Henri IV et la marquise de Verneuil (2) (1601-1608)
Nous présentons le second volet de la correspondance entre le roi Henri IV et Catherine Henriette de Balsac d'Entragues, fille du seigneur de Marcoussis, nous narrant les relations amoureuses entre le roi et la favorite, connue sous le titre de mademoiselle d'Entragues, puis sous celui de marquise de Verneuil. Nous nous étions arrêtés à la fin de l'année 1600, au moment où le roi épouse Marie de Médicis. La plupart des lettres exposées ont été publiées en 1853 par M. Berger de Xivrey (1).
C.Julien Février 2013
Le château de Marcoussis extrait d'un tableau existant à l'école d'horticulture d'Auteuil.
La marquise est enceinte
Au début de l'année 1601, la marquise de Verneuil tombe enceinte pour la seconde fois. Dans une la lettre du 8 octobre 1601, le roi fait allusion à cette nouvelle grossesse de sa maîtresse. « Mes chères amours. Une heure après que je vous ay escript, Lafont est venu me parler de vos affaires, à quoy je pourvoirray demain, s'il plaist à Dieu. Je courray le cerf, et si je apprends quelque chose, je le vous manderay. Cependant aymés bien moy ; guardés bien ce que vous avés dans le ventre . Souvenés-vous d'aller voir faire ces crespes, vous y prendrés plaisir. Bonsoir, mon tout, je te baise un million de fois. Monsieur d'Entragues a veu mon fils ; il le trouve fort beau ». Le Dauphin, futur Louis XIII , vient de naître et le roi l'a présenté à Monsieur d'Entragues.
La marquise de Verneuil accoucha dans ce mois, quatre semaines après la reine puisque Louis XIII est né le 27 septembre 1601. L'enfant dont la marquise venait d'accoucher fut prénommé d'abord Gaston, puis Henri comme son frère mort-né l'année précédente. Henri de Bourbon-Verneuil, né le 21 octobre 1601 fut légitimé en 1603. Il fut pourvu de l'évêché de Metz à la demande de Henri IV (voir ci-dessous). Le deuxième enfant d'Henri IV et d'Henriette d'Entragues, Gabrielle-Angélique de Verneuil, vint au monde le 21 janvier 1603.
Le 15 octobre 1601, le roi réclame à la marquise de rester disponible : « Mon cher cœur. J'ay prins aujourd'huy un cerf avec plaisir. J'ay reçu deux lettres de vous par les combattans. S'ils vous avoient donné à entendre la vérité, vous ne m'escririés pas en leur faveur ; car il y va trop de mon honneur, et vous m'aimés mieux qu'eux. Ne vous embarqués pas au Jubilé. Je vous voirray demain au soir, s'il plaît à Dieu, et vous cheriray comme ce que j'aime le plus au monde, je dis mille fois plus que moy-mesme. Croyés-le, mon cher Menon, que je baisse un million de fois. Ce xv° octobre ».
Puis, le 19 octobre, le roi parle de Louis XIII, ce qui irrite la marquise : « Mon cher cœur. Vous m'aviés tant promis d'estre sage, que vous ne pouvés doubter que le style de vostre autre lettre ne m'ayt offensé. Je vous la porteray, et vous jugerés que je n'en pouvois attribuer la cause au Jubilé. C'a esté la crainte que j'ay tousjours eue de vostre manque d'amour, qui m'a rendu plus facile à rapporter vos promptitudes. Je vous l'ay dit souvent, non comme pointilleux, mais comme le craignant plus que la perte de ma vie. Rapportés cela à mon extresme passion, non à avoir envie de vous en manquer ; Dieu m'envoye plutost la mort. Je vous eusse envoyé Monsieur de La Rivière ; mais il a fallu qu'il soit demeuré pour pourveoir à mon fils, qui a tary sa Nourrice. Après disner il partira et sera demain à vostre lever. Mandés-moy quand vous aurés achevé votre Jubilé, et quand vous voudrés me voir ; ce que je désire extresmement pour vous tancer bien. Bonjour le tout à moy. Je te baise un million de fois ».
Le 21 d'octobre : « Mon tout. Je pensois ce soir vous servir de valet de chambre ; mais nous nous sommes embarqués à une partie de paume, où il y a bien de l'argent ; Cela ne m'auroit pas retenu, si j'eusse pensé que vous eussiez eu besoin de moi. Cela sera donc pour demain matin, que j'espère ouvrir votre rideau, et vous témoigner que je vous aime plus que je ne fis jamais. Sur cette vérité, je vous baise un million de fois ».
