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Les tableaux de l'église de Linas (1)

C'est au cours de la cérémonie des vœux pour l'année nouvelle présentés par Monsieur le Maire et la Municipalité de Linas (cant. Montlhéry, Essonne) que huit tableaux remarquables de la collégiale Saint-Merry de Linas ont été montrés au public (1). Suite à la fermeture de l'église depuis dix-sept ans, ces tableaux sont déposés en réserve. Dans cette chronique, nous profitons de l'exposition occasionnelle de ces œuvres pour les commenter. Nous commençons par les trois tableaux issus de l'abbaye janséniste de Port-Royal.

C.Julien Janvier 2013

 

Ex-voto «  Mère Agnès et sœur Catherine de Sainte-Suzanne  », huile sur toile (1662).

 

L'abbaye de Port-Royal des Champs, après de longues persécutions dont l'histoire a raconté les phases successives, détruite par un arrêt du conseil d'État du 26 octobre 1709, a laissé de trop glorieux souvenirs pour que l'on ne s'arrête pas avec un pieux intérêt sur des vestiges certains, propres à en rappeler la mémoire… Il n'y a donc plus rien de l'ancienne abbaye de Port-Royal sur son sol antique. C'est ailleurs qu'il faut chercher les traces. À notre connaissance, les quatre communes de Magny-les-Hameaux, des Troux, de Palaiseau et de Linas en ont recueilli quelques précieux débris.

La paroisse de Linas possède deux toiles du même maître, destinées à consacrer le souvenir des deux miracles opérés à Port-Royal par la vertu de la sainte Épine, l'un en 1656, sur Marguerite Perier, nièce de Pascal, l'autre sur Claude Baudran, en 1667. Nous allons donner une courte notice sur chacune d'elles. Il y a une troisième toile, mais qui n'est qu'une copie, bonne il est vrai, du tableau appartenant au Musée du Louvre. M. Sainte-Beuve après avoir dépeint l'éloignement des religieuses pour les secours que la piété peut emprunter aux arts, ajoute : «  Mais la peinture de Champaigne faisait exception, et semblait au monastère comme une décoration domestique et naturelle. Elle était en accord avec l'esprit du lieu. Tout en est sincère, peintre et modèles, ce sont tous des amis de la vérité  ». (Port-Royal, tom. V, pag. 46).

M. l'abbé Juteau, secrétaire de la Société Dunoise d'Archéologie, Histoire, Sciences et Arts écrivait en 1909 : « L'église de Linas est un musée de tableaux, petits, moyens et grands ; ils ne sont pas tous d'égale valeur, cependant plusieurs sont très remarquables. Entre ces derniers, trois surtout se distinguent des autres et par leur sujet et par leur auteur, et même par la place qu'ils occupent maintenant dans le lieu saint, lorsque pendant près de 50 ans ils ont été relégués loin des regards, dans une dépendance de l'église. Ils commémorent trois miracles survenus dans le monastère de Port-Royal de Paris  ». (cf. la Chronique " Une excursion archéologique à Montlhéry ")

 

 

Le mouvement Janséniste

Les trois tableaux qui représentent des Religieuses de Port-Royal sont attribués à l'école de Philippe de Champaigne. Ils sont représentatifs du mouvement Janséniste. Né le 26 mai 1602, mort à Paris le 12 août 1674, Philippe de Champaigne était le peintre attitré de la reine mère Marie de Médicis et du cardinal de Richelieu. À partir de 1648, il se rapproche des Jansénistes et devient le peintre de Port-Royal à Paris, puis de Port-Royal-des-Champs où il exécute une série de toiles dont les trois tableaux de Linas.

