Marguerite de Montlhéry et ses descendants (2)

Chronique du Vieux Marcoussy --Marcoussis--------------- _----------------------------_--Décembre 2011

Généalogie des vicomtes de Sens issus de Marguerite de Montlhéry.

C. Julien

 

 

Cette chronique est le deuxième volet de la biographie consacrée à Marguerite de Montlhéry et à ses descendants qui vivaient au XIIe siècle. Cette fois, nous nous intéressons à son fils Salon 1er, vicomte de Sens, et à ses enfants et plus spécialement à sa fille Ermesende qui hérita de la charge et devint vicomtesse de Sens à la mort de ses frères Guérin et Bouchard. Tous les détails de l'histoire de ces personnages sont données par les chartes du Cartulaire général de l'Yonne: recueil de documents authentiques , éditées par Maximilien Quantin (1).

 

 

Chartes du vicomte Salon

Salon de Sens, fils de Marguerite de Montlhéry et Manassès de Sens est le premier officier royal qui apparaisse en 1130 sous la qualité de «  vicecomes Senonensis  » dans une donation faite par lui à l'abbaye de Saint-Jean-lès-Sens (charte CLIV de l'abbaye Saint-Jean-lès-Sens). L'archevêque Henri «  Henricus, Dei gratia Senonensis archiepiscopus  » atteste que, par-devant lui et d'autres personnes, clercs et laïques, réunies dans sa cour de justice, Salon, vicomte de Sens, a renouvelé le don qu'il avait déjà fait précédemment à son frère Rainard, abbé de Saint-Jean-lès-Sens «  fratri R[ainardi]., abbati videlicet ecclesie Sancti Johannis evangeliste  » , du droit de jouir et de disposer de tout ce qu'il avait acquis ou qu'il acquerrait à l'avenir dans son fief ou dans ses domaines, excepté le domaine entier qui lui ferait perdre son droit à l'hommage. Devant l'assemblée des prélats de l' Église de Sens, composée des archidiacres Thibaud, Simon et Guillaume et des chanoines Robert et Gosbert, l'archevêque évoque l'excommunication à quiconque violerait ce traité (2).

Ce même personnage figure avec le même titre dans les actes que M. Quantin, éditeur du cartulaire de l'Yonne, place entre les années 1143 et 1168. Albert Lecoy de La Marche , auteur de l'article publié en 1866, se trompe quand il écrit «  Cependant, il ne put tenir la vicomté jusqu'à cette dernière date, car, dès 1165, on voit son fils Guérin « Garinus », qui souscrit avec lui plusieurs des mêmes actes, mais sans prendre aucune qualité, s'intituler vicomte de Sens dans une donation à l'abbaye de Sainte-Colombe. La femme de celui-ci est qualifiée également vicecomitissa, en 1167  », les chartes de l'abbaye Saint-Jean-lès-Sens en témoignent. Salon vicomte de Sens avait épousé Agnès de Montmorency, fille de Bouchard IV et d'Agnès de Beaumont, dont on lui connaît deux fils, Guarin et Burchard et une fille nommée Ermesende.

Dans la charte LIV dont M. Quantin donne les dates extrêmes 1143-1158, l'archevêque de Sens «  Hugo, Senonensis archiepiscopus  », Hugues de Toucy, confirme que les trois fils d'Étienne de Thorigny «  Seguinus, Stephanus et Burlicanus  » ont vendu à Rainard, abbé de Saint-Jean-lès-Sens et aux chanoines qui y assure le service divin, une terre sise à Saint-Clément. Ce bien rend un cens annuel de vingt-cinq sous. Cet acte fut confirmé dans l'église neuve de Saint-Étienne de Sens en présence du vicomte Salon, son fils Guérin et Foulques le prévôt comtal «  Salo, vicecomes et Garinus filius ejus et Fulco prepositus vicomitis ».

Avant 1150, un acte constate que Pierre, fils d'Houdier de Sens «  Petrus, filius Holderi Senonensis  », a donné aux moines de Vauluisant, lorsqu'il allait partir pour Jérusalem, tout ce qu'il possédait dans le territoire de Courgenay tant en terre qu'en prairie. Son père et messire Anselme, seigneur féodal, ont confirmé cette donation. Salon, vicomte de Sens témoigne avec de nombreux autres chevaliers du diocèse (charte CCCXIV de l'abbaye de Vauluisant).

Entre 1143 et 1168, le vicomte Salon est encore témoin avec l'archidiacre Guillaume et son frère Hervé, et Hugues prévôt de l' Église de Sens, lorsque Hélie de Maupas confirme l'église de Vauluisant « ecclesia de Vallislucentis » dans tous les biens qu'elle possédait de la libéralité de ses ancêtres; lesquels biens sont situés à Pouy, à Courgenay et à Lailly, excepté les hommes et la terre d'Armentière. Il accorde aussi aux religieux le droit d'usage dans tous ses bois pour mener les porcs à la glandée (charte CCXXXI de Vauluisant).

En 1154, Salon, vicomte de Sens, est ses deux fils «  Salo, vicecomes et filii ejus Garinus et Bulchardus  » agissent comme témoins lors de la donation d'Anseau Porcellus pour l'abbaye de Dilo «  ecclesia sancte Maria de Deiloco  » (charte CCCLXII). Hugues, archevêque de Sens donne des lettres de confirmation pour le legs d'Anseau Porcellus daux religieux de Dilo, pour la dot de deux de ses filles, Sanaolde et Christiana, qui se font religieuses, tout ce qu'il possède, depuis la fontaine Saint-Philibert jusqu'au chemin des Sarrasins qui conduit au moulin des moines, tant en terre, en prairie et cens et tous ses droits dans la forêt de Vareilles.

