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Henri IV et la marquise de Verneuil (3) (1608)

Cette chronique est le troisième volet de la correspondance entre le roi Henri IV et Catherine Henriette de Balsac d'Entragues, fille du seigneur de Marcoussis, nous narrant les relations amoureuses entre le roi et la fovorite, connue sous le titre de mademoiselle d'Entragues, puis sous celui de marquise de Verneuil. Nous nous étions arrêtés en l'année 1608, au moment, où les amants en perpétuel conflit, annonçant la rupture proche (1).

 

C.Julien Février 2013

 

Les langoureuses doléances (1608)

Quelques lettres de 1608 montrent bien à quel point la marquise de Verneuil empoisonne la vie du roi, et aussi à quel point Henri IV perd avec elle toute énergie et toute dignité. «  J'ay assez tesmoigné le soin de vous quand vous vous en êtes rendue digne, les marques vous en demeurent ; et vous m'avés osté ce que vous m'aviés baillez de plus cher  ». Puis, encore une plainte arrive : « Ce n'est pas paresse quy vous pryve de mes nouvelles, mès la créance que synq anées m'ont comme par force ymprymée, que vous ne m'aymés pas. Vos efets ont durant ce tamps-là esté sy contreres à vos paroles et à vos escrys, et, dysont [et non disons] plus, à l'amour que vous me devyes, qu'anfyn vre yngratytude a arablé ma patyon, quy a plus résysté que n'eut ceu [pour qu'elle n'eût su] fayre dans tout autre. Vous resouvenant combien de pene Jan ay porté, syl vous reste tant soyt peu d'afectyon, et vous deves an avoyr du regret. Je tyens an une chose de la dyvynyté que je ne demande que la conversyon, non la mort. C'est à vous à parler françoys la-desus ; que jantenderé tous jours fort volontyers, estant malangue d'ynclynatyon. Si vous avés le dyable au cors, attendés là [c'est-à-dire : restez là où vous êtes]; sy quelque bon démon vous possede, venés à Marcousy , où estant plus pres, les efets san connoytront myeus  ». Encore une fois, le roi veut honorer sa maîtresse à Marcoussis.

La lettre du 30 ou 31 mars 1608 répond à une correspondance incendiaire de la marquise qui est de plus en plus jalouse. Dans sa lettre, madame de Verneuil poussait sa colère pour obtenir une charge ecclésiastique pour son fils. Le roi, très patient, exprime son amour et s'exécute : «  Ma chère ame. Je ne respondray point à vostre lettre pour ce coup ; ne n'en ay pas le loisir, je l'ay bruslée soudain après l'avoir lue  ; croyés que je vous aime chèrement et que les effects le vous feront voir. Celle qui a fait les pronostiques de vous et de votre fils à dix ans plus que moy ; qui empescheroit qu'elle ne le vist ; mais je vous puis bien jurer que vous n'en debvés rien craindre, je ne lerray de faire ce que je vous ay promis. La depesche de Rome est faicte comme vous le désirés. Je vous donne le bonsoir et un million de baisers  ».

Vers le commencement d'avril 1608, le roi rassure la marquise sur la santé de ses enfants qui sont toujours confiés à Madame de Monglat «  Mon cher cœur. Ne soyés point en peine de nos enfans : pour le fils, il se porte bien et a recommencé à se rejouir aujourd'huy, je ne le vis jamais plus fou ; pour la fille, elle se lève desjà, et dans deux jours elle ne s'en sortira point ; ne doubtés poinct que je n'en ay du soin, et que quant ils ne seroient pas miens, pour l'amour de vous seule, je les cherirois à l'égal de mes aultres enfans. Le vicomte de Brigueil n'est pas encore venu. Je meurs d'envie de vous voir ; mais envoyés querir Maison-Rouge, comme vous m'vés promis. Bon soir, mon ame, je te baise les tétons un million de foi s ».

Dans une autre lettre d'avril 1608, Henri IV écrit : «  Vous avés perdu le beau temps, qui vous donnoit moyen, sans incommodité, de me voir, je le désirois à la vérité avec passion et avec raisons d'estat pour vous. Vous avés tesmoigné l'indifférence où vous me tenez par vos foibles raisons ; que vostre interest soit donc la cause de faire que je vous voye. Le Maire vous dira les raisons pour lesquelles il est nécessaire ; il vous dira trois ou quatre lieux et celuy que j'estime le plus propre. Je vous donne le bon soir et vous baise les mains  ».

