Hodierne de Gometz, dame de Montlhéry

Chronique du Vieux Marcoussy --Marcoussis-------------- --_------------------------------------A Avril 2010

Les dames à l'époque médiévale (miniature du XIVe siècle).

Michel Réale

 

La Chronique du Vieux Marcoussis présente un texte communiqué par Michel Réale, célèbre historien local qui a produit plusieurs ouvrages dont une Histoire de la Basilique de Longpont et un autre sur le Reliquaire de Notre-Dame de Bonne-Garde de Longpont (1). L'auteur fait revivre le souvenir d'Hodierne de Montlhéry, gente dame qui vécut au XIe siècle, fondatrice de l'église Sainte-Marie de Longpont «  ecclesia sanctæ Mariæ de Longo Ponte  ».

 

 

La dame de Montlhéry

Hodierne de Gometz, devenue Hodierne de Montlhéry par son mariage, fut une dame exemplaire de l'époque féodale au XIe siècle. Elle était la fille de Guillaume de Gometz, seigneur de Bures, paroisse située sur l'Yvette, sénéchal de France donc en quelque sorte premier ministre du roi de France. Il semble être né vers 990 pendant le règne d'Hugues Capet et pouvait être déjà sénéchal vers 1030, donc vers la fin du règne de Robert le Pieux, fils d'Hugues Capet, suzerain des duchés et comtés de France, où il était plus ou moins obéi. Le domaine royal s'étendait en gros sur l'actuelle Île-de-France, où ses vassaux n'étaient pas tous des chevaliers «  amé et féal  » comme on dira plus tard.

Hodierne fut appelée dame «  domine  » de La Ferté et de Gometz (c'est-à-dire femme noble), ce qui fait supposer que son père n'eut pas d'héritier mâle. En l'état actuel des connaissances, nous ignorons les dates exactes de sa naissance et de son mariage. Nous ne pouvons que les cerner le plus possible, avec l'espoir que des découvertes dans des archives encore peu explorées fourniront éventuellement des indications plus précises.

Son fils aîné Milon-le-Grand passe pour être né vers 1035, avoir participé à la première Croisade, et avoir été mortellement blessé, à un âge avancé, lors de la seconde bataille palestinienne de Ramala en 1102. On pourrait en conclure qu'elle se maria vers 1033, mais on est en droit de supposer qu'elle était déjà mariée vers 1030 et qu'elle joua un rôle dans la décision de construire la future basilique de Longpont-sur-Orge, à l'édification de laquelle elle fut si attachée. L'écart entre le mariage d'Hodierne et la naissance de son aîné peut s'expliquer de plusieurs manières:
1- Milon naquit avant 1035, mais cela le ferait combattre à un âge bien avancé.
2- Hodierne fut mariée très jeune et le mariage fut consommé plus tard, ainsi que cela s'est passé pendant longtemps dans des familles royales et aristocratiques.
3- Elle perdit un
ou deux enfants, ou fit une ou deux fausses couches avant la naissance de Milon, ce qui n'était pas exceptionnel à l'époque.

Si la dame de Montlhéry a pris part à la décision de construire la future basilique de Longpont, elle était adolescente vers 1030 et pas beaucoup plus âgée car elle eut sept enfants vivants qui suivirent Milon, pas nécessairement les uns tout de suite après les autres, ni sans fausses couches. Jusqu'à preuve du contraire, il semble donc qu'Hodierne soit née vers 1012 ou peu après. Son lieu de naissance n'est pas indiqué non plus. On a naturellement pensé à Gometz-le-Châtel, près de Bures-sur-Yvette, car cette forte position protège Bures. Même si Hodierne n'y naquit pas, elle y séjourna nécessairement pendant sa jeunesse (2).

Hodierne ne passa certainement pas toute sa jeunesse dans son château de Gometz car les fonctions de son père nécessitaient des déplacements fréquents. Il semble l'avoir associée très jeune à cette gestion en attendant de le suppléer lors de ses absences, car même s'il n'était pas encore sénéchal à la fin du règne de Robert le Pieux, il faisait probablement partie de ses proches conseillers. Hodierne se rendit vraisemblablement à la Ferté-Alais (La Ferté-Baudouin de son temps, puis la Ferté-Aleps) qui appartint ensuite à son fils Gui le Rouge (3).

Guillaume de Gometz attendait certainement de sa fille qu'elle gérât son fief lorsqu'il s'absentait, dès qu'elle en eut la capacité, mais il l'emmena probablement auprès du roi de façon épisodique pour lui donner une idée de ce qui se passait hors de leur fief. Elle put y rencontrer son futur mari si lui aussi y accompagna son père, car Thibaut File-Étoupes, père de Gui de Montlhéry, était forestier du roi Robert le Pieux, donc un des principaux officiers royaux. À une époque où l'exploitation de leurs forêts constituait une source importante de revenus pour les premiers rois capétiens, le forestier jouait un rôle non négligeable. Guillaume et Thibaut se connaissaient nécessairement et se visitaient peut-être car Montlhéry et Gometz étaient voisins. Leurs enfants purent se rencontrer lors, de ces visites. Ce mariage correspondit certainement aux souhaits des deux pères et convint tout à fait aux deux intéressés.

