La visite chez Monsieur Paturle à Lormoy

Chronique du Vieux Marcoussy --Marcoussis--------------- _------------------------------_----- Avril 2009

Plan du domaine de Lormois au XVIIIème siècle.

C. Julien

JP. Dagnot

 

 

Cette fois, la Chronique du Vieux Marcoussy prend un " air champêtre " pour décrire une visite faite par un grand jardinier parisien au château de Lormoy à Longpont-sur-Orge (Essonne, cant. Montlhéry). C'est, au printemps 1840, par le sieur Rousselon, spécialiste d'horticulture et représentant de la grande maison Jacquin Frères, marchands grainetiers installés quai de la Mégisserie à Paris, la visite d'un fournisseur faite à son client, Monsieur Jacques Paturle, propriétaire du château de Lormoy (1).

 

 

Le riche propriétaire de Lormoy

À la mort du duc Charles-François-Armand de Maillé de la Tour-Landry survenue à Paris en janvier 1837, le domaine de Lormoy fut vendu à Monsieur Jacques Paturle, un riche industriel et homme politique originaire de Lyon (2).

Jacques Paturle était un manufacturier de l'industrie lainière, filature et tissage, implanté dans le Cambrésis à Fresnoy-le-Grand depuis 1810 et au Cateau depuis 1818 (et non à Lyon comme nous pouvons le lire quelquefois). Il fut élu le 28 octobre 1830 député du Nord, au grand collège par 1.141 voix (1.446 votants pour 2.895 inscrits) ; puis élu député du 8e arrondissement de Paris le 24 septembre 1831 et réélu le 21 juin 1834 il siégeait sur les bancs de la «  majorité ministérielle  » et s'intéressait particulièrement aux projets de lois concernant l'industrie et le commerce (3) .

Jacques Paturle épousa les idées louis-philippardes, parfois considéré comme banquier. Il affiche une fortune impressionnante puisqu'il paye 4.329 frs de cens en 1837 (4). Il accéda à la Pairie de France (Sénat) le 3 octobre 1837 et reçut la Légion d'honneur. Pendant la monarchie de juillet, il résidait à Paris, dans son hôtel, n° 21 rue Paradis-Poissonnière et vint se réfugier en son château de Lormoy après les évènements de 1848 qui le rendaient à la vie privée. Mordu de politique, il devint conseiller municipal de Longpont lors des élections du 26 août 1848 «  le ciyoyen Paturle Jacques a répondu à l'appel et a déclaré qu'il acceptait les fonctions de Conseiller municipal  » sous l'autorité du citoyen Cossonnet Jean-François, maire.

Jacques Paturle avait un goût prononcé pour l'art ; c'était un amateur éclairé. Sa fortune lui permet d'acquérir des tableaux qui tapissaient les murs du château de Lormoy. Il décéda au château le 23 juin 1858 et fut inhumé au Père-Lachaise. Après le décès de Jacques Paturle, sa veuve décide l'édification d'un hôpital au Cateau en mémoire de son mari et de sa fille Adèle.

 

 

Le domaine de Lormoy au XIXe siècle

Deux auteurs du XIXe siècle ont retenu notre attention pour leur description du domaine de Lormoy. Ce sont Jacques Dulaure et Théodule Pinard. Le premier est le célèbre historien qui produisit une «  Histoire des Environs de Paris  » en dix volumes parus en 1823. Le second est un historien local qui publia en 1864 une «  Histoire archéologie, biographie du canton de Longjumeau  » (5).

L'historien Jacques Dulaure dans une description de Longpont «  village situé dans une belle vallée, sur la rive gauche de l'Orge  » donne un chapitre sur Lormoy (page 158). «  Le château de Lormois, dont M. le duc de Maillé, pair de France, est propriétaire, fait partie de la commune de Longpont; on ignore la date de sa construction; on sait seulement qu'il a été bâti avec la démolition du château Clair, dont on trouve encore quelques traces à peu de distance du château actuel. Ce château est peu remarquable par son architecture. Sa position, sur une éminence, lui donne les points de vue les plus pittoresques et les plus variés. Le parc, limité par la rivière d'Orge, est dans le genre paysagiste ; il est dessiné avec un art tel que, quoique son étendue soit très circonscrite, on le supposerait beaucoup plus grand. La fraîcheur des gazons est entretenue par des irrigations qui partent d'un grand canal situé au milieu de cette agréable habitation. La distribution des eaux, des sentiers tortueux tracés dans une grande prairie où se trouvent de belles plantations et des groupes d'arbres bien placés, forment un paysage charmant. M. le duc de Maillé a formé, dans cette propriété, un superbe établissement de mérinos de pure race  ». Encore une fois il faut être méfiant avec la description de la construction du château, mais remarquons que l'auteur avoue sa modestie contrairement à certains qui veulent " faire les malins " (6).

