Hodierne, demoiselle de Montlhéry et ses descendants (1)

Chronique du Vieux Marcoussy --Marcoussis------------ ------------------------AAAjout sept 2015 Mars 2012

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C. Julien

 

 

Cette chronique fait partie de la série des textes consacrés aux membres de la maison de Montlhéry, dont les chevaliers «  miles de Mons Letherici  » vivaient aux XIe et XIIe siècles. Après avoir rencontré les demoiselles Marguerite, Mélisende et Elisabeth de Montlhéry, nous nous intéressons à la troisième fille de Guy 1er le Grand et d'Hodierne de Gometz, qui aurait reçu le prénom de sa mère. Hodierne «  Hodierna  » qui épousa Gautier «  Walterius  », seigneur de Saint-Valéry-sur-Somme «  Sancto-Waleriaco ou Sancto Walarico  » (1). Cette demoiselle dont le père Anselme ignore le prénom est aussi prénommée Elisabeth ou Isabella par d'autres auteurs.

Auguste Molinier a publié l'obituaire du prieuré de Longpont [Obituaires de la province de Sens, t. I, diocèsede Paris, prieuré de Longpont , p.529], lequel, manuscrit du XIVe siècle, marque un anniversaire le jour du 26 mars: «  26 martius, VII kal. domine Hodierne de Sancto Galarico  », mais en fin de l'obitaire est un texte plus complet (sans date) qui fut ajouté plus tard : «  Huic autem per omnia similis erit anniversarius done Hodierne, uxoris ipsius Guidonis senioris, et Ermensendis de Sancto Galarico, filie amborum  ». Ces deux marques sont contradictoires, nous prenons le parti pris pour le prénom mentionné à l'anniversaire.

Certes, dans cette étude, nous nous éloignons de Montlhéry pour voyager sur des terres picardes. Cet éloignement peut paraître étrange au XIe siècle, époque où les communications étaient extrêmement délicates. Nous avons une explication qui réside dans les liens familiaux qui unissaient les seigneurs de Saint-Valéry aux ducs de Normandie et aux rois de France. Ainsi, l'union entre la demoiselle de Montlhéry et le jeune chevalier picard eut lieu grâce à la rencontre au sein de la cour capétienne, notamment celle de Philippe 1er, de Gui 1er de Montlhéry, forestier du roi et de Bernard II de Saint-Valéry, cousin issu de germain du roi (cf. tableau généalogique simplifié).

Un historien nous dit : «  La maison de Saint-Valéry est issue du sang royal de France  » oubliant de précisez que l'ancêtre était Gisla ou Gisèle fille d'Hugues Capet et sœur du roi Robert II le Pieux, puis «  Gauthier, comte de Saint-Valéry en Ponthieu, et petit-fils de Richard-le-Jeune, duc de Normandie, prit part à la première croisade avec son fils Bernard. Thomas de Saint-Valéry s'illustra à la bataille de Bouvines où il combattait avec cinquante chevaliers et deux mille vassaux. Il portait d'azur, fretté d'or, semé de fleurs de lis de même  ».

 

 

Hodierne de Montlhéry

Consacrons quelques lignes à damoiselle Hodierne , pour laquelle, en vérité, nous ne possédons que quelques maigres informations. Pour certains auteurs, elle serait née avant 1050. En considérant la fertilité de sa mère, Hodierne de Gometz, dame de Montlhéry, née en 1014 et mariée avec Guy en 1031, les dates de naissance des enfants de Montlhéry ne peuvent être qu'entre 1033 au moins et 1055 au plus. Ainsi, Hodierne serait la cadette de la famille, née avant son frère Guy le Rouge, sire de Rochefort-en-Yvelines. Alors que ses sœurs reçurent les prénoms d'Adélaïde (prénom de la grand-mère maternelle), d'Élisabeth, de Mélisende, la cadette prit celui de sa mère.

