Le château de Marcoussis par Caspar Merian

Chronique du Vieux Marcoussy --Marcoussis------------------ ---------------------------__--------- Juin 2010

Le château de Marcoussis, gravure de Caspar Merian (vers 1650).

 

C. Julien

J-P Dagnot

 

 

En feuilletant les divers ouvrages relatant l'histoire du château de Marcoussis, illustrée par des gravures anciennes, nous découvrons celle attribuée à Caspar Merian dont Malte-Brun intitule «  Le château de Marcoussis, en 1650, d'après Mérian  ». Cette chronique présente les cinq versions que nous possédons avec une brève biographie de l'auteur (1).

 

 

La famille Merian

Le personnage qui fonda cette dynastie de graveurs bâlois est Matthäeus Merian der Ältere «  Matthäus Merian l'Ancien  », fils de Walter Merian, orfèvre, est né le 22 septembre 1593 à Bâle. Cet illustre graveur sur cuivre fut aussi un éditeur d'ouvrages germano-suisse.

Après des études au lycée, il apprit le dessin, la gravure sur cuivre et la gravure à l'eau-forte à Zurich auprès du graveur sur cuivre Friedrich Meyer. De 1610 à 1615, fait « un tour en Europe » pour faire ses études chez les plus illustres maîtres graveurs. Il étudia et travailla dans plusieurs ateliers en France : à Strasbourg chez Dietrich Brentel et à Nancy. Spécialisé dans les paysages et les vues topographiques, Mathieu Merian l'Ancien, pendant son séjour à Paris, vers 1613-1615, il grava des  Feux d'artifice  sur la Seine et surtout un  Plan de Paris  qui est l'un des moins inexacts du temps. Il était employé par Mathonières, le grand éditeur d'images flamand de la rue Saint-Jacques et à Paris chez Jacques Callot, l'illustrissime graveur français du XVIIe siècle.

Puis Merian fit des séjours en Allemagne à Augsburg et Stuttgart ainsi qu'aux Pays-Bas. En 1615, il réalisa à Bâle son grand plan de cette ville. Il s'installa à Frankfurt-am-Main et à Oppenheim, où il travailla pour l'éditeur et le graveur sur cuivre Johann Theodor de Bry. «  De Bry possédait un atelier de gravure à Oppenheim et une maison d'édition à Francfort qui préparait alors de grands ouvrages de voyages en extrême-orient. En 1617, il épousa la fille de son employeur, Maria Magdalena de Bry, s'installa en 1616 à Bâle, où il acquit le droit de corporation qui lui permit de devenir indépendant. Après la mort de son beau-père en 1623, il reprit la direction de sa maison d'édition à Francfort. Il acquit le droit de citoyen de Francfort en 1626 et put dès lors travailler comme éditeur indépendant. En 1627, il accepta comme apprenti Wenzel Hollar, qui allait également devenir un célèbre graveur  ».

Maria Magdalena donna à Mathieu trois filles et trois fils : Caspar, Matthäus le Jeune, Suzanna-Barbara, Margarita, Maria-Magdalena et Joachim. Après le décès de son épouse en 1645, Merian épousa Johanna Sibylla Heim, en 1646, qui lui apporta une fille, Anna-Maria Sibylla (1647-1717), connue comme peintre de fleurs et d'insectes. Matthäus Merian fut admis dans la bourgeoisie de Francfort en 1626, reconnu dans les milieux réformés. Il mourut des suites d'une longue maladie le 19 juin 1650 à Bad-Schwalbach près de Wiesbaden. Il repose au Peterskirchhof près de Francfort.

 

La famille de Matthäeus Merian. Caspar est le jeune homme vu de profil. (Merian le Jeune, 1641, huile sur toile, 118×140 cm, musée Kunst, Bâle).

 

 

Caspar Merian

Caspar Merian, fils cadet de Marie-Magdeleine et Mathieu Merian, est né à Frankfurt-am-Main le 13 février 1627. Il poursuivit les activités familiales à Bâle et en diverses places en Allemagne. Il mourut au château de Walta en Frise occidentale, le 12 avril 1686. Caspar est considéré comme l'un des plus importants graveurs et éditeurs topographiques de l'époque baroque.