 

 

Il n'est pas dans notre intention de présenter la pensée de Jansenius dont l'ouvrage intitulé «  Augustinus  », paru en 1640, proposait cinq affirmations de la pensée de Saint-Augustin. Rappelons succinctement l'Histoire de Port-Royal. C'est un monastère de cisterciennes fondé en 1204. Au début du XVIIe siècle le couvent voit affluer les vocations à la suite de la réforme de la règle de saint Benoît introduite dès 1609. En 1625, la mère Angélique Arnault décide de quitter le couvent de Port-Royal-des-Champs et crée un couvent à Paris, au faubourg Saint-Jacques. Autour de ce centre religieux gravite des chapelains, confesseurs et directeurs spirituels des religieuses, ainsi que les maîtres des «  Petites Écoles  ». Les plus illustres furent l'abbé de Saint-Cyran (1581-1643), Louis-Isaac Lemaître de Sacy (1613-1684).

«  C'est l'époque où la communauté se trouva prise dans la violente controverse qui opposait un ordre nouveau, les jésuites, aux défenseurs de la théologie de saint Augustin sur la grâce divine. La pensée d'Augustin avait joui d'une autorité plus que millénaire dans l'Église catholique ; mais avec la montée des idéaux de la Renaissance et un sens plus vif des pouvoirs de l'homme, elle avait commencé à paraître à nombre de catholiques laisser trop peu de place au libre arbitre humain en face de la toute-puissance de Dieu  » (2).

Dès 1661, les brimades touchèrent Port-Royal. Devant ce refus de signer le Formulaire, les autorités politiques et religieuses firent arrêter des moniales. L'abbesse, Agnès Arnauld, sœur d'Angélique, écrit ainsi, en novembre 1664, à une de ses sœurs qui hésitait sur la signature du Formulaire : «  Je n'ai pas cru qu'il fallût régler sa conscience sur celle des autres, ni rien faire par imitation ; que c'était à Dieu à donner la force dont on avait besoin, et que ce serait s'appuyer sur un bras de chair que de la prendre en une créature ». Après une période d'accalmie entre 1668 et 1679, tout recrutement fut interdit. Finalement, le roi Louis XIV ordonna la fermeture du couvent et la dispersion des Religieuses.

 

 

L'ex-voto de Sœur Catherine de Sainte-Suzanne

Les deux filles du peintre Philippe de Champaigne avaient été élevées par les religieuses de Port-Royal à Paris, et l'une d'elles, Catherine (1636-1686), y prend le voile en 1657. Atteinte d'une paralysie, elle est miraculeusement guérie en 1662, elle inspire à son père l'une de ses plus belles toiles, l' Ex-voto , où la mère Catherine-Agnès Arnault (1593-1671) est en prière à côté d'elle, toutes deux saisissantes d'intériorité. La toile de Linas est une copie originale du tableau du Louvre, toile mystique d'action de grâce, où Catherine de Champaigne, «  Sœur Catherine de Sainte-Suzanne  » en religion, est en compagnie de la mère Agnès.

Le terme d'ex-voto désigne un tableau peint en remerciement d'un vœu exaucé. Dans cette œuvre emprunte de ferveur contenue, Philippe de Champaigne célèbre la guérison de sa fille. La scène ne représente pas le miracle mais le moment où l'abbesse du couvent a la révélation que Dieu va l'exaucer. «  Peint sans effets spectaculaires, le tableau qui marie l'art de la peinture religieuse et rend sensible les réalités mystiques à travers la lumière, le dépouillement du décor, et le recueillement des Religieuses ».

Fidèle au style dépouillé du Jansénisme, et à la rigueur de sa composition, le peintre représente le mobilier austère de la cellule de la moniale : un fauteuil et un repose-pied sur lesquels est installée sœur Catherine, une chaise où est posé un bréviaire et un simple crucifix de bois au mur. On note l'Esprit Saint venant éclairé les deux Religieuses. Le seul aspect de richesse réside dans le chapelet de perles de l'abbesse. On remarque les «  couleurs en négatif, lumière et contraste optimisés pour rendre le texte lisible  ». Sœur Catherine Suzanne prie également ; une image sainte est posée sur sa robe devant ses mains jointes.