En citant le moine Orderic Vital, André Duchesne ( Hist. de la Maison de Montmorency , 1624, p. 660), mentionne les enfants de Guy 1er et Hodierne «  N…. de Montlhéry femme de Gauthier seigneur de S. Walery II du nom, fils de Bernard I fut mère de Bernard II seigneur de S. Walery, dont la postérité masculine faillit en une fille nommée Aenor de S. Walery, qui porta en mariage S. Walery et autres grandes terres à Robert III comte de Dreux, de la maison royale de France ». Dans son Histoire généalogique de la Maison de Dreux (publiée en 1631) le même auteur révise son jugement et introduit une erreur en disant «  Gautier, seigneur de S. Walery, d'Aut, Boui, Dommart et Bernarville, accompagna Guillaume duc de Normandi à la conqueste d'Angleterre qu'il entreprint l'an 1066. Et depuis il s'achemina aussi au voyage de Hierusalem avec Robert duc de Normandie, duquel il estoit parent proche. Le continuateur de l'Histoire d'Aimoinus luy attribuë pour espouse l'une des filles de Miles le Grand, seigneur de Montlhéry et de Bray, vicomte de Troyes…  ». Les erreurs commises par l'historien sont rectifiées par ses successeurs. En 1674, le père Anselme, auteur de l'Histoire des Grands Officiers de la Couronne (p. 6) ignore le prénom d'Hodierne et écrit «  N. mariée à Gautier seigneur de saint Valery  ». Le père Louis Moréri, auteur du Grand Dictionnaire Historique (1725) reprend les mêmes termes.

Hodierne de Montlhéry épousa Gauthier de Saint-Valéry en 1064, elle était âgée d'à peine 20 ans. Notons qu'à cette époque c'était un âge assez avancé car les filles étaient données en mariage dès l'âge de 12 ans, voire bien plus jeune. L'Histoire a retenu quatre enfants de cette union : 1° Bernard III , né en 1065, qui succéda à son père comme seigneur de Saint-Valéry, 2° Renaud (ou Reginald), né en 1068, 3° Eudes et 4° Guy qui serait chef de la branche anglaise. Dans la vie de Guillaume de Gamaches (chez Prault, à Paris, 1786), nous lisons « Gauthier II du nom, seigneur de Saint-Valéry, second fils de Bernard I, épousa Aloïs, fille de Guy I du nom de Montmorency, seigneur de Montlhéry et d'Odierne de Gommetz, fille et héritière de Guillaume, seigneur de Gometz et de Ferté, sénéchal de France » (Duchesne, Hist. de Montmorenci). Selon Prarond : «  Le temps auquel Guy et Renaud de Saint-Valéry vivoient, peut faire pressentir qu'ils étoient tous sortis de Gautier, seigneur de Saint-Valéry, et que Guy fut fils puisné de ce seigneur lequel s'habitua au royaume d'Angleterre où il posséda de grands biens  ».

 

 

Un peu de généalogie

Plusieurs auteurs anciens, tels le continuateur d'Amoin, André Duchesne ou le père Anselme ont donné des généalogies approximatives de la maison de Saint-Valéry ; les erreurs étant commises par l'interférence du prénom particulier Bernard donné aux mâles de la famille. Plus récemment, deux historiens sont dignes de confiance : d'une part, François Lefils qui publia, en 1858, une Histoire civile, politique et religieuse de Saint-Valéry et du comté du Vimeu et d'autre part, Ernest Prarond qui publia, cinq ans plus tard, une Histoire de Saint-Valéry et des cantons voisins .