Des recherches effectuées sur Thibaut File-Étoupes l'ont considéré comme petit-fils du comte de Blois et de Chartres Thibaut le Vieil et de Leutgarde de Vermandois. Thibaut le Vieil, mort très âgé en 978, fut aussi surnommé le Tricheur, car il était rusé. Leutgarde était la nièce de Béatrice de Vermandois, grand-mère de Hugues Capet. Ildegarde de Vermandois, fille de Thibaut le Vieil et de Leutgarde, fut donc cousine du roi Hugues Capet. Elle épousa Bouchard, un Montmorency selon certains historiens mais pas selon d'autres. Thibaut File-Étoupes fut fils de Bouchard et d'Ildegarde. La ressemblance des armes de Thibaut File-Étoupes avec celles des Montmorency va dans le sens d'une parenté. Thibaut fortifia Montlhéry, d'où il contrôlait une partie de la route de Paris à Orléans. Il semblait né vers 965 ou peu après. Il possédait Bray-sur-Seine, en Champagne, en amont de Montereau. Son surnom File-Étoupes, «  filans stupas  », semble indiquer des activités textiles à partir du chanvre.

 

 

L'œuvre des seigneurs de Montlhéry

Thibaut File-Étoupes sembla se décharger sur son fils de la direction de son fief vers la fin de sa vie, et mourir vers 1031. Gui pourrait être né vers 1005-1010. Gui de Montlhéry et Hodierne de Gometz eurent manifestement les mêmes qualités. Ils étaient pieux, vertueux, compétents, énergiques, pacifiques, modestes, désintéressés, cultivés. Ils ne recherchèrent ni la gloire, ni la renommée, ni la richesse, ni le pouvoir, s'entendirent parfaitement, gérèrent ensemble leurs deux fiefs. Guillaume de Gometz se reposa sur eux formant une des plus puissantes familles d'Île-de-France.

La grande œuvre de Gui et Hodierne fut la mise en construction de la future basilique de Longpont, à l'orient de Montlhéry, sur le rebord boisé de la vallée de l'Orge dans un bourg faiblement peuplée. Ce site passait pour avoir été un sanctuaire druidique transformé en chapelle mariale par saint Denis, le premier évêque de Paris. La première pierre fut posée un 25 mars du XIe siècle, en présence du roi Robert le Pieux et de l'évêque Imbert de Paris. Imbert devint évêque de Paris en 1029 ou 1030, après août 1029, et Robert le Pieux mourut en juillet 1031. Cette cérémonie eut donc lieu le 25 mars 1030 ou 1031 avec une préférence pour 1031.

Hodierne s'intéressa beaucoup à cette construction et y participa de ses mains, ce qui ne fut d'ailleurs pas exceptionnel car toutes les classes sociales travaillèrent à l'édification de cathédrales et d'églises, dans un grand élan de foi chrétienne. Le site choisi, en pleine campagne, imposait d'amener de la main d'oeuvre sur place. L'Orge était marécageuse, ce qui était peu pratique pour y puiser l'eau nécessaire. Il fallut recourir à une fontaine située à quelque distance, au carrefour du Mesnil : on l'appela fontaine Hodierne .

L'église de Longpont est un monument considérable qui s'étendait sur une longueur d'environ 64 mètres et une largeur de 25. Le terrain était en pente, avec un dénivelé de 3 mètres sur la longueur de l'église. Pour remettre le sol sur un plan horizontal, il fallait déblayer environ 2.400 mètres cubes de terre, avec les outils rudimentaires de l'époque.

La construction commença par l'abside et les absidioles, en style roman, et se poursuivit par le transept puis par la nef. Il fallut une trentaine d'années pour arriver au moins à la travée la plus orientale. Les murs semblent avoir été initialement couverts par une charpente. La source des druides fut englobée dans l'église, entre l'abside et la croisée du transept, et fut appelée source des moines, mais son débit ne fut pas suffisant puisqu'on dut utiliser la source du Mesnil.

Selon des traditions chrétiennes, il y avait eu sur cette butte un sanctuaire druidique, ce que confirment des indices matériels. La source dite des druides fut incluse dans l'église sous le nom de source des Moines ; bouchée lors de la destruction de cette partie de l'église en 1819, elle coula encore en 1942. Un roc tabulaire qui pouvait être l'ancien autel des druides fut trouvé lors des travaux de reconstruction de 1875-1878, dans la croisée du transept. Le chêne sacré des druides, sur l'emplacement duquel Gui et Hodierne auraient fait bâtir l'abside de l'église, serait tombé dans l'oubli après l'évangélisation des druides par saint Denis au IVe siècle et aurait été abattu par des bûcherons après les invasions germaniques ; la statue trouvée dans le creux du tronc aurait été réclamée, elle ou sa réplique, par Chartres, ce qui créa un lien spirituel entre Chartres et Longpont. Chartres aurait manifesté cette parenté spirituelle en réclamant des chênes de Longpont au début du XIIIe siècle pour reconstruire sa charpente. Le défrichement de la butte de Longpont aurait donc été à peu près terminé au XIIIe siècle, mais des arbres encadraient encore l'église de Longpont en 1817, ainsi que le montre une gravure de cette année-là.

Gui de Montlhéry était cousin au quatrième degré du roi Henri 1er, fils de Robert le Pieux. Il était aussi le gendre du sénéchal et un des principaux seigneurs franciliens. Selon l'abbé Millin, historien qui fut l'auteur des «  Antiquités nationales  » en 1790, Gui eut une grande réputation de valeur et de probité sous les règnes d'Henri 1er et de Philippe 1er. L'érudit Jules Marion, auteur de l'Introduction de l'édition imprimée du cartulaire de Longpont en 1879, cita un extrait de la notice Brémeron qui précède l'Inventaire des Titres du Prieuré en 1713. Gui fut un personnage de grande estime et réputation auprès du roi Henri 1er.

 

 

La fondation d'un couvent

L'année 1060 constitua un tournant dans la vie de Gui et Hodierne de Montlhéry: Henri 1er mourut et eut pour successeur son fils Philippe 1er. Gui conserva son influence. Les archives du presbytère de Longpont, transférées récemment à l'évêché d'Évry, contiennent des recherches manuscrites non signées, rédigées entre 1852 et 1900, qui citent des chartes signées par Gui après le roi. Jules Marion estima en se référant à l'Histoire généalogique du père Anselme (avant 1694) que Guillaume sénéchal contresigna une charte en 1060. Il mourut probablement peu après.