Le 29 d'octobre : « Mon cher cœur. Nous arrivâmes hier devant la nuit à souper chez Zamet. Pour votre fils, le retour de Monsieur de la Rivière m'en apportera des nouvelles. Je serai bien aise d'en sçavoir ; mais vous ne me dites rien de Verneuil. Je vous le renvoyerai aujourd'hui. Je le fais chercher partout, pour lui commander. Il croit, comme moi, que ce ne sera qu'au mois qui vient. Vous m'entendez. Je ne puis vous mander quand je vous verrai, n'ayant encore vû, ni Monsieur le Chancelier, ni Monsieur de Rosni, pour sçavoir mes affaires : mais bien vous assurerai-je que je serai en un jour ce que les autres seroient en huit, pour m'avancer ce contentement. Bonjour le cher Menon à moi, que je baisse un million de fois. Faites mes recommandations à votre mère ».
La passion dévorante
Le 3 novembre le roi est impatient de voir "sa bien-aimée" et lui conseille de feindre la maladie pour pouvoir accéder à sa chambre : « Mes chères amours. J'aurai le contentement de vous voir demain sans faillir ; je le désire plus que vous ne m'aimés ; d'aujourd'hui je ne bougerai du conseil, pour avoir la journée de demain et de vendredi libres. Certes les affaires m'accablent. Je pris hier le cerf, et je fus à la mort. Je remets toutes choses à demain, que je tiendrai mes amours entre mes bras chèrement. Faites la malade, et ayez votre manteau blanc, et vous résolvez de payer la bienvenue dès l'arrivée . Sur cette vérité, je finirai, en baisant mes petits Garçons un million de fois ».
Dix jours plus tard : « Mon cher cœur. Je n'ay appris rien de nouveau sinon que hyer je renouay le mariage de mon cousin [le comte de Soissons] et tous les contrats en furent passez. Je jouay arsoir jusques à mynuict au reversin : voilà toutes les nouvelles de Saint-Germain. Mon Menon, j'ay un extresme desir de vous voir . Ce ne sera que ne soyés relevée, car je ne puis commencer ma diete que dimanche, à cause de l'ambassadeur de Savoye, qui me vient faire jurer la paix : qui ne peut estre que samedy. Mes chères amours, aimés-moy tousjours, et soyés asseurée que vous serés tousjours la seule qui possederés mon amour. Sur ceste vérité, je vous baise et rebaise un million de fois et le petit bon homme. Ce xiij° novembre ».
Le 28 novembre 1601 : « Mon Menon. J'avois déjà essuyé mes larmes ; lorsque votre lettre est arrivée, qui me ramentevant mes chères amours, a du tout banni de moi le déplaisir qui me venoit de la cause de mes larmes. Il fait très beau ici, et tous les ouvrages y sont fort avancés. Mercredi je serai à vous, si inconvénient n'arrive : ne doutez point que ce ne soit mon plus agréable séjour. J'avois oublié de vous demander les couleurs dont il vous plaît que mes Suisses soient habillés, mandez-le moi demain, car la venue de Monsieur de Savoye me presse. Je sçavois déjà la querelle du petit Saint-Antoine. Attrapez des lettres de Monsieur de Guise, si vous pouvez. Bonsoir mon cher cœur, je te baise cinq cens mille fois ».
Henri IV s'étant bercé de cette idée que sa femme et sa maîtresse s'entendraient parfaitement ; il n'en fut rien. La reine se montra moins accommodante que son mari ne l'avait espéré, et la marquise ne consentit jamais à faire la trêve à ses sarcasmes contre la reine ; elle n'oublia jamais la promesse de mariage. Aussi sommes-nous sans lettres à l'une et à l'autre durant tout le mois de décembre 1601, toute l'année 1602, toute l'année 1603 et les trois premiers mois de 1604. C'est en 1603 que madame de Verneuil est arrêtée pour avoir pris part avec son père et son frère à la fameuse conspiration contre le roi (2). La faiblesse du roi l'ayant soustraite alors à la justice, le souverain reprend sa relation avec la marquise de Verneuil, au cours du mois d'avril, par une lettre enflammée.
