Marguerite de Montlhéry et ses descendants (1) |
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Chronique du Vieux Marcoussy --Marcoussis--------------- _------------------------------- Novembre 2011 Généalogie des vicomtes de Sens issus de Marguerite de Montlhéry.C. Julien
Cette chronique est consacrée à l'une des pages de l'histoire de la famille des sires de Montlhéry, celle qui concerne Marguerite, l'une des filles de Milon 1er le Grand, troisième seigneur de Montlhéry. Les descendants de cette demoiselle furent vicomtes de Sens (1). Au cours de cette étude, certes, nous nous éloignons de Montlhéry pour retourner sur les terres de ses ancêtres, pour la bonne raison que les enfants de Milon s'allièrent, ou retournèrent, dans le pays d'origine de la famille, c'est-à-dire la Champagne méridionale et plus particulièrement dans les diocèses de Sens et de Troyes. C'est la notice de Joseph Depoin, éditeur du cartulaire du prieuré Saint-Martin-des-Champs qui suscita l'idée de ce sujet (2). À propos d'une charte donnée en 1205, le célèbre chartiste mentionne une « dame Ermesende, vicomtesse de Sens », sœur du vicomte Guérin II. Ces personnages descendaient de Manassès, vicomte de Sens qui assista à Longpont aux obsèques de Milon II de Montlhéry, dit « de Bray » tué à Châteaufort par Hugues de Crécy. En fait, Manassès est l'époux de Marguerite de Montlhéry, donc beau-frère de Guy Troussel, de Renaud, évêque de Troyes et du défunt. Le continuateur de la Chronique d'Aimoin dit que Marguerite, troisième des sœurs de Milon, fut mère du vicomte Salon : « Manassé était le beau-frère du défunt ». Salon, ayant succédé à son père, concéda vers 1130 à son frère Renard, abbé de Saint-Jean-de-Sens, un amortissement général des acquisitions de ce monastère dans le fief vicomtal (M. Quantin, Cartulaire général de l'Yonne, I, 273). En 1158, l 'archevêque Hugues, réglant un différend survenu entre ce vicomte et les religieux de Saint-Jean, au sujet de la pêche des étangs de Villethierry, nomme les fils de Salon, Guérin et Bouchard, et leur oncle paternel Manassé, chanoine de Sens et archidiacre de Troyes ( Ibid., II, 86).
La famille de Montlhéry selon les anciens généalogistes Marguerite de Montlhéry est la fille de Milon 1er dit le Grand seigneur de Montlhéry et de Bray-sur-Seine qui avait épousé Lithuise de Soissons, vicomtesse de Troyes, dont Moréri dit être « une riche héritière » (3). Sous le comte de Champagne Thibault 1er, l'office de vicomte était déjà inféodé et possédé à titre d'héritage. Lithuise l'avait reçu de sa mère, issue des comte de Vermandois. Par son mariage en 1070, elle apporta cette charge dans la famille de Montlhéry et, dès lors, Milon prit le titre de vicomte de Troyes (4). André Duchesne, géographe de Louis XIII et généalogiste de maisons nobles, donna à plusieurs reprises la généalogie des sires de Montlhéry. L'étude sur la maison de Montmorency (5) mentionne les enfants issus du mariage de Milon 1er avec Lithuise de Troyes : « le seigneur de Montlhéry de Bray, vicomte de Troyes, obtint les surnoms de Grand et de Vieil à cause de sa puissance et de son grand âge, et s'allia par mariage avec une dame appelée Lithuise , vicomtesse de Troyes, du consentement de laquelle, et de leurs enfans, il restitua à l'église et aux religieux de Longpont la moitié de la terre de Ver, que la Dade Pons sa seur leur avoit donnée. Il leur confirma aussi le moulin de Grotel octroyé par Guy de Montlhéry, son père. Restaura l'église de Saint-Sauveur de Bray fondée par Bouchard I, seigneur de ce lieu, laquelle avoit esté ruinée. Et estant à Chevreuse, ratifia entre les mains de Baldric abbé de Saint-Pierre de Bourgueil la donation des églises de Chevreuse, que le mesme Guy avoit faite à ce monastère ». Suger, abbé de Saint-Denys, qui n'était pas tendre avec les feudataires de l'évêque de Paris, fit reproche à Milon de Montlhéry d'avoir excité divers troubles et tumultes dans le royaume, au moyen de la grande puiss ance et autorité qu'il y avait. Et par les chartes de Longpont on apprend qu'il se croisa l'an 1096 pour aller « au voyage de Hierusalem », où il mourut (en 1102), laissant veuve la vicomtesse Lithuise, sa femme. Duchesne énonça les enfants de Miles I de Montlhéry dans un ordre non chronologique :