Dans la charte datée entre 1150 et 1159, l'archevêque de Sens rapporte qu'un chevalier nommé Gilo, étant sur le point de mourir, fit abandon à l'abbaye Saint-Jean de la moitié de la dîme dont il jouissait au-delà de l'Yonne depuis le bourg de Saint-Maurice de Sens jusqu'à Saint-Bond et à Saint-Martin. Salon, vicomte de Sens, ratifia ce don comme seigneur du fief (charte LXVI de l'abbaye Saint-Jean-lès-Sens). La charte est donnée par l'archevêque Hugues en présence de l'archidiacre Guillaume et du chapelain Fromond. Voici la transcription de Maximilien Quantin : «  In nomme Domini. Ego Hugo, Senonensis archiepiscopus, notura fieri volo omnibus fidei catholice professoribus quia Gilo, miles, in extremis agens, dimisit ecclesie Sancti-Johannis Senonensis medietatem decime quam habebat ultra fluvium Jonem, tara in terris quam in vineis, a burgo Sancti-Mauricii usque ad Sanctum-Baudum et Sanctum-Martinum. Hoc vero donum Hugo, monacus, ad quem hereditario jure pertinebat, primo contradixit, sed, volente Deo, postea facta pacis compositione, concessit atque laudavit; laudavit et insuper Salo, vicecomes, de cujus feodo erat. Huic laudationi interfuerunt : Willelmus, archidiaconus; Matheus, precentor; Fromundus, capellanus; Salo de Danjone. Ut ergo donum ratum, firmumque habeatur semper apicibus assignatum, sigilli nostri impressione muniri precepimus, ne forte, labente annorum curriculo, favilla oblivionis possit consumi  ».

En voici une traduction succincte : « Au nom du Seigneur, moi Hugues, archevêque de Sens, faisons savoir à tous ceux qui ont fait profession de foi catholique que le chevalier Giles, au moment de mourir, donna, à l'abbaye Saint-Jean, la moitié de la dîme qu'il possédait au-delà de la rivière d 'Yonne depuis le bourg de Saint-Maurice de Sens jusqu'à Saint-Bond et à Saint-Martin, tant en terre qu'en vigne. De cela le moine Hugues à qui ce patrimoine revenait, s'opposa dans un premier temps, puis voulant être en paix avec Dieu, approuva, de plus Salon, vicomte de Sens, seigneur suzerain, ratifia ce don. Les témoins qui louèrent ce don furent : l'archidiacre Guillaume, le chantre Mathieu, le chapelain Fromond et Salon de Danjon. Et pour que cet acte soit permanent et fortifié, nous apposons notre sceau… ».

En 1168, un accord est passé entre Salon, vicomte de Sens et l'abbaye Saint-Jean de Sens (Charte LXXXVI, cartulaire de l'abbaye Saint-Jean de Sens). Hugues, archevêque de Sens, déclare avoir réglé de la manière suivante un différend existant entre l'abbaye Saint-Jean-les-Sens et le vicomte Salon. «  In Domine sanctæ et individuæ Trinitatis, amen. Ego Hugo, Dei gratia Senonensis æcclesiæ archiepiscopus, notum omnibus esse volo et presentibus et futuris quum controversia erat inter ecclesiam Sancti-Johannis Evangelistæ Senonensis et Salonem, vicecomitem Senonensem, super quibusdam rebus quas ipsa ecclesia reclamabat adversus eum. Calumpniabatur enim predicta ecclesia quod duas in anno piscationes habere debebat in stagno de Villaterrici, sufflcientes toti conventui ad duas refectiones in refectorio. Reclamabat etiam medietatem molendini qui est in eodem stagno, et medietatem hospitum qui habitant extra haias de Villaterrici; medietatem etiam terræ arabilis que est secus idem stagnum et medietatem nemoris ibidem adjacentis. Hæc omnia reclamabat et calumpniabatur predicta ecclesia adversus eundem vicecomitem. Sed, Deo mise rante, tandem ante nos et per nos hac pacis compositione inter se convenerunt. Abbas itaque ejusdem ecclesie, Gillebertus, hec omnia unde querela erat, vicecomiti et heredibus suis in pace dimisit. Similiter et vicecomes, pauctionem quam inter se et ecclesiam in aqua de Lixi primitus habebatur, eidem ecclesie dereliquit et quietam clamavit. Vicecomes autem, pro hujus beneficii recompensatione, laudantibus et volentibus filiis ejus, Guarino et Burchardo, concessit et dedit predictæ ecclesie Sancti-Johannis, ipse et heredes sui post eum, XVIII sextarios annonæ in granchia sua de Nantolio, IX quidem frumenti et IX tremesagii, ad mensuram quæ cursoria est et communis in eadem villa ad vendendum et emendum, persolutos singulis annis ad festum Sancti-Remigii.

Actum est Senonis, publice, per manum nostram, anno Incarnationis M°C°L°VIII° ; pontilicatus autem nostri XVI°; adsistentibus in presentia nostra quibusdam religiosis abbatibus et ecclesie nostre quibusdam de personis atque canonicis, et aliis multis, quorum nomina ad rei veritatem et testimonium subscribi fecimus : Guarnerius, abbas Castrinantonis; Stephanus, abbas Sancti-Remigii Senonensis; Simon, thesaurarius; Odo, decanus; Matheus, precentor; Manasses, frater ipsius vicecomitis, canonicus ecclesie nostre et Trecensis archidiaconus; Teo, canonicus; Fromundus, capellanus, canonicus Beatæ-Mariæ; Gaufridus, canonicus; Salo, miles; Gillasius de Curteniaco; Henricus, gener ejus; Iterius de Malo-Nido; Henricus de Sancto-Remigio. Ut autem firmum hoc et inconcussum perpetuo maneret, ex postulatione utriusque partis, sigilli nostri impressione fecimus roborari. Fromundus notarius scripsit  ».

Une traduction succincte donne « Au nom de la sainte Trinité, amen. Moi Hugues, archevêque de Sens par la grâce de Dieu fais savoir à tous présents comme futurs qu'une controverse est née entre l'église Saint-Jean l'apôtre de Sens et le vicomte Salon sur tour ce qui est réclamé par cette église. La chicane de la susdite église consiste au maintien du droit pêcher deux fois par an dans l'étang de Villethierry pour le repas des moines. Elle réclame la moitié du moulin sur cet étang et la moitié des hôtes qui habitent au-delà de la haie de Villethierry avec la moitié de la terre arable et la moitié du bois jouxtant l'étang. Mais par compassion divine, la paix est composée. Toute la querelle est éteinte entre l'abbé Gillebert et le vicomte et ses héritiers. De cette manière le vicomte cède à l'église Saint-Jean la pêche de la rivière de Lixy qui se partageait avec elle, et en compensation ses fils Guérin et Burchard approuvent et consentent cette transaction faite à la susdite église Saint-Jean et pour leurs héritiers après eux, donnent 18 setiers d'annone de rente à prendre sur sa grange de Nanteuil, 9 setiers de froments et 9 setiers de trémois (blé de mars) à prendre chaque année à la saint Rémy. Parmi les témoins, nous notons Manassès, frère du vicomte, chanoine de l'Église de Sens et archidiacre de Troyes.