Le même jour : «  Mon cher cœur. Je vous fay ce mot eemy mort d'un felon qui m'a prins la nuit passée par haut et bas, qui m'a rendu si foible que je ne me suis peu trouver aux cérémonies, n'ayant bougé du lit ; je n'ay point, Dieu mercy, de fièvre, et crois que cela m'aura servy d'une médecine. Je finis en vous donnant le bon soir et un million de baisers  ».

Plus tard, le roi reprend ses plaintes et donnant une image. «  Si vostre amour est de l'eschantillon que vous m'avés envoyé, mes affaires iront bien, mais depuis quelques ans vous me l'avez faict trouver de la taille du vidame du Mans, long et maigre. Je suis arrivé ayant eu tout le plaisir qu'il se peut. Je vous supplie, augmentés mon contentement au lieu de le troubler. Vous le pouvés, vous le devés ; il fault que vous le vouliés. Sur le salutaire conseil, je finiray en vous baisant un million de fois  ».

 

 

La mauvaise santé du roi

Pauvre roi ! Il voulait être aimé d'amour et, à toute occasion, il étalait son âge et ses infirmités, se conduisant comme un enfant. Henri IV fait aisément état de ses ennuis de santé. «  Mes chères amours. Je me suis levé de bon matin, et me suis allé promener à la forêt à cheval. Je vous jure que je me suis trouvé si foible, que je n'ai sçu endurer l'amble de ma haquenée [jument douce et docile]. De mal je n'en sens plus Dieu merci ; mais autrefois j'ai été malade un mois que je ne demeurois pas si foible. Si mon mal eût continué, je vous eusse envoyé quérir . Je suis si triste de ne vous voir point, que rien ne m'apporte du contentement. Aimez-moi bien hardiment ; car je vous chéris plus que je ne fis jamais. Votre frère le comte et mois, pourrions bien vous témoigner, que ce matin à cheval nous nous sommes entretenus une heure de vous. Bonjour le tout à moi, je vous baisse un million de fois  ».

Le 6 octobre 1601, il se plaint d'un mal d'estomac : «  Mon cher cœur. J'arrivay hyer entre onze et douze, las et avec un extresme mal d'estomac . Ma femme se porte bien, et mon fils, Dieu mercy. Il est creu et remply de moitié en ces cinq jours, que je ne l'avois point veu. Pour moy j'ay fort bien dormy, et suis exempt de toutes douleurs, fors celle d'estre absent de vous, qui bien qu'elle me soit griefve, est modérée par l'espérance de vous revoir bien tost. J'ay desjà commencé les affaires de Monsieur de La Chastre ; vous en serés contente. Bonjour mes chères amours ; aymés bien tousjours vostre Menon, qui vous baisse un million de fois les mains et la bouche, etc.  ».

Vers la fin de l'année 1606, il est atteint de la goutte due à la mauvaise alimentation : «  La goutte me diminue tellement, que si elle continue ainsin tout aujourd'huy, j'espère vous voir demain. Je suis d'avis que ne partiés d'aujourd'huy. N'attribués à paresse ny à faute d'affection si j'ay esté paresseux à vous escrire. J'ay esté malade, et si je crois que vous ne m'aymés gueres, je ne laisse de vous beser un million de fois  ». Puis : «  Mon cœur. Je suis arrivé icy guery. Dieu mercy, de la goutte, mais avec la migraine. Je ne sçay encores si j'en partiray demain. Je vous donne le bonsoir et un million de baisers  ».

Vers le 4 avril 1608, la marquise de Verneuil reçoit la missive : «  Mon cher cœur. J'envoye La Guesle vers vous, pour sçavoir les bons contes que vous ne me pouvés excrire. Je n'ay pas pensé à propos de luy parler de l'affaire de Ham, que le vicomte de Brigueuil ne fust venu, que j'ay encore renvoyé querir. Toutesfois, si vous desirés que je luy en parle devant, renvoyés-le-moy, et je le feray. Je me suis trouvé mal ceste nuit ; mais j'espère que ce ne sera rien. Je remets au porteur force choses qu'il vous dira. Je vous donne le bon soir et un million de baisers de bon cœur  ».