L'histoire de ce miracle débute le 12 octobre 1660. Ce jour-là la jeune religieuse ressentit «  de grandes douleurs  » par tout le corps. Le 29 décembre 1661, la mère Agnès Arnault consentit à commencer une neuvaine avec la malade, en vue non d'une guérison que l'ancienne abbesse n'espérait plus, mais «  dans l'intention de demander à Dieu qu'il lui fit la grâce de bien souffrir son mal  ». Le jour des rois de l'année 1662, à la sortie des vêpres, la mère Agnès s'arrêta dans la tribune de l'église avec la malade pour faire sa dernière prière. Un mouvement d'espérance survint, le miracle arriva le lendemain. La religieuse restée seule pendant la messe éprouva le besoin de se lever et se mit à marcher.

 

Détail de l'ex-voto de 1662.

 

Quand Philippe de Champaigne décida-t-il de peindre l'ex-voto ? Dans une lettre du 15 juin 1662, la mère Angélique de Saint-Jean écrit à son oncle Antoine Arnault : « Monsieur Champaigne a achevé le tableau et s'ennuie de ce qu'on ne lui donne point ce qu'il faut écrire  ». Il désespérait de recevoir le texte de l'épitaphe latine qui devait figurer sur la toile.

L'artiste a écrit un texte latin concernant la guérison de sa fille sous le titre «  Christo uni medico animarum et corporum  », Jésus-Christ, médecin de l'âme et du corps. Voici une traduction sommaire : Sœur Catherine Suzanne de Champaigne fut atteinte d'un symptôme sous une forme effrayante d'une fièvre qui dura quatorze mois et qui lui ôta la moitié ou presque des mouvements de son corps et alors que son physique déclinait «  natura factiscente  » les médecins cessèrent tout traitement «  medicis cedentibus  » ; grâce à la patiente action et aux permanentes prières de Mère Catherine-Agnès, elle a maintenant recouvré sa parfaite santé en un instant «  puncto temporis  ». La religieuse en personne se donne en offrande au Christ pour la seconde fois « se iterum offert  ». Philippe de Champagne a peint cette image comme témoin du miracle en l'an 1662.

Le tableau le la collégiale Saint-Merry fut légué en 1842 à la fabrique de la paroisse par le baron Camet de La Bonnardière propriétaire du château de la Roue à Linas. La notice du musée du Louvre marque : «  Un moment de grâce. La composition est d'une grande sobriété. La mère Catherine-Agnès Arnault est agenouillée devant sœur Catherine de Sainte-Suzanne de Champaigne allongée. L'instant est celui où, lorsque les prières en vue du rétablissement de la jeune fille s'achèvent, la mère supérieure reçoit la révélation de sa guérison. Dans la nudité de la cellule, décorées seulement d'un crucifix, toute l'attention est portée sur les visages empreints de sérénité religieuse. Champaigne fait une fois de plus preuve de ses talents de portraitiste en présentant des figures d'une étonnante véracité. L'austérité du lieu est animée par le subtil travail sur les vêtements rendus de façon sculpturale, ce qui renforce la grandeur solennelle du moment. La gamme colorée est restreinte, dominée par le beige ivoire des costumes et le gris brun de l'ensemble. Seul se détache le rouge des croix cousues sur les vêtements  » (3).

 

 

Le miracle de la Sainte-Épine

Au cours de l'année 1656, le monastère de Port-Royal est dans une situation difficile. Depuis la bulle papale Cum Occasione de 1653, les persécutions anti-jansénistes se déchaînent, et l'on va jusqu'à disperser les Solitaires et à fermer les Petites-Ecoles à la maison des Champs. Or, c'est précisément à ce moment que, comme une réponse à ce début de persécution, un miracle se produit à Port-Royal. Jacqueline Pascal, poétesse prodige, prend le voile à Port-Royal en 1652. Elle attire dans l'orbite du monastère son frère Blaise, un des premiers savants d'Europe, et toute la famille de sa sœur aînée, les Périer. Louis XIV a interdit le mouvement janséniste de Port-Royal en 1661. En réponse, Blaise Pascal a écrit l'un de ses derniers travaux, Écrit sur la signature du formulaire , recommandant instamment aux jansénistes de ne pas le signer. Plus tard au cours de cette année, sa sœur Jacqueline meurt, ce qui convainc Pascal de cesser sa polémique à propos du Jansénisme.