La construction des parties basses de l'église de Longpont se poursuivait et atteignit probablement à cette époque au moins la première travée à l'ouest du transept, puisque Gui et Hodierne voulurent fonder un prieuré au sud de l'église en 1061, et que la galerie du couvent déboucha sur la porte des moines, dans la travée la plus orientale. L'église, donc le prieuré de Longpont, avaient été édifiés par Gui et Hodierne sur un site druidique peu habité, probablement par des bûcherons. L'arrivée de moines stimulait les activités économiques et entraînait souvent le regroupement de nouveaux habitants autour d'eux.

Le choix de Gui et Hodierne se porta sur les moines bénédictins de Cluny. Le monastère de Cluny, fondé au Xe siècle en Bourgogne, donna naissance à des centaines de couvents en Europe. C'était un ordre centralisé dans lequel il y avait un seul abbé, à Cluny, et des prieurs dans les autres couvents, qui regroupaient des milliers de moines. Cet ordre était attaché à l'indépendance spirituelle de l'Église, aux papes qui luttèrent pour cette indépendance, à la prière et au soulagement des pauvres. Selon la légende, Hodierne se serait chargée de convaincre l'abbé saint Hugues de Cluny d'envoyer des moines à Longpont, et Gui persuada l'évêque de Paris, Geoffroi, de céder l'église de Longpont aux moines de Cluny. Selon les diverses indications que nous avons à ce sujet, entre autres par l'ouvrage historique Gallia christiana , entrepris au XVIIe siècle, Hodierne se rendit à Cluny et parla à saint Hugues. Elle l'en remercia par l'offrande d'un calice d'or de trente onces et d'une belle chasuble, et elle ramena avec elle vingt-deux moines.

La charte par laquelle l'évêque Geoffroi de Paris céda l'église de Longpont aux moines de Cluny, en 1061 ou 1062, porte le numéro LI dans le cartulaire de Longpont qui fut imprimé en 1879 et contient 355 chartes des XIe et XIIe siècles. Peu sont datées mais les noms de signataires permettent d'en situer beaucoup dans le temps. Elles sont rédigées en latin et ne sont pas classées chronologiquement. Cette charte expose qu'un des chevaliers de l'évêque de Paris, nommé Gui, lui a demandé instamment que l'église située dans le bourg appelé Longpont, fondée en l'honneur de la sainte mère de Dieu et à elle dédiée, fût remise à des moines qui y serviraient sous la règle de saint Benoît. Josselin, archidiacre de la circonscription, donnait son accord, ainsi que les autres fidèles. L'autorité de l'évêque et de son Église était conservée et les moines seraient dans l'obédience de Cluny. Cette cession était perpétuelle. Gui fit construire un monastère à Longpont, et donna des revenus et des biens immobiliers aux moines. C'était un homme profondément religieux et généreux, qui fit des donations à divers couvents, et devint moine quand il fut veuf.

Quand Gui de Montlhéry, devenu moine, mourut, après 1080, le couvent était probablement bien avancé, ou terminé, car Gui fut enterré près de la porte méridionale de l'église, sur laquelle débouchait la galerie du couvent. Cela fait supposer que cette galerie existait en 1080 et qu'une partie des bâtiments était édifiée. Gui n'avait probablement pas eu le temps de faire construire le couvent avant l'arrivée des moines, qui avaient pu loger dans des cabanes provisoires en attendant l'avancement des travaux.

 

Jeune homme séduisante une jeune fille (Miniature, Amiens, 1300).

 

Selon les archives du presbytère de Longpont, le couvent initial, endommagé en 1562 lors des guerres de religion, fut reconstruit sous Louis XIII ou le début du règne de Louis XIV, donc entre 1610 et 1650, et de nouveau détruit en 1652 lors des combats de la Fronde. Le couvent fut transmis en 1700 aux religieux de l'Etroite Observance. À cette occasion, une visite fut effectuée par Dom Goutelle, supérieur de Saint-Martin-des-Champs de Paris. L'état des lieux donne une idée de ce qu'était ce couvent, encore qu'il y eût eu des destructions et constructions depuis l'époque de Gui et Hodierne de Montlhéry. Le couvent avait une bibliothèque, un bûcher, une cave, un grenier, un dortoir, une salle de réunion, un réfectoire, un entrepôt pour les provisions, une chambre d'hôtes.

Selon l'abbé Lebeuf (1687-1760), auteur en 1754 d'une Histoire de la Ville et du Diocèse de Paris , les moines de Longpont devaient célébrer chaque jour trois messes hautes et une basse, et faire des aumônes trois fois par semaine. Ils partageaient leur temps entre la prière, le travail intellectuel et le travail manuel, entre autres pour cultiver.

Gui et Hodierne encouragèrent le peuplement de Longpont par une charte qui porte le numéro XLI. Ils accordèrent une exemption de juridiction seigneuriale aux habitants voisins du prieuré : aucun d'eux ne devait être poursuivi avant que le prieur eût été avisé de ce qui était reproché. Il est intéressant de noter que cette liberté fut octroyée par Gui et Hodierne, alors que Longpont se trouvait dans le fief de Gui et non dans celui d'Hodierne. Gui la laissait donc intervenir dans son fief à lui, et les deux possessions se trouvaient unies en pratique. Il y eut parmi les témoins Gui (le Rouge), fils de Gui et Hodierne de Montlhéry, un vicomte Adam, un chevalier Hece1in de Linas, le prieur Robert et les moines Bernard et Arestan. Cette charte, est antérieure à 1066 car le prieur Bernard eut pour successeur cette année-là le moine Bernard.