L'origine de la famille des sires de Saint-Valéry remontrait à la maison d'Eu et aux comtes du Vimeu «  comitatus Vitmacensis  ». À la fin du Xe siècle, la Picardie maritime passe sous l'influence capétienne. Profitant des confrontations entre le comte de Flandre et le duc de Normandie, Hugues Capet met la main sur Abbeville, Encre et Dommart, également sur la charge d'avoué des abbayes de Saint-Riquier et de Saint-Valéry et confia la châtellenie d'Abbeville à l'un de ses chevaliers, Hugues, auquel il avait donné sa fille Gisla, en mariage dont sont issus 1° Enguerrand 1er (av. 1026-ap. 1040) comte de Ponthieu, 2° Hugues, chef de la tige des sires de Boves et une fille nommée Emma. «  Hugues était sans doute de noblesse inférieure à celle de son épouse Gisla, fille du duc de France au moment des noces qui cousinait avec les Ottoniens et les Carolingiens ; mai il n'était pas pour autant de petite noblesse, puisqu'il semble descendre des comtes de Hainaut  », nous dit Lecouteux (2).

 

 

Au temps d'Hugues Capet, un chevalier résidant à Saint-Valéry est nommé Renaud par Dom Grenier et Bernard 1er par Ernest Prarond (3) ; il épousa Emma de Ponthieu et fut le père de Gilbert ou Gulbert ou Guibert (1008-1069), surnommé l' advoué de Saint-Valéry , père de Bernard II de Saint-Valéry (4). «  Ce Gulbert était de si grande noblesse et éminence que Richard III duc de Normandie daigna bien luy bailler en mariage Papie de Normandie sa fille  » comme l'assure Orderic Vitalis, moine de Saint-Euroul. De leur mariage, célébré vers 1043, sortirent deux fils, à savoir Bernard II qui continua la lignée directe et Richard de Saint-Valéry , seigneur d'Aufay. Papie «  Papia  » de Normandie (1015-1062) était la tante de Guillaume le Conquérant, ce qui donne à Bernard son fils le cousinage avec les ducs de Normandie, les rois d'Angleterre et les rois de France par les femmes. Selon l'historien Florian Lefils «  Le seigneur de Saint-Valéry n'était pas sans importance : il était au nombre des cinquante neuf barons de l'empire créés par Charlemagne. Ses privilèges et prérogatives étaient très étendus : entre autres il exerçait un droit de lagan sur tous les navires, marchandises et hommes que la tempête jetait sur les côtes de son domaine  ».

Bernard II naquit en 1044 ; il succéda à son père Gilbert de Saint-Valéry dans les seigneuries de Saint-Walery, d'Aut (Ault) et de Dommart et imposa son nom à la terre de Bernarville dans la prévôté de Doullens. Il accompagna Guillaume duc de Normandie à la conquête de l'Angleterre en 1066. Du mariage avec Gisèle de Montcavrel (1050-1103) naquirent deux fils 1° Gauthier de Saint-Valéry le futur époux de la demoiselle de Montlhéry et 2° Gulbert de Saint-Valéry, pour l'âme du quel Waleran seigneur de Breteuil fit quelques fondations en l'église de Saint-Denis. Peut-être aussy que Roger de Bernarville, qui se signala dans la première entreprise des guerres saintes, fut fils puîné de Bernard 1er et prit ce nom (de Bernarville) à cause du château qui fut bâti par son père et qu'il eut en partage. Parti en Palestine avec son frère et son neveu, il fut tué dans un combat qui se donna incontinent après la prise d'Antioche l'an 1098.

L'oncle paternel de Gauthier est Richard de Saint-Valéry dit «de Heugleville» seigneur d'Isneauville et d'Auffay qui combat pour le duc de Normandie contre Guillaume d'Arques (1054). Il épousa Ada, veuve d'Herluin de Heugleville-sur-Scie dont il eut : 1° Gilbert d'Auffay qui pacifia l'Angleterre pour le roi Guillaume (après 1066), mais refusa des domaines en Angleterre pour rester en Normandie et 2° Ada de Heugleville épousa avant 1054 Geoffroi de Neufmarché. Cette branche fit souche en Angleterre.