Brouilleries avec la marquise de Verneuil
À la mi-avril 1604, on voit apparaître des brouilleries entre le roi et la marquise de Verneuil. Notamment à la découverte d'une conspiration où cette perfide maîtresse trempa en 1604. C'est sans doute à cette circonstance que se rapporte la lettre suivante : « Si vos effects suivoient vos paroles, je ne serois pas malsatisfait de vous comme je suis. Vos lettres ne parlent qu'affection; vostre procéder envers moy, qu'ingratitude. Il y a cinq ans et plus que vous continués cette façon de vivre, treuvée estrange de tout le monde. Jugés de moy, à qui elle touche tant, ce qu'elle doit estre. Il vous est utile que l'on pense que je vous ayme, et à moy honteux que l'on voye que je souffre que vous ne m'aymiés pas. C'est pourquoy vous m'escrivés, et pourquoy je vous paye de silence. Si vous me voulés traicter comme vous devés, je seray plus à vous que jamais: Si non, guardés cette lettre pour la dernière que vous recevrés jamais de moy, qui vous baise un million de fois les mains ».
Portrait de Catherine-Henriette de Balsac d'Entragues (huile, anonyme, château de Versailles).
Après la rupture, voulant revenir près de sa maîtresse, Henri IV constate la froideur de celle-ci et confie ses chagrins à son ministre Sully au sujet de la marquise de Verneuil. « Mon amy. Je vous confesseray qu'outre ce que je vous ay dit des causes de la mauvaise humeur où vous aviés jugé que j'estoir, que je vis hier au soyr Madame de Verneuil de laquelle je me séparay fort mal et en grande colère pour trois causes principalement : la première pour ce qu'elle veult maintenant faire la fine, la rusée et la renchérie de moy , comme sy c'estoit par dévotion et scrupule de conscience, ce que je crois procéder plutost de quelques nouvelles amourettes ; la seconde pour ce que, luy ayant parlé des avis que j'ay eus de ses intelligences avec son frère [le comte d'Auvergne, frère utérin] et les autres feseurs de menées contre ma personne et contre mon Estat, elle m'a répondu avec une fierté merveilleuse, que tout cela étoit faulx absolument [ce n'était que trop vrai], mais qu'à mesure que je vieillissois, je devenois sy défiant et soupçonneux qu'il n'y avoit plus moyen de vivre avec moy, et que le plus grand bien et faveur que je luy pourroit faire seroir de ne la voir plus en particulier, pour ce que de cela n'en retireroit-elle nul avantage et ne laissoit pas de l'accabler des haines et d'ennuis, set sur tout de celles de ma femme qu'elle m'a nommée d'un tel nom que je me suis pensé échapper à lui donner sur la joue ; la troisième touchant la prière que je luy ay faite de me rendre cette promesse de mariage, sur quoy elle m'a insolemment respondu que je la pouvois bien chercher ailleurs, pour ce que d'elle ne l'aurois-je jamais. À cause duquel refus et toutes ces autres procédures nous avons eu plusieurs contestations pleines d'aigreur et finalement me suis séparé d'elle en jurant que je luy ferois bien trouver cette promesse : et néanmoins il me fasche d'user de violence contre elle pour ce qu'elle est d'agréable compagnie quant elle veult, a de plaisantes rencontres et tousjours quelques bons mots pour me faire rire, ce que je ne trouve pas chez moy, ne recevant de ma femme ny compagnie, ny réjouissance, ni consolation, ne pouvant ou ne voulant se rendre complaisante et de douce conversation, ny s'accommoder en aucune façon à mes humeurs et complexions, faisant une mine si froide et si dédaigneuse lorsqu'arrivant de dehors je viens pour la baiser, caresser et rire avec elle, que je suis contraint de la quitter là de dépit, et de m'en aller chercher quelque récréation ailleurs… ». Puis, le roi demande à Sully de parler à la reine « et lui remontrassiés le tort qu'elle se fait de vivre avec moy de la façon que je vous ay dit… » et le supplie d'aller porter à la marquise de Verneuil ses plaintes et résolutions qu'il lui expose pleinement. Sully alla voir plusieurs fois la marquise.
Mi-avril 1604, le roi demande à Sully [M. de Rosny] d'intercéder en sa faveur auprès de la marquise : « Mon amy. Je vous escris ceste lettre par laquelle je vous prie, voire ordonne, de prendre le temps et l'occasion si a propos pour voir madame de Verneuil de ma part , que vous luy puissiés tout au long faire entendre mes intentions et résolutions absolues sur les choses qui se sont passées entre nous depuis sept ou huit mois en çà, et d'autant que le discours et les causes et raisons d'iceluy seroient trop longs pour une lettre de ma main… ». Puis, encore : « Mon amy. Je vous escris ce matin une lettre par La Varenne affin que vous vissiés madame de Verneuil de ma part pour luy dire mes intentions, d'autant que quand je le fais moy-mesme, nous ne faisons que nous picoter sans rien conclure….il est de terminer les continuelles brouilleries que j'ay à cause d'elle et de ses irrésolutions…. ».