Vers 1160, un partage de serfs a lieu à Pont-sur-Yonne, entre le chapitre de Sens et le vicomte Salon (Charte CII, cartulaire de l'abbaye Saint-Jean de Sens). Hugues, archevêque de Sens, règle une contestation élevée entre le chapitre cathédral et Salon, vicomte de Sens, au sujet des droits respectifs des parties sur les enfants d'un nommé Richelin et sur un nommé Blancvillain de Pont. « Ego Hugo, Dei gratia Senonensis archiepiscopus, notum omnibus fieri volo quod inter canonicos ecclesie nostre, et Salonem, vicecomitem Senonensem, de infantibus Richelini controversia erat. Cum vero, postdiutinam rei ventilacionem, miseratione Domini ad pacem accessissent, consideratum fuit pro pace et concordia, et, ex utriusque partis assensu, dictum et concessura, quod canonici perpetuo jure haberent Stephanum, filium ejusdem Richelini et filiam Vitalis, nomine Boschagiam, que fuit filia filie uxoris Fulconis Prepositi, filie Richelini, liberos quidem et absolutos, et ex parte vicecomitis et heredum ejus ab omni servitutis et commendacionis condicione emancipatos; vicecomes quoque et heredes sui haberet Amelinam, filiam Richelini, uxorem Fulconis Prepositi ; et omnem fructuin ejus et filiorum et filiarum suarum, excepta predicta Boschagia, ex parte canonicorum ab omni servitute et commendacione emancipatos. Similiter, et de Blancovillano de Pontibus, qui feminam ecclesie, filiam Hugonis, uxorem habebat, talis inter eosdem canonicos et ipsum vicecomitem facta est pacis composicio: quod fructus qui nascerentur ex illis equa particione dividerentur inter eos, eo videlicet tenore quod in parte illa que canonicis perveniret nullam omnino vicecomes aut heredes sui, vel servitutis vel commendacionis condicionem aut aliquid hujusmodi reclamarent, neque canonici in partem que vicecomiti contingeret. Que sane composicio et vicecomiti placuit, ac filiis suis eamque et voluerunt et concesserunt. Ut autem ratum maneat et stabile quod factum fuerat, ego sigilli nostri auctoritate et impressione, ecclesia quoque sui appositione sigilli, vicecomes eciam sui interposicione facta, rei fecimus munimentum sub cyrographi divisione ».

Un raccourci de cette charte serait : « … par compassion pour Dieu, la paix et la concorde s'installe entre le Chapitre de l'Église de sens et le vicomte Salon. Les chanoines possèderont à tout jamais Étienne, fils de Richelin et la fille de Vitalis nommé Boschage, qui sont les enfants de la femme du prévôt Foulques. Quant au vicomte, il aura Ameline, fille de Richelin, femme du prévôt Foulques et tous les enfants à naître à l'exception de ceux de Boschage. La situation est identique pour le nommé Blancvillain de Pont-sur-Yonne dont la femme fille d'Hugues appartient à l' Église. Ainsi est la paix composée entre les chanoines et le vicomte… ».

Trois ans plus tard, l'archevêque Hugues rapporte comment un chevalier, nommé Daimbert, prenant l'habit religieux dans l'abbaye Saint-Jean-lez-Sens, a donné à cette maison tout ce qu'il possédait à Granges et à Voisines en hommes et en biens-fonds. Après la mort de Daimbert, Floria, sa femme, qui jouissait par droit dotal desdits hommes, les donna en dot de mariage à sa fille Gila qu'elle eut d'un second mari nommé Albert de Marolles. Mais au moment de sa mort, elle voulut restituer aux moines les hommes dont son premier mari leur avait fait présent. C'est alors que l'abbé Guillaume s'investit des biens donnés jadis par Daimbert, mais Geoffroy époux de Gila réclama les hommes qui revenaient à sa femme en harcelant obstinément le couvent. Sur l'intervention de l'archevêque, Geoffroy rendit les hommes avec leurs sœurs et leur progéniture qui étaient à Granges et à Voisines excepté les hommes de Villeneuve. Finalement, Gila et son père approuve ce concordat qui est aussi approuvé par le vicomte Salon de qui les hommes était dans son fief ainsi que son fils Guérin qui par bonté concédèrent cela à tout jamais à l'église Saint-Jean. Parmi les témoins se trouvent l'abbé Étienne et son frère Milon, les chanoines Teon et Pierre, mais aussi Pierre le maire de Saint-Jean et Vitale le serf de l'abbé (charte CXLII de l'abbaye Saint-Jean-lèz-Sens).

En l'an 1169, le roi Louis VII confirme des dons faits aux lépreux du Popelin (charte CXCVI). «  In nomine sancte et individue Trinitatis, amen. Ego Ludovicus, Dei gratia Francorum rex. Notum facimus omnibus futuris et presentibus quod Salo, vicecomes Senonensis, infirmis de Populeio in elemosinam donavit centum et quinque solidos in pedagio de Ponte, et unum modium frumenti in molendino suo super Vanam. Salonis vero filius, Garinus, elemosinam ampliavit et jamdicte domui, in eodem pedagio, de parte sua, dedit centum et quinque solidos; et in eodem molendino unum modium frumenti. Cum vero res de feodo nostro sit, peticione Garini, et suam et patris sui Salonis elemosinam dicte domui litteris et sigillo nostro firmavimus, subter inscripto nominis nostri karactere. Actum Senonis, anno incarnati Verbi M°C°LX°VIIII° ; astantibus in palatio nostro quorum apposita sunt nomina et signa : S. comitis Theobaldi, dapiferi nostri; S. Guidonis, buticularii; S. Mathei, camerarii; S. Radulfi, constabularii. Data per manum Hugonis, cancellarii ».

Voici une traduction sommaire : « Au nom de la sainte Trinité, amen. Moi, Louis, par la grâce de Dieu, roi des Francs, étant à Sens, ratifie, comme seigneur féodal de la vicomté, les donations faites en aumône aux lépreux du Popelin de Sens par Salon, vicomte de Sens et son fils Guérin, de 105 sous sur le péage de Pont, et d'un muid de froment de rente sur leur moulin de la Vanne. Avec ces choses qui sont dans ma mouvance, à la requête de Guérin et de son père Salon, nous donnons ces lettres et apposons notre sceau pour rendre cet acte plus solide. Donné à Sens dans notre palais et ont signé : le comte Thibaud notre sénéchal, le bouteiller Guy, le chambrier Mathieu, le connétable Raoul. Donné de la main d'Hugues, chancelier ».