Le 8 avril 1608, on lui prescrit une saignée : « Mon cher cœur. Ce ne sont point les devotions qui m'ont empesché de vous escrire, car je ne pense poinct mal faire de vous aimer plus que chose du monde, mais c'est que je me suis trouvé si mal qu'en sortant des services il me falloit au lit demy mort ; et pour achever de me peindre, le jour de Pasques [le 6 avril 1608] je touchay douze cens cinquante malades, et hier je pris médecine, qui ne m'a pas, ce me semble, fort profité ; car il y a huit jours que je ne dors poinct, et le sang si eschauffé que je suis en perpétuelle inquiétude. Demain je seray saigné : dès le soir, le vous manderay de mes nouvelles. Bien dès asteure vous puis-je dire que vous estes mon cher cœur, que je vous baise un million de fois  ».

Vers la mi-septembre 1608, le roi prend les eaux thermales de Spa. «  Mon cher cœur. J'envoye sçavoir de vos nouvelles. Je croys que vous voirrés nos enfans aujourd'huy, qui vous donneront bien du plaisir. J'ay commencé hier à prendre les eaux. Je ne vous puis dire encores comme je m'en porteray. Il n'y a rien de nouveau. Je verray courre un cerf l'après disnée, mais ce ne sera que sur des haquenées, car l'exercice violent m'est interdit ce pendant que je boyray. Vostre mère est partie de Paris, croyant que Bassompierre espousera vostre sœur. Vous ne moy n'avons ceste croyance. Je vous donne le bon soir et vous conjure de m'aimer bien, comme je fais vous de tout mon cœur, que je baise un million de fois  ».

 

 

Le chasseur impénitent

Seuls, le Roi et les nobles avaient le droit de chasse, cet "art de noblesse", étant liée à la guerre et au droit de porter des armes. Par son ordonnance de 1516, François 1er avait imposé un cadre juridique strict pour réglementer, en organisant les capitaineries royales nommées «  les plaisirs du Roi  ». Henri IV ne manquait pas à ces plaisirs et fréquentait toutes les capitaineries de l'Île-de-France : Saint-Germain-en-Laye, Fontainebleau, Corbeil et la forêt de Séquigny dont le buisson de Marcoussy faisait partie.

Le 30 octobre 1600, Henri IV part à la chasse à Saint-Germain. «  Mon amé. Il me semble qu'il y ait déjà mille ans que je ne vous ay veue. J'ai envoyé La Varenne voir le logis de Saint-Pierre, pour sçavoir s'il sera propre pour vous. Le Conseil ne viendra que mardy. Il n'y a rien de nouveau. Je m'en vais à la chasse pour m'y divertir du déplaisir que me donne votre absence. Je suis au milieu de mes marmots qui m'ont fait faire cette lettre à cent fois. Bonsoir, le Menon à moi, je vous baisse un million de fois  ».

L'année suivante, le roi revient de la chasse, très fatigué. «  Mes chères amours. J'espère de vous voir dans quatre jours pour le plus tard. Demain je donnerai audience aux ambassadeurs, et tiendrai conseil. Jeudi est la Toussains. Vendredi j'irai voir mon fils, et samedi mon Menon que j'aime plus que tout le monde ensemble. J'ai pris trois cerfs aujourd'hui, de quoi je suis bien marri, car je suis fort las , et c'est ce qui me fait finir, vous baisant un million de fois  ».

La lettre du 10 avril 1608 marque : «  Mon cher cœur. Nostre fille se porte bien. J'ay prins un cerf qui a faict presque le tour de la forest  ; j'en suis si las que je n'en puis plus. Je m'en voys dormir, non de si bon somme que je ne vous souhaite entre mes bras pour me deslasser. Je vous [donne], mon tout, le bonsoir et un million de baiser  ». Puis, deux jours plus tard : «  Mon cher cœur. Je ne sçaurois passer un jour sans vous faire ressouvenir de moy, qui vous aime peut-estre plus que je ne dois ; je ne m'en repens pas, mais au contraire je peux vous aimer plus que je ne fis jamais ; mais aussy je le veux estre de vous sans exception ny modification. Je m'en vais courre un cerf pour me deslasser de ces festes . Bon jour, mon tout ; je te baisse un million de fois  ».