Une troisième lettre est adressée le 16 avril 1604, à M. de Rosny. « Mon amy. Puisque madame de Verneuil est résolue à ce que vous me mandés, je le suis aussy à ce que je vous ay dict lundy. Je luy manderay mon intention, et feray voir que j'ay plus de puissance sur moy que l'on ne dit ; et ne pense pas que ceste nouvelle ne trouble ses pensées, ce que je veux faire ces bons jours… »
Lors de la négociation menée par Sully, le ministre rend compte au roi de sa conversation avec la marquise qui répond par la lettre suivante. « Monsieur, j'ay veu la lettre qu'il vous a pleu m'envoyer, laquelle je trouve telle que je l'eusse sceu desirer, dont je me sens extresmement vostre obligée, et vous supplie de croire que je seray éternellement vostre servante. Il me semble qu'il n'y a qu'une chose qu'il peut trouver rude : qui est ce que vous luy dites, que je le supplie de trouver bon de me voir quelquefois, mais sans aucune privauté ny familiarité particulière. Je vous conjure de mettre que je le supplie qu'il ne m'en demande point qui me puisse nuire ; cela se peut racommoder en effaçant un mot ou nommant celle que vous sçavés, comme vous sçaurés bien faire s'il vous plaist, vous baisant très humblement les mains, et vous supplie de me pardonner si j'en use si librement ; mais je cognois son humeur telle que ce seul mot le feroit monter aux nués ; car tout ce qui se peut de familiaritez il les aura de moy, lorsque je seray hors de crainte d'offenser et d'estre offensée. Je ne vous puis dire autre chose sinon que je me sens si obligée à vostre bonté, qu'il ne se peut davantage, que vous jurer que je suis vostre servante de cœur et d'affection, vous donnant le bonsoir ».
Les suites de la conspiration
Pendant l'été 1604, on découvre que la marquise de Verneuil a participé avec son demi-frère, le comte d'Auvergne à un complot pour faire reconnaître le petit Gaston-Henri comme le dauphin au détriment du futur Louis XIII. Encore une fois la promesse de mariage est évoquée. Les mauvaises langues prétendent que « mademoiselle d'Entragues est parvenue à sauver sa vie sur l'oreiller » (2).
Vers la fin 1604, le roi écrit à la marquise ; il semble qu'il a déjà pardonné. Il l'autorise à voir le sieur d'Entragues, son père, qui est sorti de prison et est assigné à résidence à Beaugency: « Mon cher cœur. J'ay receu trois de vos lettres, auxquelles je ne feray qu'une response. Je vous permets le voyage de Boisgency, comme aussy de voir vostre père, auquel j'ay faict oster ses gardes. Mais n'y demeurés qu'un jour ; car sa contagion est dangereuse. Je trouve bon que partiés pour Saint-Germain voir nos enfans. Je vous envoeray la Guesle ; car je veux aussy que voyés le père, qui vous ayme et chérit trop. L'on n'a rien sceu du tout de vostre voyage. Aimés-moy, mon Manon, car je te jure que tout le reste du monde ne m'est rien auprès de roy, que je baise et rebaise un million de fois ».
Rien n'était plus vrai que cet excès d'amour pour une personne aussi indigne. Ce fut la plus désastreuse des faiblesses de Henri IV, car bientôt après, pendant que le comte d'Auvergne subissait une prison perpétuelle, la grâce et la liberté d'un homme aussi notoirement pervers et aussi coupable que d'Entragues furent du plus mauvais effet auprès du Parlement et dans le public. Le scandale de la rentrée en faveur d'Henriette, aussi coupable que lui, aliéna de plus en plus Marie de Médicis.
On n'entendit plus parler des d'Entragues pendant toute l'année 1605 et la première moitié de 1606. Toutefois, le roi accordait à la marquise le droit de visite à ses enfants placés, avec tous les autres enfants princiers, sous la garde de Madame de Monglat. Dans sa lettre du 4 janvier 1606, il dit : « Madame de Monglat. Je vous fais ce mot et vous depesche ce lacquais esprès pour vous dire que madame de Verneuil faict estat de s'en aller demain coucher à Saint-Germain-en-Laye, pour y voir ses enfans . Faites-là loger au chasteau et les luy laissés voir ; elle ne verra point mon fils ny ma fille, si ce n'est par occasion, mais non par dessein… ». Se rappelant du complot mené sur sa personne, il interdit à la marquise de voir le dauphin et sa sœur.