On remarquera que le Cartulaire de Longpont , dont nous venons de parler, constitue un document de première main qui s'étend sur la période allant d'environ 1061 à 1190 et qui concerne en grande partie des donations faites au prieuré dans le territoire du Hurepoix. Les femmes sont présentes dans 219 chartes sur 355 (près de 62%, et elles n'ont pas de raison d'apparaître dans des chartes émanant de papes, d'évêques et d'abbés qui ne les concernent pas directement). Parmi les femmes citées 299 fois, nous comptons 68 donatrices (du vivant de leur mari pour certaines), 47 codonatrices, 125 donnant leur accord, 16 sont témoins, et 43 autres citées pour diverses raisons.

Grâce à cette charte, Gui et Hodierne favorisèrent, autour du prieuré, la naissance d'un hameau abbatial de type bénédictin autour de cinq rues qui convergèrent vers l'église et le prieuré depuis toutes les directions. L'actuelle rue Darier monte vers l'église depuis le pont de l'Orge, à l'est ; la rue de l'Horloge vient du nord ; la rue de Paris vient, depuis le nord-ouest, de la grande route de Paris à Orléans ; la rue du Champ de Bataille descend de la direction de Montlhéry, à l'ouest et la cinquième voie (rue de Lormoy) vient du hameau de Guiperreux, au sud.

Une trentaine de maisons fut édifiée en bordure de ces voies jusqu'à la voie des Prés à l'est, à la ruelle de Nozay au nord et au chemin de Derrière-les-Murs à l'ouest, et en face de la ferme du prieuré au sud. Des terrains furent cultivés près de ces maisons jusqu'aux murs actuels de la ruelle de Nozay et à l'enceinte de Derrière-les-Murs, avec des jardins suspendus. Ce hameau bénédictin comptait toujours 150 habitants environ en 1872. Il se développa surtout après 1960, devint plus peuplé, avec des maisons plus nombreuses et modernes.

Cette initiative de Gui et Hodierne se révéla heureuse pour le prieuré car il prit beaucoup d'importance par la suite pour un nombre de moines qui se réduisit à six, et parfois à cinq. Or Longpont devint un lieu de pèlerinages et une étape vers Compostelle. Il reçut de nombreuses donations émanant, comme nous l'avons dit, particulièrement du losange Paris-Corbeil-Etampes-Versailles. Après l'écroulement de la chapelle paroissiale située dans le hameau de Guiperreux, l'église Sainte-Marie jusque là conventuelle devint également paroissiale, à la charge des moines. Les églises de Forges, Orsay, Pecqueuse, Champlan, Bondoufle, Orangis et Nozay, dans les environs, celle de Saint-Julien à Paris, les monastères d'Auffargis (dans le diocèse de Chartres) et de Touques (dans le diocèse de Lisieux) étaient des dépendances du prieuré de Longpont. Deux ou trois moines rattachés à Longpont furent installés dans plusieurs de ces églises. Une confrérie mariale ouverte aux laïcs des deux sexes naquit dans le hameau bénédictin de Longpont, s'étendit aux autres hameaux de ce village et aux paroisses environnantes, puis prit de l'extension. Elle aida les moines Bénédictins, particulièrement pour l'accueil des pèlerins, la gestion de la paroisse, les activités agricoles, les visites aux malades et l'aide aux pauvres.

 

 

La légende de dame Hodierne

Après la fondation du prieuré de Longpont, Gui et Hodierne de Montlhéry entrèrent dans la dernière partie de leur vie, qui se déroula en trois domaines, la gestion de leur fief, la poursuite de la construction de l'église de Longpont, et leur vie familiale. Leur fief, considérable, s'étendait sur Montlhéry, Gometz, Bures, Châteaufort, La Ferté-Baudouin et Bray-sur-Seine, avec les puissantes forteresses de Montlhéry, Gometz-le-Châtel et Châteaufort. Gui et Hodierne le dirigèrent en commun, sans Guillaume de Gometz, père d'Hodierne, car il mourut à cette époque.

Gui, cousin du roi et puissant féodal, exerça en outre une influence morale grâce à ses qualités. De 1067 à 1073, Gui cosigna plusieurs chartes après le roi Philippe 1er, ce qui implique qu'il joua un certain rôle et séjourna auprès de ce dernier.

Hodierne, associée à la direction de leur fief lorsqu'il y était présent, le suppléa certainement pendant une partie de ses absences, comme elle l'avait fait pour son père Guillaume de Gometz en plusieurs circonstances. Elle réussit particulièrement bien. Quoique Gui de Montlhéry laissa un excellent souvenir, et qu'il tremina sa vie comme moine suite à son veuvage. Hodierne laissa un souvenir encore meilleur et extraordinairement durable.

L'abbé Lebeuf, historien du diocèse de Paris, signala au milieu du XVIIIe siècle que le peuple des environs avait toujours une telle dévotion pour elle qu'il la nommait sainte Hodierne , et demandait encore des messes en son honneur. L'abbé Millin, autre historien que nous avons cité plus haut, signala à la fin du XVIIIe siècle que cette dévotion continuait, qu'Hodierne était toujours considérée comme une sainte, et qu'on demandait toujours des messes en son honneur. Le chanoine Salmon, qui publia en 1874 «  Pèlerinages des environs de Paris  », remarqua, en le regrettant manifestement, que l'Eglise n'eût pas officialisé le titre de sainte à cette pieuse et religieuse dame, mais ceux qui purent s'édifier au spectacle de ses vertus le lui attribuaient volontiers; elle avait toutes les vertus chrétiennes et ce fut à bon droit que le peuple des environs l'appela sainte Hodierne. François de Guilhermy, qui publia de 1873 à 1883 les «  Inscriptions de la France  », nota qu'Hodierne était toujours vénérée à Longpont et dans tout le pays.