La chasse à courre reprend le 19 avril. «  Mes chères amours. Je ne vous voyeray point donc qu'après l'accouchement de ma femme. J'avois desjà pourveu aux affaires dont m'avés escript pour l'abbé de Clugny ; il n'est point malade. Je m'en vais demain courre le cerf . Mon fils d'Orléans [Gaston] a esté fort malade aujourd'huy d'un fort violent accès de fièvre, qui luy a fini par un grand vomissement ; il se porte fort bien asteure, comme aussy faict tout le reste de mon message. Bonsoir, mon cher menon, je te donne le bonsoir et te baise et rebaise un million de fois  ».

Le 22 avril 1608, le roi se trouve chasser le lièvre à Malesherbes qui lui donne la nostalgie des amours passées. «  Mon cher cœur. Vostre mère et vostre sœur sont chez Beaumont où je suis convié de disner demain ; je vous en manderay des nouvelles. Un lièvre m'a mené jusqu'aux rochers devant Malesherbes, où j'ay esprouvé "Que des plaisirs passez doulce est la souvenance" . Je vous ay souhaitée entre mes bras comme je vous y ay veue. Souvenés-vous-en, en lisant ma lettre : je m'asseure que ceste mémoire du passé vous fera mespriser tout ce qui vous sera présent ; pour le moins en fériés ainsy en traversant les chemins où j'ay tant passé, vous allant voir. J'ay parlé à la Guesle, il est tous-jours obéissant et fidelle. Mes chères amours, si je dors, mes songes sont de vous ; si je veille, mes pensées seront de mesme. Recevés, ainsy disposée, un million de baisers de moy  ».

 

Carte topographique des environs de Versailles dite des Chasses, levée de 1764 à 1773.

 

Au cours de l'été 1608, le roi décrit sa partie de chasse et donne tous les détails de sa vie intime : «  Mon cher cœur. Je vous donne le bon jour et un million de baisers. Je revins arsoir à la fermeteure de la nuict, fort las, car le cerf me mena jusques auprès de Dommartin . J'ay fort bien dormy. Dieu mercy, et viens de prendre un doigt d'hypocras pour me resjouir le cœur. Mandé moy de vos nouvelles, et croyés que je vous aime trop pour le mal que vous me faites. M. le Grand arriva arsoir, et Termes. Voicy les nouvelles d'icy. Je finis, vous rebaisant encore un million de fois  ».

 

 

Les rendez-vous galants à Marcoussis

Alors que le marquis d'Entragues logeait à Bois-Malesherbes, Marcoussis est un havre pour les amoureux. Le roi prétexte une chasse ou une visite des environs pour retrouver Henriette. Il lui demande même d'organiser une chambre confortable pour leurs ébats.

Le 23 octobre 1601, le roi écrit : «  Mon cœur. Je suis extrêmement marri de ce que vous ne pouvez voir Fontainebleau, car vous y eussiez pris plaisir. Je trouve bon que vous vous reposiez aujourd'hui et demain et qu'après vous veniez à Marcoussis . Mercredi j'espère d'avoir l'honneur de vous y voir. Mais souvenez-vous de vous loger en quelque chambre où nous puissions être ensemble jusques à neuf heures. Vous avez raison de conformer vos volontés aux miennes en ce qui me touche ; car je vous aime plus que vous ne vous aimez vous-même. Envoyez-moi par qui je vous manderai ce que je veux faire pour vous. Je partirai demain pour aller à Villeroi, extrêmement mélancolique de penser que je ne vous verrai de trois jours. Bonjour mon Menon, je te baise un million de fois  ».