Cinquante ans plus tard, l'historien local Théodule Pinard publie son histoire du canton de Longjumeau où un chapitre est dédié à Longpont avec plusieurs pages sur le château de Lormoy (page 201 et suivantes). Sans accabler cet auteur besogneux, il faut avouer que son ouvrage est " truffé d'inexactitudes ". Manque de recherches poussées mais aussi interprétations trop hâtives.

C'est son droit, me direz-vous. Certes, on a le droit d'occulter le cartulaire de Longpont pour écrire l'histoire de ce village. Mais alors, aux successeurs qui l'ont pillé et qui continuent de le piller sans aucun sens critique, reproduisant et amplifiant les erreurs manifestes : " je dis stop ". Nous avons déjà relevé ces imperfections et en donnerons encore quelques unes par la suite. Reprenons le texte de Monsieur Pinard en ce qui concerne Lormoy.

«  Le château avait été édifié avec les matériaux de celui de Claire détruit alors, et dont on connaît encore l'emplacement. Monsieur Paturle l'a fait rebâtir. Une vaste pelouse se développe au-devant, elle descend jusqu'à la rivière d'Orge. De belles futaies distribuées avec art procurent un bienfaisant ombrage. C'était la maison de plaisance des abbés commendataires de Longpont; ils y vinrent fort rarement et finirent par l'aliéner, sans doute pour n'avoir pas à en entretenir les bâtiments. Le cardinal de Coislin en fit la vente à ce titre, au comte de Flamarens, dont la fortune fut entièrement l'œuvre du hasard. Après lui vint la famille Legendre…  ». Voilà un texte qui comporte au moins six inexactitudes voire même de pures inventions (7). La seule vérité est contenue dans la description du parc.

L'auteur ne s'arrête pas là dans ces erreurs bien qu'il ait été bien renseigné sur la famille de Maillé de la Tour-Landry, il commet une erreur fatale en disant «  Ce sont les événements de 1830 qui déterminèrent le duc de Maillé à vendre sa terre de Lormoy, si fréquentée et si animée pendant la durée de la Restauration…  ». Lormoy a été vendu fin 1837 après le décès de Charles-François-Armand duc de Maillé. Puis, Jacques Paturle est qualifié comme étant «  riche et bienfaisant industriel de Lyon  ». Certes il était riche, disons même, très riche, puisque millionnaire, également un bienfaiteur ; mais Lyon n'était que sa ville natale ; ces activités industrielles étaient situées dans le Nord, les filatures du Cambrésis exactement.

 

 

Observations sur la composition des jardins

«  Quelques-uns de nos souscripteurs nous ont témoigné leur étonnement de ce que ce journal ne leur avait encore apporté aucun article sur la composition des jardins, ainsi que sur leur ornement  » dit le rédacteur des Annales de Flore et de Pomone . «  La raison du silence que nous gardons, quant au premier point surtout, est que, dans notre conviction, la composition d'un jardin est tout à fait une affaire de goût. Nous pensons que chaque propriétaire doit suivre le sien comme le meilleur guide, et au lieu de remplir nos pages de préceptes applicables une fois sur mille, nous estimons qu'il vaut mieux laisser chacun exercer son intelligence, parce qu'alors le jardin qu'il aura créé lui paraîtra d'autant plus agréable qu'à chaque pas il reconnaîtra son ouvrage  ».

Assez d'auteurs ont du reste consacré leur plume à ce sujet, pour que nous croyions superflu de nous en occuper. «  Notre esprit se refuse d'ailleurs à adopter ces brillantes théories, filles d'imaginations romantiques, qui ne tendent à rien moins qu'à régénérer les fabuleux jardins d'Armide, et dont l'exécution, nécessitant des dépenses excessives, trouve dans cette circonstance un obstacle insurmontable ; de façon que ces plans admirables ne sont plus que des rêves fantastiques, sans réalisation possible  ».

