'avait cessé de lui donner de graves sujets de mécontentement. Mais il vient de concevoir pour la sœur utérine de ce prince une passion excessive, qu'attiraient les moyens les moins scrupuleux, et dont chacun cherchait à profiter dans cette famille corrompue.

Au cours de l'été 1599, Henri IV tombe amoureux d'Henriette-Catherine de Balzac d'Entragues. Lorsqu'il croise le regard bleu et mutin de la jeune fille, il est foudroyé, avec une telle intensité qu'il en est tout ébaubi. Lui qui ne se consolait pas de la disparition récente de la favorite Gabrielle d'Estrées, sent qu'il revient à la vie . Il adresse un poème galant à la jeune demoiselle âgée de vingt ans :

Le cœur blessé, les yeux en larmes.
Ce cœur ne songe qu'à vos charmes ;
Vous êtes mon unique amour.
Jour et nuit, pour vous je soupire :
Si vous m'aimez à votre tour,
J'aurai tout ce que je désire.
Je vous offre sceptre et couronne ;
Mon sincère amour vous les donne.
A qui puis-je mieux les donner ?
Roi trop heureux sous votre empire,
Je croirai doublement régner,
Si j'obtiens ce que je désire.

Il est indéniable que le roi rencontre de grandes difficultés à voir sa bien-aimée, soit par calcul ou par défiance de l'entourage de la demoiselle. Dans cette lettre, il déclare sa flamme «  Je ne vous demande point pardon de ce que je n'allay pas hier vous rendre ce que je vous devois ; je vous diray aujourd'huy les raisons qui m'exemptent de coulpe, par conséquent, de grace, vous les trouveés pleines de discrétion, chemin d'où nous ne pouvons sortir sans nous perdre, et plus vous que moy. Vous ne croiriés pas les oppositions qui se présentent de tous costés à mon dessein, s'ils pensent augmenter mon désir par rendre mon entreprise plus difficile, je leur en dais bon gré  ».

Madame d'Entragues qui, comme on dit, «  avoit vû le loup, ayant appris qu'on avoit fait dessein d'embarquer le Roi avec une de ses filles, crut qu'en bonne et sage mère, elle devoit faire les premiers pas  ». Elle envoie donc prier le Roi de venir se délasser chez elle au retour de la chasse…. Et celui-ci ne pouvant se résoudre à s'éloigner sitôt d'une Belle dont il est charmé, il fait quelque séjour à Bois-Malesherbes, une des demeures des d'Entragues. «  Pendant qu'il y fut, les deux Déesses mangèrent toujours à sa table, et ne couchèrent pas loin de son appartement…  ». Henriette fait languir son amant, son père se querelle avec le comte du Lude qui rendait visite à sa fille au nom du roi. Le marquis d'Entragues, qui continue à jouer la comédie, fait atteler son carrosse et mène sa fille à Marcoussis . Le roi ne pouvant demeurer où sa Belle n'est pas, part en poste et se rend également à Marcoussis.

Une question que n'ont pas résolue les historiens est la date de la première rencontre d'Henri IV avec mademoiselle d'Entragues. Certains prétendent que le roi fit la connaissance d'Henriette de Balzac le 8 mai 1599, d'autres pensent que ce fut au cours du mois d'août. Tous s'accordent pour dire : « Pour mettre dans son lit cette jeune et appétissante beauté, il est prêt à dépenser des fortunes, à offrir des châteaux, des terres, des titres . Il va jusqu'à promettre d'épouser la belle par écrit, ce qui est fort imprudent ».

 

 

 

La promesse de mariage

La fameuse promesse du Roi à sa maîtresse fut donnée « Au bois de Malesherbes, ce jourd'huy premier octobre 1599. Signé Henry  » (cf. la chronique spécifique), c'est dire l'empressement du monarque «  à butiner les jeunes femmes  ».