Le mardi 24 octobre 1606, les amants se retrouvent à Marcoussis. Le Vert-Galant ose échanger un siège dans son carrosse contre une place dans le lit de sa belle. «  Mes chères amours. Més que je sois à Paris, je sçauray ce que c'est de cest homme de Périgueux, et vostre recommandation ne luy peut apporter que bonne fortune. J'ay receu trois lettres de vous aujourd'huy, sans celle que j'espère recevoir encores, devant que dormir, par Naus. Croyés que c'est le seul temps où j'ay receu contentement ; car, hors de vostre personne, ou de vos nouvelles, je n'ay non plus de joye, qu'il y a de salut hors de l'Église. Soyés mardy, sans faillir, à Marcoussy . Si vous pensiés que vostre disnée fust à propos de Villeroy, je vous y ferois bonne chère, et irois avec vous à Marcoussy , et vous prestant la moitié de mon carrosse le vostre seroit deschargé, et en eschange au logis ou vous logerez, vous me presteriés la moitié de vostre lit . Bonjour l'amé à moy, je te baisse un million de fois. Ce xxiij° octobre  ».

Au cours du printemps 1608, une lettre explique : «  Voicy ma rente que je vous paye. Je les paye toutes par an, vous le sçavés il y a long-tems. Tout nostre peuple d'icy se porte bien, Dieu mercy. Mandés-moy si vous pourriés venir à Marcoussy, puis je vous manderay pourquoy je le veulx sçavoir . Aimés-moy bien, mon cher cœur ; certes, mon amour le mérite et mon corps aussy. Pour moy, je vous aime plus que mes yeux, que vous sçavés que je tiens bien chers. Bonjour mon tout, je te baise un million de fois. Si sçavés quelques nouvelles, desportés m'en  ».

 

 

Le Vert-Galand désappointé

Bien que donnant des preuves d'amour le Vert-Galand est désappointé devant l'attitude de la marquise. «  Mon cher cœur. Le temps a esté tel, que vous avés eu raison de retarder vostre voyage, et comme je l'ay sceu, j'ay retardé le mien. Je partiray demain en espérance de vous voir, chose que je désire avec passion, mais si je vous treuve en mauvaise humeur comme vous me l'avés mandé, je me repentiray bien de vous avoir supplié de venir. Je vous aime bien avec vos complexions, mais non avec vos mauvaises humeurs ; dépouillés-vous en donc , devant que je vous voye, et vous resolvés de me recepvoir les bras ouverts et le cœur gay de me voir. Je vous donne le bon soir et un million de baisers  ».

C'est au cours de l'été 1608 que le roi comprend que ses relations avec Henriette d'Entragues vont s'achever. Il est encore follement amoureux mais fatigué de la froideur de sa maîtresse. «  Mon cher cœur. Ces deux jours m'ont duré deux siècles . Je vous voirray demain, s'il plaist à Dieu ou chez vous ou au bord de l'eau. Croyés que je vous aime plus chèrement que tout ce qui est au monde. En estant sage, vous me pourrés conserver en ceste stat. Ma main me tue ; que me faict vous donner le bon soir et un million de baisers  ».

Henri IV est encore impatient. «  Mon cœur. Il a fallu que j'aye donné ceste matinée à ceux de mon conseil, et une partie de l'après-disnée sera pour la royne Marguerite ; puis je donneray le reste à mon contentement, qui sera de vous aller voir, vous baiser et vous embrasser  ; ceste fin couronnera la journée. Cependant mandé moy de vos nouvelles, et si vous estes en aussy bonne humeur que hyer. Je vous donne le bonjour et un milieu de baisers  ».

Le roi essaye d'obtenir la complicité de la reine, en lui lisant les lettres de sa maîtresse : «  Mon cher cœur. Je montray arsoir vostre lettre à ma fame, luy demandant advis de ce que je vous répondrois. Je la regarday au visage pour voir sy j'y verrois de l'émotion, quand elle lisoit vostre lettre, comme d'autres fois j'avois veu quand l'on parloit de vous. Elle me respondit, sans aulcune altercation, que j'estois le Maistre, que je pouvois faire ce que je voulois ; mais qu'il luy sembloit que je debvois vous contenter en cela. Tout le reste du soir elle fut fort joyeuse, et parlasmes par reprises de vous, et me dit, riant, que si la princesse de Conty lui avoit veu lire vostre lettre, elle seroit bien en peine ; car elle se tourmentoit tellement de tout, qu'elle ne s'esbahissoit pas sy elle estoit aussy maigre. Envoyés donc vostre carrosse et ce qu'il faut pour les mesner. Ils seront mercredy à Chaillot, n'ayant voulu qu'ils demeurassent à Paris pour les flux de sang qui y courent. J'envoyeray quelqu'un de mes gentilshommes avec eulx. Le duc de Mantoue nous vient voir incognit, avec quarante chevaulx de poste ; il sera le vingt-uniesme de ce mois icy. Comme nous retournerons à Paris, je vous le manderay pour renvoyer nos marmots à Saint-Germain. Aimés-moy, mon cher cœur, et je vous jure que vous l'estes de moy autant que vous le fustes jamais. Je vous donne le bon soir, et un million de baisers  ».