C'est surtout en s'occupant des jardins d'agrément ou de plaisance, ainsi que les désigne Gabriel Thouin dans son ouvrage intitulé Plans raisonnes de toutes espèces de jardins , qu'on voit de certains auteurs se perdre dans les rêveries de l'idéalité, et permettre à leur imagination déréglée les écarts les plus inconcevables, afin d'assigner aux scènes diverses qu'ils font entrer dans leur composition, des caractères dont la fiction est tout ce qu'il y a de remarquable.

Nous dispenserons le lecteur de la suite du discours pour simplement par un raccourci préciser que l'art des jardins avaient été introduites à la Renaissance et les «  Jardins à la française  » rivalisaient avec les «  Jardins anglais  » au XVIIIe siècle. «  Ici des scènes disposées par la nature seule s'opposent à aucune création de l'art ; là tout est à faire, et le sol exige, pour ainsi dire, un bouleversement universel, dont le résultat sera l'œuvre de l'intelligence humaine ; ailleurs l'étendue du terrain dont on dispose ne permet pas d'admettre les proportions d'un plan, autre part il est trop mesquin ; là il produit un effet charmant qui s'harmonise avec les alentours ; sur un autre point il forme un contraste choquant qui force à le rejeter  ». Il faut donc une observation rigoureuse des règles indiquées par le simple bon sens.

C'est dans l'harmonieux assemblage de ces sites séduisants que l'on rencontre de loin en loin sur la terre, que se trouve tout l'art de la composition d'un jardin.

 

Fleurs du catalogue de la graineterie Jacquin frères à Paris (1840)

 

Toute grande création horticole est une faculté qui naît avec le jardinier et le paysagiste, les «  architectes de la nature  ». Les néo-paysagistes du XIXe siècle ont repensé l'horticulture pour varier la décoration des scènes qu'ils créent. Aussi, considèrent-ils que «  presque tous les jardins dessinés par les architectes ne montrent point d'autres arbres que ceux à l'ombre desquels sont nés nos vieillards ; et cependant nous possédons assez de grands végétaux exotiques pour pouvoir produire des imitations fidèles de sites appartenant ù d'autres parties du monde, et il est possible de rendre l'illusion complète en accompagnant ces parures végétales des accidents géologiques que la nature a formés sous leur climat respectif  ».

Le rédacteur de la revue éditée par le célèbre grainetier de Paris a la dent dure contre les architectes qui se mêlent des travaux de parcs et jardins « En laissant toutefois aux architectes le soin exclusif de construire les bâtiments d'habitation de toutes espèces, prions-les de mieux étudier les besoins des végétaux dans l'établissement des orangeries et des serres qui bien rarement, sacrifiées qu'elles sont aux décorations de l'extérieur, remplissent le but essentiel de leur destination. Prions-les surtout d'harmoniser la forme de leurs fabriques avec le caractère des scènes dont elles font partie, afin de ne pas voir un chalet suisse au milieu d'un parterre orné, un temple enrichi de marbre et de dorures dans l'endroit le plus aride du parc, un belvédère dans un ravin, un moulin sur une rivière sans eau, et autres anomalies qu'on ne rencontre que trop souvent  ».

 

 

La visite de Monsieur Rousselon à Lormoy

Nous donnons le texte in extenso de M. Rousselon, représentant de la maison Jacquin frères de Paris, venu visiter et conseiller M. Paturle dans la mise en place de son parc et de toutes ses installations horticoles. À cette époque Lormoy possédait des serres tempérées, des vérandas, des châssis, des remises pour élever et hiverner toutes sortes de plantes et arbustes.

« Ce sont de semblables impressions que nous avons ressenties en allant visiter dernièrement à Lormoy, près Montlhéry, la belle propriété de Monsieur Paturle, pair de France, dont nous ne saurions trop louer l'aimable politesse, et que nous devons remercier de sa bienveillante réception».

Cette visite a justifié à nos yeux la brillante réputation de M. Varée, architecte de jardins à Saint-Martin-du-Tertre, dont les ouvrages charmants couvrent, pour ainsi dire, les départements de Seine-et-Oise, de l'Oise, de la Marne, etc., et qu'un hasard heureux nous a fait rencontrer dans cette circonstance où il venait inspecter la suite de ses travaux.