Dans son étude généalogique de la maison de Châtillon-sur-Marne, Duchesne cite également la maison de Montlhéry, mais ne donne que quatre filles à Milon 1er et Lithuise, vicomtesse de Troyes. « La première des filles eut pour mary Manassès, vicomte de Sens, frère de Hilduin seigneur de Marolles en Brie, duquel issit Salon vicomte de Sens » dit-il. Pour sa part, Louis Moréri reprend les mêmes termes que Duchesne avec quelques précisions : « Miles ou Milon , dit le Grand, seigneur de Montleheri et de Brai, prit alliance avec Lithuise vicomtesse de Troyes, riche héritière, dont il eut Gui II dit Troussel ; Miles II seigneur de Brai, vicomte de Troyes qui épousa Lithuise de Champagne, dont il fut séparé pour cause de parenté ; Renaud , prévôt de l'église de Saint-Pierre de Troyes, vicomte de la même ville en 1120, puis évêque ; Marguerite, alliée à Manassés vicomte de Sens ; Emmeline , mariée à Hugues, seigneur de Broyes; N. femme de N., seigneur de Planci en Champagne; N. qui eut pour mari le seigneur d'Hericei ; et Isabeau, mariée à Thibaut, seigneur de Dampierre en Champagne » . On remarque que les enfants de Milon furent alliés en majorité à des familles champenoises. Certains généalogistes ajoutent une autre fille de Milon 1er : Ermessinde (née vers 1075) marié avec Etienne de Sens en premières noces, puis, en 1103, avec Manassès de Villemaur (v. 1075-1127) dont Isabelle de Villemaur et Milon.
Manassès vicomte de Sens Nous n'avons que peu d'éléments de la biographie du vicomte de Sens. Continuons la lecture de Duchesne, mais cette fois dans l' Histoire des roys, ducs et comtes de Bourgogne et d'Arles (6). Dans le livre III, chapitre XXII, l'historien décrit les vicomtes de Sens en commençant par Manassès. Voici ce chapitre : « Le premier donc que je trouve avoir tenu la dignité de vicomte en la ville et comté de Sens, fut un nommé Manassès, frère de Hilduin, seigneur de Marroles-en-Brie. Il est parlé de luy en une charte du prieuré de Longpont, et en une autre de l'abbaye de Sainct-Denys, par laquelle on apprend qu'il fist un voyage en la Terre saincte environ l'an 1120, épousa l'une des filles de Miles de Bray surnommé le Grand, seigneur de Montlhéry et de Lithuise, vicomtesse de Troyes, sa femme, et eut d'elle entre autres enfans, Salon, vicomte de Sens après luy, comme asseure le continuateur d'Aimoin. Ce fut l'un de ceux à qui les papes Eugène et Anastase recommandèrent la protection de l'abbaye de Vézelay, durant qu'Eudes II, estoit duc de Bourgogne et par leurs lettres sont aussi mentionnez deux siens fils à sçacoir Galeran et B[urchard]. Galeran luy succéda en la vicomté de Sens, et fist quelques dons à Durand Hermite de Montbéon, qui furent confirmez par Guy archevesque de Sens, ès années 1184 et 1187. Il eut pour femme Ermensenz, nommée en une charte de l'an 1204, estant au thresor de Saint-Martin-des-Champs, mais veufve alors. Et voilà tout ce que j'ay remarqué sur ce subjet » (4). Comme nous le verrons par la suite, Duchesne ne commet pas d'erreurs dans cette notice des vicomtes de Sens, excepté qu'il mentionne Marolles-en-Brie (cant. Boissy-Saint-Léger, arr. Corbeil) au lieu de Marolles-sur-Seine (cant. Montereau, arr. Fontainebleau). Une question se pose : quelle est l'origine de Manassès ? Une étude sérieuse a été publiée en 1930 dans les Annales de la Société historique et archéologique du Gâtinais . Baron de Marolles et vicomte de Sens, Étienne assista en 1099 au synode provincial tenu à Étampes. Étienne mourut peu après, laissant de son union avec Hersent au moins deux fils 1° Manassès , titulaire de la vicomté de Sens dès 1105, qui avait épousé vers 1095 une fille de Milon