Vers le 20 octobre 1608, le ton monte entre les amants, une vraie scène de ménage a lieu, car la marquise devient si désagréable que le roi pense à rompre : «  J'ay receu vostre lettre. Il est vray que dimanche nous resolumes d'emplyer une heure à establir une façon de vivre qui nous apportast plus de contentement que vostre ingratitude et inégalité ne nous en avoit donné depuis quatre ans. Pour cest effect, ne m'y en allay lundy au matin où, au lieu de recebvoir quelque bon visage, vous commençamtes par me dire pourquoy j'estois venu si matin, et qu'il y avoit un de nous deux trompé. A la vérité ce fut moy ; car je n'esperois des langages si rudes, qui peu zprès furent suivies de pires ; car rompant la courtoisie de ceux que l'on va voir chez eux, vous me dites ces mesmes paroles : je vous supplye, ne me voyés jamais ; je n'ay jamais receu que du mal de vous. Je vous responds : Madame songés bien, je ne mérite pas ce traitement. Vous me respondites : cela est tout résolu. Je vous respondis sans colère : jugés qui a tort pour nos enfans. Ce seroit à vous à qui il les faudroit recommander, car si je n'estois de bon naturel, vous leur faictes le pis que vous pouvés  ».

Le 16 novembre 1608, la marquise de Verneuil reçoit la lettre suivante où le roi demande d'être aimé : «  Mon cher cœur. Il ne se parle icy que des adieux que la couleuvre [la duchesse de Nevers désignée de ce sobriquet par Henri IV] va dire de maison en maison. Elle part demain, sans que je puisse dire que je luy aye donné congé. Pour vous dire mon opinion, je crois qu'elle a quelque chose dans le ventre, de quoy elle ne se veult descharger en France, parce que l'on compteroit les jours. Elle a tousjours couché avec son mari despuis qu'elle est arrivée. Tous ses parents la blasme de son voyage, ce disent-ils ; je crois qu'il n'y a que Mr d'Esguillon qui saiche le secret. Mandés moy de vos nouvelles. J'ay pris médecine aujourd'huy. Aimés-moy bien et me cherissés comme vous devés ; pour moy, je vous aime trop . Sur ceste vérité, je vous donne le bonsoir et un million de baisers. Ce dimanche xvj° novembre  ».

 

 

La tyrannie de la marquise

Dans sa lettre du 21 septembre 1608, le roi exhorte la marquise à l'aimer : «  Mon cher cœur. Je fus tout hyer empesché à la réception de M. le duc de Mantoue, qui est certes un honneste prince et le plus courtois du monde. Je pense le mener mardy à Saint-Germain. Nos brouillons sont bien alertes et me sont fonder de tous costés. Ces femmes sont fort mauvaises ; mais elles ne trouvent plus d'oreille à ma femme pour eux, qui me demande des nouvelles de notre fils avec soin, et qu'elle croyoit que vous, en aviés esté bien en peine. Il y a long-tems qu'elle ne vous avoit nommée sans rougir que ce coup là ; car elle ne montra nulle émotion, et parlasmes long-tems de toutes ces brouilleries. Je me porte bien, Dieu merci, vous aimant plus que vous ne faites à moy ; car c'est sans restriction, ny modification, comme vous. Bon jour, mon tout ; je te baise un million de fois. Je te prie, ne me parle plus de demain  ».

Le même jour, Henri IV reprend la plume pour donner ses sentiments : «  Nous partirons demain pour aller à Melun, et lundy à Saint-Maur, s'il plaist à Dieu. Il ne faut point craindre que l'on resolve rien de ces parties que l'on veut faire, devant que j'arrive à Paris ; car de trois sepmaines la conclusion ne s'en fera. Ce n'est plus à moy à tremoigner si je vous…, je l'ay assez faict paroistre, mais bien à vous à m'oster l'opinion qu'avec raison j'ay, que vous ne m'aimés pas. Je vous baise cent mille fois  ».