Formée de l'ancien domaine de M. le duc de Maillé, auquel M. Paturle a réuni le parc de Launay, cette propriété est d'une contenance d'environ 600 hectares . De telles proportions permettaient un développement grandiose à un plan d'ensemble qui m'a paru aussi bien conçu qu'exécuté. Il faut dire d'abord que la situation topographique de cette belle propriété est une de ces exceptions rares qu'on chercherait longtemps en vain. Sur le versant sud de la montagne de Montlhéry , si pittoresquement couronnée par les ruines de sa vieille tour, s'élève le château entièrement rebâti à neuf en forme de parallélogramme allongé , et dont l'architecture est aussi élégante que riche. Une de ses façades regarde la tour de Montlhéry , tandis que l'autre, parallèle à la rivière d'Orge qui coule ses eaux encaissées au centre de la propriété, fait face au versant nord des collines opposées qui s'élèvent en pente douce à partir des bords de la rivière, étalant aux regards leurs vertes draperies, entremêlées çà et là de bouquets de grands arbres, et montrant à gauche les vieux ombrages du parc de Launay, à droite le village de Saint-Michel qui paraît enclavé dans la propriété. Un chemin vicinal conduisant de Montlhéry au village de Saint-Michel borde la propriété du côté de l'est. Séparé seulement par un saut de loup, ce chemin ne bornant pas la vue lui permet de s'étendre sur la riche campagne qu'il longe, et celle-ci paraît à l'œil qui l'embrasse faire partie du domaine. A l'ouest se trouve le village de Longpont, sur le territoire duquel est l'entrée principale, ainsi que celle de la ferme d'exploitation; derrière apparaît l'église, puis ensuite une vaste campagne heureusement accidentée, et dont le lointain horizon vient se perdre derrière les grands arbres du parc de Launay.

Il est facile de concevoir que, sur un terrain si favorablement situé, un homme comme M. Varée, appuyé par le bon goût du propriétaire qu'aucune dépense n'a arrêté, et qui sait faire de sa fortune un emploi aussi honorable que les moyens qui la lui ont fait acquérir, ne pouvait manquer de créer un parc du plus bel effet.

Mais qu'on nous permette d'esquisser les principales beautés qui s'y remarquent , et pour cela plaçons-nous, en regardant le château, à l'entrée que nous avons dit être sur le territoire de Longpont. Elle est fermée par une grille placée entre deux pavillons parallèles d'une architecture simple, mais agréable, servant de logement, celui de gauche au concierge régisseur, celui de droite au jardinier chargé de la culture des arbres fruitiers et du jardin potager [Ce jardinier est M. Louis Letellier, homme intelligent, à qui la Société d'agriculture de Seine-et-Oise a décerné une médaille d'or pour la taille du pêcher, et qui conduit avec succès les cultures de primeur en fruits et légumes]. Celui-ci occupe la droite de l'allée en marchant vers le château, et en est séparé par une grille soutenue par un mur à hauteur d'appui. Il est coupé à angles droits par des murs intérieurs contre lesquels sont dressés des espaliers.