Dans l'obituaire de la léproserie du Popelin à Sens nous lisons : «  du 13 januarius – Obit Salo vicecomes qui dedit nobis annuatim CV solidos in pedagio Pontis et unum modium frumenti in molendinis suis  ». Il s'agit bien de la fondation faite vers 1145 qui fut confirmée par le roi Louis VII le Jeune, en 1169.

 

 

Chartes du vicomte Garin

Deux chartes concernent des libéralités pieuses du vicomte Guérin ou Garin «  Garinus  » , fils de Salon 1er et d'Agnès de Montmorency. Dès 1165, on le voit avec son père, qui souscrivit avec lui plusieurs des mêmes actes, mais ne prenant aucune qualité, s'intituler vicomte de Sens dans une donation à l'abbaye de Sainte-Colombe de Sens. Entre 1143 et 1158, Salon, son fils Guérin et Foulques le prévôt du vicomte «  affuit ibi Salo vicecomes et garinus filius ejus , Fulco prepositur vicecomes… » sont témoins de la charte relative à une vente ratifiée dans l'église neuve de Saint-Etienne de Sens. L'archevêque Hugues rapporte que les fils d' Étienne de Thorigny ont vendu à Rainard, abbé de Saint-Jean-de-Sens, une terre à Saint-Clément.

En 1165, Guérin, après un exorde pompeux, déclare renoncer à divers droits qu'il exerçait sur l'abbaye Sainte-Colombe de Sens. Il lui donne une noue entre Villeperrot et Evry, 60 sous de rente, et le droit de protection sur les hommes du monastère (charte CLXIV). Voici la version latine de cet charte : «  In nomine sancte et individue Trinitatis, amen. Apostolo dicente, refrigescit caritas et valde crescit iniquitas, in tantum scilicet quod alter alterius possessionem diripit et vi, vel alio quolibet ingenii modo subtrahit; verum quia, juxta eundem apostolum, omnes astabimus ante tribunal Christi, sive bonum, sive malum, prout gessimus in corpore, recepturi; ego Garinus, Senonensis vicecomes, sciens et credens digne retributionis premio a Deo remunerari, si aliquid impendatur locis servitio ejus mancipatis, notum fieri volo existentium memorie et futurorum posteritati quod, ob remedium animæ mea, patrisque mei et antecessorum meorum, reddo et dono ecclesie Sancte-Columbe quedam que de jure ipsius ecclesie erant, que utcumque antecessores mei juste est inter Villam Patrici et Evri, quam Odo ejusdem ecclesie abbas patri meo tali tenore dederat, ut post ejus decessum ad ecclesiam rediret. Dono etiam imperpetuum sexaginta solidos quos in eadera ecclesia, in festo Sancti-Lupi, capiebam; dimitto etiam commendationem quam in hominibus Sancte-Colurabe antecessores mei habebant. Et ne hoc aliqua temporis vetustate mutari vel infringi possit, scripto commendari et sigilli mei impressione corroborari precepi. Actum est hoc, anno Incarnations dominice M° C° LX° V°».

Deux ans plus tard, le même vicomte reconnaît que c'est à tort qu'il contestait à l'abbaye Saint-Pierre-le-Vif des droits d'usage dans sa forêt d'Othe. Il accorda aussi aux habitants de Malay la permission de prendre des branchages pour clore leurs héritages, et droit d'usage pour leurs troupeaux, etc. (charte CLXXV). « Ego Garinus, Dei gratia Senonice urbis vicecomes, omnibus ad quos littere iste pervenerint, in Domino salutem. Noverint universi quod quedam controversia inter nos et abbatem Sancti-Petri-Vivi, Odonem nomine, diu emerserat super quibusdam consuetudinibus quas in foresta nostra, Hotta nomine, se et ecclesiam suam habuisse reclamabat. Nos vero, causa amoris Dei, ipsius rei veritatem ab hominibus nostris requirentes, consilio prudentium virorum, in unum convenimus et, rei veritate comperta, consuetudines illas quas prefatus abbas in foresta nostra reclamabat agnovimus et in posterum ipsi, ejusque successoribus in pace possidere concessimus; quartim hec est summa : ad opus vel opera jamdicti monasterii et omnium domorum vel officinarum infra portas ejusdem loci suarum, omne genus lignorum majorum vel minimorum in ipsa foresta habere concessimus; insuper hominibus ejusdem loci in villa Malliaci commorantibus, ad clausuram segetum suarum et ad omne opus sibi congruum, omne lignum vivum quod pugillo comprehendi potest, et orane mortuum habere concessimus; et, ad victum bestiarum suarum, ovium, caprarum, boum et omnium animalium, usuarium cotidianum et commune. Item, ad edificia domorum suarum concedimus eis et ad ardendum, omne lignum mortuum. Si vero ipsi homines ultra statutum usuarium aliquid accipientes a forestariis capti fuerint, duodecim denarios persolvent ; sed ultra hos nichil ab eis exigetur. Quod si se minime offendisse cognoverint, juramento tantum liberabuntur. Iterum siquidem querela erat inter nos et jam dictum abbatem, super Mainardo de Grunno et uxore sua, quos nostros esse putabamus : abbas vero suos esse testabatur. Super hoc ergo, veritate inquisita, nichil aliud in eis invenimus, nisi quod ex commendatitio eos tenebamus ; quos etiam a commendatitio quitatos, cum familia sua, predicte ecclesie donavimus. Et ut hoc ratum permaneat, scripto commendari et sigille nostro muniri precepimus. Hec omnia laudavit uxor mea E., vicecomitissa; affuerunt autem de militibus nostris : Salo de Mallet ; Guiardus de Fossez ; Sevinus de Toriniaco ; Fulco, prepositus noster. Acta sunt hec, anno incaniati Verbi M°C°LX°VII° ».