de Montlhéry, dont il eut Salon et Manassès ; 2° Hilduin, seigneur de Marolles-sur-Seine connu entre 1114 et 1122, marié à Marguerite de Bray dont le fils Guy, connu entre 1122 et 1147, fut seigneur de Nangis du chef de sa femme Elisabeth. Ainsi il est probable que Manassès provenait à cette illustre famille briarde par les seigneurs barons de Marolles sur Seine « Merroles », près Montereau. Le seigneur de Marolles était l'un des quatre barons de l'archevêché de Sens qui étaient tenus de porter, sur leurs épaules, l'archevêque de Sens, lors qu'après son élection, il faisait son entrée dans sa ville archiépiscopale. Dans une note du Bulletin de la Société des Sciences Historiques de l'Yonne (vol. 7, 1853), M. Quantin dit que Manassès, vicomte de Sens, alla en Terre-Sainte vers 1120 (Duchêne, Hist. de Bourgogne , 311). D'autre part, Dom Michel Félibien, auteur de l' Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denys (1706) mentionne que, vers 1114, « un seigneur nommé Hilduin de Mereoles frère de Manassès vicomte de Sens estant sur le point d'entreprendre le voyage de Jérusalem, alla trouver Daimbert, archevêque de Sens pour le prier d'agréer qu'il fist présent à l'abbaye de Saint-Denys, de l'église de Saint-Yon en Brie avec tout ce qu'il y possédoit ». Daimbert, ami intime de l'abbé Adam donna son plein consentement en se réservant seulement les droits ordinaires, « pour n'en pas frustrer ses successeurs ».
Les ambiguïtés généalogiques Les ambiguïtés concernant le vicomte Manassès sont nombreuses. Nous passerons sous silence, les erreurs donnant les parents de sa femme Marguerite, résultat de la confusion entre les noms des seigneurs de Montlhéry. André Duchesne mentionne en 1621 « la première des filles [de Milon le Grand] eut pour mary Manasses, vicomte de Sens, frère de Hilduin seigneur de Marolles en Brie, duquel issit Salon vicomte de Sens ». Il faudrait lire Marolles-sur-Seine car il est peu probable que la seigneurie briarde ait été partagée avec Dreux de Mello (7). L'auteur de « Généalogies Historiques des Maisons Souveraines (vol. 4, publié chez Le Gras, Paris, 1738) reprit les mêmes termes : « Nos rois ayans incorporé la comté de Sens au domaine de la couronne, y établirent sous eux des vicomtes . Le premier , dont on trouve le nom, fut Manassès, frère de H ilduin seigneur de Marolles en Brie ». Dans la notice sur la maison de Melun, Dom Moréri mentionne « VI. Manassès, vicomte de Melun, dont parle une charte de Philippe I, donnée à Melun l'an 1110, indiction VIII, épousa Marguerite , fille de Miles, alias Milon , vicomte de Troyes, seigneur de Montlhéri et de Bray, dont Hilduin , et Ursion, II du nom ; successivement vicomtes de Melun. Hilduin, vicomte de Melun, et seigneur de Marolles en Brie par sa femme, vers l'an 1120, est mort sans enfans » ( Le Grand dictionnaire historique , t. X, Paris, 1759). M. de Courcelles défend une thèse selon qu'il serait issu des vicomtes de Melun dont l'ancêtre est Josselin (8). L'historien attribue quatre fils au vicomte Ursion 1er de Melun « vicecomes Meledunensis » : Guillaume le Charpentier qui succéda à son père en 1084, Manassès son frère puîné, vivant en 1120, Hugues de Melun, vivant en 1080 et Ursion de Melun, évêque de Beauvais en 1085, mort en 1089. Dans sa notice, notre généalogiste mentionne : « Manassès de Melun, qui se ligua avec le châtelain de Cambray contre l'évêque et le chapitre de cette ville. Il vivait encore en 1120. Marguerite, fille de Milon II de Bray, châtelain de Montlhéry, fut l'épouse de Manassès de Melun, suivant Moréri. Il est certain que l'époux de cette dame se nommait Manassès, et qu'il était vicomte de Sens . Il pouvait être le même que le fils d'Ursion 1er ». À ce propos, M. de Courcelles répète les paroles du père Anselme, ajoute que Manassès épousa Marguerite, fille de Milon de Bray, sire de Montlhéry. « Il est certain, dit-il, que l'époux de cette dame se nommait Manassès, et qu'il était vicomte de