Le maître-jardinier parisien nous brosse une description précise en mettant en exergue la présence de l'eau . Arrivé près du château, on a à droite les communs et l'orangerie qui, regardant l'ouest, fait une équerre avec le château. Là, se plaçant sur le terre-plein qui se trouve devant sa façade nord, on a vis-à-vis de soi la colline delà tour de Montlhéry qui borne l'horizon, et dont les vertes pelouses descendent en pentes ondulées jusqu'à la propriété, de laquelle elles semblent dépendre, n'en étant séparées que par un chemin vicinal et un fossé dont les glacis, un peu plus élevés du côté du château, marient leur verdure avec celle du dehors. À gauche s'élève un bois formé de nos plus grands arbres indigènes, à l'ombre desquels est établie une glacière. À ses pieds sort, comme une source, l'excédant d'une prise d'eau que M. Paturle a fait venir, à grands frais, de plus de trois kilomètres. Cette eau, après avoir alimenté les bassins du potager, et fourni aux besoins des communs et du château, sort de terre et s'écoule en murmurant par un ruisseau rocailleux à ciel découvert, et sous bois. Ce ruisseau, dont un embranchement porte au fleuriste, établi à droite, les eaux nécessaires, conduit le surplus jusqu'à un rocher artistement disposé, d'où il tombe en cascade près de la source de la rivière qu'on y a creusée, laissant l'Orge couler au delà entre ses bords encaissés qui ne permettent pas d'apercevoir l'eau. Cette rivière artificielle est alimentée par l'Orge au moyen d'une prise d'eau qui arrive par des canaux souterrains , et sourd à la place où tombe la cascade. D'abord étroites, ses rives s'élargissent en contours gracieux, et prennent des dimensions assez vastes ; elle s'étend parallèlement au château vers l'est, et va se terminer sous bois en se contournant un peu de façon à dissimuler sa fin. Son trop-plein va rejoindre au loin la rivière d'Orge, qui par un détour vers le nord, qui permet d'apercevoir ses eaux du château, semble en être la continuation , les grands arbres sous lesquels elle se contourne dissimulant la lacune. Depuis le château, jusqu'aux bords de cette rivière, s'étend une vaste pelouse garnie de quelques massifs disposés convenablement pour les points de vue, et dont le gazon peut être entretenu toujours vert par un système d'irrigation combiné avec la première prise d'eau dont nous avons parlé.

Au centre de cette rivière s'élève une île à la verte parure, que rehaussent de leur éclat des fleurs diverses disposées en plates-bandes et massifs, parmi lesquelles les rosiers se font surtout remarquer. Un pont en bois unit à la terre cette île que sillonnent plusieurs allées, dont la principale conduit à son extrémité est, où sont établies, pendant l'été, deux tentes mobiles communiquant ensemble : la première destinée à servir de cabinet de toilette, et la seconde, fixée sur l'eau à des pilotis, formant une salle de bain. Le goût ne manque pas à leur décoration, et une flamme aux triplas couleurs se joue dans l'air en couronnant leur sommet.

Ce qu'il y a de plus remarquable dans cette création, c'est surtout l'emploi des eaux dont on a su tirer à la fois le parti le plus utile et le plus agréable. Bien de plus séduisant, en effet, que le murmure du ruisseau rocailleux qui vient tomber en cascade et dont on peut suivre les bords sous des dômes gigantesques de verdure, en profitant de la fraîcheur qu'il répand à l'entour. Rien de plus ravissant encore que le lieu de repos établi sous les grands arbres à l'est, dont le terrain plus élevé domine la rivière dans toute sa longueur, et présente, outre l'aspect agréable d'une vaste étendue d'eau sur laquelle se jouent d'élégantes gondoles ou de légères nacelles, des échappées de vue dans un lointain immense que la nature a semé des scènes les plus diverses.

Mais arrêtons-nous, car l'espace ne nous permet pas une plus longue description, dont serait cependant bien digne cette belle campagne où l'opulence a laissé une libre carrière au bon goût. Description que nous pourrions rendre d'autant plus complète que M. Varée a bien voulu nous accompagner partout en nous expliquant ses combinaisons, ce qui nous a fait reconnaître qu'il ne donnait rien au hasard.

Enhardi par sa bienveillance, nous lui avons demandé quelles règles il suivait dans ses créations. « Les règles, nous dit-il, qu'il faut observer se réduisent à peu de chose, et cependant il est difficile de les déterminer d'une manière assez précise pour que quelqu'un qui ne sent pas vivement les beautés et les défauts d'un site, puisse créer, avec leur aide , quelque chose de passable. C'est la situation qui commande, et quand même on établirait des millions de principes, on rencontrerait encore une foule de localités où nul d'eux ne pourrait être applicable. Lorsque je suis appelé à créer un jardin, je débute par étudier le terrain en le parcourant en tous sens, et en profitant de tous les points culminants pour mieux en saisir l'ensemble. Après ce travail préliminaire qui me met en position de juger les ressources que la situation offre, le propriétaire me fait connaître ses idées et son but, et bientôt, fidèle à ce dernier qu'il est trop juste de remplir, je trace le plan que les localités m'inspirent. J'ai soin de relier à la propriété, par les moyens de l'art, tous les alentours qui peuvent en enrichir les points de vue, agrandissant ainsi un domaine sans dépense; et en traçant l'intérieur, je m'efforce de produire la variété sans confusion, des scènes agréables qui deviennent des buts de promenade, et je dispose les plantations de manière à ménager aux bâtiments d'habitation tous les points de vue intéressants, sans découvrir tellement qu'il faille aller au loin et a travers une mer de feu chercher l'ombre et la fraîcheur si agréables en été ».