Quant aux désirs d'Henriette d'Entragues, elle n'en a plus d'autres que d'assurer la vie et la fortune d'elle d'abord, de ses enfants, de son père et de sa mère, de son frère même, sachant bien que la reine les détruirait tous si elle venait à en avoir la puissance. « Le Roi ne lui peut moins donner que cent mille livres de rente, en fonds de terre, biens assurés, qui n'est point trop, vu les belles espérances que, malgré elle, il lui a autrefois fait prendre sur ses paroles ». Les ambassades de Sully n'allaient pas tarder à porter leurs fruits, on comprend que le roi n'allait pas tarder à faiblir.
Les retrouvailles
En octobre 1606, recommence la correspondance du roi avec la marquise, le 15 octobre, celle-ci reçoit la missive suivante : « Mon tout. Je vous envoye la lettre pour M. de Seuylly pour faire bailler l'argent à ce porteur. J'ay esté seulement un jour sans vous escrire parce que je partis matin d'icy et ne revins qu'il ne fust dix heures du soir, si las que je n'en pouvois plus. Je suis bien ayse de vous savoir sogneuse de sçavoir de mes nouvelles. Pour celles d'icy, nostre fille [Gabrielle-Angélique a quatre ans] a entretenu ce soir trois heures ma femme et moy et toute la compagnie, qu'elle nous a cuydé faire mourir de rire. Car maistre Guillaume ne sçait rien auprès d'elle. Jamais on ne la vit comme cela. Je vous donne le bonsoir et un million de baisers ».
La correspondance a un ton plus graveleux, elle part des sens beaucoup plus que du cœur. Le roi prend même une médecine aphrodisiaque. Voici la lettre du 6 octobre : « Mon Menon. Je viens de prendre médecine, afin d'être plus gaillard pour exécuter toutes vos volontés : c'est mon plus grand soin que de vous plaire, et affermir votre amour, étant le comble de mes félicités. Je sçaurai aujourd'hui bien amplement des nouvelles de Paris ; car Monsieur de Bouillon qui partit hier, m'en doit mander. Il fait beau ici. Mais partout hors d'auprès de vous, il m'ennuie si fort, que je ne puis durer. Trouvez un moyen que je vous voye en particulier ; et que devant que les feuilles tombent, je vous les fasse voir à l'envers . Bonjour, mon cher cœur, que je baise un million de fois ».
Il faut dire que le roi fréquente plusieurs femmes à la fois dont la comtesse de Moret et la comtesse de Romorantin. Le lendemain, Henri IV s'engage, auprès d'Henriette d'Entragues, à chasser l'une d'elle. « Mon cher cœur. Je pris hier deux cerfs, avec beaucoup de plaisir ; au soir je vis jouer les comédiens, où je m'endormis. Il étoit minuit quand ils achevèrent. J'étois si las que je n'ai sçu vous écrire. Je ne me suis levé qu'à onze heures, me portant très bien, Dieu merci. J'ai fait tout ce que vous désirez : elle s'en ira bientôt . Toutes les Dames sont bien étonnées, et ne sçavent d'où le malheur vient ; mais elles ne parleront plus à l'oreille : n'en dites rien ; car on leur mande de Paris tout ce que vous dites. Assurez-vous, mon cœur, que je vous aime de tout le mien, et avec plus de passion que je ne fis jamais. Sur cette vérité, je baise un million de fois vos beaux yeux ».
Le 20 octobre 1606, le roi renouvelle son amour à la marquise de Verneuil : « Mes chères amours. Vous aurés veu par ma lettre que je vous escrivis hier, que mon desplaisir ne procédoit que de force de vous aimer. Mon inclination et toutes mes résolutions m'y portent tellement, qu'il faudroit de grands efforts d'ingratitude pour m'esbranler. Bien desirai-je comme je ne veux rien faire qui vous desplaise, ni recevoir de vous chose qui puisse m'apporter du mécontentement. Madame de La Chastre est parti ce matin bien à regret : elle a parlé à moy en partant. Je remets à le vous dire. Monsieur de La Rivière part aussy. C'est tout ce que je puis vous dire ce matin, sinon que je baisse vous, mon cher cœur, un million de fois. Ce xx° octobre ».