En voici une traduction sommaire : « Moi, Garin, vicomte de Sens par la grâce de Dieu à tous ceux que ces lettres parviendront, au nom du seigneur, salut. Nous faisons savoir q'une chicane existe entre nous et l'abbé de Saint-Pierre-le-Vif, nommé Eudes, sur les droits constitués dans notre forêt d'Othe que ladite abbaye réclame. En vérité, à cause de l'amour que nous portons à Dieu, une convention est établie, un jugement fait entre hommes de sagesse, convaincu que les droits d'usage existant dans notre forêt sont réclamés par le susdit abbé, nous reconnaissons concéder, à lui-même et ses successeurs, le quart de ce qui suit : prendre le bois nécessaire à la construction du monastère et des bâtiments au-delà de la porte de ce lieu, tout le bois mort de la forêt, tant petit que grand, de plus les habitants du village de Malay ont la permission de prendre des branchages pour clore leurs héritages, et le droit de pacage pour leurs troupeaux, ovins, caprins, bovins et toutes autres bêtes qu'il est d'usage d'amener paître sur la commune. Et nous leur concédons le bois mort tant pour la construction que pour le chauffage. Et si les habitants ne respectaient pas le présent statut, ils seraient punis d'une amende de 12 deniers. Afin que cet accord soit confirmé, Maunard de Grunne et sa femme sont les témoins placés sous l'autorité conjointe de l'abbé et nous-même. Et pour que cette chose soit permanente, notre sceau est apposé sur le parchemin. Tout cela est accepté par ma femme, la vicomtesse Elisende et nos chevaliers Salon de Mallet, Guy de Fossez, Sevin de Thorigny, Foulques notre prévôt. Donné l'an de grâce 1167 ».

En 1168, Guarinus ou Warin, vicomte de Sens, obtint de l'abbaye Saint-Pierre-le-Vif la faveur d'être enterré dans l'église, et concéda à cet effet deux boisseaux de blé à prendre à perpétuité sur les moulins de sa vicomté. La même année, peu avant son trépas, le vicomte Guarin donna à l'abbaye Sainte-Colombe une grande plaine dite des Sablons située entre le faubourg d'Yonne et le territoire de Saint-Martin-du-Tertre.

 

 

 

 

Le brigandage du vicomte Garin

Au début de l'année 1148, Thibaut le Grand, IIe du nom, comte de Blois [et de Brie] se plaignit à l'abbé Suger , alors régent de Louis VII, de ce que Garin, fils de Salon vicomte de Sens, venait d'arrêter et piller sur le chemin du Roi d'entre Sens et Bray-sur-Seine, des changeurs de la ville de Vézelay qui étaient en marche pour se rendre à la prochaine foire de Provins ; il le prie de mander au vicomte Salon de réparer sans délai ce tort et cette infraction de chemin, d'autant que ce vicomte , et le prévôt du roi à Sens , avaient mis par leur serment ce chemin dans la sauvegarde du roi.

Le comte de Champagne s'adresse au ministre pour que le roi dont le vicomte de Sens est l'officier et vassal, demande réparation pour avoir arrêté des négociants qui se rendaient aux foires de Champagne. Dans cette lettre, il semble que le fils, de connivence avec son père. On notera que Thibaud ne désigne pas Salon en qualité de vicomte, mais le dit « præpositus regis de Senonis   » prévôt du roi à Sens. «  Laissez cette injure impunie, ce serait se résigner à la destruction de mes foires  » énonce le comte.

Nous donnons la lettre en langue latine, écrite par le chancelier comtal : «  Sugerio Dei gratia B.Dionysii abbati amico suo carissimo,T. Blesensis comcs, salutem et dilectionem. Norifico vobis injuriam et dedecus quae Salo vicecomes Senenensis intulit Regi, et vobis qui terram ejus in custodia habetis, mihique damnum et dedecus. Guarinus enim filius ejus cepit cambiatores de Vizeliaco ad instanres nundinas meas de Pruvino venientes, in chemine Domini Regis inter Senonas et Braium, quem ipse Salo et pr æp ositus regis de Senonis, jurejurando, in securitate Regis posuerunt, et eis valens septingentas libras et plus, ut asserunt, abstulit. Unde vobis mando et precor, ut vos pigeat de che mino Regis infracto, et Saloni viriliter mandetis, ut quicquid cambiatoribus ablarum est, remota omni occasione et dilarione reddat et reddi faciat. Nam Salo in vestro posse est, nec poterit vobis resistere plusquam aliquis armiger.... Non enim paterer hanc injuriam inultam remanere, quæ ad destructionem nundinarum mearum spectat  » (3).

 

Nous donnons une traduction sommaire de cette lettre : « À Suger, par la grâce de Dieu, abbé de Saint-Denis, son cher ami Thibaut, comte de Blois, salut et assurance d'affection. Je vous informe que, par une honteuse injure au roi, et à vous gardien de la terre du roi, Salon, vicomte de Sens, m'a fait un tort matériel et une insulte égale à la vôtre. Garin, fils de Salon, a fait arrêter sur un chemin du seigneur-roi, entre Sens et Bray, des changeurs de Vézelay qui venaient à mes prochaines foires de Provins, et auxquels Salon et le prévôt du roi à Sens avaient, sous la foi du serment, garanti, au nom du roi, la sécurité de la route. Ce que Garin leur a pris vaut, disent-ils, plus de sept cents livres. Je vous mande et vous prie de témoigner votre mécontentement de ce crime commis sur un chemin royal, et d'inviter énergiquement Salon à rendre ou faire rendre, sans retard et sans prétexter aucune excuse, ce qui a été pris à ces changeurs. Car Salon est en votre pouvoir, et ne peut vous résister plus que le moindre écuyer, si vous avez une volonté bien décidée. Veuillez par le retour du porteur m'instruire de ce que vous aurez fait. Je ne puis souffrir que cette insulte reste impunie, car elle tend à la destruction de mes foires».

 

 

Chartes du vicomte Galeran

Le vicomte Guérin étant mort sans postérité, en 1168, Galeran «  Galerannus ou Gualerannus  », qui avait épousé sa sœur Ermesende, lui succéda : il est mentionné avec son titre dans le cartulaire de l'Yonne, jusqu'en 1182. Une donation de 1184, en faveur du prieuré de Montbéon, est encore faite en son nom. Mais, dès 1168, sa femme apparaît seule dans les actes qui concernent la vicomté et prend le titre de «  vicecomitissa Senonensis  ».