La propre nièce de Jacqueline et Blaise Pascal, la petite Marguerite Périer (6 avril 1646 – 14 avril 1733) est la fille de Florin Périer et de Gilberte Pascal. Elle est placée, en 1654, comme pensionnaire des petites écoles à l'abbaye de Port-Royal-des-Champs. Elle était atteinte d'une fistule lacrymale très profonde dont elle souffrait depuis trois ans. L'os du nez était carié, les plus habiles chirurgiens avaient avoué leur défaite, et l'on parlait d'appliquer le feu sur la blessure.

 

 

Le 24 mars 1656, la fillette fut conduite à l'adoration de l'épine de la Sainte-Couronne du Christ dans la chapelle de Port-Royal et fut guérit immédiatement. Deux praticiens furent dépêchés par la reine Anne d'Autriche, Messieurs Guillard chirurgien, et Félix premier chirurgien du roi, attestèrent l'inexplicable guérison. Le 8 juin suivant, Blaise Pascal, son oncle, dépose devant l'official de Paris, qui enquête sur le «  miracle de la Sainte-Épine  ». Le miracle est authentifié par la sentence du 22 octobre 1656.

 

Ex-voto de Marguerite Périer, huile sur toile (vers 1656).

 

L'Ex-voto de Marguerite Perier est une huile sur toile de 127 cm sur 138 cm de hauteur. Ce tableau représente une jeune religieuse en costume de novice, grande comme nature, à genoux, en prière devant un autel sur lequel se trouvent deux chandeliers rouges portant des cierges allumés, et au milieu un reliquaire contenant une épine de la couronne du Christ à laquelle les religieuses du monastère vouaient un culte spécial. Le derrière de l'autel est grillé. On voit dans l'ombre des stalles à l'entour. Ce tableau a de grandes qualités. La tête est belle, l'expression naïvement recueillie et la pose de la novice sont de la plus heureuse simplicité. Les guipures de la nappe d'autel, le tapis qui le recouvre, les accessoires sont d'une exécution parfaite. L'enfant a les joues roses ; sa mine fraîche éclate gentiment, au milieu des voiles blancs, avec un air de bonne santé. Le costume a le naturel et l'aisance de la manière du maître. Alors qu'Henri Bouchitté avait écrit «  le tout est un peu terni par la poussière  », l'état de la toile présentée aujourd'hui montre un bon état de restauration. Ce tableau a été reproduit dans A. Hallays, Le Pèlerinage de Port-Royal , Paris, 1909, p. 294 et dans A. Gazier, Port-Royal au XVIIe siècle , Paris, 1909, pl. 50.

Gilberte Périer raconte le miracle de sa fille dans La vie de Monsieur Pascal qu'elle a consacrée à son frère : «  Ce fut en ce temps-là qu'il plut à Dieu de guérir ma fille d'une fistule lacrymale, dont elle était affligée il y avait trois ans et demi. Cette fistule était d'une si mauvaise qualité, que les plus habiles chirurgiens de Paris la jugèrent incurable. Et enfin Dieu s'était réservé de la guérir par l'attouchement d'une Sainte-Épine qui est à Port-Royal-des-Champs ; et ce miracle fut attesté par plusieurs chirurgiens et médecins, et autorisé par le jugement solennel de l'Église ».

Encouragée par mère Angélique Arnault, Jacqueline Pascal, sœur de Blaise et tante de la miraculée, laissa un long poème en stances qui célèbre l'évènement :

… Ô mortels, écoutez avec un juste effroi
L'effet miraculeux d'une vertu divine,
Et jugez du pouvoir de votre divin Roi
Par celui que reçoit une petite épine.