Dans son livre «  Notre-Dame de Longpont  », publié en 1914, le chanoine Nicolas, curé de Longpont, signala qu'une source de Longpont était encore appelée fontaine de sainte Hodierne.

Elle est considérée comme un personnage important pour la légende de Longpont, mais pas nécessairement en matière historique. Elle n'a pas laissé de traces considérables dans les archives. Sur 355 chartes du cartulaire de Longpont que nous avons évoqué, deux seulement la citent. À une époque où peu de gens savaient lire et écrire, son souvenir se transmit oralement pendant plusieurs siècles dans la région, de génération en génération.

Elle était toujours considérée comme une sainte, plus de huit siècles après sa mort, et vingt-cinq générations avaient conservé sa mémoire. Un cas de ce genre est exceptionnel, sinon unique. Un miracle lui fut en outre attribué, comme nous le verrons, ainsi que des guérisons à la fontaine qui porte son nom.

Tout en dirigeant leur fief, Gui et Hodierne poursuivirent la construction des parties basses romanes de l'église de Longpont. Ils atteignirent probablement la cinquième travée à l'ouest du transept. La travée occidentale, plus composite, dénote des influences gothiques ultérieures. Les parties basses furent probablement couvertes par une charpente. Hodierne s'intéressa particulièrement aux travaux. Selon Jacques-Antoine Dulaure, un conventionnel qui écrivit une histoire des «  Environs de Paris  », Hodierne travaillait de ses mains à la construction de l'église et allait chercher de l'eau à une fontaine qui jouissait encore (à l'époque de Dulaure), de la réputation de guérir les fiévreux. On rapporte qu'Hodierne demanda un jour au forgeron local comment porter ses seaux avec moins de fatigue, que le forgeron lui jeta une courge de fer rouge et qu'Hodierne ne se brûla pas.

François de Guilhermy, que nous avons cité plus haut, signala dans" Inscriptions de la France ", dont les volumes parurent de 1873 à 1883, qu'on montrait il y avait peu la source appelée fontaine Hodierne où, suivant une tradition très ancienne, la pieuse femme venait puiser de l'eau pour la porter aux maçons employés à la construction de l'église. Il se racontait dans la paroisse qu'un forgeron avait fait rougir au feu le cercle de fer dont Hodierne se servait pour maintenir ses seaux mais que, par miracle, elle n'en ressentit aucun mal.

Selon les archives du presbytère de Longpont reprises par le chanoine Nicolas, curé de cette paroisse de 1911 à 1916, le forgeron mourut à la fin de l'année et fut enterré à la porte septentrionale de l'église, à hauteur de la quatrième travée à l'ouest du transept, ce qui fait supposer que les parties basses de l'église étaient construites au moins jusque là à ce moment~ La pierre tombale du forgeron, gravée de fers à cheval, se trouvait moitié à l'intérieur de l'église, moitié à l'extérieur, et ce qu'il en restait se voyait encore en 1859. La barre de fer d'Hodierne, transformée en croix, fut plantée sur une colonne qui subsistait du temple gallo-romain de Mercure édifié en bordure de la voie qui allait du pont de l'Orge vers la route de Paris à Orléans, au carrefour qui prit le nom de Croix-Rouge-Fer. Cette colonne, accidentellement brisée en 1931, fut réparée et transportée dans la basilique. Une réplique fut édifiée au carrefour d'où elle avait été retirée.

Lors de la construction de la voûte, dans la seconde moitié du XIIe siècle, trois visages furent sculptés dans la nef à la retombée des arcs. Selon la tradition locale rappelée par le chanoine Nicolas, ils représentaient Hodierne, le forgeron et son épouse. Ces récits montrent la modestie d'Hodierne, qui se mêlait au peuple, participait aux travaux et ne se croyait supérieure à personne.

 

 

La descendance de Montlhéry

Gui et Hodierne eurent huit enfants, trois garçons et cinq filles. L'aîné, Milon, naquit vers 1035. Gui le Rouge naquit vers 1031-1040. Guillaume mourut sans postérité. L'ordre de naissance des filles diffère selon divers auteurs. Elles furent prénommées Mélisende l'aînée, Alix, Mélisende la Jeune, Élisabeth. Le prénom de l'une d'elle n'est pas connu. Il a été supposé qu'elle put être prénommée Hodierne, comme sa mère.

Sur le plan familial, Gui et Hodierne établirent leurs enfants.
1. Milon le Grand épousa Litvisa (charte CCII du cartulaire de Longpont), vicomtesse de Troyes selon les archives du presbytère de Longpont.
2. Gui le Rouge épousa Alix de Rochefort (en Yvelines) et, devenu veuf, se remaria avec Elisabeth de Crécy-en-Brie, veuve du comte de Corbeil.
3. Mélisende l'aînée épousa le comte de Rethel, cousin du duc de Basse-Lorraine Godefroi de Bouillon qui fut un des héros de la première croisade.
4. Alix épousa Hugues du Puiset (vicomte de Chartres selon Jean Laureau, " Le Puiset ", 1987).
5. Mélisende Chère voisine épousa le seigneur de Pont-sur-Seine.
6. Elisabeth épousa le seigneur de Courtenay.
7. La fille dont
le nom est inconnu (Hodierne selon certains, comme sa mère) épousa le seigneur de Saint-Valéry-sur-Somme.

Le recoupement de diverses études généalogiques sur cette famille donne une trentaine de petits-enfants à Gui et Hodierne de Montlhéry.