Cinq jours plus tard : « Mon cher cœur. Je ne fauldray d'estre demain à six heures et demie ou à sept entre vos bras : ne vous levés pas plus tost, car quant vous partirés à neuf heures de Courance, c'est assés. Je seray une heure avec vous, vous chérissant comme il faut. Je sçay force nouvelles de Paris. Ce porteur me faict escrire en si grand'haste, pour estre avant vostre coucher, qu'il ne me donne le loisir de vous faire que ce mot. Bonsoir, mon menon. Je baise vous un million de fois. Ce xxv° octobre ».
Vers la fin du mois d'octobre 1606 : « Mon cher cœur. J'ay esté esveillé ce matin par vostre lettre, qui me rendra cest journée plus heureuse et me mettra en bonne humeur. Vous me desplaisés toutes fois de me voulloir retarder le contentement de vous veoir ; mais je ne vous en croiray pas. Retardés votre saignée pour mon service ; et si elle vous est nécessaire, remettés à moy à vous ouvrir la veine. Je ne sçay qui vous a dict que j'avois fouetté nostre fils ; car cela n'a point esté. Je finiray donc, ma chere ame, en vous donnant le bon jour et un million de baisers, attendant à demain, que je vous embrasseray de tout mon saoul et de bon cœur. Que je sçache demain de vos nouvelles par les chemins ». Une autre lettre arrive le lendemain : « Mon cher cueur. Vous recepvrés à vostre reveil ce mot, qui vous rendra plus gaie toute la journée. Je le juge par moy qui l'esperimente quand je reçois quelque tesmoignage de vostre affection. J'ay ouy une fort belle comédie, mais je pensois plus en vous qu'en elle et m'en vais coucher vous souhaitant auprès de moy. Bon soir, mon tout, je te baise un million de fois ».
Dans une lettre du 28 décembre 1606, Henri IV s'adresse à Madame de Monglat, préceptrice de ses neuf enfants qu'il eut de la reine et de ses maîtresses (les trois enfants de Gabrielle d'Estrées, et les deux enfants d'Henriette d'Entragues). « … je verray bientost mon fils. Mandés-m'en souvent des nouvelles et de mes aultres huict enfans… ». Dans la lettre suivante, il autorise M. d'Entragues à voir ses petits-enfants : « Mon cueur. Je vous mandois par la lettre de M. de Rohan, que je trouvois bon que vostre père vis nos enfans . J'approuve que Mr de Seuilly [Sully] ne parle de rien ce voyage icy ; il n'est encore arrivé. Il neige bien fort icy, qui me remue des galenteries aux orteils, qui ne m'empescheront de courre demain un cerf, si elles ne m'augmentent. Bonjour, mon cœur, je te baise un million de fois ».
Comme dans toutes les lettres adressées à Henriette, le roi termine par « un million de baisers » alors que la reine n'a droit qu'à « Je vous baise mille fois ».
La tyrannie d'Henriette d'Entragues (1607)
Plus que jamais, au cours des années 1607 et 1608, Henriette d'Entragues reprend, avec son ascendant, la tyrannie de son humeur fantasque et de son esprit redoutable. Le roi se sent même plus subjugué que jamais. L'insolence de la favorite semble croître en proportion de son empire ; de là les tergiversations de Henri IV et ses efforts impuissants pour secouer un tel joug.
Le 19 juillet 1607, Madame de Monglat reçoit une lettre du roi « … Ayant permis à Madame la marquise de Verneuil de voir ses enfans, je vous en ay bien voulu advertir par ce mot, que je vous fais exprès par ce lacquais, pour vous dire que lorsqu'elle sera arrivée à Poissy et vous mandera qu'elle désire de les voir, vous permettés que l'on les luy meine, mesmes qu'ils soyent avec elle deux ou trois jours si elle veut… ». Le 2 août suivant, une autre missive précise : « Madame de Monglat. C'est pour vous dire que, sur la prière que Madame de Verneuil m'a faicte de pouvoir encore retenir mes enfans quatre jours, oultre le terme que je vous ay escript, que je vous fais ce mot pour vous dire que le luy ayant permis, vous ne faciés difficulté de les luy laisser pour le dict temps, comme chose que je desire. ».