La vie et le travail de Caspar Merian peuvent être résumés comme suit. Il fut tout naturellement l'élève de son père et travailla dans l'atelier paternel comme un employé. Il travailla temporairement à Paris et à Nuremberg. Après la mort de son père, il a dirigé la maison d'édition familiale à Francfort. L'entreprise fut continuée avec son frère Matthew le Jeune . De 1642 à 1688 ils ont publié 30 volumes avec 2142 vues et plans. Les deux frères continuèrent la publication des œuvres majeures initiées par leur père, dont la Topographia Germaniae et Theatrum Europaeum , et un certain nombre d'autres ouvrages. À l'âge de 44 ans (vers 1672), de santé précaire, Caspar retourna à Wertheim sur avis médical. En 1677, il s'installe en Frise occidentale et rejoint la communauté protestante radicale de la foi à Labadisten, où il résida jusqu'à sa mort. En 1685, il avait accueilli, à son château de Waltha, sa demi-sœur, Maria Sibylla Merian et les deux filles de sa sœur.

 

Le château de Marcoussis, en 1650, d'après C. Mérian (livre de Malte-Brun).

 

Une des œuvres majeures de Caspar Merian est la «  Topographia Galliae  » publié à Amsterdam, en 1657 en 27 volumes. Une autre édition en en 1660-1663 est un ouvrage en quatre 4 volumes grand in-4° sur vélin ivoire, dos à nerfs, fleuron à froid au centre des plats. L'édition hollandaise illustrée de 4 frontispices gravés et de 325 planches gravées hors texte, la plupart dépliantes . La collection de Merian offre un tableau complet de la France au XVIIe siècle. La série de vues de villes françaises contient quatre plans et vues de Paris en 1620 et 1654, dix-huit cartes provenant de l'atlas de Mercator et 303 planches de vues de villes, dont beaucoup sont inspirées des planches de Silvestre et de Marot. La gravure du château de Marcoussis semble appartenir à cet ensemble (2).

 

Le château de Marcoussis, «  gravure image   miroir » (XIXe siècle).

 

 

Le château de Marcoussis

L'ambition de ce chapitre n'est pas la description du château de Marcoussis, mais pour la discussion des gravures de Merian, nous empruntons le texte de Malte-Brun (3). «  Le château occupait, avec ses fossés, larges d'environ 8 toises, un emplacement de deux arpents; il formait un carré long, d'environ 20 toises de long sur 15 de large ; à ses angles on voyait quatre grosses tours rondes, au milieu des deux faces latérales se trouvaient d'autres tours rondes, à demi-engagées et terminées, alors, en terrasses; le grand côté, qui regardait le midi, était coupé, en son milieu, par un donjon carré, flanqué à ses angles extérieurs de deux demi-tours, également terminées en terrasse, mais d'un diamètre plus petit que les autres; elles accompagnaient la porte d'entrée et défendaient les approches du pont-levis. Ce donjon sous lequel était pratiquée la voûte de la porte d'entrée, était surmonté d'une tourelle assez élevée, terminée par une guette ou guérite, qui permettait de surveiller au loin le pays  ».

«  La face opposée, celle du nord, était gaiement flanquée de deux tours, aux trois quarts engagées, mais très-voisines des tours d'angle; en outre, au milieu, s'élevait un bâtiment carré, couvert en pavillon, sous lequel se trouvait une entrée. Ce bâtiment carré comprenait l'ancienne tour conservée du vieux château de la Motte, et avec elle un autre bâtiment composé de deux chapelles superposées… Chacune des tours d'angle extérieur avait environ 3 toises de diamètre sur une hauteur de 40 pieds ; la plus septentrionale comprenait une cave ou oubliette formée par une voûte hexagonale, à laquelle on accédait par un trou carré, d'environ 2 pieds de côté, situé dans un des secteurs hexagonaux de cette voûte; elle se composait, ainsi que les trois autres, d'un rez-de-chaussée et de trois étages séparés par des plafonds ordinaires  ».