 

La dame à la licorne – Tapisserie du XVe siècle (Détail).

 

Les principaux descendants de Gui et Hodierne de Montlhéry sont les suivants :
1. Milon le Grand, leur fils aîné, hérita du fief de son père, Montlhéry et Bray-sur-Seine, lorsque son père devint moine. Il participa à la première croisade, fut mortellement blessé en mai 1102 lors de la seconde bataille de Ramala, ou mourut peut-être captif des musulmans l'année suivante.
1.1. Gui Troussel, son fils aîné, participa à la première Croisade. Selon les archives du presbytère de Longpont se référant à la chronique d'Albert d'Aix, il s'enfuit en 1098 d'Antioche assiégée par les Turcs. Il hérita de Montlhéry après la disparition de son père et mourut vers 1110. Sa fille Elisabeth de Montlhéry épousa Philippe de Mantes, fils du roi Philippe 1er et de Bertrade de Montfort, ce qui déposséda Gui Troussel.
1.2. Milon de Bray, second fils de Milon le Grand, épousa une fille du comte Etienne-Henri de Champagne et d'Adèle de Normandie, mais le mariage fut annulé car ils étaient cousins. Lorsque Philippe 1er mourut, en 1108, Bertrade de Montfort tenta de favoriser son fils Philippe de Mantes au détriment de Louis VI que Philippe 1er avait eu de sa première épouse Berthe de Hollande. Milon de Bray la soutint, et Louis VI lui remit Montlhéry pour se le rallier. Hugues de Crécy, un cousin germain de Milon de Bray, convoitait Montlhéry. Il attira traîtreusement Milon de Bray à Châteaufort en 1117 et le fit assassiner l'année suivante.
1.3. Renaud, autre fils de Milon le Grand, fut évêque de Troyes.
1.4. Isabeau, une fille de Milon le Grand, épousa Thibaut de Dampierre et aurait eu dans sa descendance Archambaud de Bourbon et la descendance royale de ce dernier.
2. Gui le Rouge, second fils de Gui et Hodierne de Montlhéry, hérita du fief de sa mère, Gometz, Châteaufort, Bures et La Ferté-Baudouin, lorsque sa mère mourut et que son père devint moine. Il fut nommé sénéchal de France en 1093 par Philippe 1er, participa à la première Croisade, reprit ses fonctions de sénéchal à son retour, maria en 1103 sa fille Luciane, encore nubile, au futur roi Louis VI, mais ce dernier ne consomma pas et fit annuler le mariage pour cousinage en 1107. Gui le Rouge mourut en 1108 ou 1109.
2.1. Agnès de Rochefort, fille de Gui le Rouge, épousa Anseau de Garlande, que Louis VI nomma sénéchal de France et qui fut tué en 1118 alors qu'il combattait Hugues III du Puiset, révolté contre Louis VI. Agnès de Garlande, fille d'Anseau de Garlande et d'Agnès de Rochefort, épousa Amaury III de Montfort, frère de Bertrade.
2.2. Hugues de Crécy, fils de Gui le Rouge, épousa Luciane de Montfort, nièce de Bertrade, participa à la première Croisade, succéda en 1107 à son père comme sénéchal de France, se révolta en 1108 contre Louis VI, fut destitué par ce dernier, assassina en 1118 son cousin germain Milon de Bray, fut vaincu par Louis VI, devint moine à Longpont. Il fut témoin vers 1140 d'une donation de sa soeur Luciane de Rochefort à ce prieuré (charte CCXCII) et fut également cité dans la charte CLXXVII avec le prieur Jean, qui fut en fonctions en 1140 et 1141.
3. Alix du Puiset eut cinq fils qui participèrent à la première Croisade, Evrard III, tué en 1097 près d'Antioche, Hugues de Jaffa, Gui de Méréville, Gilduin et Galéran. Evrard III, marié à Alix de Corbeil, fut le père de Hugues III du Puiset, qui combattit avec acharnement contre Louis VI.
4. Mélisende l'aînée, autre fille de Gui et Hodierne de Montlhéry, devint comtesse de Rethel par son mariage et eut une descendance importante. Elle fut la mère de l'archevêque Gervais de Reim, d'Hodierne de Rethel et de Baudouin du Bourg.
4.1. Hodierne de Rethel épousa Herbrand de Hierges et fut la mère de Manassès de Hierges, connétable de Jérusalem. Devenue veuve, elle se remaria avec le prince Roger d'Antioche, qui fut tué en 1119 lors d'un combat contre les Turcs.
4.2. Baudouin du Bourg était cousin de Godefroi de Bouillon et de Baudouin de Boulogne. Il succéda à ce dernier comme comte d'Edesse (en Arménie) en 1100 et comme roi de Jérusalem en 1118. Il épousa la princesse arménienne Morfia de Malatya et en eut quatre filles, dont Mélisende, Alix et Hodierne de Jérusalem.