Sens. Manassès, très-probablement fils d'Ursion 1er , vicomte de Melun, avait un fils nommé Hilduin, seigneur de Marolles en Brie, en 1120. Salon , vicomte de Sens en 1145, fils et successeur de Manassès , fut père de deux fils, Guérin, vicomte de Sens, mort eu 1168, et Bouchard 1er , vicomte de Sens après son frère, etc. » (9). Nous voici donc retombés encore dans la confusion que Bouillard a fait naître à propos de Salon et de Manassès. L'existence de ces deux seigneurs, comme vicomtes de Sens, est attestée par des documents authentiques ; mais rien autre chose que les conjectures de Rouillard, de Michelin et de Courcelles, ne prouve leur identité avec des vicomtes de Melun du même nom. Rouillard place l'année 1092, et Michelin à l'année 1100, un vicomte du nom de Manassès. Notons que Rouillard ajouta à la fin de son article qu'« il y ha eu un Manassès, visconte de Sens, vers l'an 1120 » ( Hist. de la ville de Melun , Paris, 1628). Doit-on croire ces auteurs sur parole? Le Garin et le Helduin, cités par Michelin, sont-ils autres que les fils de ce dernier? et n'est-ce pas à la même source que cet auteur est allé chercher leurs noms pour en grossir sa liste? Rien ne nous semble plus probable. Nous nous contenterons de nommé Manassès de Sens avec sa qualité de vicomte. Dans son étude sur une charte inédite de 1138, Adolphe Duchalais (10) donne la liste des vicomtes de Melun et à propos de « Manassès, visconte de Sens, frère de Hilduin seigneur de Marolles en Brie » dit « tant de contradictions sont à peine dignes d'être relevées, et nous douterions même qu'il eût jamais existé un Manassès de Melun… ». Marie de La Motte-Collas mentionne qu'un certain Hilduin était, en 1140, seigneur de Marolles-sur-Seine où l'abbaye de Saint-Germain-des-Près avait une villa (11).
Les obsèques à Longpont L'assassinat de Milon II de Bray par son cousin Hugues de Crécy a été discuté maintes fois par les historiens. La charte LXXXIV du cartulaire de N.-D. de Longpont décrit la pompe fort solennelle de l'enterrement dans le cloître de cette église de Longpont (12) . Car non seulement le roi Louis le Gros honora les obsèques de sa présence , mais aussi plusieurs prélats et grands seigneurs y assistèrent « in presentia Ludovici, regis, et Girberti, Parisiensis episcopi, et Bernerii, decani, et Stephani archidiaconi, aliorumque multorum, tam clericorum quam laicorum, honorifice sepultus est », c'est à savoir Gislebert évêque de Paris, Bernier doyen, et Étienne, archidiacre de Josas. Puis, le scribe énonce la présence de plusieurs personnes qui sont les parents du défunt. Renaud frère du défunt résidant lors à Troyes, accompagné de ses neveux et de Manassès vicomte de Sens vient s'incliner sur la sépulture à Longpont « Quo audito, Rainaldus, frater ejus, tristis mestusque a Trecassina urbe cum nepotibus suis et Manasse, vicecomite Senonensi, venit ad Longum Pontem videre fratris sui sepulturam ». Les neveux sont Guy de Dampierre, fils d'Isabeau de Montlhéry, Simon de Broyes fils d'Emeline de Montlhéry et Hugues de Plancy . Il faut ajouter que furent également présent Manassès de Villemaur et son fils Milon « Manasses de Villamor, Milo, filius ejus », dont nous venons de parler. Ainsi la charte de Longpont évoque clairement l'existence de deux personnages de nom de Manassès : le vicomte de Sens et le seigneur de Villemaur, lui-même vicomte de cette petite ville, siège d'un doyenné du diocèse de Troyes. Toutefois, une confusion existe à la lecture de certains auteurs qui confondent les deux vicomtes en une seule personne. Un exemple significatif est donné par la notice suivante : « Manassès de Villemaur, vicomte de Sens vers 1075, décédé vers 1127. Parents: Père: Hilduin de Villemaur, seigneur de Marolles sur Seine (ca. 1050) Mère: Adélaïde. Marié vers 1103 avec Ermessinde de Montlhéry (ca. 1075) fille de Milon 1er . Enfant Isabelle de Villemaur marié vers 1126 avec Guy 1er de Brienne dont Milon II de Brienne (1126-1151) ».