 

 

Gauthier de Saint-Valéry

Nous venons d'apprendre qui sont les ancêtres du mari d'Hodierne de Montlhéry. Gauthier de Saint-Valéry fut un «  vaillant chevalier  » comme l'on dit souvent, un guerrier exemplaire qui semble avoir participé à toutes les grandes expéditions du XIe siècle : la conquête de l'Angleterre et la prise de Jérusalem. Plusieurs généalogistes disent que Gauthier de Saint-Valéry était âgé de 23 ans lors de la naissance de son fils Bernard III en 1087, ce qui le fait naître vers 1064. D'autres le font naître en 1035. La première date est douteuse car l'historien de Saint-Valéry-sur-Somme exposant l'expédition de Guillaume le Conquérant et son mouillage dans la baie de la Somme, écrit : «… on ne dit point que Bernard (II) de Saint-Valéry partit aussi pour l'Angleterre, mais ses deux fils Gauthier et Renaut accompagnèrent le duc et furent de ses plus fidèles serviteurs  ». Il est facile de conjecturer que les deux jeunes seigneurs étaient aptes à combattre, c'est-à-dire qu'ils avaient une vingtaine d'années en 1066.

Selon Duchesne ( Hist. Maison de Dreux, 1631, p. 70 ) : «  Gautier, seigneur de S. Walery accompagna Guillaume duc de Normandie à la conquête d'Angleterre qu'il entreprint l'an 1066, et depuis, il s'achemina aussi au voyage de Hierusalem avec Robert duc de Normandie, duquel il estoit parent proche  ». La vraisemblance impose donc que Gautier était en âge de combattre le jour de la bataille d'Hastings, ce qui confirmerait encore une fois la date de 1035 pour l'année de sa naissance.

Un autre auteur prétend que Gauthier et Renaut, fils de Bernard de Saint-Valéry, revinrent triomphants et récompensés pour avoir porter assistance dans la conquête de l'Angleterre. Gauthier reçut des fiefs anglais et eut le doit de porter dans ses armes deux léopards avec cette devise «  les deux sont égaux aux trois  ». Quant à Renaut, frère de Gauthier, il reçut la terre de Sarum en Angleterre.

Trente ans plus tard, une autre grande aventure se présenta aux chevaliers européens : le délivrance du Saint-Sépulcre. En 1096, sous les murs d'Abbeville, Robert de Normandie entraîna à le suivre le seigneur de Saint-Valéry, Gauthier, qui avait succédé à son père. Accompagné de son fils Bernard III (le jeune homme serait né avant 1080), il quitta ses domaines pour aller combattre sous les murs de Jérusalem. Orderic Vital parle des prouesses de Bernard qui, dit-il, se distingua, en 1096/97, à Nicée et monta le premier sur les remparts de la ville sainte . On ne dit pas si le seigneur Gauthier revint de Terre-Sainte. La date de sa mort est discutée, elle interviendrait entre 1107 et 1111. Bernard III ne succéda à son père dans la seigneurie de Saint-Valéry qu'à son retour de Palestine, il fonda une maladrerie en dehors des murs de la ville pour ses compagnons de croisade atteints de la lèpre. Bernard III, meurt en 1158 ; il aurait vécu jusqu'à l'âge de 78 ans.

 

 

Les avoués de Saint-Valéry

Les seigneurs de Saint-Valéry étaient des plus illustres et des plus importants du Ponthieu. Ils étaient avoués de l'abbaye de Saint-Valéry et vicomtes du Vimeu . Selon Sophie Sedillot, l'histoire de l'office d'avoué est la suivante : Saint-Valéry-sur-Somme appartenait au domaine royal lorsque le roi Clotaire II décida d'en faire don à l'Abbaye vers 613 (5) . À l'époque des incursions normandes, l'abbaye de Saint-Valéry-sur-Somme est obligée de chercher la protection de puissants seigneurs. Ces seigneurs sont nommés : défenseurs, aides ou avoués. Les seigneurs avoués des abbayes sont chargés de veiller sur leurs intérêts temporels et d'assurer leur défense. Le premier seigneur avoué de Saint-Valéry-sur-Somme dans les années 930 est Renault de Saint-Valéry.