4.2.1. Mélisende de Jérusalem fut la mère des rois de Jérusalem Baudouin III et Amaury.
4.2.1.1. Amaury épousa sa cousine Agnès de Courtenay et fut le père de Baudouin IV, l'héroïque roi lépreux qui tint en échec le sultan Saladin, et de Sibylle de Jérusalem, mère de Baudouin V qui mourut en bas âge. Amaury se remaria avec Marie Comnène, fille de l'empereur de Constantinople Manuel Comnène. Il eut d'elle Isabelle de Jérusalem, qui épousa Conrad de Montferrat et fut la mère de Marie de Jérusalem, épouse de Jean de Brienne dont elle eut Yolande qui épousa l'empereur Frédéric II Hohenstaufen et fut la mère de l'empereur d'Allemagne Conrad IV et la grand-mère de Conrad V, (Conradin), qui disputa la Sicile à Charles d'Anjou et fut décapité en 1268.
4.2.2. Alix épousa le prince Bohémond II d'Antioche qui fut tué en 1130 lors d'un combat contre les Turcs. Leur fille Constance épousa un oncle d'Aliénor d'Aquitaine, Raymond de Poitiers, qui fut tué en 1149 lors d'un combat contre les Turcs. Leur fils Bohémond III fut prince d'Antioche et leur fille Marie épousa l'empereur de Constantinople Manuel Comnène, fut la mère de l'empereur Alexis II et périt assassinée. Bohémond III eut dans sa descendance les princes d'Antioche Bohémond IV, V et VI.
4.2.3. Hodierne de Jérusalem épousa le comte Raymond II de Tripoli, qui fut assassiné en 1152 par un musulman. Elle fut la mère de Raymond III de Tripoli, qui combattit le sultan Saladin.
5. Mélisende Chère Voisine fut la mère de Philippe de Pont, évêque de Troyes.
6. Élisabeth, autre fille de Gui et d'Hodierne de Montlhéry, épousa le seigneur de Courtenay. Elle fut la mère de :
6.1. Geoffroi Chapalu, tué en orient.
6.2. Milon, père de Renaud dont la fille Elisabeth épousa Pierre de France, frère du roi Louis VII. Pierre II, fils de Pierre de France et d'Élisabeth, devint empereur de Constantinople, périt peu après, et fut le père des empereurs de Constantinople Robert et Baudouin.
6.3. Josselin, comt
e d'Edesse en Arménie, où il périt en 1131. Son fils Josselin II lui succéda comme comte d'Edesse. Josselin III, fils de Josselin II, fut sénéchal de Jérusalem.

Gui et Hodierne de Montlhéry eurent donc entre autres dans leur descendance plusieurs évêques, quatre empereurs de Constantinople, deux empereurs d'Allemagne, cinq rois et cinq reines de Jérusalem.

 

 

Le seigneur de Montlhéry, moine à Longpont

La charte XLVIII du cartulaire de Longpont indique que Gui de Montlhéry, désirant devenir moine, céda le moulin de Groteau à l'église de Longpont, en présence du prieur Etienne; à sa demande, ses fils Milon et Gui (le Rouge) et son épouse Hodierne posèrent de leurs mains la donation du moulin sur l'autel de l'église. Le moulin se trouvait sur la rive gauche de l'Orge, au nord de la route de Montlhéry à Saint-Michel-sur-Orge. Son emplacement se voit toujours.

Etienne fut prieur de 1070 à 1076. La charte est donc antérieure à cette dernière date. Gui était encore un personnage officiel en 1073 puisqu'il signa alors une charte après le roi Philippe 1er.

Il peut avoir décidé entre 1070 et 1073 de devenir ultérieurement moine et de faire cette donation, mais il est plus probable qu'il la fit après s'être retiré de la vie publique, donc en 1074 ou 1075.

Gui 1er parlait en maître : ce n'était pas un personnage terne, effacé, et dominé par la puissante personnalité d'Hodierne. Mais ce ni était pas un tyran car il consulta ses fils et son épouse, qui avaient donc la possibilité de refuser. Il nomma ses fils en premier, mais ils étaient ses héritiers et il s'agissait de son fief à lui. Il consulta toutefois Hodierne, de même qu'il l'avait fait pour l'exemption de juridiction seigneuriale qui concernait aussi son fief à lui, ce qui confirme qu'Hodierne était associée à ses décisions. Guillaume de Gometz, le troisième fils de Gui et Hodierne, ne fut pas consulté, ce qui semble indiquer qu'il était déjà mort.

Dans cette charte, Gui n'employa pas le participe présent "revêtant l'habit de moine", mais l'expression «  videlicet monachicum habitum accipiendo  » qui donne une notion de futur. Quand Caton disait «  delenda est Carthago  », (il faut détruire Carthage), cela impliquait une notion d'ultériorité : elle n'était pas encore détruite quand il parlait, mais il recommandait de le faire. Le «  videlicet  » (assurément) de Gui de Montlhéry n'aurait pas eu de raison d'être s'il avait revêtu l'habit de moine lors de la rédaction de la charte.

L'abbé Lebeuf, Dulaure et le chanoine Salmon estimèrent, ainsi que d'autres auteurs, que Gui se fit moine après la mort d'Hodierne. Unis comme ils l'étaient depuis plus de quarante ans, on voit mal pourquoi Gui l'aurait quittée ainsi. On peut supposer qu'Hodierne était proche de la mort, mais encore assez valide pour aller poser la donation sur l'autel de l'église de Longpont, ou pour y être transportée. Son obit indique qu'elle mourut un 7 avril, mais n'indique pas l'année.

La charte est antérieure à 1076 et Hodierne put mourir après cette date. Mais Gui s'y montre si affirmatif qu'on peut penser qu'il croyait que son entrée dans le prieuré, donc la mort d'Hodierne, étaient proches. La mort d'Hodierne put avoir lieu le 7 avril 1074 ou 1075, et cette charte est une formidable déclaration d'amour de Gui à Hodierne, après plus de quarante ans de vie commune.

Elle devait avoir environ soixante-trois ans quand elle mourut. Selon l'abbé Lebeuf, elle fut inhumée dans le cimetière devant la grande porte dont l'emplacement devait déjà être fixé·même si la travée la plus occidentale et le portail n'étaient pas encore édifiés. Selon le chanoine Salmon et Jules Marion, elle fut enterrée là sur sa demande, par humilité. Selon François de Guilhermy, l'usage ancien n'admettait pas les sépultures de femmes dans les églises de religieux réguliers (4).