 

Le signataire de l'article du «  Journal des Jardins et des champs  » nous explique : «  Nous ne pouvons mieux terminer cet article que par cette citation qui vient appuyer notre opinion, que nous sommes heureux de trouver conforme à celle d'un homme versé, dès ses plus jeunes ans, dans la pratique d'un art où il se place au premier rang. En effet, petit-fils de M. Marcellin, qui a dirigé, pour le prince Joseph Bonaparte, les travaux de Morte- fontaine, ceux de Saint-Leu pour le prince Louis, et de Champlatreux appartenant à M. le comte Molé, il a de bonne heure ressenti le feu sacré qui donne les inspirations merveilleuses que la contemplation des œuvres naturelles active et guide plus sûrement  ».

Et l'horticulteur de conclure : «  Nous ne nous occuperons donc plus de la composition des jardins, mais nous nous réservons de faire connaître successivement les grands végétaux introduits sur notre sol depuis plusieurs années, et dont les architectes de jardins ne font pas assez d'emploi  ».

 

 

Les fleurs de Monsieur Paturle

Monsieur Parturle est un homme cultivé et raffiné. Outre qu'il s'enorgueillit d'une riche galerie de tableaux qui fait parler d'elle, le propriétaire de Lormoy embellit son domaine par une véritable «  explosion horticole  ». Le grand bourgeois prend conseil et devient le client assidu de la grande graineterie du quai de la Mégisserie.

Il a contribué pour la plus grande part à l'embellissement du Parc de Lormoy qui fait encore de nos jours l'émerveillement des promeneurs. Il nourrit une véritable passion pour les fleurs et les plantes en général. Suivant l'exemple de ses prédécesseurs, il organise avec soins les bassins et les jets d'eau profitant des eaux de sources du chantier des Fontenelles qui avaient été captées au XVIIIe siècle par l'abbé Pajot de Dampierre (8).

L'inventaire après décès, décrit parfaitement l'amour des fleurs du propriétaire de Lormoy. De toutes parts du domaine, parc, avant-cour, allées, potager, annexes, il n'y a que profusion de plantes et fleurs les plus exotiques les plus rares. Sur plusieurs pages grand format, l'inventaire des outils du fleuriste est considérable, une véritable caverne d'Alibaba. Il y en a pour 1.865 francs, dépassant de très loin la valeur des outils du potager ou même de la menuiserie...

Au chapitre «  arbres en caisse et plantes en pot  », l'inventaire mentionne :
- 21 caisses d'orangers autour du château et aux grilles,
- 150 camélias devant l'horloge,
- 100 plantes diverses devant la petite orangerie,
- 25 rhododendrons,
- 51 géraniums en vasques sur le perron du château
- 8 grandes corbeilles de pétunias sur le perron,
- 17 lauriers roses, 60 azalées, 20 véroniques,
- 100 pétunias, 80 géraniums, 100 fushias,
- 100 primevères de Chine, 100 pervenches de Madagascar,
- 50 gloxinias, 40 carantaines, 30 ipolopsis, 30 dahlias,
et par dizaines, des jasmins, des myrtes, des grenadiers, des chrysanthèmes, des verveines, des calcéolaires...
Dans les se
rres chaudes, la botanique est riche de 600 pots divers, sans compter 200 pots divers et 150 boutures dans les serres tempérées, et des centaines de plantes en attente sous les châssis...

Nous imaginons aisément qu'un grand nombre d'employés et de domestiques travaillaient au fonctionnement et à l'entretien de cette grande propriété : cuisiniers, boulanger, jardiniers, concierge, cocher, …, tous commandés par un régisseur. Bien fixés à Lormoy, ces gens firent pour la plupart souche à Longpont dont certaines familles sont les descendants. À la fin de la période du duc de Maillé, le chef jardinier était le sieur Louis-François Gontier qui deviendra jardinier du roi à Versailles en 1831.