Les vicomtes de Sens Dans le livre des vassaux du comté de Champagne, nous apprenons que la vicomté était un fief qui consistait dans la lieutenance d'un comté (13). Au Moyen-âge, les vicomtes avaient dans leurs attributions l'administration de la justice; ils furent littéralement les représentants et les délégués des comtes, puis du roi, pour différentes parties de l'administration et du gouvernement. La charge de vicomte fut partagée, démembrée, subdivisée, par héritages, ventes et concessions. Au XIIe siècle, Henri le Libéral avait des vicomtés dans au moins treize des châtellenies qui composaient son comté de Champagne. Parmi celles-ci, Châtillon-sur-Marne, Meaux, Provins, Troyes et Villemaur étaient un chef-lieu vicomtal. En 1150, la vicomté de Troyes était divisée entre trois seigneurs différents : Clarembaud de Chappes, le fils de Guillaume de Dampierre et le comte de Bar-le-Duc. Le premier comte de Sens remonte jusqu'à l'an 850 : il se nommait Magnerius. La réunion du comté de Sens à la couronne est sensé avait été faite en 1017 au détriment de Renaud II suite à des démêlés de celui-ci avec l'archevêque Leuteric, moyennant l'usufruit de la moitié seulement. Ce traité ne fut confirmé qu'en 1055, sous le règne de Henri 1er. Le comté de Sens était parti possession de l'archevêque et la plus petite partie au roi qui y installa un vicomte. Le roi Henri 1er demeura paisible possesseur de la partie du comté qui n'appartenait pas à l'archevêque « deinde rex Heinricus possedit civitatem et omnia quae ipse habuerat », c'est-à-dire de la plus petite. Il y préposa un vicomte. Un certain Daimhaut, fils de Mainard de Sens, est qualifié de vicomte de Sens. Il mourut en 1062. « Les rois establirent à Sens des vicomtes sous eux, dont il y a quelques mémoires jusques en l'année 1204 », affirme Dupuy. Le vicomte a juridiction sur les marchés et sur les locaux à usage commerciaux. Il réprime le vol. Il prélève sa rémunération sur les taxes de péage, de mesure et de tonlieu. Un document sénonais du début du XIIIe siècle montre clairement que le roi et le vicomte de Sens se partageaient le produit des impositions frappant les marchandises vendues ou fabriquées dans la cité. Dans un lexique latin, la « vicecomitia » était un droit de voirie. Ainsi les revenus de la vicomté de Sens étaient amplifiés par l'existence des foires de Champagne « c'est un partage entre le roi et le vicomte de Sens des péages et des coutumes, c'est-à-dire, suivant le sens propre du mot au moyen âge, des impositions établies par l'usage sur les denrées et les marchandises qui étaient vendues ou fabriquées dans la ville, ou qui la traversaient », dit un historien. La question de savoir si le vicomte de Sens a été institué par la royauté au moment de l'acquisition du comté de Sens sous Henri 1er ne parait pas aisée à résoudre, malgré l'affirmation de Dupuy. Ce qui est certain, c'est que le vicomte de Sens est dans la dépendance à la fois de l'archevêque et du roi : en 1170, Louis VII déclare avoir fait don à l'église de Sens de tous ses droits sur les moulins que le vicomte possédait au faubourg de cette ville. Selon une lettre du pape Eugène III s'adressant à Henri le libéral pour le conflit des bourgeois de Vézelay avec leur abbé, « Salon, vicomte de Sens et ses fils Guérin et Bouchard » étaient les vassaux du roi (14). Plusieurs actes insérés dans le cartulaire de l'Yonne font mention de quelques vicomtes de Sens, depuis 1130 jusqu'en 1182. Toutefois la nature de leur office et leur situation vis-à-vis du roi sont très vaguement indiquées dans ces documents. La chronique de Clarius, citée par M. Quantin, relate seulement la mort d'un vicomte en 1168 « Mortuus est Wariuus, vicecomes Senonensis, sepultusque est in capitulo S. Pétri viri », mais ne parle pas non plus de son institution par le roi.