Le 8 août 1607, le roi est désespéré de ne pas recevoir de nouvelles de la marquise : « Mon cher cœur. Je n'ai point eu de vos nouvelles depuis quatre jours. Je crains que les ouvrages que vous avés auprès de vous ne vous facent oublier l'ouvrier. Pour moy, mes dévotions m'excusent jusques à cette heure [dévotions de l'Assomption]. Je ne sçay rien de nouveau qui vaille la peine d'estre escrit. M. de Nevers est venu dire à Dieu, qui s'en va à Nevers. M. le prince d'Orange est arrivé ce soir. J'ay prins un cerf où M. de Seuyly a esté à la mort. Je vous donne le bonsoir et un million de baisers de bon cœur. Mandés-moy des nouvelles de nos enfans ».
Le 14 octobre 1607 : « Mon cher cœur. Nous venons de disner céans et sommes fort saouls. Je vous voiray devant que partiés de Paris, et vous cheriray non comme il faut, mais comme je pourray. Ce porteur me haste si fort que je ne vous puis faire que ce mot. Bonsoir, le cœur à moy ; je te baise un million de fois. Ce xiiij° octobre ». Le 18 octobre 1607, le roi fait état de sa mélancolie. « Je ne pensois point, en vous mandant que vous seulle pouviés changer mon humeur merancolique en joye, vous offenser ; aussy peu en vous tesmoignant le désir de vous chérie et le deplaisir d'en estre privé. Ce n'a jamais esté mon intention ny ne l'est encore de vous empescher de prier Dieu, tant s'en fault ; je l'approuve extresmement. Vous dictes que ma merancolie ne procede de vous ; je ne vous en ay pas accusée ; et n'en ayant subject du monde, il est tout evident qu'elle procède de la rate ; pour à quoy pourveoir, je viens de prendre médecine. Vous me mandés que vous voulés vivre autrement que de coustume ; j'ay trouvé ce style bien rude, pour ne vous en avoir donné occasion. Si vous continués, vous me ferés résouldre à ce qu'il vous plaira. Je vous baise, en toute humilité, les mains. Ce xviij° octobre ».
Le 13 décembre 1607, le roi est impatient de rencontrer sa maîtresse : « Mon cueur. J'ay une extresme joye de penser vous voir sabmedy. Pour toutes vos affaires, j'en ai dict au Maire mon opinion. Resolvés-vous de me chérir à mon arrivée, et de ne me bien flatter ; car j'ay cinquante-quatre ans [Henri IV était né le 13 décembre 1553]. Je me vais coucher qu'il est une heure et ay perdu mon argent. Bon soir, le cœur à moy ; je te baise un million de fois ». Le nommé Le Maire était un agent de la marquise de Verneuil qui intriguait pour son fils à Metz.
La santé du petit marquis de Verneuil (1608)
Il faut arriver au 19 mars de l'an 1608 pour trouver de nouvelles lettres du roi à sa maîtresse. « Mon cher cueur. Vous sçaurés par ce porteur la santé de nostre fils ; Monsieur Erouart dit que ce n'est rien que rhume ; pour moy, je croy que ce sera la rougeole. Il n'y a rien de nouveau ; je m'en vay courre un cerf et seray de retour ce soir. Je vous donne, mes chères amours, le bonjour et un million de baisers. Ce xix° mars ». Le lendemain, le roi écrit à Madame de Monglat pour s'enquérir de la santé de « mon fils de Verneuil » qui a contracté une maladie contagieuse et le confie aux mains du médecin Erouart. Les lettres suivantes ne sont qu'un feu roulant d'épîtres aigres ou tendres, surtout licencieuses et souvent aussi très peu bienséantes relativement à la reine. « Mon cœur. Je m'en vais monter à cheval pour m'en aller à Beaumont. Je vous manderay ce soir ce qui sera passé ceste journée. Après demain je vous verray sans faillir, s'il plaist à Dieu. Je suis bien aise que nos enfans soyent hors de Paris. Il fait icy un extresme froid qui ne nous fait pas toutesfois demeurer au logis. Bon soir, mon cœur, je te baise un million de fois ».
Le 26 mars 1608, le roi se trouve à Marcoussis pour chasser le cerf mais aussi pour aller honorer sa maîtresse : « Mes chères amours. Je vous fais ce mot, accablé de sommeil, ayant prins le cerf près de Marcoussy, et estant las tout ce qui se peut, pour vous dire que la rougeole est sortie à nostre fils. Ne doubtés poinct qu'il ne soit recouru comme moy mesme. Je le verray sabmedy, et vous pourrés venir icy demain, qui est jeudy. Je serois bien aise de vous voir devant que partir ; le subject du mal de nostre fils est assez apparent pour vostre voyage. Je vous baise un million de fois. Ce mercredy, à six heures du soir ». Deux jours plus tard : « Mon cher cœur. Je commenceray par vous dire que, comme la rougeole a paru à nostre fils, la fiebvre l'a quitté. Il en a esté tout couvert ; elle elle s'en va. Dans trois jours il courra partout. Soyés donc quitte de ceste peine-là. Pour le fait de Mets, venés icy dimanche, M. de Villeroy vous y attendra. Vous avés tort de croire plustost des advis de gens qui n'entendent rien en telles affaires que les miens, qui suis père et plus sage que vous, que je baise un million de fois ».