En échange de leur puissante protection et des services rendus les religieux donnent à ces seigneurs avoués une partie de leur autorité temporelle. Les seigneurs de Saint-Valéry, avoués de l'abbaye, ont huit moulins à vent, le droit de vicomté, le droit de garenne, les censives autour du château de Saint-Valéry et le droit de nommer le maire de la ville. Le châtelain, vicomte avoué de Saint-Valéry-sur-Somme, exerce donc la justice en raison de la concession que lui en a faite l'abbaye.

Le second titre des seigneurs de Saint-Valéry est «  vicomte du Vimeu  », le territoire picard situé entre les vallées de la Somme et de la Bresle. L'origine des vicomtes de Vimeu reste obscure. Auguste Longnon nous apprend que la vicomté était un fief qui consistait dans la lieutenance d'un comté (6). Au Moyen-âge, les vicomtes avaient dans leurs attributions l'administration de la justice; ils furent littéralement les représentants et les délégués des comtes, puis du roi, pour différentes parties de l'administration et du gouvernement. La charge de vicomte fut partagée, démembrée, subdivisée, par héritages, ventes et concessions.

Un dénombrement du seigneur de Saint-Valéry, qui se voit dans un registre de Philippe-Auguste fait voir quels furent les biens que les seigneurs possédaient aux environs de ce lieu et dans la Normandie sous l'hommage de la couronne: Hœc sunc feoda quœ dominus Sancti Valerici tenet de domino rege: Sanctum Valericum et quidquid habet apud Valericum et ejus pertinentias et advocatiam terrœ abbatis Sanctum Valerici et le haure , pro x libris de reditu, castrum de Aust, domnum Medardum cum pertinentiis suis et Bernardi villam quœ est de pertinentiis domni Martini ; de comitatu Albœ marlœ tenet Mers et feodum Simonis de Mers et feodum Galteri de Cambron pertinens ad Mers et feodum Petri de Maresiis, feodum vicecomitatus de Cantepie de Pendeelis, feodum de Herselenes, feodum de Rambures, feodum deDodelenvilla, feodum de Soren; de comitatu Augi tenet calceiam de extra villam Gamachiarum, adveniente de Normania, tenet communes vias forestœ et herbagiea communia usque ad forestam, tenet et refugium terrœ suœ; de ducatu Normania tenet terram quam habebat apud Dun, et apud Sanctum Hilarrium apud Rothomagum. Ceci sont les fiefs mouvants du roi que tient le seigneur de Saint-Valéry : la terre de Saint-Valéry et ses dépendances et l'avourie de l'abbaye et le port [ haure , havre, c'est-à-dire le port] pour une redevance de 10 livres , le château d'Ault, le fief de Dommart avec ses dépendances et Bernarville et les fiefs de nombreux vassaux à Mers, Rambures, Gamaches,… et Saint-Hilaire de Rouen.

 

 

Les cadets de Saint-Valéry

Peu d'éléments nous sont donnés sur la vie des cadets de Saint-Valéry, fils d'Hodierne. « Ce Guy se void à la suite du roy Henry II en quelques-unes de ses patentes et est mentionné en divers titres au sujet des donations qu'il fit aux églises et aux monastères de ce royaume  ». Ce chevalier aurait donc fait souche en Angleterre. Dans une autre charte, Renaud de Saint-Valéry est qualifié fils de Guy. Il fut signalé dans l'histoire du roy Esthienne laquelle remarque que, vers l'an 1138, il était dans sa compagnie lorsqu'il retourna d'Angleterre en Normandie pour y faire la guerre au comte d'Anjou et qu'il eut alors un grand démêlé avec Guillaume d'Ypres, issu des comtes de Flandres, au sujet de la préséance, qui l'obligea de se jeter dans le party du comte et de l'impératrice Mathilde, sa femme, ce qui donna sujet à Esthienne de confisquer les biens qu'il avoit en Angleterre et de donner la terre d'Haserdene qui luy appartenoit à Jean de Saint-Jean, chevalier; mais la paix ayant été faite entre Esthienne et l'impératrice, Renaud rentra dans sa terre qui avoit été aliénée aux moines de Chingeswade, au comté de Glocestre ; et sur ce qu'il eut plusieurs différends à cette occasion il transigea avec eux et leur restitua cette seigneurie à condition qu'ils y établiraient leur monastère, parce qu'il lui avoit été enjoint par le pape de fonder une abbaye de l'ordre de Citeaux pour la satisfaction de quelques excès qu'il avoit commis pour lesquels il avoit été excommunié, de sorte que l'abbé de Chingeswade y transféra la plus part de ses moines; mais parce que le lieu étoit sans ruisseaux, il les établit à Fehebiry qu'il leur donna.