La lettre du 6 octobre 1599 adressée par Henri IV à Henriette d'Entragues montre parfaitement combien cette triste famille d'Entragues exploite les faiblesses galantes de ce pauvre roi, et jusqu'à quel point, avec elle, il abaisse son caractère. Il semble que cette lettre a été écrite dans le temps que la future marquise de Verneuil fait la difficile pour avoir du roi une promesse de mariage ; et qu'elle s'excuse de satisfaire la passion du roi qu'à ces conditions ; par ce que ses parents, disait-elle, le lui défendaient absolument. «  Mes chères amours. La Varane et le laquais sont arrivez à mesme heure. Vous me commandés de surmonter, si je vous aime, toutes les difficultez que l'on pourra apporter à nostre contentement. J'ay assez montré la force de mon amour, aux propositions que j'ay faites, pour que du costé des vostres ils n'y apportent plus de difficultez. Ce que j'ay dict devant vous, je n'y manqueray point, mais rien de plus. Le comte du Lude par demain au matin. Il a dès après dîner toute sa depesche. Je voiray de bon cœur Monsieur d'Entragues et ne me lairray guères en repos que nostre affaire ne soit faite ou faillye. Cest homme de Normandie est venu icy, et me vient dire qu'entre cy et quinze jours nous devons avoir la plus grande brouillerie du monde, qui sera causée par vos père, mère ou frère et sera tramée à Paris, que vous et moy tiendrons tout pour rompu, et que demain il me dira la moyen de l'empescher…. Car Monsieur le cardinal de Joyeuse entre, qui rompt nostre propos. Bonsoir, le cœur à moy ; je baisse vous un million de fois  ». Le nommé La Varane ou La Varenne est un agent du courrier royal. Le roi est impatient et accuse les parents d'Henriette, conscient que ceux-ci font monter les enchères pour acheter la virginité de la demoiselle. Car il s'agit bien d'une question pécuniaire.

Le 7 octobre 1599, le roi s'exprime clairement : «  J'ay bien connu par votre lettre, que vois n'avez pas les yeux bien ouverts, ni les conceptions aussy ; car vous avez pris la mienne d'un autre biais que je ne l'entendois. Il faut cesser ces brusqueries, si vous voulez l'entière possession de mon amour ; car, comme Roy et Gascon, je suis mal endurant. Aussi ceux qui aiment parfaitement comme moi, veulent être flattés, et non rudoyés. Quand Monsieur d'Entragues sera icy, je vous témoigneray si je vous aime ; cependant il vous sied mal d'en douter, et cela m'offense. Hier au soir, votre diamant tomba hors d'œuvre, et fort heureusement, je l'ay retrouvé. Dieu sçai si j'en fus en peine ; car j'eusse mieux aimé perdre le doigt, tenant si cher tout ce qui vient de vous, que rien n'en approche en comparaison. Nau n'est pas encore venu. J'espère vous voir Dimanche en public, puisque vous n'avez daigné me voir en particulier. Bonjour mes chers amours. Je ne suis pas bien satisfait : je ne puis vous le taire. Je baise vos beaux yeux un million de fois  ».

Le 25 octobre, le seigneur de Marcoussis fait mine de préserver sa fille. On imagine des tractations pécuniaires dans une lettre du roi. «  Mon cher cœur. Je résolus hier avec Nau, que j'irois coucher ce soir à Malherbe, où je ferois toutes nos affaires d'une main . Monsieur d'Entragues m'en a parlé ce matin fort honnêtement ; et comme je voulois monter à cheval, il m'est venu supplier de ne vouloir point aller à Malherbe où je ne vous trouverois pas, et que je voulusse remettre le tout à Orléans, où je sçai qu'il ne vient pas. Cela me fait toujours croire qu'il ne veut qu'alonger ; et croyez qu'il vous trompe, aussi bien que Nau ; mais non moi, qui ai toujours crû ce que je vois. Comme j'ai été à cheval, il a dit tout haut, Monsieur le Grand et Praslin l'ont ouï : par la morbleu il sera bien trompé ; car il ne trouvera pas ma fille à Orléans ; ma femme ira ; mais ma fille demeurera avec moi. Toute fois je lui ai dit en partant que j'y serois ce soir. Je n'y suis allé que ce matin, pour les raisons que je vous dirai. Montrez cette lettre à Nau. Bonjour le tout à moi, je vous baisse un million de fois  ». Le nommé Nau ou Naus était l'agent des d'Entragues.