 

 

 

Les gravures

Nous disposons de quatre gravures dont trois semblent des copies modifiées de celle de Caspar Merian, c'est-à-dire celle qui place le midi vers la gauche et qui ne contient qu'un personnage avec un chien en laisse et tenant une canne dans la main gauche. Les ponts-levis sont baissés. Quelle est l'exactitude du dessin ? On ne peut pas douter qu'il s'agisse d'une vue assez fidèle du château dans son état du XVIIe siècle, car le dessin du parterre en donne une indication. D'autre part, l'illustre graveur est réputé pour avoir donné des gravures topographiques fidèles à la réalité.

Dans cette gravure, outre le personnage du premier plan, trois soldats, avec des armes d'hast sur l'épaule, sont présents sur la terrasse de la barbacane. On remarque un nombre considérable de fanions ou girouettes sur les tours et les points hauts des bâtiments.

La seconde gravure est une «  image miroir  » de la gravure de Merian, sans aucune modification. Dans ce cas le midi est orienté vers la droite. Cette illustration est tirée de l'article «  Vie privée dans les châteaux  » de la collection «  Moyen âge et Renaissance  » par Antoine Leroux de Lincy qui donne comme légende «  Château de Marcoussis, d'après une gravure du commencement du dix-septième siècle – Bibl. Nat. De Paris. Cab. des Est . » (4). Le commentaire de l'auteur est le suivant : « … le château de Marcoussis, dont les tours hautes et crénelées, les murailles épaisses défendues par un large fossé, plusieurs ponts-levis et d'autres ouvrages, attiraient les regards  ». Puis, quelques lignes donnent une description sommaire «  Le château de Marcoussis, composé de quatre corps de logis par forme d'équière, … quatre grosses touts auc quatre coins dudit château, garnies de chambres à cheminées, couvertes en pavillon à un poinçon ; quatre autres grosses tours par voye à carneaux, couvertes en terrasse.…  ». Bien que cette description soit très précise, on ne peut pas conjecturer que notre médiéviste, né en 1806, visita le château de Marcoussis avant que celui-ci n'ait connu la pioche des démolisseurs. Leroux de Lincy donne ses sources dans l' Anastase de Marcoussis  » et le manuscrit de frère Simon de la Mothe.

La troisième gravure, représentant une vue générale identique à celle de Merian, est différente dans les détails. Une importante fumée s'échappe d'une des cheminées occidentales du château. De nombreux personnages ont été ajoutés. L'homme au petit chien a disparu, remplacé par une autre silhouette avec un chien à la queue recourbée. Un homme arrive de la gauche en tenant un chien par le col. Un couple à l'homme au chapeau est placé au premier plan. Trois gentilshommes s'avancent vers l'entrée du château. Un groupe de trois personnes se tient à l'entrée de la barbacane sur la terrasse de laquelle les trois soldats n'ont pas été changés.

Ces deux dernières gravures ont été produites au XIXe siècle, bien après la démolition du château (cf. la chronique «  La fin du château de Marcoussis  »). La gravure «  image miroir  » est tirée d'un ouvrage publié en 1850. La gravure «  au château qui fume  » est celle donnée par Malte-Brun dans son «  Histoire de Marcoussis  ». Le célèbre géographe a sollicité les services d'un graveur, qui s'est inspiré d'une reproduction de la gravure de Capar Merian pour produire sa lithographie. Sur cette représentation le graveur à écrit «  Chasteau de MARCOVSSY  » dont nous ignorons l'existence sur la gravure originale de Merian.

Au chapitre XVII (annexe) Malte-Brun commente la vue du château : «  Belle gravure par Merian, extraite de la topographie de Zeiller, en latin, à la Bibliothèque impériale, section des Estampes. " Vues et Plans du département de Seine-et-Oise, arrondissement de Rambouillet " . La gravure que nous donnons en tête de cet ouvrage a été dessinée par M.E. Forest d'après cette gravure, qui parait avoir été faite vers 1650  ».