Les descendants de Marguerite de Montlhéry Dans son texte sur les Coutumes et péages de Sens , Albert Lecoy de La Marche, semble faire une erreur en mentionnant : « De 1055, date de la suppression du comte de Sens, jusqu'à 1130, on ne trouve la mention d'aucun vicomte : le roi put ne pas en instituer immédiatement, et administrer directement son nouveau domaine. Le premier qui apparaisse est Salon (Salo), qualifié vicecomes Senonensis dans une donation faite par lui, vers 1130, à l'abbaye de Saint-Jean-lès-Sens » (15). L'analyse du Cartulaire de l'Yonne est faite par cet historien. Le vicomte Salon figure avec le même titre dans des actes que M. Quantin place entre les années 1143 et 1168. Vers 1150, le vicomte Salon ratifia le don du chevalier nommé Gilo, qui étant au moment de mourir gratifia l'abbaye Saint-Jean de la moitié de la dîme qu'il possédait au-delà de l'Yonne depuis le bourg de Saint-Maurice-de-Sens jusqu'à Saint-Bond et à Saint-Martin. La charte est donnée par l'archevêque Hugues en présence de l'archidiacre Guillaume et du chapelain Fromond. En 1147-48, Salon, vicomte de Sens , et sont fils Garin « Guarinus » (ou Guérin) sont accusés d'avoir détroussé sur la route de Bray-sur-Seine des changeurs de Vézelay qui se rendaient à la foire de Provins; le montant du vol était de 700 livres . Le comte Thibaud II protesta auprès du roi en écrivant une lettre à Suger, alors régent, pour exiger réparation . Cependant Salon ne put tenir la vicomté jusqu'à cette dernière date de 1168: car, dès 1165, on voit Garin « Garinus », qui souscrivit avec son père plusieurs des mêmes actes, mais sans prendre aucune qualité, s'intituler vicomte de Sens dans une donation à l'abbaye de Sainte-Colombe. La femme de celui-ci est qualifiée également vicecomitissa , en 1167. Un autre fils de Salon, Bouchard « Eucchardus ou Bulchardus », souscrivit aussi avec son père : mais il ne paraît pas être devenu vicomte de Sens. Garin lui-même ne survécut pas long temps à Salon : il mourut en 1168. Comme il ne laissait point d'enfants, Galeran « Galerannus ou Gualerannus », qui avait épousé Ermesende , sœur de Garin, lui succéda : il est mentionné avec son titre, dans le cartulaire de l'Yonne, jusqu'en 1182 (16). Une donation de 1184, en faveur du prieuré de Montbéon, est encore faite en son nom. Mais, dès 1188, sa femme apparaît seule dans les actes qui concernent la vicomte, et prend le titre de « vicecomitissa Senonensis ». Le nom de cette personne est écrit dune manière variable : autant de chartes qui le reproduisent, autant d'orthographes différentes, pour ainsi dire. On le trouve sous les formes suivantes, dont plusieurs sont françaises, quoique renfermées dans des textes latins : Ermensendis en 1182, Ermensenz en 1184, Hermensent en 1188, Ermensanz et Ermesenz en 1190, Hermesendis enfin en 1202. Un sceau de la même, appendu à une pièce de 1190, a été décrit par M. Douet d'Arcq, dans sa collection de sceaux des Archives Nationales: il est ogival, long de 65 millimètres ; il représente une dame assise sur une chaise, tournée vers la droite et tenant un bouquet de fleurs. La légende porte : Sigillum Hermesendis, vicecomilisse Senonis ! La donation faite en 1202 à l'église de Montbéon est la dernière pièce émanée d'elle que j'aie retrouvée. Un vidimus qui y est joint, daté de 1214, la donne comme défunte. Ermesende avait des enfants d'un premier lit « Galerannus, vicecomes Senonensis, assensu Ermensendis, uxoris sue, et privignorum suorum »: ils étaient héritiers des droits à la vicomte, puisque ces droits provenaient de leur mère et que Galeran ne les avait acquis qu'en épousant celle-ci. En effet les actes cités par Albert Lecoy de La Marche , portent le consentement de ses fils Hugues et Bouchard « Hugo et Bucardus » et de sa fille Helvide « Helvidis » ; le dernier, celui de 1202, ne mentionne plus que Bouchard et Helvide. On peut donc conjecturer que son autre fils était mort, et que Bouchard devint après elle vicomte de Sens. La vicomté passa ensuite à la célèbre famille des Barres, dont un membre fut l'un des plus braves barons de Philippe-Auguste. À suivre…