Le miracle de mars 1656 est important dans l'histoire du Jansénisme. Ce miracle se trouve au centre des enjeux politico-religieux de l'époque. Les jansénistes considèrent qu'il est le signe du soutien de Dieu à leur cause. L'événement possède un large écho qui arrête pour un temps les persécutions du roi et de l'Église contre l'abbaye ; il marque l'évolution religieuse de Pascal qui adresse sa dix-septième Lettre provinciale . En 1661, toutes les pensionnaires de Port-Royal sont renvoyées. Marguerite Périer mène alors une vie retirée, partagée entre Paris et Clermont. Après la destruction du monastère de la vallée de Chevreuse, elle se consacre à la mémoire de Port-Royal en écrivant ses Mémoires .

L'inscription écrite au bas du tableau en capitales jaunes de la nièce de Pascal est en six lignes dont les divisions sont indiquées : «  Christo sospitatori hanc effigiem Margueritæ Perier, decennis puellæ, cujus sinister oculus, fæta et insanabili ægilope jam triennium laborans, vivificæ spinæ contactu momento curatus est die martii 24 e anno 1656, memores tanti beneficii parentes sacraverunt  ». Il convient de traduire l'inscription qui marque la trace du prodige : Cette image «  hanc effigiem  » de Marguerite Périer, âgée de dix ans, dont l'œil gauche, souffrant depuis trois ans d'une fistule hideuse et incurable, guérit en un instant «  momento curatus  », le 24 mars 1656, au contact de l'Épine vivifiante, ses parents l'ont consacrée «  sacraverunt  » au Christ Sauveur «  Christo Sospitatori  » en souvenir d'un si grand bénéfice.

 

 

L'ex-voto de Claude Baudran

Le troisième tableau de la collégiale de Linas attribué à l'école de Philippe du Champaigne est également un ex-voto, huile sur toile du XVIIe siècle intitulé «  Ex-voto de Claudia Baudran  ». Cette toile fut peinte à l'occasion de la guérison miraculeuse de Claude Baudran, religieuse à Port-Royal-des-Champs. Comme la précédente, cette œuvre fut léguée, en 1842, à la fabrique de Linas par le baron de La Bonnardière, propriétaire du château de la Roue.

L'Ex-voto de Claudine Baudran , est une toile de 115 cm sur 112 cm de hauteur. Ce tableau représente une jeune religieuse en costume blanc de novice, à genoux, dans la même chapelle, devant le même autel, également grande comme nature. Tous les détails de l'ex-voto de Marguerite Périer se retrouvent dans celle-ci. Ce sont les mêmes flambeaux, le même reliquaire ; c'est très certainement l'intérieur d'une chapelle de Port-Royal. Ce tableau est le meilleur des deux qui décorait la chapelle de Port-Royal. Il est bien évidemment de la même main que le précédent, la tête est admirablement peinte et d'une conservation parfaite ; l'expression également simple est plus enfantine.

 

Ex-voto de Claude Baudran (école de Philippe de Champaigne).

 

Claude Baudran , l'une des miraculées de Port-Royal dans son enfance, est née en 1642, mise à Port-Royal en 1651 comme pensionnaire, y prit l'habit de novice morte en 1661 sous le nom de Magdeleine de Sainte-Gertrude. Mais elle en fut presque aussitôt enlevée après l'ordre du roi. Elle mourut à Paris le 24 juin 1662 à l'âge de 20 ans. La Mère Françoise de Sainte Julie Baudran, prieure à Port-Royal, paraît être sa sœur aînée.

Une nouvelle fois, Champaigne obéit à une tradition iconographique millénaire : celle des ex-voto. Laissons Lorenzo Pericolo nous l'expliquer. «  Il s'agit, à proprement parler, de la consécration du fidèle, ou de son effigie, à la divinité dont on attend un bénéfice ou dont on a reçu une grâce. L'abbaye de Port-Royal cultivait avec discrétion cette pratique rituelle. La sobriété stylistique de ces icônes reflétait sans doute le goût des moniales pour la simplicité des coutumes de l'Eglise primitive. En outre puisque ces tableaux ne représentent pas des miracles, ils accomplissent aussi une tâche diplomatique : atténuer l'impact de ces prodiges modernes  ».