Une partie du prix de la prétendue virginité d'Henriette d'Entragues est détaillée dans la lettre adressée le 30 octobre 1599 à Monsieur de Rosny [le ministre Sully]. «  Monsieur de Rosny, j'ay receu vostre lettre ; je vous ay accordé très volontiers l'abbaye que vous m'avés demandée, si elle est à moy à donner ; et seray très aise que cela soit pour vous tesmoigner, voire en meilleure occasion, le désir que j'ay de faire pour vous. Je vous prie de travailler à ce que dans huict ou dix jours les cinquante mil escuz que j'ay promis à mademoiselle d'Entragues soient prests, et commencez à traicter de cest affaire-là avec ces gens . Bonsoir, Monsieur de Rosny : à Saint-Germain-en-Laye. Henry  ». [Les Œconomies royales fournissent à ce sujet des détails très circonstanciés].

Au cours de l'automne, Henriette d'Entragues fait sa mijaurée. Le roi en accuse son père. «  Mes chères amours. Votre lettre a faict le mesme en moy, que la mienne a faict en vous ; car j'étois tout estomaqué. Vostre père arriva de bonne heure. Je l'ay fort entretenu et mis sur tout propos. Il m'a remis de tout à la revenue de Nau. J'ay encore dépesché pour le faire venir. Cependant il dit à tous ceux qu'il pense ses amis, que tout ce que le luy dis, est pour le tromper, et que vous agissés en cela de concert avec moy. Pour moy, je ne m'en offense pas ; mais ces discours vous font tort. J'auray l'honneur de vous voir dimanche ; je m'en vais courir le cerf. Monsieur du Maine est arrivé à Paris pour l'accord. Bonjour mon Menon ; je vous baisse un million de fois. À mon retour de la chasse je vous envoyeray encore un courrier  ». Puis le 13 d'octobre : «  Si mon cœur se gouvernoit suivant les occasions que l'on m'en donne, vous recevriez de moi une aussi froide réponse qu'ont été les deux lettres que j'ai reçues de vous : je ne laisse pas de m'en plaindre ; et certes je n'avois pas mérité cela de vous. Pour ce que m'a apporté Nau, il vous en fera la réponse plus pleine d'amour peut-être que je ne dois. Le sommeil me fait remettre le tout sur lui, et finir vous baisant un million de fois les mains  ».

Le roi vient assidûment chez les d'Entragues, à Bois-Malesherbes et à Marcoussis. Il écrit : «  Mon cœur. Ce fut par omission, que je ne vous mandai point que j'avois vu cette belle fille ; aussi pensois-je l'avoir dit à votre frère à Marcoussis pour vous le dire . J'ai trouvé qu'elle avoit les yeux bien abattus et fort pâles depuis le Carême prenant qu'Amiens dut pris, qui est la seule fois que je l'avois jamais vue. Beringhen vient d'arriver, qui m'a rapporté le diamant fort secrètement mis en œuvre. Demain je fais mes Pâques ; mais cela n'empêchera pas que je ne vous mande demain matin de mes nouvelles. Je ne me trouve guères bien. Je crains tomber malade. Monsieur du Maine vient d'arriver. Je ne l'ai pas encore vu. Bonsoir, le cher Menon à moi ; je te baise un million de fois  ».

 

 

Les cadeaux royaux

Le roi est follement amoureux. Outre les fameux 100.000 écus, le roi offre de nombreux cadeaux : bijoux, pierreries, robes et parures et même une petite chienne que lui a procurée le connétable de Montmorency.

Le 9 octobre 1599 le roi veut charmer la demoiselle : «  Mes chères amours. J'avois assigné Monsieur d'Entragues à six heures ; il en est huit, et il n'est pas encore venu. Je viens de l'envoyer quérir. Cependant je vais voir une dépêche de Rome, dont je vous donnerayi avis après disner. Je vous envoye des ortolans que l'on m'a envoyés de Lyon. Il ne tiendra qu'à votre père, que je n'en baille demain à votre aisné, qu'il avaleroit plus doucement. Bonjour le cœur à moy. Devant que je boive ni mange, je répondray d'une façon ou d'autre avec Monsieur d'Entragues. Je baise mes petits Garçons un million de fois  ». Peut-on imaginer quels sont ces « petits Garçons » ? Nous laissons le choix au lecteur.