Notes (1) M. Quantin, Cartulaire général de l'Yonne: recueil de documents authentiques , volume 2 (Perriquet et Rouillé, Auxerre, 1860). (2) J. Depoin , Recueil de chartes et documents de Saint-Martin-des-Champs : Monastère parisien ( A. Picard, Paris, 1921) 5 vol. (3) L. Moréri, Le grand dictionnaire historique ou Le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane , tome V (Le Mercier, Paris, 1732). (4) Theophile Boutiot, Histoire de la ville de Troyes et de la Champagne méridionale (chez Dufey-Robert, Troyes, 1870) p. 173.(5) André Duchesne, Histoire généalogique de la maison de Montmorency et de Laval (chez S. Cramoisy, Paris, 1624). - Histoire de la maison de Chastillon-sur-Marne (chez S. Cramoisy, Paris, 1621). (6) André Duchesne, Histoire des roys, ducs et comtes de Bourgogne et d'Arles ( chez S. Cramoisy, Paris, 1619). (7) Marolles-en-Brie « Maerolis » , ca. Boissy-St-Léger, ar. Corbeil, qu'il faut se garder de confondre avec une localité portant les mêmes nom et surnom, et située dans le canton de la Ferté-Gaucher, arr. de Coulommiers (S.-et-M.). Dreux, archidiacre du Parisis, était seigneur féodal de Marolles. Il donna, en 1087, l 'église de Marolles-en-Brie à Saint-Martin-des-Champs. Ce prieuré possédait des fiefs dans les seigneuries de Limoges-Fourches et de Fontaine-le-Port, sur la Seine. Nous retrouverons l'archidiacre de Brie, Dreux II de Mello, possesseur de cette seigneurie en 1117. (8) J.-B. P. Jullien de Courcelles, Histoire généalogique et héraldique des pairs de France: des grands dignitaires de la couronne , t. V (A. Bertrand Libr., Paris, 1825). (9) Les vicomtes de Melun étaient très liés aux Capétiens et faisaient partie de la Cour de Philippe 1er. Ursion souscrivit, en 1067, la charte de la dédicace du prieuré de Saint-Martin-des-Champs. On remarque qu'Ursion signa immédiatement après le jeune comte Baudouin, Hugues comte de Meulan et Rainaud comte de Corbeil et avant Gui de Montlhéry, tous grands officiers de la couronne. (10) Ad. Duchalais, Charte inédite de l'an 1138 relative à l'histoire des vicomtes de Melun , in Bibliothèques de l'École des chartes, vol. 6 (J.B. Dumoulin, Paris, 1845), p. 239. (11) M. de La Motte-Collas, Les possessions territoriales de Saint-Germain-des-Prés du début du IXe au début du XIIe siècle , in: Revue d'histoire de l'Église de France, tome 43. N°140 (1957), pp. 49-80. (12) J. Marion, Le cartulaire du prieuré Notre-Dame de Longpont de l'Ordre de Cluny au diocèse de Paris (Impr. Perrin et Marinet, Lyon, 1879). (13) Auguste Longnon, Livre des vassaux du comté de Champagne et de Brie (Libr. Franck, Paris, 1869). (14) Dans l'ancien comté de Sens , le roi devait compter avec la puissance de l'archevêque, primat des Gaules depuis le IXe siècle. En 1269, ce prélat racheta le titre de vicomte de Sens avec celle du chapitre de la cathédrale. (15) Albert Lecoy de La Marche, Les coutumes et péages de Sens, texte français inédit du commencement du XIIIe siècle . In Bibliothèque de l'école des chartes, tome 27 (Paris, 1866) pp. 265-300. (16) Louis Chasot de Nantigny commet une erreur en mariant Guérin, vicomte de Sens, frère de Burchard 1er avec Ermensens qui était leur sœur. ( Les généalogies historiques des rois, ducs et comtes de Bourgogne , 1738, p. 38) .
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