Les deux portraits votifs, l'un de Claude Baudran et l'autre de Marguerite Périer ornaient le chœur de la chapelle de Port-Royal à Paris. L'artiste évoque de manière assez précise le chœur des moniales du faubourg Saint-Jacques avec la grille de fer, les stalles en bois, le petit autel recouvert d'une tenture à rinceaux de brocart et le reliquaire. Claude Baudran est représentée exactement dans le même costume et la même attitude. On observe une parfaite symétrie entre ces deux tableaux.

L'inscription du portrait de Claudine Baudrand est en cinq lignes : «  Claudiæ Baudrand, XV annos natæ, horribili totius abdominis tumore, quo jam per biennium et amplius laborabat, medicis jam ad periculosissinam sectionem properantibus, puncto temporis, nullo, vel artis vel naturæ, præsidio, liberatæ, hanc effigiem, tanti miraculi monumentum vivificæ Salvatoris spinæ, cujus bebeficio patratum est, grati parentes diraverunt 27 maii 1667  ». L'inscription latine indique que la jeune religieuse était âgée de quinze ans. Elle a contracté une horrible tumeur abdominale à l'estomac, cause de sa maladie. Le peintre a inscrit la date du 27 mai 1667 comme celle de la guérison. «  Ce miracle lui a sauvé la vie  » inscrivit l'artiste.

L'épitaphe couchée sur l'ex-voto de Claude Baudran est de la même teneur que celle de Marguerite Périer. La jeune novice, affectée d'une tumeur à l'estomac que les médecins s'apprêtaient à opérer, avait été guérie en un instant «  puncto temporis  » par l'intermédiaire de la Saint-Épine. Là aussi, ses parents voulaient son image «  hanc effigiem  » en signe de gratitude pour se guérison.

 

 

La notice d'Henri Bouchitté

Dans les Mémoires de la Société des Sciences Morales des Lettres et des Arts de Seine-et-Oise , Henri Bouchitté écrivit une notice sur quelques objets ayant appartenu à l'abbaye de Port-Royal-des-Champs où il explique : «  On connaît l'étroite liaison qui unissait aux Solitaires de Port-Royal le célèbre Philippe de Champaigne. Sa fille, dès son enfance élevée dans le monastère, y avait plus tard prononcé ses vœux. On peut admirer au musée du Louvre l'un des meilleurs tableaux de cet artiste, représentant le moment où sœur Catherine-Suzanne de Champaigne, assistée des prières de la mère Catherine-Agnès Arnault, sent disparaître l'infirmité contre laquelle depuis quatorze mois luttaient les efforts des médecins. Ce miracle ne fut pas le seul qui parut consoler Port-Royal au milieu de la lutte qu'il soutenait ; il ne fut pas le seul que le pinceau de Philippe de Champaigne reproduisit  » (4).

M. Bouchitté posa plusieurs questions. Comment ces tableaux sont-ils venus en la possession de l'église de Linas ? Dans quelle situation y sont-ils aujourd'hui ? Il est important dans l'intérêt des arts que l'attention du comité et celle de M. le Ministre soit appelée sur ce point.

Les registres de fabrique de Linas disent que ces tableaux ont été légués sans condition à la paroisse en 1842 par M. de Camet de la Bonnardière, gendre de M. Laideguive, janséniste notoire du XVIIIe siècle. Il est vraisemblable que les deux ex-voto de Marguerite Périer et de Claude Baudran furent achetés par Monsieur Laideguive quand l'abbaye de Port-Royal fut vendue comme bien national en 1791.

Le curé s'est empressé d'en décorer son église. Mais dans une visite pastorale, Monseigneur Gros, alors évêque de Versailles, ordonna qu'on éloignât du sanctuaire et des regards des fidèles des tableaux destinés à propager la mémoire de miracles dont l'authenticité n'a pas été reconnue par l'Église. De même Monseigneur Mabile, successeur de Monseigneur Gros, a maintenu cet interdit. Dans ces décisions, nous retrouvons deux siècles plus tard, la condamnation du mouvement Janséniste.