 

Les cousins royaux de Gauthier de Saint-Valéry.

 

On voit ensuite le petit-fils d'Hodierne souscrire un titre du roi Louis VII de l'an 1151 que ce roi fit expédier à Beauvais au sujet d'un différend que l'évêque Henri, son frère, avait avec les maire et échevins de la ville. L'année suivante, étant avec Henry, duc de Normandie, depuis, roy d'Angleterre, il assista à l'élection de Robert, abbé du mont Saint-Michel ; il passa ensuite dans la Terre-Sainte et y obtint le gouvernement du fort château d'Harene, que le roi Baudouin avait pris sur les Sarrasins en l'an 1157. Étant du retour en Angleterre, le roi Henry l'employa en l'an 1163 avec Rotrou, évêque d'Évreux, pour faire un dénombrement des terres et des revenus qui lui appartenaient en Normandie, et, la même année, il le dépêcha avec quelques évêques au pape Alexandre III qui était à Sens pour l'informer du sujet du différend qui était entre lui et saint Thomas, archevêque de Cantorbéry ; il l'employa encore en diverses négociations avec Louis VII roi de France. Il semble que dans sa jeunesse il fit sa résidence en France, car Lambert d'Ardres écrit que Raoul, bâtard d'Arnoul, 1er du nom, seigneur d'Ardres, à l'aide de Renaud de Saint-Valéry, molesta quelque temps les habitants de la ville d'Ardres, et je trouve au cartulaire de Molesme une lettre de Garin, évêque d'Amiens, qui mourut l'an 1144, par laquelle il confirme quelques donations faites aux moines d'Authie par Dreux de Dours, de tous les hostes qui estoient entre le ruisseau et le moulin de Bechedel, où Renaut de Saint-Valéry souscrit avec Hugues le seignor (c'est le seigneur de la Ferté), Mainard de Saint-Léger, Achard Lonvencourt, Hubert de Vauchelles et autres. Jean de Sarisbery fait aussi mention de lui en l'une de ses épîtres. Je remarque encore un Jean de Saint-Valéry sous le règne d'Edouard 1er .

 

 

La conquête de l'Angleterre

Le roi d'Angleterre Edouard le Confesseur meurt le 5 janvier 1066 en laissant le trône vacant. Dès lors deux prétendants s'affrontent, le roi Harold et Guillaume le Bâtard, duc de Normandie à qui le défunt aurait promis la couronne anglaise. Apprenant que Harold est monté sur le trône, Guillaume entreprend la conquête du royaume, avec l'aide du pape Alexandre II qui lui transmet son propre étendard. Une flotte considérable est rassemblée dans l'estuaire de la Dives. La Chronique de Normandie indique «  neuf cent sept grandes nefs, sans li menu vaisselin  ».