On ne doute point que la lettre du 1er d'octobre 1599 n'ait été écrite au commencement de leurs amours, où l'on chicanait les conditions. «  Mon Menon. J'ay veu la lettre de votre frère. Je crois qu'il a jugé que vous me la montreriés, ou qu'il en a écrit deux ; car au langage que m'a tenu Monsieur de Guise à nuit, ses propos ne sont point pareils à Paris. Mais que je vous voye, je vous en diray davantage. Il a l'âme mauvaise, vous l'avouerés enfin. Je vous envoyeray demain la petite chienne de Monsieur le connétable . Mon cœur, je vous aime si fort, que je ne puis plus vivre absent de vous. Je vous verray cette semaine ; mais je désirerois plus que ce fust en particulier qu'autrement. Donnez-moy quelque moyen, afin que je vous baise en effet un million de fois, comme je le fais en imagination  ».

Le même jour, le roi écrit au connétable de Montmorency : «  Mon compère… Souvenez-vous aussy de la chienne grise que vous m'avés promise pour mademoiselle d'Entragues, et de me l'envoyer en diligence …» . Le 8 octobre 1599, le roi remercie «  son compère  », le connétable de Montmorency : « Mon compère. Je vous remercie de vostre belle chienne, que mon cousin le duc de Biron m'a présentée de vostre part ; lequelle aussy tost j'ay envoyée à mademoiselle d'Entragues, qui l'a receue comme le mérite celuy qui me l'a donnée et sa beauté et à l'instant elle en a voulu faire les nopces avec son chien  ». 

Après son retour en grâce, la marquise de Verneuil reçoit, le 23 août 1607, un colis du roi. «  Mon cœur. Je vous envoye bien plus de coquilles que je ne vous avois promis, et vos gants d'Espagne. Mandés moi si vous les treuverés bons et les coquilles belles. J'ay sceu, depuis estre icy, que c'est par des moines, ou gens qui en prennent les habits, que Bassompierre mande toutes les nouvelles. Enquestés-vous si hyer il fut de telles gens de Cheranton. Je me porte fort bien, Dieu mercy. Envoyés moy cette lettre de Rome que ne me voulustes bailler hyer au soir. Je vous donne le bonjour et un million des baisers, vous jurant que je vous ayme de tout mon cœur  ».

 

 

La première grossesse

Tout l'été, le souverain poursuit de ses assiduités la demoiselle. À la fin de l'automne, Mademoiselle d'Entragues est installée à Paris dans l'hôtel d'Archand. Elle se trouve grosse et va, loin des regards de la Cour faire ses couches à Monceaux. Mais un orage est fatal à ses espoirs, elle perd son enfant qui est tout de même ondoyé sous le prénom d'Henri (4). En gage de reconnaissance, le roi achète le château de Verneuil en Beauvaisis et érige la terre et seigneurie en marquisat. Dorénavant, Henriette d'Entragues devient marquise de Verneuil. Le 27 octobre 1599, la marquise prend possession de son château «  Mes chères amours. Je ne serai pas à mon aise, que je n'aye sçu votre arrivée à Verneuil. Je crois que vous vous trouverez bien de ce conseil que je vous donne, de vous hâter d'y aller ? Nous sommes arrivés de bonne heure en ce lieu, où il fait très beau. Nous irons demain à Paris. J'ai toujours mal à l'estomac. Il n'y a rien de nouveau, ni digne de vous être mandé. Bonsoir, les chères amours à moi ; je te baise un million de fois  ».