Dans sa notice, Henri Bouchitté discute de l'avenir des trois œuvres. « Reste donc à voir ce qu'il serait bon de faire, dans l'intérêt de l'École française, de ces œuvres d'un de ses plus illustres représentants. Ainsi relégués dans les dépendances d'une église de campagne, privés des soins indispensables, ces deux tableaux ne pourraient manquer de se détériorer et de se perdre. Ils sont à la fois compromis et inutiles. Par la surveillance qu'il exerce sur les cultes, M. le Ministre de l'Instruction publique a droit de se préoccuper de la conservation du mobilier des églises, dans lesquelles les tableaux jouent un rôle important. Averti par lui, nul doute que le ministre dans les attributions duquel se trouve la direction des Beaux-arts, ne s'empressât de ménager quelque échange qui pût procurer à l'État la possession des deux toiles de Philippe de Champagne, qui trouveraient leurs places marquées au Musée du Louvre, à côté du célèbre tableau des Religieuses . Nous espérons que ce comité, soigneux de conserver les traditions de l'art en France, et de recueillir, pour en assurer la conservation, les éléments de la gloire nationale qui se rattachent à ses études, voudra bien appuyer de sa recommandation auprès de l'administration supérieure, cette partie de la note que nous soumettons à son appréciation » (5).

 

 

La critique d'Anatole de Montaiglon

Anatole de Montaiglon, a été publié en 1867 un article dans la Revue des Sociétés Savantes des Départements . Le critique d'art rapporte l'analyse de M.M. Bouchitté et Cousin (6). «  M. Bouchitté, dans sa notice sur Philippe de Champaigne, et M. Cousin, dans une note de son livre Le Vrai, le Beau et le Bien (éd. de 1860, p. 236), indiquent dans l'église de Linas, à côté de Montlhéry, des tableaux qui donnent comme des originaux du maître. Ils ne sont certainement pas de lui, et ce sont des œuvres plutôt médiocres que bonnes ; mais ces deux ex-voto, qui sont les portraits de novices de Port-Royal agenouillées devant le reliquaire de la sainte épine, sont curieux pour l'histoire du XVIIe siècle, et l'un d'eux est le portrait de la petite Marguerite Périer, la nièce de Pascal. Ils ne sont même à Linas que depuis peu d'années, puisqu'au lieu d'être, comme on pourrait le supposer, des épaves immédiates de Port-Royal, ils appartiennent à l'église, seulement depuis 1842, à la suite d'un legs fait par M. de La Bonnardière. En même temps, comme ils se rapportent à un miracle janséniste et par là peu reconnu, ils ne sont même pas dans l'église, mais sont relégués dans une salle fermée au-dessus de la sacristie  ».

Le parti des deux tableaux est le même ; la novice, les deux mains croisées sous le long scapulaire qui tombe devant sa robe, est agenouillée devant un petit autel sur lequel est placé, entre deux chandeliers très bas, la monstrance servant de reliquaire à la Sainte Epine. La scène se passe dans le chœur des religieuses, reconnaissable aux stalles qu'on voit au fond, et à la grille à barreaux croisés qui séparait le chœur de l'église publique.

Puis, le critique exprime sa propre opinion : «  La peinture est molle et sans accent, les têtes lourdes et mornes, le vêtement blanc, qui est en laine et qu'on devrait trouver semblable à celui du portrait de la mère Agnès et de la fille de Champaigne, est mal dessiné et peint dans un ton si froid qu'il ressemble plutôt à du linge qu'à de la laine. Les têtes ont même si peu de jeunesse, que les dates sont nécessaires pour se douter qu'on a sous les yeux des enfants de dix et de quinze ans. La seule bonne partie est l'autel lui-même, dont les côtés sont recouverts d'une étoffe, différente de dessin dans les deux, mais, dans les deux cas, à dessins rouges sur fond d'or dans le goût des belles étoffes brochées familières aux tableaux flamands de la fin du XVe siècle. C'est la seule portion qui ait quelque solidité et quelque mérite d'exécution ; elle prouve que l'auteur de ces ex-voto était d'origine flamande et pouvait par là être de l'école de Champaigne, auquel, je le répète, il est impossible de les maintenir  ».