Gui de Montlhéry, devenu moine à Longpont, fut cité dans la charte CLXXI du cartulaire de ce prieuré, une donation du chevalier Henri qui eut parmi ses témoins le prieur Eudes, en fonctions de 1076 à 1086, les moines : Bernard, Advin, Otard, Archambaud et Gui de Montlhéry qui était moine «  Guido, senior, de Monte Leterico, qui tunc monachus erat  », dit la charte. Gui fut modestement cité après le prieur et les moines Bernard, Advin et Otard.

L'évêque Geoffroi de Paris donna vers la même époque, par la charte CCLVII, l'autel Saint-Martin d'Orsay aux moines de Cluny en service dans l'église Sainte-Marie de Longpont, dont son ami très cher le seigneur Gui, récemment devenu moine «  immo domni Guidonis, amicissimi nostri, ex laico dudum effecti monachis  ».

Gui mourut vers cette époque, âgé d'environ 70 ans. Selon l'abbé Lebeuf, il fut inhumé dans l'aile droite de la nef. Sa tombe se trouvait au milieu du XVIIIe siècle au niveau des carreaux de terre de l'église alors qu'elle était encore haute de deux pieds peu auparavant. Selon François de Guilhermy, sa tombe se voyait encore au XVIIIe siècle dans la chapelle Saint-Benoît. Cette chapelle située dans la partie méridionale du transept, près de la porte des Moines qui, depuis la galerie du cloître, débouchait dans l'église. Cette tombe devait donc se trouver près de l'angle nord-ouest du transept méridional, alors chapelle Saint-Benoît (maintenant sacristie au-dessus de laquelle se trouve le grand orgue) et de la porte des Moines, maintenant porte de la prairie qui débouche sur l'ancien parc de Lormoy et la vallée de l'Orge.

Les archives du presbytère de Longpont indiquent que la pierre tombale en marbre noir fut remplacée par une pierre tumulaire après avoir été brisée, que les carreaux se l'église étaient fleurdelysés et furent arrachés pendant la Révolution (vraisemblablement en 1793) et que la tombe de Gui disparut alors.

 

 

Épilogue

La seigneuire de Guy et Hodierne ne resta pas longtemps en possession de leur descendance car Louis VI prit Montlhéry en 1118 et Agnès de Garlande, épousant, Amaury III de Montfort à la même époque, apporta dans cette famille la plus grande partie du fief d'Hodierne. Leur œuvre spirituelle leur survécut par contre, en l'occurrence l'église dont ils entreprirent la construction, et qui suscite un grand intérêt depuis la pose de sa première pierre.

Le roi Louis VI y assista en 1118 aux funérailles de Milon de Bray, petit-fils de Gui et Hodierne. Saint Bernard de Clairvaux y pria en 1130. Louis VII manifesta de l'intérêt pour cette église. Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, prescrivit vers 1140 de n'en retirer aucune relique sans son autorisation. Le pape Eugène III confirma en 1152 les dépendances du prieuré de Longpont, par une charte que cosignèrent onze cardinaux. Cette confirmation fut renouvelée par les papes Anastase IV en 1154 et Alexandre III en 1164, Les papes Lucius III en 1185 et Innocent III en 1209 s'intéressèrent à cette église, ainsi que le roi Philippe Auguste et sa mère Adèle de Champagne.

Le souvenir d'Hodierne se perpétue par les ruines du sommet de Gometz-le-Châtel où elle vécut pendant son enfance, par l'impressionnante tour de Montlhéry au pied de laquelle se trouvait le logement où elle vécut si longtemps avec son mari, et par la basilique de Longpont où elle fut enterrée avec deux de ses filles. Nous trouvons la présence d'Hodierne par la Croix-Rouge-Fer à l'entrée de l'église, par son visage sculpté dans la nef, et par sa représentation telle que l'imagina le peintre Zbinden qui décora, en 1901, la chapelle de la Vierge. Il peignit sur la calotte, sainte Marie sortant du chêne sacré des druides avec l'enfant Jésus dans les bras, et sur les murs, des personnages liés à l'histoire de Longpont, dont Hodierne, jeune femme blonde avec une robe bleue, un voile blanc et une cape rouge, ce qui eut une forte signification symbolique.

 

 

Notes

(1) Le manuscrit original a été légèrement modifié pour ne faire apparaître que la vie de dame Hodierne.

(2) Gometz-le-Châtel est une jolie bourgade, avec des ruelles pittoresques; et des jardins, dont le château était au sommet de la colline d'où on a une très belle vue. Il en reste des pans de murs et une porte romane. Une église a été bâtie à flanc de coteau, plus bas que les vestiges du château et des ruines de l'enceinte féodale ont longtemps subsisté.

(3) La Ferté-Baudouin était située à plus de cinq lieues à vol d'oiseau de Gometz-le-Châtel; près de l'Essonne.

(4) Michel Le Masle, qui fut nommé prieur commendataire de Longpont par le cardinal de Richelieu, fit transférer les restes d'Hodierne à l'intérieur de l'église, devant le maître-autel, le 31 août 1641 selon l'inscription portée sur la tombe. Selon Jules Marion se référant à la notice Brémeron de 1713, deux filles d'Hodierne furent enterrées avec elle, dont probablement Mélisende Chère voisine qui avait fait des dons au prieuré de Longpont. Selon les archives du presbytère de Longpont, la pierre tombale d'Hodierne fut retournée en 1793 par des révolutionnaires. Le chanoine Arthaud, curé de Longpont de 1843 à 1877, la fit remettre en place et le chanoine Nicolas, curé de Longpont en 1913, fit rénover l'inscription de Michel Le Masle.

 

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