La négociation relative à la nomination du petit marquis de Verneuil à l'évêché de Metz est menée par Villeroy qui écrit à Sully : « Nous avons desjà gaigné ce poinct avec le Pape, qui a recogneu que le chapitre de Metz a droict d'élire et postuler l'évesque, tant par vacation que par résignation, et mesme pour l'administration, de sorte qu'il faut que ledict chapitre parle pour le cardinal de Givry, soit qu'il doive dès à présent avoir le tiltre de l'évesché, ou la susdicte administration, comme l'on peut colliger du mémoire dernier envoyé de Rome, que j'ay mis es mains de Le Maire… Afin d'induire le Pape à accorder dès à présent à Monsieur le marquis de Verneuil le tiltre du dict évesché… et faire valoir, suivant vostre advis et le désir de Madame la marquise de tout mon pouvoir ». Villeroy mentionne deux défauts : la naissance et le bas-âge d'Henry, marquis de Verneuil, «… il est nécessaire qu'il soit dispensé de l'un et de l'autre défaut, et il n'y a que le pape qui le puisse faire ». Le 28 mars le roi envoie une missive au cardinal Borghese pour le remercier : « Mon cousin. Mon ambassadeur m'a escript la peine que vous avés prise pour disposer Nostre Sainct Père à m'octroyer la grace que je luy ay demandée pour mon fils Verneuil ; de quoy j'auray à jamais souvenance et me revancheray en toutes occasions ».
Le 10 avril 1608, la marquise de Verneuil lit : « Mes cheres amours. M. de Villeroy vient de me monstrer les lettres que vous et Mr de Seuyly luy avés escrites et la despesche qu'il a faict là-dessus, qui est fort bien. Il désire sçavoir encore quelque chose de vous. Nostre fils fut purgé hyer ; il se porte bien. J'ay dit à ce porteur comme je le retenois. Il a bon tesmoignage de tout le monde. Je vous donne le bonsoir et un million de baisers ».
Le roi renseigne souvent la marquise sur la santé de leurs enfants résidant à Saint-Germain. « Mon cher cœur. J'ay donné ordre que nostre fils ne se promène tant ; il est tout mérancolique depuis son mal. Nostre fille se tourna arsoir un pied ; de quoy elle a la cheville enflée, et cela est assez doloreux ; j'ay commandé qu'elle gardast le lit. Ce n'est pas du costé de sa jambe qui estoit foible, dans deux jours elle ne s'en sentira pas. Je m'en vais courre un cerf. Je vous donne le bon jour et un million de baisers ».
Au cours de l'été 1608, la marquise est très fâchée de ne pas pouvoir emmener son fils. « Il faut dire vray, c'est moy qui n'ay point esté d'advis que vous menissiés icy nostre fils, et commandé à Monsieur de Deully de vous dire que ma femme ne le vouloit pas ; bien si vous vouliés, nostre fille. Voilà pourquoy vous ne vous en debvrés prendre qu'à moy, et ne pouvés appeler cruaulté que l'on vous prive de la veue de vos enfans, puisque vous mescognoissés l'ouvrier, qui est tousjours plus excellent que l'ouvrage. Venés demain, car aultrement je seray offensé contre vous, que je baise un million de fois ».
À suivre…
Notes
(1) M. Berger de Xivrey, Recueil des lettres missives de Henri IV (Impr. Impériale, Paris, 1853).
(2) Le maréchal de Biron, qui avait comploté contre le roi, fut condamné par arrêt du 20 juillet 1602, et exécuté dans l'intérieur de la Bastille. Il était de la conspiration du comte d'Auvergne et de la marquise de Verneuil, qui ne tendait pas à moins qu'à livrer aux Espagnols la personne de Henri IV, et le royaume de France. Biron, pour récompense, devait épouser la sœur du roi d'Espagne, et avoir le duché de Bourgogne en propriété, sous l'hommage d'Espagne.