Dans sa lettre du 16 d'octobre 1599, le roi fait allusion à la grossesse d'Henriette. «  Mon cœur. Je ne plains point votre mal : si je l'ai fait, je le guérirai. Je suis arrivé en ce lieu si triste, qu'il ne se peut dire plus, de me voir privé de ce que j'aime tant ; mais demain j'aurai l'honneur de vous voir, et vous baiserai pour deux jours. Je dînerai ici avant que de partir, et n'arriverai qu'à cinq heures à Orléans, afin de vous donner le loisir d'être chez la Reine quand j'y arriverai. Je m'en vais jouer à la peaume, à mon jeu qui vient d'être achevé. Je baise les mains un million de fois à ma chère maîtresse, et la supplie de me tenir toujours chèrement en sa bonne grâce. Bonsoir le Menon à moi. Je me recommande aux petits Garçons  ».

 

 

Le mariage du roi

Le mariage avec Marie de Médicis étant envisagé depuis peu de temps, une première fâcherie a lieu entre les amants. Henri IV veut rompre avec sa maîtresse et récupérer les bijoux offerts et la promesse qu'il lui avait faite imprudemment. Le 14 d'octobre, le roi se plaint de l'attitude des parents d'Henriette en évoquant sa démarche pour reprendre la fameuse promesse de mariage : «  Mon cœur. M'en allant vendredi, je vous fais ce mot pour vous dire que je n'attends rien de l'affaire pour laquelle est allé Nau, que des longueurs et des traverses, et je m'assure que vous reconnoîtrez que le dessein de votre père n'est pas de faire durer ceci, pour empêcher votre contentement et le mien. Dieu veuille que je me trompe, et vous en fasse connoître la vérité. Ma marquise de Bellejoye s'est rendue religieuse. Voilà tout ce que je sçai. La reine sera mardi à Orléans. Je baise vos belles mains un million de fois  ».

Le 27 octobre 1599, la marquise reçoit une seconde lettre où le roi demande la restitution de la promesse de mariage : «  Mademoiselle, l'amour, l'honneur et les bienfaits que vous avés receus de moy eussent arresté la plus légère ame du monde, si elle n'eust point esté accompagnée de mauvais naturel comme la vostre. Je ne vous picqueray davantage ; bien que je le peusse et deusse faire, vous le sçavés. Je vous prie de me renvoyer la promesse que sçavés  ; et ne me donnés point la peine de la ravoir par aultre voye. Renvoyés-moy aussy la bague que je vous rendis l'autre jour. Voilà le subject de ceste lettre, de laquelle je veux avoir response annuyt. Du vendredy matin xxj° avril 1600, à Fontainebleau. Henry  ».

Le 21 avril 1600, le roi demande une nouvelle fois à Monsieur d'Entragues de lui rendre la promesse de mariage : «  Monsieur d'Entragues. Je vous envoye ce porteur pour me rapporter la promesse que je vous bailly à Malesherbes. Je vous prie ne faillés de me la renvoyer, et si vous me la voulés vous-mesme, je vous diray les raisons qui m'y poussent, qui sont domestiques, non d'Estat ; par lesquelles vous dirés que j'ay raison, et recognoistrés que vous avés esté trompé, et que j'ay un naturel que je peux dire plustost trop bon que aultrement. M'asseurant que vous obeïrés à mon commandement, je finiray, vous asseurant que je suis vostre bon maistre. Ce vendredy matin, xxj° avril 1600, à Fontainebleau. Henry  ».

 

 

La favorite oubliée (juillet 1600)

Au moment où cette lettre est écrite, le roi ou plutôt son ami Sully, fait négocier le mariage de Marie de Médicis, nièce du duc de Toscane. Henriette d'Entragues en prend ombrage et ne cesse de faire des reproches à son amant dans une longue lettre que voici : «  Sire, je suis réduite au malheur qu'un grand héros m'a toujours fait craindre. Il faut pourtant que je confesse que je debvois ceste crainte à la cognoyssance de moy mesme, puisque si grand difference de ma qualité à la vostre, me menaçoit tous-jours du changement qui m'a précipitée du ciel où vous m'aviés élevée, en la terre où vous m'aviés treuvée.