L'armée normande, retardée plusieurs semaines par une météorologie défavorable et des vents contraires à la navigation dans la Manche, fait escale dans la baie de Saint-Valéry-sur-Somme. L'étroite amitié qui unissait Guillaume le Bâtard et Bernard de Saint-Valéry, contribua puissamment à la rapidité et au succès de l'expédition ; car il aurait fallu à cette époque, où Dieppe n'existait pas encore, aller chercher fort loin sur la côte de Normandie, un port assez vaste et assez sûr pour servir de rendez-vous à toute la flotte normande. Gui de Ponthieu ne fut pas moins utile à Guillaume, en amassant des vivres pour sa flotte, et en les envoyant à Saint-Valéry-sur-Somme sur tous les bâtiments qui remplissaient alors le port d'Abbeville (2). Après avoir ainsi pourvu aux besoins de l'expédition et après la procession du corps de saint Valéry à travers les camps, les vents changèrent et on donna le signal du départ . Un millier de bateaux de transport s'éloignèrent des côtes françaises le 29 septembre 1066 conduits par le vaisseau de Guillaume portant au haut de son mât la bannière envoyée par le pape.

Plusieurs auteurs anciens dont Orderic Vital, Gaimar, Wace, Eadmer s'accordent décrire le débarquement sur la côte anglaise et les combats de la bataille d'Hastings où les seigneurs picards Bernard de Saint-Valéry, Gautier et Guy de Ponthieu se distinguèrent. Toute l'épopée des ducs de Normandie fut mise en chanson, le Roman de Rou contient plus de 16.000 vers, par maître Robert Wase, trouvère et poète normand du XIIe siècle.

Le Roman de Rou parle d'une grande quantité de navires où l'on voyait un nombre considérable de seigneurs réunis à Saint-Valéry en attendant les vents favorables «  A tantes nés pot l'en saveir, ke mult i pout grant gent aveir, à Saint-Valeri lungement sejornerent por aveir vent » en précisant même «  ke nés, ke batels, ke esqueis, à porter armes è herneis… ne sai dire s'est vérité, ke il i out treis mille nés  » qu'il y avait 3.000 navires portant soldats et chevaux. Après avoir demandé l'intercession de saint Valéry et organiser des processions «  poiz unt tant li covent préié ke la chasse saint Veleri mistrent as shams sor un tapi  », la flotte de Guillaume mit à la voile de Saint-Valéry-sur-Somme, le jour de Saint-Michel, 29 septembre 1066 (7). Alors que l'auteur du Roman de Rou mentionne les exploits de Guillaume, les faits d'arme des seigneurs sont passés en revue et parle du sire de Saint-Valéry «  Li Bretonz vait od sei menant, des Engleiz fait damage grant. Li sire de Saint Galeri e li Quens D'où bien i feri.. .». selon la note de l'éditeur, il s'agit de Bernard de Saint-Valéry, petit-fils de Richard II par sa fille Papie et par conséquent cousin germain du duc Guillaume.

 

Plan de Saint-Valéry et du port de la Ferté d'où est parti Guillaume le Conquérant en 1066.

 

Le médiéviste Potin de la Mairie mentionne: «  Deux enfants de Gaultier de Saint-Valéry, Bernard II et Renaut, accompagnèrent Guillaume dans la descente qu'il fit en Angleterre en 1066. Le premier demanda, pour toute récompense, que Guillaume lui promit :"l'accointance de la plus gente pucelle que là treuverait !" ( Chroniq. de Normandie ). Bernard et Renaut de Saint-Valéry se distinguèrent par leur bravoure. Ils furent même, dit-on, les principaux instruments de la victoire remportée à Hastings le 14 octobre 1066, et qui mirent la couronne sur la tête de Guillaume, sacré le 26 décembre, depuis lors surnommé "le Conquérant" ».

Guillaume le Conquérant récompensa ses compagnons d'armes en partageant entre eux les terres des vaincus. Renaut, sans doute moins désintéressé que son frère, reçut la terre de Sarum. Ses descendants existaient encore à Oldsarum en Wittshire, sous le nom Waimaches ou Ghaimaches, autrefois barons et avoués de Malbesbury et de Wittshire. Cette famille porte en Angleterre les armes originaires de Normandie: deux léopards. Les lettres données à la fin du XIIe siècle par Regnault de Saint-Valéry et Bernard son fils concernent des droits sur l'église Sainte-Marie de Berteaucourt possédées par des religieuses à qui, Bernard donna un peu plus tard les dîmes de Horton et Sutton.