Dans une charte donnée en l'an 1180, le scribe mentionne les successeurs du vicomte Guérin. « Willelmus, Dei gratia Remorum archiepiscopus, apostolicæ sedis legatus, omnibus ad quos litteræ presentes pervenerint, in Domino salutem. Noverint universi quod, cum curam et administrationem Senonensis ecclesia; gereremus, et Garinus vicecomes absque liberis decederet, Galerannus, qui defuncti Garini sororem in uxorem duxit, propter infestationes et molestationes quæ sibi inferebantur, ut nos in acquisitione hereditatis quæ uxorem suam de jure contingebat sibi patrocinium prœstaremus, et pro relevatione feodi nostri medietatem molendinorum super Vannam positorum, quæ hereditario jure ad uxorem suam spectabant, nobis et successoribus nostris, assensu uxoris et hæredum suorum, in perpetuum possidenda concessit. Nos autem, numerum præbendarum quæ in Senonensi ecclesia pauca erant, augere desiderantes, de præfata medietate molendinorum et fructibus inde provenientium, unam ordinavimus prebendam, quam, assentiente ejusdem ecclesia; capitulo, magistro Girardo, archidiacono Trecensi assignavimus; hoc tamen tenore quod post obitum ipsius Girardi, ipsa medietas molendinorum in jus commune capituli, vel ad ipsum archiepiscopum revertatur, dummodo numerus prœbendarum qui per nos auctus est non decrescat (charte CCXCIX).

Guillaume, archevêque de Reims rapporte comment Guérin, vicomte de Sens, étant mort sans enfants, Galeran, son beau-frère, voulant se mettre à l'abri des vexations auxquelles il était exposé, abandonna au prélat la moitié des moulins situés sur la Vanne (à Sens) qui provenaient du chef de sa femme et se soumit à être son vassal pour le reste. L'archevêque, désirant augmenter le nombre des prébendes de l'Église de Sens, en créa une, qu'il dota des revenus de la moitié des moulins de la Vanne, et, du consentement du Chapitre de Sens, la donna à maître Girard, archidiacre de Troyes. Encore une fois, la rivalité entre l'archevêque de sens et le vicomte, représentant du roi, ce fait jour, chacun étant seigneur en partie. Le premier de ces personnages manoeuvrant pour augmenter son pouvoir sur la ville et la vicomté.

Dans la charte CCCXV datée de l'an 1182, en apposant son monogramme royal, Philippe-Auguste approuve le mariage de la fille de Milon de Champlost. « In nomine sancte et individue Trinitatis, amen. Philippus, Dei gratia Francorum rex. Noverint universi, presentes pariter et futuri, quoniam Milo de Chanlot Bernardo Anglico, filiam suam Elisabeth dedit in uxorem, et cum filia sua dedit in matrimonium quicquid habet terre et reddituum, medietatem scilicet ad pre sens et aliam medietatem post decessum suum, excepto eo quod, ob remedium anime sue, rationabiliter dabit. Bernardus autem predicte Elisabeth, uxori sue, dedit, in dotalium, totum herbergagium suum cura porprisia, situm apud Doeletum, et medietatem omnium vadiorum suoruin et medietatem totius terre sue site apud Doeletum, citra aquam, que est ad duodecim denarios de censu, et ultra aquam que similiter est ad duodecim denarios de censu. Quam quidem terram Galerannus, vicecomes Senonensis, assensu Ermensendis, uxoris sue et privignorum suorum, ei dedit; cujus terre altera pars est in censiva vicecomitis tantum, et altera pars in censiva que est participaria inter nos et vicecomitem. Memoratas itaque conventiones hinc inde tenendas manucapimus, et si vel vicecomes, vel alius jamdictum Bernardum et uxorem suam injuste vexare, vel in causam trahere vellet super prefata terra, nos eam eis rationabiliter garantiremus. Que omnia ut perpetuam stabilitatem optineant, presentem paginam sigilli nostri auctoritate, ac regii nominis karactere inferius anuotato, precepimus confirmari. Actum apud Fontem-Blaaudi, anno incarnati Verbi M°C0LXXX°II°, regni nostri anno quarto; astantibus in palatio nostro quorum nomina supposita sunt et signa: S. comitis Teobaldi, dapiferi nostri; S. Guidonis, buticularii ; S. Mathei, camerarii; S. Radulphi, constabularii. Data per manum Hugonis, cancellarii ».

Une traduction sommaire donne : « Au nom de la Sainte Trinité, amen. Philippe, par la grâce de Dieu, roi des Francs. À tous, tant présents que futurs, nous faisons savoir que Milon de Champlost a donné à Bernard, l'Anglais, sa fille Elisabeth en mariage, et qu'il l'a dotée de la moitié de ce qu'il possédait, c'est-à-dire la terre et ses revenus, se réservant de lui laisser l'autre moitié de sa fortune en mourant à l'exception de ce qui est raisonnable pour le salut de son âme. Bernard constitua en douaire à sa femme Elisabeth tout son domaine de Doily , c'est-à-dire la moitié du gué et la moitié de toute la terre située à Doily en deçà de la rivière qui rendait douze deniers de cens et celle de l'autre côté de la rivière qui rendait également douze deniers de cens. Il s'agit de la terre que Galerand, vicomte de Sens, lui avait donné avec le consentement de sa femme Ermesende ; cette terre est situé partie dans la censive du vicomte et partie entre le fief du roi et celui du vicomte. Le roi confirme ces dispositions et promet d'en protéger l'exécution. L'acte est donné dans le palais royal à Fontainebleau, la quatrième année du règne, en présence du sénéchal, le comte Thibaud, du bouteiller Guy, du chambrier Mathieu et du connétable Raoul. L'acte est rédigé de la main du chancelier Hugues ».

En 1184, Gui 1er de Noyers, archevêque de Sens, donne des lettres de ratification d'un don de six arpents de bois fait au prieuré de Montbéon par Galeran, vicomte de Sens et son épouse Ermesende. Voici le texte de cette charte scellée par l'archevêque, avec sceau en cire brune, sur lacs de soie verte : « Guido, Dei gratia Senonensis archiepiscopus, omnibus ad quos littere iste pervenerint in Domino salutem. Notum fieri volumus quod venientes ante nos Gualerannus vicecomes Senonensis et Ermensenz uxor ejus concesserunt et donaverunt imperpetuam elemosinam Duranno heremite de Monboun et domui ipsius VI arpennos nemoris juxta domum ipsius. Idem et vicecomes, et uxor ejus, et Milo de Villaterri, Petrus de Villanova, presbiteri, testificati sunt nobis quod Hugo et Bucardus, filii vicecomitisse, predictam laudaverunt elemosinam. Ut ergo dicta elemosina rata maneat et firma, presenti scripto eam confirmari fecimus, et sigilli nostri impressione muniri. Actum Senonis, anno incarnati Verbi M°C°LXXX°IIII° » (A.N., S 2122, n. 62.).