Ce n'est pas, Sire, qu'en ceste chuste mortelle je cognoysse qu'il y ait esté plus de ma fortune que du mescontentement qui n'a rien de commun avecques les œuvres du sort ; car ma félicité despendoit plustost de vous que de la puyssance du destin, auquel je n'attribueray point la cause de ma douleur, puisqu'il vous plaist qu'elle soit le prix des vœux publics de la France pour vostre mariage. Douleur, à la vérité, que je suis contrainste d'avouer, non parce que vous devrés accomplir le vœu de vos subjects, mais parce que vos nopces sont les funérailles de ma vie, et qu'elles m'assubjectissent au pouvoir d'une cruelle discrétion qui me va bannir de votre royale présence, ainsi que de votre cœur, pour n'estre d'ores en advant offensée des œillades desdaigneuses de ceux et de celles qui m'ont veue au rang de vos bonnes graces, aymant trop mieux souffrir en liberté dans ma solitude, que respirer avec craintes en grand'compagnie. C'est une humeur que votre générosuté a nourrye, et un courage que vous m'aviés inspiré, lequel ne m'ayant pas apprinse à m'humilier aux infortunes ni à leur fayre joug, ne peut permettre que je retourne à ma première condition.

Je ne vous parle icy que par soupirs, ô mon Roy, mon amant, mon tout ; car pour mes autres plaintes secrettes, vostre Majesté, les peut sourdement entendre de ma pensée, puisque vous cognoissés aussy bien mon ame que mon corps.

Or, Sire, en mon exil inévitable, il me demeure ceste seule gloyre, que d'avoyr esté aymé du plus grand monarque de la terre, d'un Roy qui s'est voulu tant abbaysser que de donner le titre de maistresse à sa servante et subjecte ; d'un Roy de France, dis-je, qui ne recognoist que celuy des cieux, et qui n'a rien icy égal à luy. Ce qui m'estonne, Sire, quand je consydère la splendeur de votre Majesté, c'est de ne me trouver qu'avec peyne dans mes ténèbres, et qu'il me semble que ce n'est qu'une prospérité imaginaire que celle là d'avoir eu aultres foys quelque part en votre bienveillance.

Je suys, toutes voyes, par trop frappée au vif de vos dernyères volonté, pour m'arrester par ceste faulse erreur ; et mon souvenir m'esveille avecques trop de vyolence, pour long-tems sommeiller en cest agréable songe, que je croyrois plus advantageux que le vérité mesmes de son object, qui, en mourant, a estouffé l'espérance que je nourrissoys sur votre parole.

Si c'est une action famylière aux Roys de garder la mémoyre de ce qu'ils ont aymé souvienne-vous, Sire, d'une Demoyselle que vous avés possédée, et ce qu'elle ne pouvoyt souffrir que sur votre unique foy, qui a eu austant de pouvoyr sur son honneur, que votre royale Majesté en a sur la vye, Sire.

De votre humble servante, subjecte créature, dirai-je amante oublyée. Henryette de Balsac  ».

 

Signature d'Henriette d'Entragues.

 

Trois mois plus tard, le roi revient pour prendre Henriette dans ses bras. Le 4 octobre, il écrit : «  Mes chères amours. Je viens de recevoir celle dont vous m'avez honoré. Sans votre commandement, je n'eusse failli à vous dépêcher quelqu'un. Je suis arrivé sauf et sain, fors le mal d'amour, qui m'est doux à supporter, pour m'être si agréable, que si je faisois élection d'une mort, je choisirois celle-là. J'entends comme tirer mon cœur. Il me semble qu'il y a déjà un siècle que je vous ai laissée : pourvoyez aux moyens d'abréger notre exil. J'attends extraordinairement. Monsieur de Guise est arrivé, mais non encore les Dames. Monsieur de Rets n'y est point. Ce soir je vous écrirai ce que la journée m'aura produit de sujet. Bonsoir, mon tout : aimez-moi chèrement, et croyez ma fidélité inviolable pour vous, que je baisse un million de fois  ».