 

 

Enfin, la quatrième gravure, présentée ci-dessus , provenant de la bibliothèque nationale est une version plus frustre que les précédentes. Assurément le graveur a modifié l'œuvre de Merian : les fenêtres du château sont plus grandes et le nombre des personnages a changé. L'homme au petit chien s'est arrêté pour parler avec un promeneur, le couple du premier plan est remplacé par deux quidams qui discutent, le second chien tenu en laisse précède son maître, un autre groupe de personnages arrive par la gauche de la terrasse du jardin. Les soldats sur la terrasse de la barbacane sont disparus. Dans cette version, le ciel est nuageux et l'on observe de nombreux vols d'oiseaux.

 

Vue du château de Marcoussis dessinée par Moithey.

 

Une cinquième vue du château de Marcoussis est donnée sur un dessin du XVIIIe siècle qui porte la mention «  dessiné d'après nature par Moithey, ingénieur  ». Ce dessin semble fortement inspiré de celui de Merian bien que l'auteur ait déclaré avoir travaillé «  sur le vif  ». On peut dire «  à la manière de Merian  ». L'environnement a été changé : un grand chêne du parc encadre le dessin sur le côté gauche. Seuls quatre personnages et un petit chien sont placés au premier plan : deux femmes assises sur le parterre, un soldat (qui pourrait être un chasseur) debout avec un fusil sur l'épaule parlant à Moithey? dessinant au pied du chêne. Assurément l'artiste s'est lui-même représenté dans le dessin.

 

Une sixième gravure, variante du dessin de Merian a été placée dans l' Anastase de Marcoussis à la fin du volume. L'auteur, Perron de Langres a sollicité le dessinateur et graveur Sueur qui a intitulé son œuvre «  Veue du chasteau de Marcoussy du côté du petit parc  » avec la signature «  P. Sueur facit  ». La disposition générale est identique à celle de Caspar Merian. Il semble donc que l'auteur se soit inspiré du maître dont il connaissait la gravure de Marcoussis. Ce dessin arrive 44 ans après Merian puisque, selon le syndic des imprimeurs de Paris, l'Anastase fut «  Achevé d'imprimer pour la première fois le 31 juillet 1694  ».

 

Vue du château de Marcoussis dessinée par Sueur.

 

Le château de Montaigu est présenté dans la même disposition avec «  le boulevard  » avec ses deux tours et sa terrasse sur laquelle un soldat monte la garde. «  Au devant dudit château un grand boullevart fermé de gros murs de graisseries garnis de bretèches et de deux tours crenellées à coulis et mache-coulis, couvertes en terrasse, le tout fermé de bons fossez comme le château avec pont-levis, planchette et pont dormant…  » nous dit Perron de Langres. Le parterre au premier plan est rudimentaire avec des carrés modestement plantés. Quatre personnages sont représentés : au premier plan l'homme à la canne et au petit chien en laisse, une dame et deux autres chiens. Un soldat marche le long des fossés devant le château et un couple qui pourrait être le seigneur présentant son domaine à une dame de ses amis. La facture du dessin est plus grossière que celle de la gravure de Merian, rendant l'ensemble moins élancé. L'auteur a ajouté des nuages et un vol d'oiseau qui arrive du côté du midi.

À suivre…

 

 

Notes

(1) Nous avons choisi le parti d'écrire «  Merian  » sans –é, pour respecter l'origine germanique, alors que la francisation du patronyme donne «  Mérian  ».

(2) Nous serions gré d'obtenir la confirmation et de plus amples informations à ce sujet. Cette gravure est déposée à la BnF.

(3) V.-A. Malte-Brun, Histoire de Marcoussis, de ses Seigneurs et de son Monastère (chez A. Aubry, Paris, 1867).

(4) A. Leroux de Lincy, Vie privée dans les Châteaux, dans les Villes, dans les Campagnes , in : Moyen âge et Renaissance , tome 3 (P. Lacroix et F. Seré, éds., Paris, 1850) p. 317. [Antoine Le Roux de Lincy , né le 22 août 1806 à Paris où il est mort le 13 mai 1869, était un bibliographe et médiéviste français].

 

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