Plusieurs géographes du XIXe siècle, auteurs de guides touristiques, nomment Gautier de Saint-Valéry comme propriétaire du château d'Hampton, situé sur la rive gauche de la Tamise, vis-à-vis de l'embouchure de la rivière Mole (8). Selon Louis Viardot, le manoir d'Hampton est mentionné dans le Doomsday-book , le grand cadastre de l'Angleterre dressé sous Guillaume le Conquérant après le partage des terres entre ses barons, et qui fut ainsi nommé par les Saxons dépossédés. «  Ce manoir appartenait alors à un certain Walter de Saint-Walaric  » ( Revue Indépendante , Paris, 1842 - Musées d'Angleterre , éd. Paulin, Paris, 1843).

Elisée Reclus reprend les mêmes termes ( Guide du voyageur à Londres et aux environs , Libr. Hachette, Paris, 1860) en ajoutant que le château fut légué, en 1214, aux chevaliers hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

 

 

Le complot de 1090

Selon le même auteur, Gaultier de Saint-Valéry aurait trempé, d'après quelques auteurs, avec le comte d'Eu et d'autres seigneurs normands, dans la conjuration de Robert Mowbray, comte de Northumberland, qui avait pour objet de détrôner Guillaume roi d'Angleterre et de couronner à sa place Étienne, comte d'Aumale. «  Il aurait été pris et décapité, selon les uns, et brûlé, selon d'autres, avec plusieurs gentilshommes  ». Nul autre document ne mentionne cette assertion.

En 1089, une dispute familiale éclata entre Robert, duc de Normandie, et ses frères Guillaume le Roux, roi d'Angleterre et Henri Beauclerc, comte de Cotentin. Robert organisa une ligue. Sous le prétexte de la défense des Normands opprimées par la lâche conduite du duc, Guillaume envoya, en 1090, des émissaires afin de sonder les principaux seigneurs du duché. Ils s'assurèrent d'abord de Gauthier de Saint-Valéry qui fortifia son château et recrute des hommes d'armes. «  Eudes, comte d'Aumale et Gautier de Saint-Valéry, gagnés par les promesses de Guillaume et par son or, lui livrèrent leurs châteaux… » dit Charles Barthélemy ( Hist. de la Normandie , Tours, 1862).

À suivre…

 

 

Notes

(1) Dans une charte du roi Dagobert, la montagne où était installée l'abbaye de Saint-Valéry était nommé Montem Leuconum qui a donné «  Leuconaus  », rivage pointu, pour premier nome de la ville «  Dagobertus dei gratia rex… cenobites S. Walarici cui antecessor meus, Montem Leuconum super mare situm concesserat locum…  ».

(2) S. Lecouteux, Sur l'origine des comtes de Ponthieu du XIe siècle et la diffusion du prénom Enguerrand (2006).

(3) E. Prarond, Histoire de Saint-Valéry et ses cantons voisins , t. I (chez Grave Libr. Abbeville, 1863).

(4) F. Lefils, Histoire civile, politique et religieuse de Saint-Valéry et du comté du Vimeu (chez René Housse, Abbeville, 1858).

(5) Sophie Sedillot, Répertoire numérique détaillé , sous-série 249 B de la justice des comte, ville et châtellenie de Saint-Valéry-sur-Somme (Arch. dep. de la Somme).

(6) Auguste Longnon, Livre des vassaux du comté de Champagne et de Brie (Libr. Franck, Paris, 1869).

(7) Robert Wase, Le Roman de Rou , t. II, publié par Frédéric Pluquet (chez Edouard frère, Rouen, 1827)

8) William Darcy, Nouveau guide général du voyageur en Angleterre (Garniers frères, Paris, 1864).

 

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