 

 

L'éloignement insupportable

Au cours de l'automne 1600, le roi s'éloigne de Paris. De plus en plus amoureux, il écrit, le 11 octobre, à la marquise de Verneuil : «  Mon Menon. Nous arrivasmes hyer, mon Menon, en ce lieu de Beaufort à nuict fermante ; où nos bagages ne sont encores arrivez à ceste heure, que nous partons pour aller au col de Cormet recognoistre le passage. Il nous fallut mettre hyer vingt fois pied à terre, et le chemin est cent fois pire aujourd'huy. La France m'est bien obligée ; car je travaille bien pour elle. Je remets mille bons contes à vous faire, que j'ay apprins de Messieurs… et … qui sont venus de Chambéry, et quand j'auray l'honneur de vous voir, qui ne sera, ce crois-je que dimanche. Ce tems me durera plus qu'à vous. Aymés-moy bien, mes chères amours à moy. Je vous baisse un million de fois, etc.  ».

Puis, encore, il déclare sa flamme : «  Mon cher cœur. J'estois party si matin pour aller recognoistre les passages que je vous ay mandé, et cela me retarde jusques à ceste heure le contentement de sçavoir de vos nouvelles. ayant treuvé à mon retour votre laquais arrivé. J'ay baisé un million de fois vostre lettre, puisque ce ne pouvoit estre vous. Ne doubtés pas que je ne vous trouve fort à dire. Nous sommes fort bien ensemble pour qu'il puisse estre autrement, je vous le monsteray bien par mon prompt retour. En mon voyage, nous n'avons pas seulement veu la neige, mais nous en avons esté couverts trois heures durant, d'aussy espaisse qu'elle est en France en janvier. Et descendus à la vallée, ce n'a été que pluye. Ces Messieurs qui ne venoient de l'Aiguebelette, disent bien que le chemin que nous avons fait anuit, est et plus haut et plus mauvais. Certes en toutes les Alpes il n'y en a pas un pire. Je pars demain, et espère vendredy estre si près de vous, que je vous sommeray de la promesse que vous me feistes en partant, si j'arrivois sans bagage. C'est trop causé pour être mouillé comme je suis. Bonsoir le coeur, le cœur à moi ; je te baise un million de fois  ».

Le 21 octobre 1600, le roi annonce son arrivée à Fontainebleau. «  Cette lettre sera bien plus heureuse que moi ; car elle couchera avec vous. Jugez si je lui en porte envie. Le sommeil m'a fait arrêter ici, et par conséquent est cause que je vous fais sçavoir de mes nouvelles. Voyez comme dormant et veillant toutes mes actions se rapportent à vous plaire. Je m'en vais à Fontainebleau, d'où à votre réveil vous sçaurez ce que je résoudrai de faire. Bonsoir, mon tout ; je vous baisse et vos petits Garçons un million de fois  ».

Le 24 octobre 1600, Henri IV revient à Paris. «  Mon cher cœur. Il n'y a plus que demain entre deux, pour avoir la joie de nous voir. J'ai été extrêmement marri de vous avoir renvoyé Petit sans lettre ; mais il m'a trouvé à cheval. Le Maître de céans nous a fort bien traité. Monsieur de Nemours a rompu son mariage. J'ai peur que j'aurai été Prophète. Demain je sçaurai plus de nouvelles de Paris ; car le Maréchal de Biron sera à l'assemblée d'Iverny. Bonsoir mon Menon ; je baise un million de fois les petits Garçons  ».

À suivre…

 

 

Notes

(1) M. Berger de Xivrey, Recueil des lettres missives de Henri IV (Impr. Impériale, Paris, 1853).

(2) Les Amours de Henri IV avec ses lettres galantes à la marquise de Verneuil (Amsterdam, 1754).

(2) Joseph Fr. Michaud, Biographie universelle, ancienne et moderne , vol. 20 (chez L. Michaud, Paris, 1817), p. 113.

(4) Le Père Daniel écrivit : «  Mademoiselle d'Entragues n'étant d'abord accouchée que d'un enfant mort, qui vint au monde avant terme, par la frayeur que causa à sa mère le tonnerre, qui entra dans sa chambre, et qui passa sous le lit où elle était couchée  ».