Une traduction succincte donne : « Gui, archevêque de Sens par la grâce de Dieu, à tous ceux que ces lettres verront, au nom du seigneur salut. Nous faisons savoir qu'étant présents devant nous Galeran vicomte de Sens et Ermesende sa femme donnèrent et concédèrent en aumône perpétuelle six arpents de bois situés près du prieuré de Montbéon dans les mains de Duran moine de ce couvent. Puis le vicomte et sa femme accompagnés de Milon de Villethierry et le prêtre Pierre de Villeneuve nous certifient que Hugues et Burchard, les fils du susdit vicomte, approuvent ce don. Et pour que cette donation soit ratifiée de façon permanente et ferme nous apposons notre sceau confirmatif. Fait à Sens, l'an de grâce 1184 ».

 

 

Les chartes de la vicomtesse Ermesende

Le vicomte Salon mourut en 1168 ( Chronique de Saint-Pierre-le-Vif ), ayant laissé sa charge dès 1165 à son fils aîné Guérin II (Arch. de l'Yonne, H 87). On lit au nécrologe de Saint-Pierre au 5 avril (Molinier, Obit. de la prov. de Sens, I, 24) : " Obiit. Salo miles, et Helisabeth uxor ejus, de Malleyoto ". En 1180, Ermesende administrait la vicomté, ses frères étant morts. Elle-même était veuve, remariée à un Galeran cité avec elle et les enfants du premier lit qui ne sont pas nommés. Mais, en 1190, apparaît un vicomte Salon II (Arch. de l'Yonne, H 410, original). En 1202, Ermesende rentre en scène avec ses enfants Bouchard II et Avoie (Charte pour Saint-Victor, coll. Baluze, LI, 110). Bouchard est seul nommé dans la charte de 1204.

Dès 1188, Ermesende apparaît seule dans les actes qui concernent la vicomte, et prend le titre de «  vicecomitissa Senonensis  ». On peut donc conjecturer que cette dame était veuve de Galeran. Son nom est écrit dune manière variable : autant de chartes qui le reproduisent, autant d'orthographes différentes, pour ainsi dire. On le trouve sous les formes suivantes, dont plusieurs sont françaises, quoique renfermées dans des textes latins : Ermensendis en 1182, Ermensenz en 1184, Hermensent en 1188, Ermensanz et Ermesenz en 1190, Hermesendis enfin en 1202. Un sceau de la même, appendu à une pièce de 1190, a été décrit par M. Douet d'Arcq, dans sa collection de sceaux des Archives Nationales: il est ogival, long de 65 millimètres; il représente une dame assise sur une chaise, tournée vers la droite et tenant un bouquet de fleurs. La légende porte : Sigillum Hermesendis, vicecomilisse Senonis ! La donation faite en 1202 à l'église de Montbéon est la dernière pièce émanée d'elle que j'aie retrouvée. Un vidimus qui y est joint, daté de 1214, la donne comme défunte. Ermesende avait des enfants d'un premier lit «  Galerannus, vicecomes Senonensis, assensu Ermensendis, uxoris sue, et privignorum suorum  »: ils étaient héritiers des droits à la vicomte, puisque ces droits provenaient de leur mère et que Galeran ne les avait acquis qu'en épousant celle-ci. En effet les actes cités par Albert Lecoy de La Marche , portent le consentement de ses fils Hugues et Bouchard (Hugo et Bucardus) et de sa fille Helvide (Helvidis) ; le dernier, celui de 1202, ne mentionne plus que Bouchard et Helvide. On peut donc conjecturer que son autre fils était mort, et que Bouchard devint après elle vicomte de Sens. La vicomté de Sens passa ensuite à la célèbre famille des Barres, dont un membre fut l'un des plus braves barons de Philippe-Auguste (4).

Albert Lecoy de La Marche rapporte quatre chartes, données entre 1188 et 1202, pour lesquelles la vicomtesse Ermesende est impliquée. La charte donné en 1188, est la ratification par Gui, archevêque de Sens, de la cession du moulin d'Ignart, dépendant du fief du vicomte de Sens, faite au prieuré de Montbéon par Milon Crochut (A.N., S 2122, n. 61). «  Guido, Dei gratia Senonensis archiepiscopus, ad quos littere iste pervenerint, in Domino salutem. Notum fieri volumus quod veni ens ante nos Milo Crochut recognovit se dedisse in perpetuam helemosinam ecclesie beate Marie de Monte Baium quicquid habebat in molendino de Innart. Hoc autem laudaverunt, sicut nobis testificati sunt magister Petrus, noster cancellarius, et Milo Crochut, Hermensent, vicecomitissa Senonensis, de cujus feodo prescriptum molendinum est, et Hermengart, uxor predicti Milonis, et Petrus eorum filius. Ut ergo ratum sit, presenti scripto fecimus annotari et sigilli nostri munimine roborari. Actum Senonis, anno incarnati Verbi M.C.LXXXVIII.Data per manum magistri Petri, cancellarii nostri ».

Nous en proposons la traduction  : « Gui, archevêque de Sens, par la grâce de Dieu, à ceux que ces lettres parviendront, au nom du seigneur salut. Nous faisons savoir qu'en notre présence Milon Crochut reconnaît donner en aumône perpétuelle à l'église Sainte Marie de Montbéon ce qu'il possédait dans le moulin d'Ignart. Ce don est approuvé et nous est certifié par maître Pierre notre chancelier, Milon Crochut et Ermesende, vicomtesse de Sens, de qui le moulin était mouvant ainsi que d'Hermengarde épouse du susdit Milon et leur fils Pierre. Et pour ratifier cette chose et la rendre permanente, nous apposons notre sceau. Fait à Sens, l'an de grâce 1188, par maître Pierre, notre chancelier ».

En 1190, Ermesende, vicomtesse de Sens, fait le don au prieuré de Montbéon du revenu qu'elle avait sur le moulin d'Ignart (A.N. S 2122, n. 59). « Ego Ermansanz, vicecomitissa Senonensis, notum omnibus esse volo quod, assensu filiorum meorum et filie mee, donavi in perpetuam elemosinam ecclesie beate Marie de Monboun, et fratribus ibi Deo servientibus partem quam habebam in molendino de Ignart, tam in annona quam in censu. Et dominus Guido, Senonensis archiepiscopus, ad preces meas litteris suis sigillatis id confirmavit. Actum anno incarnati Verbi M°C° nonagesimo ».