Du temps de Monsieur Paturle, les serviteurs de Lormoy ne furent pas moins nombreux. Un personnage important, le régisseur devient l'homme de confiance du propriétaire, c'est François Lecreps. Le maître-jardinier est Paul Huguenin aussi qualifié de «  jardinier-fleuriste  » marié à Sophie Boudin qui lui donnera une nombreuse marmaille, enfants nés à Longpont. Parmi les jardiniers qui travaillent à Lormoy, il convient de citer Etienne Jouvin, Auguste Boudin, beau-frère du chef, Charles Mouroux qui décéda au kiosque du parc.

Jusqu'à la fin 1862, Madame veuve Jacques Paturle paya les frais d'entretien du domaine, les gages des domestiques, les salaires des ouvriers qui continuaient à travailler à Lormoy. Le contrat de vente de Lormoy est passé devant Poumet et Rocquard, notaires à Paris. Le nouveau propriétaire Monsieur Constant Say déboursa 440.000 francs tous frais compris.

Signalons pour terminer ce divertissement un projet non abouti de ce nouveau propriétaire: un champ de course!

 

Notes

(1) Le domaine de Lormoy est une vieille terre citée dès le XIIe siècle dans les chartes de Longpont «  Petra Ormessa  », peut-on y lire. Puis, au fil des siècles, on écrivit l'Ormoie , l'Ormoy , Lormois et enfin Lormoy . Les ormes sont totalement disparus, mais le parc abrite d'autres essences telles que : frênes, érables, charmes, cèdres, pins noirs, peupliers d'Italie, épicéas, magnolias, marronniers, etc.

(2) Charles-François-Armand (1770-1837) était le fils de Charles René duc de Maillé de la Tour-Landry (mort en 1791) et de Madeleine-Angélique-Charlotte de Bréhant. Une de ses filles Claire-Clémence-Henriette de Maillé de la Tour-Landry devint duchesse de Castries par son maraige avec Edmond de La Coix de Castries ; elle fut une des maîtresses les plus célèbres d'Honoré de Balsac.

(3) Né à Lyon le 24 mai 1779, mort au château de Lormoy le 23 juin 1858. Fils du sieur Pierre Paturle, orfèvre et de demoiselle Jeanne Ducros, son épouse. Il eut deux filles de son premier mariage et une fille unique, Adèle, de son mariage avec Sophie Dupin.

(4) Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, le cens est l'impôt qu'il fallait payer pour être électeur (système censitaire de 1815 à 1848). En 1815, le cens est fixé à 300 frs pour être électeur, et à 1000 F pour être éligible. En 1847, le cens est ramené à 100 frs et l'on compte 246 000 électeurs. La Deuxième République instaure pour la première fois le suffrage universel en France.

(5) J. Dulaure, Histoire des Environs de Paris , tome VI, 2ème édition revue et annotée par J.-L. Belin (chez Furne et Cie, libr. rue Saint-André des Arts à Paris, 1838) ; T. Pinard, Histoire archéologie, biographie du canton de Longjumeau

(6) Georges Touchard-Delafosse va même jusqu'à écrire en 1857 « Il fut bâti, à une époque moderne peu connue, avec la démolition de l'ancien château féodal de Saint-Clair ». Depuis quelques années, une légende se propage «  le château de Lormoy, ancienne demeure de Gaston d'Orléans  », et plus récemment «  le château construit par Gaston d'Orléans servit de modèle à celui de Blois  ». Quelle sera la prochaine invention des néo-historiens ?

(7) Le château Claire n'a jamais existé en tant que bâtiment, c'est un chantier de Longpont [Pinard reprend Dulaure et ajoute une contre-vérité]. Certes Monsieur Paturle a pu continuer l'aménagement du château reconstruit par son prédécesseur Monsieur le duc Charles-Armand sous la Restauration. Par contre, Lormoy n'a jamais appartenu aux prieurs commendataires de Longpont. Seuls les Legendre, les Pajot, puis la marquise de Bréhant et les Maillé en ont été propriétaires. Le cardinal de Coislin, évêque d'Orléans (placé avant 1655 alors qu'il avait moins de 18 ans), n'a jamais possédé Lormoy et le comte de Flamarens semble être un personnage imaginaire.

(8) Les eaux de Longpont constituent un dossier volumineux qui sera traité en son temps par la Chronique du Vieux Marcoussy.

 

 

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