 

 

Les dernières lettres, la rupture

L'année 1608 finit par la disgrâce de la favorite. Le roi est follement amoureux mais ne peut plus supporter l'humeur exécrable et la tyrannie d'Henriette d'Entragues. Les dernières lettres sont pathétiques. «  Vous vous estes méprise dans votre lettre, car vous dites que je suis vostre cher cœur et que vous n'estes pas le mien. Je ne vous ostis jamais rien, et vous m'avez privé de tout ce que vous pouviés  : voilà une raison où il n'y a point de response. N'alambiqués point votre esprit à en chercher ; car il vaut mieux se taire que de ne dire rien qui vaille. Pour moy, je vous aime si chèrement, que moy-mesme ne me suis rien au prix. Je vous le jure, mes chères amours ; mais me penser nourrir de pierres, après m'avoir donné du pain… Jugés mon aage, ma qualité, mon esprit et mon affection, et vous serez ce que vous ne faites point. Bonjour, mon tout, et un million de baisers  ».

Vers le 8 septembre 1608, le roi est fâché de l'attitude de la marquise de Verneuil et l'entretient du Jubilé du pape Paul V : «  Quant vous refusés de faire ce que je vous prie, toutes vos belles paroles ne me satisfont point ; je les treuve tousjours contraires aux effects. Ce n'est pas d'asteure que j'ay ceste opinion ; mais vos deportemens m'y confirment de plsu en plus. Pour le jubilé, vous le pourrés aussy bien faire avec vostre curé qu'icy, car il est général. Je vous donne le bonsoir et vous baise les mains  ».

Finalement le roi n'accepte plus " d'être mené à la baguette ": «  Vous dites que vous ne savez plus que faire pour me contenter, et vous n'y avez pas seulement essayé, ny respondu à la première plainte que porte ma lettre. Vous estes une moqueuse, et au partir delà, vous dites que vous me connoissés bien. Vous vous estes si mal trouvée de me vouloir mener à la baguette que vous vous devriés estre faite sage. Vous me menacés de vous en aller à Verneuil, faites ce qu'il vous plaira : sy vous ne m'aimés pas, je seray fort ayse de ne vous point voir  ; sy vous dites m'aimer, c'en est un mauvais tesmoignage que de s'en aller quand j'arrive. Je verray donc par cette action quelle vous estes. Je seray jeudy à Paris, aussy mal satisfait de vous, sy vous ne changez de style, que je fus jamais. Sur ceste vérité, je vous baise les mains  ».

Dans l'une des dernières lettres, le roi reprend tous les griefs. La lettre se termine sèchement sans aucune formule amoureuse : «  Vos paroles sont bien receues de moy quand les effects vont devant, mais quand elles se sont que pour couvrir vos manquemens, des oraisons en espagnol entre les mains de nostre fils ; il m'a dit que vous les luy aviés données. Je ne veulx pas qu'il saiche seulement qu'il y ayt une Espagne ; et vous vous en estes si mal trouvée, que vous devriés désirer que la mémoire en fust perdue. Je ne fus, il y a long-tems, si mal ediffié de vous que je suis ; je crois que vous ne vous en souciés guère. Ce que je désirois vous voir estoit pour donner un grand coup à nos affaires, car j'ay descouvert beaucoup de choses ; mais puisque vous avés d'aultres considérations, gouvernés-vous comme il vous plaira  ». Le roi reproche à sa maîtresse ses sentiments hispanophiles et d'endoctriner le petit marquis de Verneuil. Aussi, il souligne les souvenirs de la conspiration des d'Entragues alliés du roi d'Espagne.

Vers la fin de l'année 1608, suite à l'amour insensé qui enflamma le roi pour Charlotte de Montmorency, la fille du connétable, âgée de 15 ans, mariée au prince de Condé, les relations du roi Henri IV et de la marquise de Verneuil trouvèrent leur terme.

 

 

Notes

(1) M. Berger de Xivrey, Recueil des lettres missives de Henri IV (Impr. Impériale, Paris, 1853).