Les deux inscriptions écrites en capitales jaunes au bas des tableaux de Linas sont lourdes et communes et telles que n'en aurait jamais tracé le pinceau soigneux qui a dessiné avec toute la conscience d'un bon graveur lapidaire les lettres noires de l'inscription du tableau de la mère Agnès (7).

À suivre…

 

 

Notes

(1) Réception des vœux de Monsieur François Pelletant, maire de Linas, le samedi 19 janvier 2013.

(2) Philippe Sellier, Qu'est-ce que Port-Royal , Société des Amis de Port-Royal.

(3) Le tableau du Louvre (H. : 165 cm ; L. :2269 cm) a été saisi à la Révolution à l'abbaye de Port-Royal de Paris (Inv. 1138).

(4) Mémoires de la Société des Sciences Morales des Lettres et des Arts de Seine-et-Oise , tome VI (chez Auguste Montalant, Versailles 1861), Henri Bouchitté

(5) Des miracles de toute sorte survenaient à Port-Royal-des-Champs, comme celui de l'été 1661. Voici les Mémoires pour servir à la vie de la révérende Mère Marie Angélique Arnault nous trouvons le récit de nombreux miracles. «  La sœur Elizabeth de Sainte-Claire arriva à Port-Royal-des-Champs sur la fin du mois d'août de l'année 1661. On la mit bientôt après à la cuisine des infirmes où il y avoit beaucoup de travail, tant à cause de la multitude des malades que parce que la fontaine des cette cuisine n'alloit point depuis près de quatre mois, ce qui obligeoit les sœurs d'aller quérir l'eau fort loin. Cette peine augmenta encore beaucoup depuis que la quantité de malades fit qu'on fût contraint de ne laisser que deux sœurs pour servir à cette cuisine, où l'on avoit accoutumé d'en mettre trois. Un jour dans le mois d'octobre comme elle voyoit que leur travail augmentoit tous les jours, elle s'enquit si on ne pouvoit point apporter de remède à cette fontaine. On lui répondit qu'il n'étoit point le tems de parler de cela ; qu'il y auroit trop de dépenses, et que cette réparation coûteroit pour le moins 500 livres , cette réponse lui donna la pensée d'avoir recours à la Mère Angélique, qui étoit morte le 6 août de la même année. Elle fut trois jours qu'elle lui disoit fort souvent : ma pauvre Mère, nous n'avons point d'eau. Au bout de trois jours, une sœur lui vint dire que la fontaine commençoit à venir ; elle y fut aussitôt, et vit qu'elle alloit un peu, et elle en rendit grâces à Dieu et à la Mère Angélique. Elle dit que depuis ce jour-là, l'eau vint toujours plus abondamment et la fontaine ne s'est point tarie cet hyver, comme elle avoit accoutumé les années précédentes, cette sœur ajoute, que cette fontaine vient à présent sans qu'il soit besoin de fermer celle du réfectoire, comme on étoit obligé auparavant, de sorte qu'il semble qu'elle se soit partagée pour donner de l'eau aux deux cuisines également, qui est ce que la sœur Sainte Elizabeth-Claire avoir désiré bien des fois, quoi qu'elle n'eut osé le demander  ».

(6) Anatole de Montaiglon, Revue des Sociétés Savantes des Départements , tome V (Impr. Impériale, Paris, 1867).

(7) Selon Henri Bouchitté, M. le comte de Colbert Chabanais possède (1860) dans sa galerie un tableau appartenant à la série de ceux que Champaigne exécuta pour Port-Royal. Il lui vient de son grand-père, le général de Canclaux, à qui en firent cadeau les religieuses réfugiées auxquelles il avait donné asile dans sa maison, rue Saint-Paul, n°4. Il représente deux religieuses dans une chambre qui s'ouvre sur les bâtiments et les jardins de l'abbaye.