La traduction est la suivante : « Moi, Ermesende, vicomtesse de Sens, faisons savoir à tous qu'avec le consentement de mon fils et de ma fille, je donne en aumône perpétuelle à l'église Sainte Marie de Montbéon et aux frères qui y servent Dieu la part que je possède dans le moulin d'Ignart tant en annone qu'en cens. Et le seigneur Gui, archevêque de Sens, appose pour confirmation le sceau sur mes lettres. Fait, l'an de grâce 1190 ». Le même jour, l'archevêque de Sens donne des lettres de confirmation pour la donation précédente faite par noble dame Ermesende, vicomtesse « Notum fieri volumus quod nobilis domina Ermesenz, vicomtissa Senonensis… ».

En 1202, la vicomtesse Ermesende gratifie encore une fois le prieuré de Montbéon en lui donnant différents revenus en nature à prendre sur les dîmes de Villethierry (AN, S 2122, n.1). «  Ego Hermesendis, vicecomitissa Senonensis, notum facio tam presentibus quam futaris quod, pro remedio anime mee, patris et matris mee, et liberorum et predecessorum meorum, dedit in elemosinam ecclesie beate Marie de Montebeon unum modium bladii, medietatem hibernagii, medietatem tremesii, laude et assensu Bocardi filii mei et Helvidis filie mee, quem ecclesia percipiet in decimatione mea de Villa Tierri singulis annis ; ita quod meum et liberorum meorum, patris et matris mee, et predecessorum meorum in predicta ecclesia anniversarium celebrabitur annuatim. Quod ut ratum maneat in futurum, presentem cartam sigillo meo roboravi. Actum anno Domini millesimo ducentesimo secundo ».

Voici la traduction de cet acte : « Moi, Ermesende, vicomtesse de Sens, faisons savoir tant aux présents qu'aux futurs, que pour mon salut, celui de mes père et mère et de tous mes ancêtres, je donne à l'église sainte Marie de Montbéon un muid de blé, moitié blé d'hiver, moitié blé de mars ( escurgeon ) avec l'approbation et le consentement de mon fils Burchard et de ma fille Helvide, que l'Église prendra sur la dîme de que je perçois chaque année à Villethierry. Et pour cela, un anniversaire sera célébré en mon honneur, celui de mes parents dans la susdite église. Et pour confirmer solidement cette charte j'appose mon sceau. Fait en l'an de grâce 1202 ».

Selon Albert Lecoy de La Marche, suivent deux vidimus de cet acte, donnés l'un par l'archevêque de sens, en 1214, l'autre par l'évêque de Paris, en 1248. Le premier porte déjà ces mots «  Bon memorie Hermesendis quondam vicecomitissa Senon  ».

 

 

La libéralité d'Ermesende à Saint-Martin des Champs

Dans une charte du prieuré de Saint-Martin des Champs datée du 1er janvier ou du 25 avril 1204, Ermesende, vicomtesse de Sens, et son fils Bouchard renoncent, en se réservant la haute justice, à tous autres droits sur les terres que le prieuré de Cannes possède à Blennes. «  Ego Ermesendis, vicecomitissa Senonensis , notum fieri volo p. et f. quod quedam controversia erat inter me et monachos de Canis de quadam terra que est in vineto Blene , ubi quondam nemus fuerat, que tali modo pacificata est : Ego enim, pro remedio anime mee et parentum meorum, predictam terram ecclesie de Canis libere possidendam concessi, et cetera omnia que in parrochia Blene ab eadem ecclesia possidentur, salva tamen magna justicia quam in manu mea retinui, ad usus et consuetudines vicecomitatus Senonensis ; et hoc Buchardus filius meus concessit et laudavit. Quod ut firmum et ratum permaneat, impressione sigillorum nostrorum roboravimus. Actum anno Verbi incarnati M°CC°IIII° » (charte DCXXV).

La traduction donne : « Moi, Ermesende, vicomtesse de Sens, nous annonçons qu'un contentieux a lieu entre les moines de Cannes et moi-même au sujet d'une terre située dans le vignoble de Blennes, laquelle terre est faite d'un bois et que pour faire la paix nous décidons : je veux, pour mon salut et celui de mes parents, que ladite terre revienne à ladite église de Cannes ainsi que tout ce que est compris dans la paroisse de Blennes soit la possession de cette église, toutefois je me réserve tous les droits de haute justice sur ces terres, selon les us et coutumes de la vicomté de sens. Et de cela, mon fils Bouchard accepte et consent. Et pour rendre cela permanent et ferme, nous apposons notre sceau. Fait en l'an de grâce 1204 ». A la même époque, Pierre II de Corbeil, archevêque de Sens donne des lettres sur le même sujet.

La notice de Joseph Depoin mentionne que «  dame Ermesende, vicomtesse de Sens  » était sœur du vicomte Guérin II ; la famille dont elle est issue remonte tout au moins à Guérin 1er qui souscrivit en 1074 un diplôme de Philippe 1er daté de Sens. Cette dynastie étant peu connue, il peut être intéressant de préciser sa filiation au XIIe siècle. Manassès (ou Manassé), vicomte de Sens dès 1114, accompagnait, quelques années après, Renaud frère de Milon de Bray et les neveux de celui-ci, lorsque fut ramené à Longpont le corps du frère de Gui Troussel, tué à Châteaufort par Hugues de Crécy ( Cartulaire de Longpont, ms. lat. 9965, n° 81).

 

 

Notes

(1) M. Quantin, Cartulaire général de l'Yonne: recueil de documents authentiques , volume 2 (Perriquet et Rouillé, Auxerre, 1860).

(2) Au XIIe siècle, la succession les archevêques de Sens est la suivante : Henri 1er Sanglier (1122-1142), Hugues de Toucy (1142-1168), Guillaume aux Blanches Mains (1169-1176), Guy 1er de Noyers (1176-1193) et Michel de Corbeil (1194-1199).

(3) Nicolas Brussel, Nouvel examen de l'usage général des fiefs en France , tome I (chez Jean de Nully, Paris, 1750).

(4) Albert Lecoy de La Marche, Les coutumes et péages de Sens, texte français inédit du commencement du XIIIe siècle . In : Bibliothèque de l'École des Chartes, tome 27 (Paris, 1866) pp. 265-300.

 

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